La dynastie des Rinkenbach / Rinckenbach - Martin et Joseph faisant figurer un "c" dans leur nom - reste méconnue du grand public. Mais leurs orgues, témoignant de qualités techniques et musicales exceptionnelles, offrent à qui veut bien les écouter et les étudier un lot de découvertes enthousiasmantes. Héritiers du style l'orgue suisse par Bergäntzel, mais aussi de la grande tradition française du 18ème, les Rinckenbach ont complètement dépassé une simple "synthèse" de différentes influences, et sont en fait les créateurs d'un véritable style d'orgue alsacien, original et unique.
1870-1914 : une époque à redécouvrir
Dans la littérature traitant de la facture d'orgues en Alsace (en majorité pensée et écrite dans les années 1950 à 1970), la période "allemande" de l'Alsace est, au mieux, négligée, et au pire à dessein discréditée. Cette littérature n'a finalement été écrite que par deux ou trois historiens majeurs, par la suite cent fois recopiés, appris, récités. Si ni leur honnêteté intellectuelle, ni leur engagement ne peuvent être mis en cause, force est d'avouer qu'il leur était tout simplement impossible de donner à la période 1870-1914 l'intérêt qu'elle mérite. Plus triste est de constater que, dans un Alsatique de renom, publié en septembre 2011, on peut lire qu'avec "l'annexion de l'Alsace en 1871, une période de décadence s'amorce pour l'orgue dans la région". Comme cela doit bien sonner bien aux oreilles de ceux qui ne rechignent pas à apprécier un petit coup de nationalisme de temps en temps ! Comme cela "passe" bien auprès du public qui veut bien admettre de pareilles affirmations péremptoires, évidemment non étayées, mais confirmant ce qu'on a déjà entendu réciter. Mais comme c'est faux ! Nous allons pouvoir aisément le prouver.
La fin d'un dogme
L'inventaire des orgues d'Alsace, effectué en 1986, laisse déjà entrevoir (à condition de le lire sans idée préconçue) la belle surprise. Toutefois, l'Histoire de l'orgue alsacien était déjà écrite, la "synthèse finale" faite, et le dogme prononcé : le "plus grand" est, et devra rester "Silbermann" (peu importe lequel, peu importe le prénom ; germanophone mais techniquement Français, c'est quand même le candidat idéal). Et, pour les plus érudits, on pourra citer Callinet (car ce nom est connu jusqu'à Paris ; à nouveau, peu importent les prénoms). Il est de bon ton de qualifier l'époque de 1870 à 1914 de "période décadente" où on n'a fait que dégrader les merveilleux orgues du 18ème, sous les ordres de méchants experts allemands.
Redécouvrir
Pour découvrir cette époque passionnante, il faut retourner à l'analyse directe de l'héritage concret laissé dans nos édifices. Oubliez les livres : quiconque aurait eu l'idée de remettre en question la pensée unique n'avait aucune chance de se faire publier. Il faut donc se servir de ses oreilles et de ses yeux, et, à défaut d'enregistrements, aller sur place. Et là, force est de constater que Martin Rinckenbach est, parmi tous les facteurs d'orgues ayant exercé en Alsace, celui qui procure le plus d'émotions. Et, même silencieux, ses orgues se distinguent par une qualité de facture exceptionnelle. Acteur marquant de l'époque romantique, Rinckenbach en produisit de fait quelques uns des plus beaux instruments.
Si on veut y voir une œuvre d'art, un orgue se doit d'intégrer un "héritage" (une part de convenu), et une "surprise" (une part d'inattendu). André et Jean André Silbermann étaient assurément au sommet d'un certain type de facture, complètement voués à la "façon" qu'il avaient héritée de Thierry. Mais on ne peut décidément pas dire qu'ils débordaient d'imagination. Si l'on sent une évolution entre les premiers (Marmoutier) et les derniers (Ebersmunster) instruments d'André, on ne sait rien sur ceux de Jean-André, puisque, rappelons-le, aucun n'est parvenu intact jusqu'à nous. Et rappelons aussi que, scrupuleusement, les Silbermann enlevaient toute trace des instruments qu'ils remplaçaient, tout en discréditant sans vergogne leurs précurseurs et leurs concurrents.
