L'histoire des orgues de Rouffach est marquée par l'étonnant instrument de Thomas Schott que Louis Dubois y trouva en 1758. Muni d'une incroyable Mixture à la pédale, sa tuyauterie est partiellement arrivée jusqu'à nous, puisque ni Dubois en 1758, ni Rabiny en 1803, ni Claude-Ignace Callinet en 1865 n'osèrent la remplacer. Outre ses qualités intrinsèques, l'instrument actuel est doté d'une histoire à la fois riche et surprenante.
Historique
Un premier orgue est attesté en 1449. [ITOA]
Il a été réparé en 1532 par Hans von Masmünster. [Vogeleis]
Puis en 1571 par Chrysostome Letzer. [Vogeleis]
A ce moment, cet instrument comportait un positif de dos. Mais on ne sait pas s'il en était muni d'origine, ou s'il a été complété lors d'une de ces interventions.
Historique
En 1605, Hans Klein, alors installé à Strasbourg depuis 1592, fournit un nouvel orgue, probablement placé sur le jubé séparant le choeur de la nef. [ITOA] [HOIE] [OoRouffach]
Cette fois-ci, l'orgue était muni d'un positif intérieur.
Historique
C'est de 1626 que date le fameux orgue de Thomas Schott de Bremgarten (Zürich, CH) dont certains tuyaux sont parvenus jusqu'à nous. [ITOA]
Thomas Scott avait construit un orgue à Saint-Ursanne (CH) 6 ans plus tôt. Cette fois, on refit le choix de disposer d'un positif de dos. Les claviers avaient 41 notes. Voici la composition restituée de l'orgue de Rouffach (les "Hörnli" sont de petites Sesquialtera à reprises) : [ITOA] [PMSAEA83] [HOIE] [ArchSilb]
L'instrument fut réparé en 1694 par Johann Friedrich Macrander. [Vogeleis]
De cette époque date un fait divers assez curieux : il y eut une plainte de Johann Jacob Wientz, le curé, concernant la disparition d'un livre de messe. Or, on sait que les facteurs étaient friands de papier ou de parchemin, qu'ils utilisaient pour rendre étanches des éléments de l'orgue (voir le papier à musique utilisé par Dubois à Saverne). Peut-être que la disparition du livre lors de la présence du facteur n'était pas une coïncidence... [OoRouffach]
L'instrument fut alors confié en 1724 à Hans Glis pour une réparation ; il en assura l'accord pendant 12 ans. [ArchSilb] [HOIE]
En 1739, Jean-André Silbermann vint à Rouffach, et nota de nombreuses informations sur l'insrument de 1626. Les étiquettes de jeux étaient à ce moment illisibles au positif, mais il note quand même la composition. En plus de celle-ci, il y avait deux jeux "transpositeurs", accordés un ton plus haut. Le reste de l'instrument était au "Chorton" (ton de choeur). [ArchSilb]
Historique
En 1758, Louis Dubois fit une importante transformation, qu'on peut qualifier de reconstruction. [IHOA] [OoRouffach]
Le devis a été validé en février 1758 : il s'agissait de réparer et d'augmenter l'orgue : soufflerie, nettoyage, compléments aux claviers dans l'aigu (cis'', b'', h'' et c'''), ajout d'une Trompette et d'une Voix humaine de 45 notes, ainsi qu'un grand cornet (5 rangs) au grand-orgue, mais aussi une Trompette et un Cromorne au positif. Trois tremblants (un fort pour le grand-jeu, un "médiocre" pour les Flûtes et un spécial pour les Voix humaines. [OoRouffach]
Les travaux prirent plus longtemps que prévu. Il faut dire que l'orgue était tout à fait atypique, au moins pour l'Alsace de l'époque. A la date d'achèvement figurant au devis, le démontage venait de se finir... On s'adressa à François Michel Von Esch pour une expertise, qui eut lieu le 16/10/1758. Il recommanda la pose d'un troisième clavier (limité au dessus). On ne sait pas si ce dernier fut réalisé, mais le reste de ses recommandations (compositions) semble avoir été respecté, et l'orgue était resté "en octaves courtes". [ArchSilb] [OoRouffach]
Historique
En 1805, Joseph Rabiny et François Callinet procédèrent à une nouvelle transformation. Il s'agissait de donner aux claviers une étendue standard de 51 notes (donc de supprimer l'octave courte). Les notes graves de la pédale étant probablement jugées plus importantes que les aigues, on se décida pour une étendue standard pour l'époque : Do-Fa (C-f'), soit 18 notes. Il est donc probable que les sommiers furent reconstruits. [ITOA] [OoRouffach]
En 1824, il y eut une réparation par Joseph Callinet. Il avança l'instrument pour le rendre plus "présent" dans la nef. L'expert était Vonesche (désigné le 07/09/1825), qui nota qu'il y avait une Trompette au 3ème clavier. Joseph Callinet semble avoir placé ou remplacé la Flûte 8' du positif, les (dessus de) Voix humaine et Hautbois du récit, ainsi que la Bombarde. [ITOA] [OoRouffach]
Historique
En 1855, Claude-Ignace Callinet (le frère cadet de Joseph et fils de François) reconstruisit les sommiers, la console et le buffet. [ITOA]
Force est de constater (ce n'est pas le seul exemple) que les
sommiers de Joseph Rabiny et François Callinet ne devaient pas donner
satisfaction. A moins que l'organiste, jugé incompétent (cela provoqua d'un
petit scandale en 1805, et Rabiny écrivit au préfet pour appuyer son
remplacement) ne les aient réellement malmenés.
