La maison badoise Voit posa en Alsace, entre 1872 et 1899, 6 orgues d'esthétique romantique allemande. Ils contribuèrent avec élégance à la diversité du patrimoine instrumental de la région. Si un seul peut être considéré comme authentique, 3 d'entre eux ont été conservés dans un état qui en font autant de témoins précieux de l'oeuvre de cette maison fort ancienne. Elle sut offrir - sûrement en raison de sa longue expérience - une approche originale de ce style si riche qui permet d'apprécier au mieux les oeuvres de Reger, Reubke, Rheinberger...
C'est Johann Georg Voit qui fonda la maison, dès 1670, à Schweinfurt. Une publicité de 1926 déclare "Gergündet 1670 in Schweinfurt, seit 1794 in Durlach" ("[maison] fondée en 1670 à Schweinfurt, installée à Durlach depuis 1794"). [PMSDBO1974]
La dynastie Voit comprend de nombreux facteurs, avec des parentés diverses. On peut citer Johann Michael Voit (1744-1819), son fils Johann Volkmar (1772-1806), qui installa la firme à Durlach / Karlsruhe en 1794, mais aussi son autre fils Carl Friedrich (1774-1854) (qui construisit d'autres sortes d'instruments de musique). La dynastie s'allia avec d'autres familles de facteurs d'orgues : c'est de l'une de ces alliances qu'est issu Louis Voit (1802–1883), qui conduira la maison lors des grandes mutations techniques et artistiques du 19ème. A leur tour, ses fils vinrent l'aider : Heinrich (1834–1914) et Carl Voit (1847–1887). Ce dernier décéda à 40 ans, alors que Louis s'était déjà retiré des affaires vers 1870. La plaque d'adresse "L. Voit & Sohn" (Steige) fait donc référence à la période "Louis et Heinrich". [MZeppVoit] [OKarlsruhe]
A la toute fin du 19ème siècle, la maison Voit adhéra aux principes de la "réforme" de l'Orgue, et ce fut encore plus marqué sous l'impulsion d'Emil Voit (1865-1924), l'un des fils de Heinrich. L'autre était Siegfried (1870-1938). La plaque d'adresse "H. Voit & Söhne" (Montreux-Vieux) fait donc référence à la période "Heinrich, Emil et Siegfried".
Malgré le nombre relativement faible d'opus alsaciens, cette maison participa, toujours grâce à Emil, à l'élan de la Réforme alsacienne de l'Orgue. On note par exemple des Mixtures à reprises, sans Tierce, ou l'utilisation du métal pour les Flûtes et Bourdons. Les consoles aussi, avec les pédales d'accouplement et de combinaison (Steige) étaient marquées par ces idées réformatrices. Il y avait - bien sûr - un peu de Cavaillé-Coll là-dedans, comme en atteste la composition de l'orgue que livra Voit à l'école de musique de la Revélière à Paris (1912). Mais aussi des réflexions sur la mise en valeur de la polyphonie. [Rupp] [OKarlsruhe]
La maison Voit se distingua particulièrement lors de la construction d'orgues destinés à des salles de concert. Une de ses spécificités techniques était l'utilisation de sommiers à pistons ("Kegellade"), dont les leviers actionnant les pistons n'étaient pas en bois, mais en métal. La maison Voit passa à la traction pneumatique en 1890. Elle exista en tant que telle jusqu'en 1932. [MZeppVoit]
La maison Walcker avait commencé à poser des orgue en Alsace dès 1857. Mais pour les autres facteurs allemands, le marché ne s'ouvrit "en grand" qu'après 1871. Voit fut l'un des premiers à l'intéresser au "Reichsland" alsacien, dès 1872. Le premier Weigle alsacien ne fut en effet posé qu'en 1886, et le premier Link en 1896. Le seul Steinmeyer date de 1876 (mais c'était un cadeau !). De fait, la maison Voit avait su se trouver des alliés influents, comme Franz Stockhausen (Strasbourg, conservatoire), mais sûrement aussi Henri Wiltberger (Colmar, école normale). Ils faisaient partie de ces musiciens plein d'enthousiasme, qui s'efforçaient de brasser les idées et de varier les projets pédagogiques, en ouvrant bien sûr le répertoire pratiqué au romantisme allemand. Il fallait donc des instruments adaptés, munis d'une palette de jeux de fonds permettant de doser finement les intensités. Wiltberger ne favorisait d'ailleurs pas forcément les facteurs allemands, puisqu'il soutenait aussi avec entrain les projets de Martin et Joseph Rinckenbach (Ammerschwihr). Contrairement à ce que l'on a pu penser, il s'agissait bien d'éclectisme et d'ouverture, et pas de "prosélytisme". (Il ne faut décidément pas confondre la fin du 19ème - si souvent discréditée et victime de préjugés - avec les pages noires du 20ème siècle...)