Joseph Callinet était lui aussi prodigieux dans sa façon de "réaliser" : respectueux des traditions, il créait exactement ce dont ses clients avaient besoin. Son frère, Claude-Ignace, l'autre face du Janus que dessinait cette fratrie, a sans cesse lutté pour la seconde dimension artistique : l'inattendu, le renouveau, la surprise. Il n'est pas étonnant que l'association des deux frères ait donné le meilleur de leur époque. Mais un élément déterminant avait jusque là été complètement négligé : l'organiste. Le musicien devait jusque là s'adapter à la "machine-orgue" (comme disait Vidal). La situation allait forcément évoluer : à la mort de Claude-Ignace Callinet, son orgue rêvé n'était pas né.
Destruction des orgues classiques ?
Il est aussi d'usage, dans le procès fait aux années 1870-1914, de prétendre que les facteurs dégradaient - en les transformant - les instruments laissés par le 18ème siècle. Seulement voilà, à nouveau en retournant aux faits, on s'apercevra que la plupart de ces transformations ont été faites bien plus tard, à l'époque néo-classique, où l'on avait redécouvert les "trésors" du 18ème, et où on les aimait tant... qu'on ne pouvait s'empêcher de les "améliorer". En fait, ce remaniement incessant des orgues historiques est surtout le fait des villes. L'activité culturelle y étant plus aisément financée, et surtout marquée par des ambitions personnelles exacerbées, on a pu y imposer plus de changements. Et cela de tout temps. En s'intéressant au "parc" d'instruments classiques ayant échappé à la Révolution, puis à la guerre de 1870, on vérifie que certains ont certes été munis de récits expressifs (parfois, par simple déplacement du positif de dos à l'arrière du buffet). Parmi les rares qui ont été "reconstruits", on en trouve qui avaient passé des années démontés, "en caisse" comme on dit, c'est-à-dire en fait à l'abandon. Celui qui a construit un orgue neuf dans un buffet historique sauvé de la chaudière ne peut pas être accusé d'avoir "démoli" un orgue du 18ème.
Baroquisations
Par contre, ce qu'on fit aux orgues romantiques à partir des années 1950 (et parfois encore aujourd'hui - voyez le sort réservé à l'Opus 126 de la maison d'Ammerschwihr) fut autrement plus violent. De partout, on vit de beaux jeux colorés de 8 pieds "recoupés" en petites Mutations (quelle aubaine pour le facteur chargé de l'opération !). Partout, le même scénario : on prend un orgue empoussiéré, on fait entendre combien son son est terne et sombre ; on recommande des jeux aigus ; après nettoyage, quel changement ! Mais entre temps, l'instrument a perdu toute authenticité, et le bénéfice ne venait pas des "nouveaux" jeux, mais juste du relevage. Les commanditaires de satisfont d'une "belle restauration", et laissent la facture aux successeurs (si la restauration, au sens propre cette fois, est encore possible). On trouve aujourd'hui des dizaines d'instruments romantiques affublés de jeux totalement étrangers à leur esthétique (Cymbales, Sesquialtera, Larigots...) dont certains usages peuvent avoir un intérêt décoratif, mais dont l'ajout à leur registrations d'ensemble est une pure horreur pour l'oreille et une insulte au bon goût. En allant estimer ces palimpsestes, il faut bien se garder de tirer ces jeux, et, pour ceux qui ont disparu, il n'y a plus qu'à faire l'effort d'imagination.
