Tout comme son contemporain d'Orschwihr, cet orgue Stiehr "tardif" (1881) est resté absolument authentique, à part ses tuyaux de façade. L'instrument est un précieux témoin du (difficile et finalement inachevé) tournant de la maison de Seltz vers le romantisme.
Historique
Le premier orgue de Muhlbach serait venu en 1735 de Niederhaslach, St-Jean-Baptiste. [IHOA]
C'est le facteur/organiste Bender de Niederhaslach qui procéda au déménagement. On a pu lire que cet orgue datait du 17ème (1666), mais c'est tout même fort peu probable. On connaît le nom des organistes en 1825 et 1826 : respectivement Michel Armbruster et Antoine Weiskopf. [IHOA]
L'édifice ayant été reconstruit en 1878, il y eut un projet de remplacement de l'orgue par Charles Wetzel en 1879 : instrument projeté n'avait qu'un seul manuel (8 jeux de 54 notes) et un pédalier toujours et encore (en 1879 !) limité à 18 notes (3 jeux). [PMSRHW]
Historique
Mais c'est Félix Mockers qui obtint le marché pour remplacer l'orgue. L'instrument a été livré en mars 1881, et c'est le dernier attribué à Félix Mockers, décédé le 15/07/1881. Louis Mockers - qui participa probablement beaucoup à l'élaboration de cet orgue - prit sa suite. [IHOA] [PMSSTIEHR]
L'instrument a été reçu le 01/04/1881 par Friedrich Wilhelm Sering. Sering apprécia beaucoup ce travail : son article 1 du procès-verbal est le suivant : "Das volle Werk hat präzise Ansprache und richtiges Verhältnis der Tonstärke des Diskants zum Bass, sowie der einzelnen Stimmen bei verschiedenen Mischungen derselben." ("L'ensemble parle avec précision, avec un juste équilibre entre les basses et les dessus, ainsi qu'entre les jeux solistes et les différents mélanges.") De plus, il juge l'orgue solidement construit, et apprécie l'étendue des claviers et du pédalier. (Ce dernier a 27 notes ; la maison de Seltz avait enfin échappé à la logique des pédaliers de 18 notes.) [PMSSTIEHR]
En 1881, on découvre donc avec plaisir une maison Stiehr-Mockers qui s'ouvre - certes timidement - sur le monde. Elle s'efforce à nouveau de progresser, comme elle le faisait à la fin des années 40 (Bischoffsheim, 1848), mais plus guère depuis. Voici donc un orgue Stiehr permettant enfin d'adresser un vrai répertoire (puisqu'il a un pédalier complet). Il y a aussi un récit (certes doté d'un seul jeu expressif), une tirasse, un accouplement et même des Bourdons à calottes mobiles.
Mais on a peine à croire qu'au moment où cet instrument a été livré, le grand Joseph Merklin d'Obernai était en cours d'achèvement ! Or, un monde sépare ces deux orgues. A Muhlbach, la console reste en fenêtre, il n'y a pas d'ondulant (ce qui n'est pas étonnant pour un récit qui n'est pas vraiment expressif ; le "Jeu céleste" est clairement un simple Salicional), ni de jeux harmoniques. Le Hautbois expressif de Félix et Louis Mockers a quelque chose d'attachant, mais d'un peu pathétique : leur entreprise, sclérosée par des années de facilité et de "fidélité à la tradition" (en fait, de refus de tout progrès) avait bien du mal à proposer des instruments conformes aux capacités des organistes, de mieux en mieux formés.
L'orgue de Muhlbach est contemporain de deux autres opus de la maison Stiehr : Orschwihr et Froeschwiller (St-Michel). Si le second est un instrument réalisé avec un buffet de 1849, des éléments de récupération, et avec une démarche clairement "old style", celui d'Orschwihr confirme que les évolutions constatées à Muhlbach sont issues d'un réel désir d'avancer. C'était d'ailleurs une question de survie : au même moment (1881), Charles Wetzel vivotait en construisant un tout petit orgue à Singrist. La maison lorraine Verschneider bénéficiait du déclin des "historiques" bas-rhinois : de 1881 datent l'instrument de Zaessingue et la transformation en orgue d'église de celui destiné à Rammersmatt.