L'orgue de Rouffach est
décidément atypique : cette localité abritait déjà depuis deux générations la
maison Callinet (famille qui figurait parmi ses notables ; et Rabiny avant eux).
Mais on continuait à y "mettre à jour" l'orgue par petites touches, sans jamais
procéder, comme pratiquement partout ailleurs, à la construction d'un orgue
neuf. De fait, depuis 1626, on semble n'approcher de cet instrument qu'avec
regret, en conservant à chaque fois le plus de matériel possible.
Outre la pose d'un buffet neuf, de style néo-gothique (doté d'une Montre sonnant en 16') et en sapin peint, il s'agissait donc de remplacer les sommiers, les manuels passant à 54 notes (le récit sans C-fis, commençant donc au deuxième sol), et la pédale à 24 notes. Ces 24 notes sont une étendue atypique : ce n'est pas une pédale de 2 octaves complètes (3 Dos) à laquelle il manquerait le Do" grave (CD-c'), mais une pédale de 2 octaves s'arrêtant au Si (C-h). Un mystère de plus au sujet de cet orgue, car ce troisième Do devait vraiment manquer. La quasi-intégralité de la tuyauterie a été conservée, outre la Montre, seule une Flûte 8' ayant été ajoutée (au positif, avec une basse en sapin). Il est aussi possible de l'expression du récit fut posée à cette date. [ITOA] [OoRouffach]
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Claude-Ignace Callinet n'avait pas fait de l'orgue de "chez lui" une vitrine pour son entreprise : il ne jugea même pas nécessaire de compléter jusque au Si la Trompette et la Bombarde de pédale, qui s'arrêtaient donc au second Fa. On ne peut pas non plus dire que Callinet fit de cadeau à la paroisse, dont il fut pourtant membre du conseil de fabrique de 1860 à 1870.
On signale encore une réparation en 1876. [ITOA]
En fait, il s'agit probablement des travaux liés à l'abaissement de la tribune, d'une cinquantaine de centimètres. Une conséquence de cette opération est que la découpe dans l'arrière du buffet, soigneusement effectuée à l'origine pour contourner une corniche, se situe aujourd'hui bien plus bas, et qu'une seconde découpe a été faite (cette fois en rectangle).
En 1893, c'est logiquement Joseph Antoine Berger (lui aussi installé à Rouffach) qui intervint. Un certain nombre de jeux semblent avoir été ajoutés à cette occasion. [ITOA]
En mars 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités. [IHOA]
En 1935, il y eut une intervention d'Alfred Berger. Il est probable que celle-ci consista à compléter le récit (C-fis), et à... envoyer la Voix céleste au positif. Une Gambe 8' (grand-orgue), un Cor anglais à anches libres (positif), et un Violoncelle de pédale paraissent aussi avoir fait partie de la dotation. En 1952, Schwenkedel nota la composition : [IHOA]
En 1983, l'orgue fut à nouveau transformé par Alfred Kern. [ITOA]
Cette fois, c'est la pédale qui fut complétée, pour passer à 27 notes (C-d'), et 7 jeux furent placés, par remplacement ou sur des chapes vides. Le Cor anglais fut remplacé par une Cymbale à 3 rangs.
En 1993, il y eut un relevage, par Richard Dott. [IHOA]
En 2011, c'est Antoine Bois qui fit un relevage, concernant en particulier la transmission. [Visite]
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' | c'' |
1'1/3 | 2' | 4' | 8' |
1' | 1'1/3 | 2'2/3 | 4' |
2/3' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
1/2' | 1' | 1'1/3 | 2' |
1/3' | 2/3' | 1' | 2' |
Console en fenêtre frontale, de Claude-Ignace Callinet, complétée en 1983. Tirants de jeux de section carrée à pommeaux tournés, placés en deux fois 3 colonnes de part et d'autre des claviers. Claviers blancs.
Evidemment la tuyauterie n'est pas "homogène" (comme on dit) du point de vue historique, vu qu'elle provient de huit "couches" réalisées en 1626, 1758, 1803, 1824, 1855, 1893, 1935 et 1983, mais il n'en demeure pas moins que l'orgue actuel constitue un tout cohérent. Les deux étapes d'harmonisations conséquentes semblent avoir été celles de 1855 et de 1983. Elles ont produit un instrument plein de possibilités, avec ses 3 manuels (dont un expressif) et une pédale plutôt fournie. Il y a d'abord un "fond d'orgue" assez impressionnant, qui doit beaucoup à la qualité des Flûtes. Et un plein-jeu très adapté aux pièces "contrapuntiques", mais aussi deux Cornets et des anches "18 ème", donnant accès au répertoire classique. Il y a aussi largement de quoi donner des couleurs à de nombreuses pages romantiques.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Gérard Michel.
Les deux dernières sources citées ici pour mémoire, les relations entre l'auteur et Rouffach semblant avoir été pour le moins orageuses. D'où, probablement, l'usage de termes un peu curieux comme "abomination" ou "sauvagement hybride", qui laissent perplexe.
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