Le romantisme
Outre une évolution déterminante du répertoire, et plus généralement une façon radicalement différente d'utiliser les orgues (improvisation, concert...) l'époque romantique s'est attachée à créer des instruments plus faciles à jouer, plus dynamiques dans leur expression, conçus pour un usage et non un édifice. Pour donner corps à une idée, comme toujours, on a voulu mettre des étiquettes. Si le terme "romantique", à l'orgue, est assez bien défini, autant par des données techniques (récit expressif, compositions riches en 8', consoles indépendantes, entailles de timbre...) que musicales (registration, phrasé...), le terme de "symphonique" l'est beaucoup moins. Oublions "pré-romantique", "post-romantique" et tout le fatras utilitaire auquel il faut bien se résoudre parfois, mais qui ne veut pas dire grand-chose. En plus, l'Alsace a une spécificité : l'arrivée précoce des thèmes "néo-classiques" (1903 au lieu des années 30 comme il est "communément admis" - 1932 : Victor Gonzalez à Solesmes). L'esthétique romantique alsacienne a été radicalement changée à l'articulation des deux siècles, sous l'action d'Emile Rupp, puis d'Albert Schweitzer. C'est pourquoi il est d'usage de distinguer, dans l'œuvre de Martin et Joseph Rinckenbach deux périodes, mais pour une mauvaise raison :
la période "mécanique" (1869-1899), où les orgues étaient tous dotés d'une transmission mécanique, même si la console était la plupart du temps indépendante,
et la période "pneumatique" (à partir de 1899), où les transmissions se firent... pneumatiques.
Deux périodes ?
Martin Rinckenbach, alors associé avec son fils Joseph qui assurément était à l'aise avec cette nouvelle technique "pneumatique", l'adopta d'un coup, en 1899 (pour l'orgue de la prison d'Ensisheim), sans revenir à la mécanique (sauf trois cas, dont deux étaient des orgues d'étude). Rinckenbach n'a pas cherché l'innovation à tout prix : il ne connut donc pas les déboires d'Heinrich Koulen ou d'Edmond-Alexandre Roethinger. Une fois la technologie éprouvée, il suffisait simplement d'en faire usage : il n'y porte pas l'attention extrême qui caractérise les autres acteurs de l'Orgue à l'époque.
Aussitôt, les Rinckenbach retournèrent donc à l'essentiel : la musicalité. Du coup, leurs orgues mécaniques et pneumatiques ne sont pas si différents. Cette histoire de transmission, au cœur d'inépuisables querelles d'experts, qui a noirci des centaines de pages, motivé des heures de palabres... n'était pas si importante que ça ! Mais plus tard, dans les années 1960, certains décidèrent d'ignorer par principe tout orgue pneumatique : ce type de transmission était accusée de tous les maux, tout simplement parce que le parc d'instruments était dans une phase critique d'entretien, entretien qui n'a pas pu être effectué correctement tant les compétences s'étaient perdues, diluées dans l'effort de reconstruction, puis l'enthousiasme "néo-baroque".
On retrouve cette articulation dans l'œuvre de beaucoup d'autres maisons de l'époque (Dalstein-Haerpfer par exemple). Et on retrouve aussi l'absurde procès fait aux évolutions du début du 20ème siècle : par exemple, il est d'usage d'aduler Cavaillé-Coll, mais de conspuer Charles Mutin, alors que... pratiquement les mêmes ouvriers étaient à l'œuvre dans la maison parisienne sous les deux dirigeants.
De l'harmonisation
Plus intéressante que ces histoires de tubulures sont les effets des entrailles de l'orgue (les sommiers) sur la musique produite. Les tuyaux doivent être harmonisés en fonction de leur alimentation en vent, tout comme la même flûte ne sonne pas de la même façon embouchée par un flûtiste expérimenté que par un débutant. La véritable avancée, après 1900, c'est une façon d'harmoniser les jeux sur les sommiers dits "à membranes", qui produit un résultat extrêmement attachant, et impossible à obtenir avec des sommiers "à gravures" (ceux du 18ème). Comme la plupart des sommiers à membranes, mal entretenus, n'étaient pas très en forme dans les années 1950-1960, même l'oreille la plus vigilante pouvait passer à côté de merveilles. Pour nous, c'est l'occasion d'assister à de magnifiques levers de rideau : de tels sommiers, nettoyés et révisés, révèlent la qualité d'harmonisation de la tuyauterie, et c'est là que l'on découvre l'art immense du fils Rinckenbach : Joseph.
