
Eberhard Friedrich Walcker (03/07/1794 - 02/10/1872)
Eberhard Friedrich Walcker est le personnage le plus marquant de l'histoire de la facture d'orgues. Le Patron. Le Boss. La prestigieuse maison de Ludwigsburg, toujours en activité, a construit des milliers d'orgues, installés dans le monde entier. Cette page retrace quelques éléments des opus alsaciens de la maison Walcker.
Ce n'est pas Eberhard Friedrich (03/07/1794 - 02/10/1872) qui fut le fondateur de la maison Walcker, mais son père Johann Eberhard Walcker (1756 - 1843), en 1780 : c'était alors une entreprise de menuiserie et de facture d'orgues, établie à Cannsatt (juste au nord de Stuttgart). Johann Eberhard construisit 7 orgues neufs. [SiteWalcker]
Eberhard Friedrich installa son propre atelier à Ludwigsburg (10 km au nord de Stuttgart) en 1820, et en 1833, c'est le grand orgue de Francfort, St-Paul qui donna à sa carrière l'élan déterminant.
Du point de vue technique, l'essor de la maison Walcker est indissociable des sommiers à cônes ("Kegelladen"). En deux mots, il s'agissait de revoir la façon dont les tuyaux d'orgues sont alimentés par leurs "sommiers" : jusque là, un orgue était un assemblage de notes (Do, Ré, Mi...) (gravures), chacune munie de plusieurs tuyaux constituant les jeux. La "Kegellade" inverse la façon de voir les choses : l'orgue devient un assemblage de jeux (Principal, Bourdon, Trompette...), chacun munis de toutes les notes du clavier. Les autres éléments techniques majeurs étaient la généralisation de la boîte expressive, munie de jalousies, et le progrès des alimentations en vent.
Du point de vue des "théoriciens", il faut citer l'abbé Georg Joseph Vogler (1749 - 1814) qui repensa la synthèse sonore permise par l'instrument.
Aujourd'hui, la maison Walcker est installée à Guntramsdorf (A, au sud de Vienne) pour la partie autrichienne ("Orgelbau Michael Walcker-Mayer"), et à Bliesransbach (D, Sarre, à deux pas de la frontière française) pour la partie allemande ("Gerhard Walcker-Mayer").
La liste des opus Walcker pour l'Alsace comprend 28 numéros. Mais elle oublie Breuschwickersheim, compte pour deux les orgues de Mulhouse (église protestante St-Etienne), intègre un orgue provisoire (à nouveau pour Mulhouse), et compte Illzach, qui n'était qu'une transformation. C'est donc en fait 26 orgues que la maison Walcker laissa en Alsace. On connaît deux "arrivants ultérieurs" (l'orgue de choeur d'Obernai - qui venait d'Hochemmerich - et celui d'Hachimette). Mais ces deux installations étaient des agissements d'un facteur peu consciencieux, et ce qu'il commit n'avait plus grand chose à voir avec l'esprit Walcker. Il faut d'autant moins les compter qu'il ont tous deux été supprimés depuis.
Sur ces 26 orgues,
- - 10 ne font plus partie de notre patrimoine (1 seul par faits de guerre, 4 parce qu'ils occupaient le buffet d'un orgue "classique" ultérieurement reconstruit, 2 remplacés depuis longtemps, et 3 victimes de la vague de "pensée unique" qui sévit entre 1958 et 2006. Une partie instrumentale, démontée parce qu'elle occupait un buffet ancien, a toutefois été préservée.
- - 6 ont été gravement altérés ("baroquisés") et ont perdu tout caractère authentique (mais seraient probablement restaurables). 1 est actuellement démonté.
- - Et 10 sont restés authentiques, ou ont été restaurés dans un état proche de l'origine. Ils sont autant de précieux témoins de la facture romantique ou symphonique allemande entre 1857 et 1913.
Les "figures" de ce patrimoine sont les deux grands instruments de Strasbourg St-Paul et l'église protestante St-Paul, et les deux orgues restaurés de Saverne et de Soultz-sous-Forêts.
