La maison Eberhard Friedrich Walcker, de Ludwigsburg, construisit 28 orgues pour Alsace, entre 1857 et 1923. Parmi eux, on trouve le petit bijou de Pfastatt, qui date de 1879. C'est une des pièces majeures du patrimoine organistique alsacien. Malheureusement, il a été altéré dans les années 1970, et n'est plus tout à fait dans son état d'origine. Une restauration de cet instrument exceptionnel dans son état de 1879 devrait aujourd'hui être une priorité de l'orgue alsacien !
Historique
Un premier orgue est attesté à Pfastatt en 1790. [PMSAEAHENRY]
En effet, en 1790, il a été réparé par le facteur Joachim Henry, de Thann. On ignore la provenance de cet instrument, mais on connaît le nom de son organiste en 1806 (l'instituteur François-Joseph Trapp), et en 1825 (Auguste Spony). L'ancienne église a été démolie le 17/06/1863. [IHOA] [PMSAEAHENRY] [Barth]
Historique
L'église actuelle a été consacrée le 02/06/1867. En 1879, elle a été dotée de l'opus 356 de la maison Eberhard Friedrich Walcker. [IHOA] [ITOA] [PMSAEAHENRY] [WOB] [Barth]
Il semble que la Voix céleste ait été prévue à deux rangs (96 tuyaux, soit deux rangs sur c-f''', et un seul sur C-H), pour pouvoir être jouée seule. La composition du grand-orgue (8 jeux) ne fait pas de doute, tout comme celle de la pédale (3 jeux). Celle des 5 "vraies" chapes du récit (voir ci-dessous) est également fiable, bien que ce plan sonore ait été plusieurs fois modifié par la suite. Voici la composition d'origine notée par les archives Walcker :
Avec sa Voix céleste et ses "pédales de combinaison", l'instrument assume son côté "orgue d'export". Mais c'est un "vrai" Walcker, avec son unique anche (une Trompette) au grand-orgue (et pas au récit), et sa pédale munie de Gambes en 16' et 8'. Déjà très "symphonique" (malgré ses claviers de 54 notes et pas 56), l'instrument évite scrupuleusement les couleurs trop principalisantes, à l'exception notable du Principal 8' et son Octave, au grand-orgue. Les harmoniques son essentiellement issues des jeux gambés, et, bien sûr, aucun jeu de 2' et aucune Mutation ne viennent gâcher ce superbe édifice sonore.
L'instrument ressemble beaucoup à son contemporain de Kohren-Sahlis, St-Gangolf (Saxe, près de Leiptzig) (opus 360). Ce dernier a deux jeux en moins, et de façon peu surprenante, il s'agit de la Trompette et de la Voix céleste. Plus tard, l'opus 382, à Pfaffenweiler, Ste-Colombe, était également très voisin (avant d'être complété). Là non plus, pas de Voix céleste, mais une Aeoline. Dans l'esprit de cette esthétique, une Voix céleste, c'est un peu une Aeoline améliorée ! Parmi ses contemporains, on trouve volontiers un Geigenprincipal au récit. [WOB]
Il y a une curiosité : si le récit est bien constitué de 5 chapes, il y en a une autre, ajoutée à l'aide d'une règle verticale, marquée "Aeoline". Cette chape est très étroite, et n'a probablement jamais été utilisée. Il n'y a pas de tirant correspondant à la console. Comme les Aeolines sont les jeux idéaux pour "adosser" une Voix céleste, il s'agit peut-être du "2ème rang" de la Voix céleste défini lors de la conception de l'instrument. Elle était sûrement destinée à être commandée par le tirant de la Voix céleste. [GWalther] [Visite]
Il y eut une réparation en 1893, menée par Joseph Antoine Berger, de Rouffach. [ITOA]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 05/03/1917. [IHOA]
On ne sait pas qui les a remplacés, mais la façade actuelle est de toute beauté. [Visite]
Il y eut une autre réparation vers 1966, menée par Alfred Kern. Celle-ci s'est faite sans modification. [JCJully] [PMSAEAHENRY] [ITOA]
Les errements des années 70
Malheureusement, a priori en 1976, il y eut une transformation, exécutée par un facteur dont nous ne donnerons pas le nom, mais qui n'était pas de la maison Kern. [Visite]
Selon Pie Meyer-Siat, avant 1980, l'orgue était affublé de deux 2', à la place de la Gambe 8' (I) et du Gemshorn (II). Il ne note que 4 jeux au récit : Gedackt 8', Doublette (à la place du Gemshorn 8'), Voix céleste, et Flûte 4'. La Mixture du grand-orgue était toujours notée à 2'2/3, ce qui est surprenant. Mais les orgues romantiques étant ouvertement méprisés à l'époque, les relevés de leurs compositions étaient souvent effectués avec grande désinvolture, et parfois même sans écouter les jeux. [PMSAEAHENRY]
L'inventaire de 1986 a identifié ces jeux de 2' (totalement étrangers à l'esthétique de cet orgue) comme issus des travaux de la maison Kern. Celui du grand-orgue répondait au tirant de la Flûte 4', et celui du récit au tirant du Gemshorn 8'. Ils ne le sont pas. [JCJully] [ITOA]
Ces 2' constituaient vraiment l'erreur à ne pas commettre. Il sont significatifs de la méconnaissance de l'orgue romantique qui caractérise la seconde moitié du 20ème siècle : tout devait sonner "comme Clicquot", et, évidemment, sur une base pareille, c'était absurde. Bien sûr, cela ne veut pas dire que Walcker ne construisait jamais d' "Octave 2'" (au grand-orgue)... mais sûrement pas au détriment de la Gambe !