L'histoire
C'est donc à un étonnant voyage dans le temps et contre les idées reçues auquel nous sommes ici conviés. Il commencera peu avant 1870. Héritier de la tradition suisse et alsacienne par son oncle Joseph Bergäntzel, Valentin Rinkenbach avait logiquement transmis son affaire en 1862 à ses fils Valentin II et Charles. Mais Charles mourut dès 1869 et Valentin II en 1870. Martin Rinckenbach, le neveu de Valentin I, était déjà doté d'une solide expérience : 5 ans, chez Haas à Lucerne et Cavaillé-Coll à Paris. Avec Haas, il avait en particulier participé à la construction du grand orgue de 70 jeux de la Hofkirche (parfois désignée par "Stiftskirche", soit collégiale) de Lucerne. La maison Haas a travaillé là-bas de 1858 à 1862 sur un orgue de 70 jeux doté d'un Fernwerk. L'amitié entre Friedrich Haas (1811-1886) et Aristide Cavaillé-Coll explique sûrement que des apprentis passaient de l'un à l'autre.
La formation achevée, Martin Rinckenbach reprit les ateliers de son oncle, et, pendant 4 ou 5 ans, exerça essentiellement une activité de tuyautier. Il fournit des jeux en étain à de nombreux facteurs Allemands et Suisses. Mais on ne tarda pas à lui confier des réparations, et, en 1872, ce fut le premier orgue neuf.
Les perspectives étaient florissantes, et de nouveaux projets étaient lancés un peu partout :
il y avait pour commencer de nombreux projets d'églises neuves, dans le but d'enfin mettre fin au "simultaneum" (partage d'un même édifice entre les protestants et les catholiques). Or, qui dit église neuve, dit orgue neuf. C'est dans ce cadre que Martin Rinckenbach a obtenu le marché pour son troisième orgue neuf, pour l'église protestante de Sélestat.
Il y avait aussi le marche des églises "de garnison". L'opus 4 fut ainsi placé à Neuf-Brisach.
D'autres projets architecturaux consistaient à reconstruire des églises pour les agrandir. Dans ce cas, l'orgue précédent devenait inadapté au nouvel édifice, et il fallait soit le remplacer, soit le compléter. Du coup, les "reprises" d'anciens orgues créèrent un "marché de l'occasion" qui dopa encore plus la demande dans les années qui suivirent.
Enfin et surtout, les organistes formés dans les écoles normales et leurs mentors avaient de nombreux projets culturels. Leur répertoire exigeait au minimum un orgue à deux manuels et pédale complète. En 1870, l'Alsace était dotée d'un très grand nombre d'instruments, vu que depuis 1820, l'orgue avait conquis les campagnes : même une commune de quelques centaines d'habitants ne pouvait concevoir ses offices religieux sans orgues à tuyaux. Mais il s'agissait surtout de petits orgues. Les moyens étant limités, et comme on ne faisait aucune concession sur le plan de la qualité, ces instruments ne disposaient souvent que d'un seul manuel et d'un pédalier de 18 notes. Il y avait donc, en plus, un marché "de remplacement". Pour ces projets, avec l'expérience, les commanditaires savaient généralement ce qu'ils voulaient. Ils étaient supportés des animateurs de la vie culturelle comme Friedrich Wilhelm Sering et Henri Wiltberger. Tous deux agissaient dans le cadre de leurs responsabilités dans les écoles normales : la formation était donc au cœur de la politique culturelle.
La même année, il y eut la réparation de l'orgue Valentin Rinkenbach, 1848, de Weckolsheim. Et 1872 fut pour Martin Rinckenbach l'année de son mariage (le 08/01/1872), avec Marie Louise Klein.
En 1875, il y eut une petite transformation à Heiteren (la Trompette du grand-orgue) et une autre, de plus grande envergure, à Liepvre.