Toujours en 1881, Martin Rinckenbach posait son troisième instrument, à Selestat. Ce dernier a été affreusement baroquisé en 1949, et, depuis, personne ne semble vouloir mettre les moyens nécessaires pour le restaurer - ce qui serait pourtant un projet absolument prioritaire pour l'orgue alsacien. Mais, même dans son état actuel, il permet de mesurer l'énorme avance prise par Rinckenbach sur ses concurrents alsaciens, tant du point de vue technique qu'artistique.
On sait, avec le recul, que pour la maison Stiehr, il était déjà trop tard. Mais cela ne retire rien au côté attachant de ces "Stiehr tardifs". Et la réception bienveillante de Sering, une fois de plus, est un démenti cinglant à ceux qui ont voulu rendre les "experts allemands" responsables du déclin de la maison de Seltz.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. Ils ont été remplacés par la suite, mais par des tuyaux de taille trop étroite, ce qui fait que l'orgue était devenu "transparent". [PMSSTIEHR]
La façade a été remplacée par une nouvelle, cette fois de bonnes dimensions, en 2002-2003 par la maison Koenig. Il y a eu deux tranches de travaux, car l'instrument a d'abord dû être traité contre une attaque de ver à bois. Plusieurs tuyaux ont dû être remplacés. [YKoenig] [DossierOrgue]
Le buffet
Pour échapper à la mode du "buffet-caisse" souvent imposée par les architectes depuis les années 1830 (Grendelbruch, 1834), voilà un dessin plutôt original inspiré du style néo-gothique. Il reste toutefois très "sage". On peut le rapprocher de ceux de Heiligenberg (1869), Marienthal (1872), Weitbruch (1875), Hersbach (1876) ou Wangenbourg-Engenthal (1880). (Celui de Logelbach, construit par Klem, est peut-être postérieur à l'instrument.)
Caractéristiques instrumentales
Console en fenêtre frontale. Tirants de jeux de section ronde, à pommeaux tournés munis de porcelaines. Elles sont blanches pour le grand-orgue, vertes pour le récit et rose pour la pédale.
La pédale d'expression du Hautbois est située au-dessus et un peu à droite du "E" du pédalier, repérée par une porcelaine rectangulaire "EXPRESSIF", et fonctionne à l'inverse du sens habituel : la boîte est ouverte quand la pédale est en haut. La tirasse n'est pas transitive avec l'accouplement, si bien qu'il n'y a aucun moyen de jouer le récit depuis la pédale. L'accouplement est commandé par une pédale-cuiller située au-dessus du "H" du pédalier, et sa porcelaine dit "ACCOUPLEMENT DU MANUAL AU PÉDAL". L'accouplement est commandé par un tirant.
Mécanique suspendue ou à équerres.
à gravures.
Les Bourdons sont à calottes mobiles, mais la tuyauterie ouverte est coupée au ton.
Cet instrument - qu'on peut considérer comme authentique - a une importance historique considérable. Il illustre l'impressionnant décalage entre les habitudes des maisons alsaciennes "historiques" (Stiehr, Wetzel) et l'état de l'art européen en 1880, juste à l'aube de la période la plus extraordinaire de la facture d'orgues alsacienne.
Les progrès effectués par Félix et Louis Mockers ont été réalisés sans rien perdre des qualités musicales, et nous laissent un instrument à la fois doté de l'harmonie "Stiehr" et d'un pédalier qui le rend compatible avec le répertoire d'orgue. Bougie et porcelaine : ce n'est pas si courant !
Sources et bibliographie :
Remerciements à Pierre Bertaut.
Photos du 27/06/2020.
Photos du 27/06/2020.
Relevage et remplacement de la façade.
Le récit n'est pas expressif. Seul le Hautbois l'est.
Localisation :