Dégâts collatéraux
Comme souvent, ces altérations "pour suivre la mode" ont causé des mutilations en cascade :
- Il a d'abord fallu "libérer" deux chapes. Le choix des jeux à supprimer a été fait en dépit de tout bon sens, en portant sur les deux jeux les plus significatifs de l'instrument : rien moins que la Gambe du grand-orgue, et le Gemshorn 8' du récit. L'orgue avait perdu une partie fondamentale du chœur de Fonds constituant sa spécificité.
- Ensuite, il était tentant de ne pas construire les deux 2' à neuf, mais de "récupérer" des tuyaux. Les deux jeux d'origine n'ont pas été entreposés (et donc conservés) : une partie de la belle Gambe Walcker a servi à constituer ces choses en 2' (après avoir évidemment été recoupés). Mais ce n'était pas tout :
- La Mixture d'origine, une "Cornett-Mixtur" en 2'2/3, allait donc sonner plus grave que les 2'. Il a donc été décidé de transformer ce jeu en une Fourniture sonnant une octave plus haut (1'1/3). Là aussi, il y avait méprise : la Mixture-Cornet est un jeu "de couronnement", servant à magnifier le Tutti, et destiné à être tiré après la Trompette. Elle n'avait rien à voir avec un "Plein-jeu" à la française (Montre, Prestant, Doublette, Fourniture, Cymbale). Et malheureusement, il fallait trouver des tuyaux pour constituer une Fourniture en 1'1/3...
- Ainsi, la Mixture Walcker a été dispersée, et certains tuyaux ont été "récupérés" pour rejoindre les 2', celui du grand-orgue recevant une partie du rang de 2'2/3, recoupé.
- Puis, de façon totalement incompréhensible, ce fut la Voix céleste qui fit les frais de cette cascade de dégâts. Certains de ses tuyaux (dessus) ont intégré la Fourniture 1'1/3, d'autres ont été entreposés dans la tour, d'autres ont disparu. Et tout cela... pour finir par la remplacer par une autre "Voix céleste" assemblée avec les moyens du bord : a priori, le C-H du Gemshorn (normalement, une Voix céleste est dépourvue d'octave grave), et d'autres tuyaux à inventorier ! Si bien que la Voix céleste d'origine a été dispersée, portant le montant des dégâts à 4 jeux. C'est tellement invraisemblable qu'on se dit qu'il doit forcément y avoir une erreur ; mais tout semble confirmer ce remplacement d'une Voix céleste d'origine par une autre de récupération.
- Et, comme, malgré tout ça, il n'y avait toujours pas assez de petits tuyaux pour constituer les 3 jeux "baroques", des tuyaux de récupération divers ont été ajoutés, dont ceux d'une Quarte de Nasard pour le 2' du récit.
Un relevage salutaire
L'orgue a été confié à la maison Muhleisen en 1996 pour des travaux, qui ont été effectués en deux étapes. Malheureusement, ce n'est pas une restauration en l'état de 1879 qui a été retenue. L'orgue a d'abord été relevé en profondeur : démontage et traitement de la tuyauterie, réglage de la transmission, réparations. [GWalther] [IHOA]
Dans un deuxième temps, la Mixture du grand-orgue et Gemshorn 8' du récit ont été restitués. Mais, de façon incompréhensible, la Voix céleste (pas d'origine), au lieu d'âtre restaurée, a été remplacée par... un Basson-Hautbois.