En 1876, Rinckenbach fit un relevage du bel orgue Stiehr d'Orschwiller, et travailla sûrement à l'église St-Nicolas de Plainfaing (57) sur l'orgue Grossir, 1823, qui fut ensuite déménagé à Hadol (Vosges) (vers 1900). Et 1876 vit la naissance de Joseph, qui devint facteur d'orgues et succéda par la suite à son père.
En 1877, Rinckenbach fit une réparation à Munster (St-Léger, sur l'orgue Von Esch qui datait de 1739). En 1879, il y eut des travaux importants à Kaysersberg (concernant le second clavier, pour en faire un récit).
La même année, Rinckenbach répara l'orgue Callinet de Hirtzbach. Il y reviendra 27 ans plus tard.
A Sainte-Marie-aux-Mines, Rinckenbach fixa définitivement son style instrumental. Il y adopta un dessin de console (directement inspirée de Cavaillé-Coll, alors que les précédentes étaient plutôt du style Merklin) auquel il restera fidèle jusqu'à la fin du siècle. En 1882, il se rendit à Colmar (St-Matthieu) pour réparer des dégâts dûs... au chauffage. (Déjà !) Rinckenbach porta l'étendue de la pédale à 27 notes (C-d' au lieu de C-c'). Et malheureusement, on lui demanda aussi de mettre l'orgue au diapason moderne.
Le buffet 'Buethwiller'
Trois tourelles plates, sensiblement de la même hauteur, celle du centre n'étant pas plus haute (et même volontiers un peu plus petite), sont séparées par des plates-faces doubles. Ce dessin, réalisé une première fois pour Buethwiller en 1883, puis à Hoenheim en 1885, se retrouve à Lauw (1893), Mussig (1894), Meistratzheim (1894), Fouchy (1896), Bréchaumont (1897), Houssen (1897), Richwiller (1898). Nul doute, donc, que c'était un des dessins favoris de la maison d'Ammerschwihr. Ce dessin a aussi été décliné dans une version proposant des sommets de tourelles en chevrons (St-Louis-Bourgfelden, 1899). Il a fait l'objet d'une version particulièrement élaborée, avec plates-faces à deux étages et tourelles latérales en tiers-point à Niederhergheim.
De 1884 datent aussi des travaux à Bernardswiller, Waltenheim, Altorf et Heimersdorf. A Heimersdorf (terre natale de François Antoine Ginck), il ajouta un accouplement positif/grand orgue au dernier orgue de son oncle Valentin. C'est l'occasion de mesurer l'ampleur des changements qu'à connu la facture d'orgues alsacienne en deux décennies : le bel orgue de Valentin (1862) est un trois-claviers doté de 30 jeux, bridé par un pédalier de 18 notes seulement. Le positif est en bas
La même année, il y eut des travaux à l'orgue de Geispitzen.
Toujours en 1886, il y eut l'entretien de l'orgue de Schaffhouse-sur-Zorn et l'ajout d'un récit expressif à Duppigheim.
Il y eut aussi des travaux à Urbeis, Winkel (menés par Etienne Zurbach) et Rinckenbach dota l'orgue de Wolxheim d'un récit expressif. Il y eut aussi des travaux à la pédale de l'orgue de Bouxwiller, St-Léger.
Toujours en 1888, la maison Rinckenbach installa l'orgue Joseph Callinet de Pfetterhouse dans la nouvelle église, et transforma légèrement le Rinkenbach de Gunsbach (2 jeux).
Il faut maintenant citer les trois orgues que Rinckenbach construisit pour l'école normale de Phalsbourg (57). Ils portent les numéros d'opus 21 (I/3, 1888), 57 (I/3, 1897) et 67 (I/3, 1901) dans la liste d'ouvrages de Rinckenbach. Mais cette liste comporte, on le verra, au moins 2 erreurs portant sur ces 3 instruments, ce qui va nous entraîner dans un joli jeu de piste. Tous ces orgues étaient mécaniques (même celui de 1901).