A ces 4, il faut ajouter le petit bijou, entièrement authentique, de Husseren-Wesserling, et l'instrument fort bien ressuscité de Munster.
Deux autres "Walcker" alsaciens à découvrir sont ceux de Breuschwickersheim et Fellering.
Principaux travaux en Alsace
C'est en 1854 (soit après 126 opus) que la maison Walcker prit le nom "E. F. Walcker & Co". Tous les opus alsaciens devraient donc être attribués à cette maison.
1866 :
Mulhouse, Eglise réformée St-Etienne
Remplacé par Eberhard Friedrich Walcker (1905).
La "première version" du Walcker de Mulhouse était l'
opus 218. C'était déjà un grand instrument (III/P 62j).
1866 :
Haguenau, St-Georges Choeur
Remplacé (2015).
La maison Walcker avait posé son
opus 227
(8j) dans le choeur de l'église St-Georges. Ce petit instrument fut repris vers 1950 par Max Roethinger, puis il disparut.
1867 :
Haguenau, St-Georges
Remplacé par Edmond-Alexandre Roethinger (1926).
Muni de "Kegelladen" à assistance pneumatique, l'
opus 226
(III/P 40j) fut reçu le 17/10/1867 par J.B. Benz (Spire), J.A. Seitz (Reutlingen) et Reither (Spire). Il n'en reste que le buffet.
1870 :
Husseren-Wesserling (région de St-Amarin), Chapelle protestante
Instrument actuel.
Ce petit orgue (II/P 8j), resté absolument authentique (y-compris les 23 tuyaux de façade), a été récemment (2011) entretenu par Sébastien Braillon. L'
opus 247 est en pleine forme : depuis le milieu du 19ème siècle, il a traversé sans encombre l'Histoire, échappant aux guerres, aux réquisitions, aux baroquisations... Petit, mais costaud.
1873 :
Munster, Eglise protestante
Remplacé par Georges Schwenkedel (1927).
Bien que reconstruit en 1927 par Georges Schwenkedel, l'
opus 276 fut à nouveau reconstruit en 1985 par la maison Muhleisen dans l'esprit Walcker.
1879 :
Pfastatt (région de Wittenheim), St-Maurice
Instrument actuel.
Malheureusement altéré en 1976, l'
opus 356 (II/P 13j (16j)) a été relevé en 1996. Un petit pas a été fait dans le sens d'un retour à son esthétique originelle. Mais, pour différentes raisons, les dégâts de 1976 n'ont pas tous été réparés. Pourtant, cet orgue le mériterait, vu son usage : il a récemment (2009) accueilli Daniel Roth (et Vincent) pour un concert.
1895 :
Strasbourg, Doctrine chrétienne
Instrument déménagé à Wingen-sur-Moder, St-Félix de Cantalice.
L'
opus 721
de la Maison Walcker a été fourni en 1895 à un lycée privée situé 14, rue Brûlée à Strasbourg, et connu sous le nom de "la Doctrine chrétienne". L'orgue fut déménagé en 1942 à Wingen-sur-Moder, où il aurait été récemment rénové par Bruno Dillenseger.
1896 :
Oberhausbergen (région de Mundolsheim), Eglise protestante
Instrument actuel.
On ne sait plus qui a réalisé la transformation de ce malheureux instrument en un machin "néo-quelque chose". Le "Jeu de Tierce" que constitue à présent le "récit" est bien sûr complètement étranger à l'esthétique d'origine. Adieu, probables Salicional 8', Flauto dolce 4' et peut-être Hautbois 8' : à la place, on trouve un Cornet décomposé (4' + 2'2/3 + 2' + 1'3/5). Adieu surtout au répertoire... La Mixture du grand-orgue a aussi été modifiée, puisqu'elle est trop aiguë : elle sonne en 2 pieds alors qu'elle est inscrite en 2'2/3 à la console (ce qui est la bonne hauteur pour ce type d'instrument). En 1984, la maison Muhleisen répara l'instrument (16j), mais une restauration de l'
opus 735 n'était malheureusement pas à l'ordre du jour.
