L'emplacement où se dresse aujourd'hui le bel édifice du 19 ème fut le cadre des rocambolesques aventures de Nicolas Wolff (1761-1846), allié de Bonaparte, négociant, directeur de forges, maire de Rothau et maître de guerre improvisé. La stèle en granit située au cimetière perpétue le souvenir du personnage. Elle eut elle-même une histoire mouvementée, puisqu'elle fut démontée pendant l'Occupation, escamotée par un sculpteur de Rothau qui la mit à l'abri, pour finalement la restituer à la Libération. Dans ce contexte historique et énergique, il ne faut pas s'étonner de trouver un orgue d'exception, idéalement adapté à son église néo-gothique.
Historique
C'est en 1886 que Martin Rinckenbach posa son opus 13, à l'église de Rothau, qui venait juste d'être achevée. [LR1907] [ITOA] [Barth]
Forcément, dans le Bas-Rhin, Rinckenbach avait été en concurrence avec la maison Stiehr-Mockers de Seltz. Cette dernière, alors plutôt sur le déclin, proposa un orgue à un seul manuel, avec une pédale de 18 notes seulement. [PMSSTIEHR]
La réception de l'opus 13 de la maison d'Ammerschwihr fut menée le 13/05/1886 par Josef Weber, curé à la Wanzenau, qui fut impressionné par la qualité de construction : "Solidität des Werkes, vortrefflicher Mechanismus". Toutes les listes donnent 18 jeux à cet orgue. [Barth]
C'était un instrument de 18 jeux, construit avec les meilleurs matériaux, dans la tradition romantique alors à son apogée. En une dizaine d'opus, Martin Rinckenbach, qui pratiquait une facture proche de celle de Cavaillé-Coll (chez qui il avait travaillé) avait acquis une solide réputation. Il construisait des orgues de taille certes limitée, mais idéalement adaptés à leur destination. Les compositions, résolument romantiques, suivaient des règles précises, mais étaient toujours déclinées en fonction du projet musical local. Ainsi, une des principales décisions à prendre lors de la genèse d'un tel instrument concernait la situation de la Trompette : au récit ("alla Cavaillé-Coll"), ou au grand-orgue (disposition plus "germanique"). A Rothau, c'est la seconde solution qui fut adoptée. Un autre élément de choix concernait le 4' du récit : une Flûte, ou quelque chose de plus principalisant. Ici, c'est par contre une très "française" Flûte harmonique qui fut retenue. Rothau avait réellement fait le choix d'un répertoire large : le projet musical devait être solidement défini.
On ne connaît pas exactement la composition d'origine, mais le récit de 5 jeux, en plus du Bourdon et de la Flûte harmonique, devait probablement être doté d'un 8 pieds Gambé (Geigenprincipal ?) et d'une Voix céleste, le 5 ème jeu étant soit un hautbois, soit un Principal. A la pédale, il y avait certainement des Gambes en 16' et 8', qui devaient sonner magnifiquement dans la belle acoustique de l'église de Rothau.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés en mars 1917. [PMSAM84]
Ils ont été remplacés en 1931, probablement par la maison Kriess, de Molsheim. C'est en 1939 que la soufflerie fut électrifiée. [ITOA] [PMSAM84]
Ce bel instrument romantique a malheureusement été fortement dénaturé avant 1966, lors de travaux commandés à Alfred Kern [PMSAM84]
Ce fut une de ces nombreuses altérations commises lors des années 1950-60, réalisées sans aucun respect de l'instrument historique, et en dépit de tout bon sens. Le récit romantique de l'orgue Rinckenbach fut gravement mutilé : deux jeux complètement étrangers à l'esthétique (une Doublette et une absurde Sesquialtera) ont été introduits, et cela au détriment de 3 jeux d'origine ! La pédale eut aussi à faire les frais de cette dramatique opération, qui la laissa affublée d'un 4' (c'était une lubie de l'époque) et privée du quatrième jeu (probablement son indispensable Violoncelle). L'instrument y perdit surtout son authenticité, et une grande partie de son charme. De plus, c'est probablement aussi au cours de cette opération que la Mixture du grand-orgue a été démantelée. En 1966, Pie Meyer-Siat trouva déjà une composition fortement dénaturée :
L'orgue avait donc deux chapes vides (alors que 6 jeux d'origine avaient été supprimés !)
C'est probablement Laurent Steinmetz, vers 1980, qui fut appelé pour replacer une Mixture au grand-orgue. [ITOA]
Dans le principe, c'était louable, sauf que la Mixture neuve a été réalisée sans aucun souci historique, dans un style complètement décalé par rapport à ce qui restait de romantique dans l'orgue. Au-lieu d'une belle (et évidente) Mixture grave en 2'2/3, le malheureux instrument se vit affublé d'une Fourniture aigüe.
Aujourd'hui (2012) cet orgue, fort bien entretenu, est encore un instrument très attachant, grâce aux jeux romantiques conservés et à l'ambiance générale à la console. Comme toujours, Martin Rinckenbach avait livré un instrument de très grande qualité, doté d'excellentes prestations sonores. Bien entendu, du récit, il ne reste plus que 2 jeux d'origine qui permettent de témoigner de cette réussite, et il faut imaginer le reste. Il reste à souhaiter que rapidement, les erreurs commises au cours de la seconde moitié du 20 ème siècle puissent être corrigées, et que les jeux disparus soient restaurés dans leur état d'origine. Une Voix céleste, un Hautbois, un Violoncelle de pédale, et une vraie Mixture romantique pour couronner le tout, rendraient à l'orgue de Rothau sa splendeur passée.
Le buffet
Ce buffet néo-gothique est issu d'un dessin déjà vu à Koetzingue ; il avait beaucoup de succès, puisqu'il a de nouveau été repris en 1902 à Romanswiller.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant, entièrement d'origine, sauf quelques porcelaines et peut-être l'expression du récit. Tirants de jeux de section ronde avec pommeaux à porcelaines, disposés en gradins de part et d'autre des claviers. Nom des jeux écrit en noir pour le grand-orgue, en rouge pour le récit, et en bleu pour la pédale. Commande des accouplements par pédales à accrocher (tirasse à gauche, II/I à droite). Expression du récit par pédale à bascule, au milieu de la console. Plaque d'adresse "de la première façon" de Martin Rinckenbach, c'est-à-dire en métal gris clair (il ne passera à la fameuse plaque sur fond noir que vers 1888), indiquant :
mécanique à équerres.
à gravures, d'origine.
Sources et bibliographie :
Remerciements pour la visite
"Rothau 18"
Le paragraphe sur l'église "évangélique" concerne en fait aussi l'église catholique.
Localisation :