Tout d'abord, Kriess rapporte en 1913 qu'un de ces trois orgues disposait de 2 claviers (II/3 ; orgue d'étude, rappelons-le) : (I:B8, II:Sal 8, P:S16).
En 1918, l'école normale de Phalsbourg fut fermée, et tous les orgues, sauf un, prirent la route. (En plus des trois Rinckenbach, il y avait aussi un Dalstein-Haerpfer pneumatique de 8 jeux aujourd'hui à Tieffenbach, et un Kriess de 17 jeux qui alla à l'église protestante d'Oberbronn).
Celui qui a été déménagé en 1925 à Lagarde (57), où c'est l'orgue actuel, est depuis l'origine disposé en I/5 (M8, B8, S8, F4, S16) (son Salicional a malheureusement été recoupé en 2 pieds). Portant une plaque "Martin et Joseph", ce ne peut être l'opus 21. Comme c'est aussi en 1897 qu'apparut la plus ancienne plaque "Martin et Joseph" répertoriée (Bréchaumont, opus 53), le doute ne peut être levé : il peut s'agir soit de l'opus 57, soit du 67.
Celui qui a été installé par Roethinger à l'église protestante de Weiterswiller en 1924 avait 3 jeux (Bourdon, Salicional, Soubasse, tous trois intégrés au dernier orgue Wetzel en 1938). Une photo le montre à Weiterswiller (sans façade, console indépendante accolée ; elle est fermée sur la photo, mais semble bien conçue pour 2 claviers).
L'élément déterminant pour l'identification proposée des instruments est la visite de François-Xavier Mathias à Phalsbourg, qui note que l'édifice abritait encore un orgue Rinckenbach, II/5. On sait donc que sur les 3 instruments, 2 étaient en fait à 2 claviers, et 2 disposaient de 5 jeux ; l'un (Lagarde) étant disposé en I/5, cela laisse donc II/3 (celui qu'a vu Kriess, et a intégré l'orgue Wetzel de Weiterswiller) et II/5 (celui qui est resté à Phalsbourg) pour les autres.
Le I/5 (Lagarde) est soit l'opus 57 (1897), soit le 67 (1901).
En conclusion, l'opus 21 avait donc 2 claviers, 3 ou 5 jeux, et il s'agit donc soit de l'orgue transféré à Weiterswiller, soit celui qui a disparu à Phalsbourg après 1934. [IOLMO:H-Mip989-90]
[IOLMO:Sc-Zp2481-2]
De 1889, datent aussi une réparation à Kembs et des transformations sur les orgues de Ste-Croix-aux-Mines et Rimbach-près-Masevaux (à Rimbach : ajout d'un récit et complément de la pédale).
En 1890, Rinckenbach retourna sûrement à Weckolsheim (où il avait effectué un de ses premiers travaux) pour compléter la pédale. La même année, il recula le grand buffet de l'orgue de Blotzheim, Notre-Dame du Chêne. Là aussi, il compléta la pédale. C'est peut-être grâce à ce travail qu'il obtint le marché pour la reconstruction de celui de St-Léger en 1894. Ce complément de pédale fut d'ailleurs supprimé en 1981 (i.e. laissant la pédale à 18 notes !) au cours d'un des ces épisodes "d'historicisme" élitiste, caractéristique de la "période noire".
De 1892 datent aussi des travaux de transformation aux orgues d'Epfig et Niedermorschwihr (console, sommier de pédale, et 4 jeux).
De 1895 datent des réparations à Grussenheim et Neuwiller-lès-Saverne, ainsi que la transformation du positif en récit à Monswiller.
C | c | c' |
2' | 2'2/3 | 4' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
- | 1'1/3 | 2' |
- | - | 1'1/3 |
De 1897 datent aussi des travaux à l'orgue Joseph Callinet (aujourd'hui disparu) d'Illfurth.
L'opus 57, un des trois instruments construits pour l'école normale de Phalsbourg, est peut-être celui qui se trouve aujourd'hui à Lagarde (57) (voir ci-dessus).