Prélude, Fugue et Confusion
Ainsi, même à la toute fin du 20ème siècle, et lors d'une opération à part cela exemplaire, une confusion (assez incroyable aujourd'hui) a été faite entre orgue romantique allemand et symphonique français. Ainsi, à la place du fameux 2' du récit, c'est un très César-Franckien Hautbois qui a été introduit dans l'orgue Walcker, où ce jeu n'avait jamais été prévu.
Evidemment, la maison Walcker a construit des "Oboe", mais pas dans ce contexte... Ce Hautbois est de grande qualité, et serait vraiment magnifique... ailleurs. Ici, il brouille le message esthétique. D'un point de vue patrimonial, ces contre-sens sont très préjudiciables. Et même s'il s'agissait à l'origine d'une action louable, sa porcelaine "II Man Basson Hautbois 8'" a été réalisée en imitation des porcelaines Walcker, pouvant laisser croire à l'organiste qu'il s'agit d'un jeu d'origine. Mais c'est bien une Voix céleste qui constituait l'hommage de Walcker à la facture romantique française.
Le buffet
Le buffet, de style éclectique, est en chêne. Sa composition est très élaborée :
Une partie centrale est constituée d'une grande plate-face avec un arc plein cintre, plutôt néo-romane et surmontée d'un tympan, flanquée de deux tourelles doubles (une inférieure, une supérieure) dotées de grands couronnements.
Les parties latérales sont constituées d'une plate-face double, séparées par un pilier vertical, chacune avec son chevron, et une tourelle latérale. Ces deux tourelles latérales sont dotées d'une façade sur le côté.
Ce buffet ressemble beaucoup à celui de l'église catholique de Zell im Wiesenthal, St-Fridolin ("Stadtpfarrkirche", pas "l'Altkatholische Kirche"). Cette localité est très proche de l'Alsace (près de Fribourg). L'orgue était l'opus 620 de la maison Walcker (1892), doté de 27 jeux, et fut malheureusement victime d'un incendie dans la nuit du 30 au 31 mai 1956. Il figure dans le catalogue Walcker de 1902, p. 46. Son buffet ne se distingue de celui de Pfastatt que par les plates-faces latérales simples (au lieu de doubles).
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde, à pommeaux tournés noirs repérés par des porcelaines placées sur de grands chanfreins, et disposés en deux gradins de part et d'autre de la console. Les porcelaines du grand-orgue sont blanches, celles du récit rose, et celles de la pédale vertes. L'accouplement et la tirasse sont bicolores (respectivement blanc en bas / rose en haut et vert en bas / blanc en haut).
Claviers blancs, joues moulurées.
Les deux pédales de combinaison sont repérées par des porcelaines rondes placées au-dessus du second clavier, de part et d'autre de la plaque d'adresse : à gauche "Forte." et à droite "Tutti."
Plaque d'adresse en porcelaine blanche, disant :
Mécanique à équerres.
Sommiers à cônes. (Kegelladen, Walcker oblige !) Le récit est disposé à l'arrière et en hauteur.
Ordre des chapes au récit : Flauto Dolce 4', Lieblich Gedeckt 8', Gemshorn 8', Salicional 8', Voix céleste, et une chape supplémentaire pour une Aeoline, sans octave grave.
Il s'agit vraiment d'un instrument superbe, de plus en très bon état, et dans un cadre remarquable.
Il ne manque que peu de choses en refaire un orgue cohérent : son grand-orgue est toujours affublé d'une Flûte 2', et surtout, il lui manque deux jeux fondamentaux : sa Viole de Gambe 8' du grand-orgue et sa Voix céleste du récit... C'est ainsi que cet orgue exceptionnel se présente aujourd'hui : passionnant, plein de promesses, enthousiasmant... et toujours en partie mutilé. A cause de deux jeux.
Notre époque continue d'allouer des sommes considérables dans des instruments "du 18ème siècle" souvent à l'authenticité douteuse. Ils finissent par se ressembler tous, ce qui provoque le désintérêt du public. Il serait grand temps de re-définir les priorités, et d'accorder à ces merveilleux instruments de la fin du 19ème l'intérêt qu'ils méritent. Celui de Pfastatt devrait vraiment être enfin restauré.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Paul Chevet.
Rapport des travaux effectués lors du relevage de 1996
Données historiques.
Localisation :