1897 :
Strasbourg, St-Paul
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(14/04/1987).
L'
opus 777 avait été voulu et défini par Ernst Münch et Friedrich Wilhelm Sering. Ce fut l'orgue d'Emile Rupp, sur lequel il théorisa la réforme alsacienne de l'Orgue (en demandant immédiatement une "version révisée"). Cet instrument passionnant, témoin privilégié de maints événements historiques et musicaux, fut bien sûr plusieurs fois remanié. Consciencieusement entretenu par Richard Dott et abritant des nombreuses activités culturelles, c'est une des "figures" de l'orgue alsacien.
1897 :
Saverne, Eglise protestante
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(31/03/1994).
Ce magnifique
opus 793
(II/P 24j) est resté fort authentique, puisqu'il a été restauré en l'état de 1897 par la maison Walcker elle-même en 1997.
1898 :
Strasbourg, St-Guillaume
Remplacé par Ernest Muhleisen (1955).
Il ne reste rien de l'
opus 804
(III/P 52j), l'orgue dont Ernest Münch fut titulaire, et que joua Max Reger.
1898 :
Strasbourg, Ancienne Synagogue (place des Halles)
Emile Rupp raconte au sujet de cet instrument (II/P 38j) une ses fameuses anecdotes qu'on aurait peine à croire vraie si on ne savait à quel point Rupp était impliqué dans la musique à la Synagogue. Bien sûr, l'Orgue tient une place "à part" à la Synagogue, et définir un instrument adapté n'est guère facile. Toujours est-il que l'orgue Walcker avait été conçu (sûrement avec beaucoup de bonne volonté) par un séminariste protestant, et que cet instrument était idéal... pour accompagner le chant choral ! L'
opus 818 a finalement été repris par Roethinger en 1925. Ce dernier en intégra certains éléments à
St-Maurice en 1942 quand il transforma l'orgue Weigle du lieu.
1898 :
Strasbourg, Eglise protestante St-Pierre-le-Vieux
Instrument actuel.
L'instrument est resté plutôt authentique (surtout pour un orgue de ville). Mais des "petits jeux" ont été ajoutés, et, fait symptomatique, c'est la "Doppelfloete" (probablement le plus beau jeu, et celui avait le plus de valeur) qui a été remplacée... par une Tierce ! Pour se permettre de continuer à rêver à une restauration de l'orgue de 1898, voici une reconstitution de sa belle composition d'origine :
Composition, 1898
Grand-orgue, 54 n. (C-f''')
Doppelfloete 8'
Récit, 54 n. (C-f''')
Flauto dolce 4'
Pédale, 27 n. (C-d')
1899 :
Woerth, Eglise protestante
Instrument actuel.
Le malheureux
opus 880
(II/P 18j) n' pas eu de chance : il a été fortement altéré en 1958. Un relevage en 2001 le dota d'une belle façade neuve, mais on imagine que les ressources ont manqué pour réparer les errements de 1958.
1901 :
Kolbsheim (région de Geispolsheim), Eglise mixte
Remplacé par Antoine Bois (1998).
En 1993, l'
opus 945
(II/P 12j) était encore en état. Mais il occupait un buffet de Sauer, et il fut décidé de remettre la partie instrumentale en harmonie avec le buffet. La partie instrumentale de Walcker a été sauvegardée dans l'opération.
1905 :
Mulhouse, Eglise réformée St-Etienne
Remplacé par Georges Schwenkedel (1953).
Voilà l'orgue pensé et voulu par Max Schlochow. L'
opus 1209
(III/P 67j) était donc la "version 2" de Walcker pour Mulhouse (le premier datait de 1866).