Ces travaux, pas si considérables que ça (en tous cas pas plus que ceux des frères Callinet et bien moins que la désastreuse intervention des années 1950-1960) puisqu'il concernaient la console et 4 jeux, commencèrent à Ammerschwihr le 21/01/1898, et l'orgue fut reçu en deux fois : le 22/07/1898 et le 02/08/1899. Mais tout ceci n'est rien par rapport à ce qui attendait le pauvre orgue des Dominicains de Colmar (dont on espère que l'histoire aura encore une suite...) Ce serait bien de retrouver au moins la console, et de lui donner un avenir.
Notons aussi qu'il ne faut pas confondre cet orgue Jean-André Silbermann de 1768 avec l'orgue André Silbermann, 1726 originellement placé aux Dominicains de Colmar : ce dernier se trouve aujourd'hui à Niedermorschwihr (là aussi, si Rinckenbach a refait la console aux normes de l'époque, il n'a finalement modifié que 4 jeux.)
De 1898 date aussi une petite transformation (1 ou 2 jeux) à l'orgue Joseph Stiehr, 1833 de Thanvillé.
La fin du siècle
Nous sommes en 1899. En architecture, le même "Art Nouveau" s'appelle "Arts and Crafts" par ici, "Modernismo" ou "Jugendstil" par là. Zola retourne en France. Le 13 octobre à Paris, Aristide Cavaillé-Coll, le maître de Martin, s'éteint, léguant au monde un patrimoine éblouissant. e Hoffmann dépose le brevet de l'aspirine. C'est l'heure d'un premier bilan : loin de se replier sur des nationalismes (d'un bord ou de l'autre), l'Alsace construit en fait... des orgues européens, d'une qualité exceptionnelle. Brassant des idées surgies de Vienne, de Munich, de Paris, de Padoue, enthousiasmés par les styles éclectiques, Théophile Klem, Boehm, Martin Feuerstein exercent leurs talents dans les lieux de culte aux côtés de Rinckenbach qui vient de réaliser en moins de 30 ans 63 orgues d'exception... dont 58 pour l'Alsace. Pour l'Orgue alsacien, la période 1870-1899, loin d'avoir été "décadente", est donc au contraire d'une richesse éblouissante. Martin Rinckenbach n'est pas le seul auteur de ce renouveau du patrimoine à cette époque, mais c'est assurément l'un de ses plus grands contributeurs.
On trouvera la suite sur la page consacrée à Martin et Joseph Rinckenbach.
Friedrich Haas (Badisch-Laufenburg, 10/02/1811 - Luzerne, 18/07/1886) est un acteur marquant de l'orgue romantique, considéré comme le Cavaillé-Coll suisse. De fait, Haas et Aristide Cavaillé-Coll étaient amis. Haas a travaillé avec Eberhard Friedrich Walcker, et a partagé le travail du théoricien Johann Gottlob Töpfer. La période d'activité de Friedrich Haas va de 1837 à 1868, date à laquelle il confia son entreprise à une autre "figure" de l'orgue romantique, avec lequel il avait travaillé des années : Friedrich Goll (1839-1911).
On ne présente plus Aristide Cavaillé-Coll. Martin Rinckenbach a donc appris le métier chez ces deux facteurs, et, bien sûr auprès de Valentin Rinkenbach. Certains buffets abritant les orgues de Martin sont encore très voisins de l'époque "Valentin" (Balgau, Neuwiller, Riespach). Pour les consoles, elles sont directement inspirées de celles de Cavaillé-Coll (surtout par le dessin à couvercle incliné). On retrouve des consoles indépendantes "retournées" (organiste dos à l'orgue), avec tirants de jeux disposés en gradins, de part et d'autre des claviers, et de jolies porcelaines à liserés. Martin n'a pas oublié la console de Paris, St-Sulpice, dont il s'inspirera au moins deux fois (modèle "en amphithéâtre).
La tuyauterie, toujours de grande qualité, utilisant des matériaux "nobles" sans rogner sur l'épaisseur, comporte bien sûr des entailles de timbre (c'est-à-dire aussi des sur-longueurs). Ce qui caractérise celles de Rinckenbach est leur forme en "trou de serrure".
Rinckenbach fera plusieurs fois usage de la machine Barker sur ses orgues de grande taille.
Rinckenbach avait commencé sa carrière comme tuyautier, et il savait et aimait faire des jeux : certains apparaissent au "catalogue", puis reviennent souvent avec succès. Rappelons que sur ce type d'instruments, les anches sont tirées avant la Fourniture, qui ne sert qu'avec le Tutti. L'importance du Hautbois et des Trompettes est donc aussi grande que dans un Cavaillé-Coll. Toutefois, Rinckenbach met généralement sa Trompette manuelle au grand-orgue (et pas au récit). La sonorité des anches est d'ailleurs plus "classique français" que les compositions ne le laissent supposer. Et parfois, il y a des compositions sans anche du tout. L'harmonisation des jeux à bouche est très "allemande", et cherche à éliminer les transitoires pour laisser venir le timbre "soutenu" du jeu le plus tôt possible.
Les compositions
Les compositions dénotent à la fois d'une logique commune, mais admettent des variantes. Les orgues de Martin Rinckenbach ont la plupart 2 manuels, et toujours une pédale. Les récits sont toujours complets. Les orgues à un seul manuel sont des cas très spéciaux. Les deux-claviers sont composés sur la base du "noyau" de 12 jeux suivant (voir Neuwiller) :
Grand-orgue: Montre 8', Bourdon 8', Gambe 8', Prestant, Quinte 2'2/3, Piccolo (harmonique) 2'
Récit expressif: Principal gambé 8', Flûte ou Bourdon 8', Voix céleste 8'
Pédale: Bourdon 16', Flûte 8', Violoncelle 8'
Dès que l'on peut dépasser les 12 jeux, on ajoute de façon quasi-systématique les 4 jeux suivants:
Bourdon 16', Flûte (harmonique) 4'
Flûte (harmonique) 4', Salicional 8'
puis encore 4 jeux :
Trompette 8' complétée par une Mixture 3 rgs
Trompette 8' et/ou Bombarde 16' (parfois cette dernière seule)
Par addition des étapes précédentes, voici donc une composition-type à 20 jeux des années 1880 :
Bourdon 16', Montre 8', Bourdon 8', Gambe 8', Prestant, Flûte 4, Quinte 2'2/3, Piccolo 2', Mixture 3 rgs, Trompette 8'
Principal gambé 8', Bourdon 8', Salicional 8', Voix céleste 8', Flûte 4'
Bourdon 16', Flûte 8', Violoncelle 8', Bombarde 16', Trompette 8'
...c'est celle que l'ont trouve à Koetzingue. Elle a bien sûr de nombreuses variantes.
Lorsque les 20 jeux sont dépassés, le Hautbois (au récit) fait enfin son apparition. C'est ensuite en priorité le grand-orgue qu'on enrichit, une Flûte "majeure" (ouverte) et/ou un Dolce venant soutenir le chœur de 8 pieds, et à ce moment la Flûte (octaviante, de 8 ou 4 pieds) fait presque toujours son apparition, au grand-orgue ou au récit.
Le fondement du grand-orgue sur 16 pieds ouverts apparaît au-delà des 24 jeux, impliquant évidemment presque tous les autres, et le triplet :
Montre 16'
Quintaton 16' pour le récit
Principal ou Violoncelle 16' à la pédale. Le fondement sur une Gambe de 16' seule est possible (St-Amarin, Ensisheim).
...on atteint alors les 30 jeux, toujours sur deux manuels.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
Avec liste d'opus allant jusqu'à 1907 (St-Pierre-Bois, op.102)
Avec liste d'opus allant jusqu'à 1909 (Sentheim, op.115)
Avec liste d'opus allant jusqu'à 203
Avec liste de travaux arrêtée en 1938, et lettre de "vœux"