Notons qu'à la même époque fut fourni par la maison Walcker un orgue provisoire, l'opus 1227. C'était une des fameuses "Dulsanell", un modèle "B" : 2 claviers de 61 notes et un pédalier de 24 notes (I: Principal 8', Clarabella 8' II: Dulciane 8', Flûte à cheminée 4' P: Bourdon 16', I/I 4' et II/II 4') sans clavier transpositeur et avec une pompe à main.
1905 :
Illkirch-Graffenstaden, Eglise protestante
Remplacé par Alfred Kern (1966).
L'
opus 1220
(II/P 17j) était placé dans le choeur, et logé dans le buffet Stiehr (1819) de l'ancien orgue du lieu. Cela causa sa perte : l'instrument fut démonté en 1966 pour en récupérer le buffet, destiné à l'orgue de
St-Blaise-la-Roche.
1907 : Hochemmerich (D)
En 1993 eut lieu la première "importation" alsacienne par Alexander Baron des restes d'un orgue Walcker (des éléments de l'ancien orgue d'Hochemmerich - sans buffet). La pauvre chose, ayant bien plus à voir avec la créature de Frankenstein qu'avec un orgue, avait été pendue dans le transept de l'église d'
Obernai. On l'appelait "l'aspirateur" (en raison des sons qu'elle émettait "au repos" - quand elle jouait, de l'avis unanime, c'était encore pire). Son remplacement a probablement libéré l'âme de l'
opus 1359, qui peut enfin reposer en paix au paradis des orgues, en chantonnant le Trio en Sol mineur (posthume) de Rheinberger. Soulagement.
1927 :
Lapoutroie, Eglise Ste-Richarde de Hachimette
Remplacé par Mutin / Cavaillé-Coll (2011).
Ce fut la seconde (et heureusement dernière) "importation" d'Alexander Baron. La chose qui se situait jadis à Hachimette ne pouvait décemment pas être attribuée à Walcker. On ignore d'ailleurs l'origine de ces éléments (ni même s'ils étaient issus d'un seul instrument). Le tout a été remplacé en 2011.
1912 :
Fellering (région de St-Amarin), Eglise protestante
Instrument actuel.
Ce petit orgue est doté d'une délicieuse composition sans compromis (II/P 8j). L'
opus 1691 a été remarquablement bien préservé. On y trouve, parmi les 8 jeux seulement, un Dolce, cette Gambe évasée vers le haut.
1913 :
Soultz-sous-Forêts, Eglise protestante
Instrument actuel.
Sa récente restauration (2012) dans son état de 1913 par Quentin Blumenroeder a révélé un instrument exceptionnel. A découvrir absolument. C'est l'
opus 1753
(III/P 30j).
1913 :
Huningue, Eglise protestante
Instrument actuel.
Endommagé durant la deuxième Guerre mondiale, l'
opus 1765
(II/P 14j (18+1j aujourd'hui)) fut réparé et complété de façon totalement fantaisiste. Des Mutations totalement étrangères à son esthétique ont été placées dans le récit, et on y trouve un incongru Cromorne 4' de pédale. Sont d'origine la partie du Principal 8' qui n'est pas en façade, le Flautino, le Gemshorn et... la Mixture de pédale.
1923 :
Illzach, Eglise protestante
Remplacé par Georges Schwenkedel (1947).
Cet instrument, désigné par "
opus 2012" (II/P 24j) était en fait la reconstruction d'un orgue Dalstein-Haerpfer de 1886. Par un curieux hasard, ce dernier travail alsacien de la maison Walcker vint donc remplacer le premier de la maison de Boulay. Il fut pratiquement détruit en 1945 (sommiers), et remplacé par Schwenkedel. Depuis, c'est un orgue neuf à nouveau inspiré par Dalstein-Haerpfer qui a été reconstruit.

L'orgue Walcker de l'église protestante de Saverne.
Webographie :
Sources et bibliographie :
-
[ITOA] "Inventaire technique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM
-
[IHOA] Pie Meyer-Siat : "Inventaire historique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, puis Coprur, 1985 et 2003