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Les orgues de la région de Strasbourg
Strasbourg, église luthérienne de la Croix
Orgue muet, car privé de sa tuyauterie.
Le buffet de l'orgue Schwenkedel de l'orgue de l'église évangélique luthérienne de la Croix à Strasbourg.Toutes les photos de la page ont été prises le 19/09/2015.Le buffet de l'orgue Schwenkedel de l'orgue de l'église évangélique luthérienne de la Croix à Strasbourg.
Toutes les photos de la page ont été prises le 19/09/2015.

L'église évangélique luthérienne de la Croix est située place d'Austerlitz : elle fait partie d'un (très bel) immeuble dont elle occupe deux étages. A la tribune se trouve l'opus 38 de Georges Schwenkedel, construit en 1931. Malheureusement, il est muet, car sa tuyauterie a été retirée. Il reste cependant de nombreux éléments qui témoignent de ce qu'a été cet instrument : il est représentatif de la belle facture strasbourgeoise des années 30, aujourd'hui très méconnue.

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Historique

C'est en 1931 que Georges Schwenkedel construisit son opus 38, pour la "Lutherische Gemeinde am Börsenplatz". Le devis est daté du 18/05/1929. L'orgue était doté de 11 jeux réels, plus 1 prévu, plus deux emprunts pour la pédale, et deux jeux par combinaison (Sesquialtera et Cornet). [IHOA] [ITOA]

Cet instrument était très élaboré, et doté de nombreux raffinements. Pour pouvoir être entièrement expressif (ce qui devait être très adapté à l'acoustique du lieu), l'intégralité de la tuyauterie a été placée dans deux boîtes expressives, les jalousies mobiles étant frontales. Pour agrémenter la façade, deux rangés de 7 "chanoines" (tuyaux muets) ont été placées de chaque côté.

Sa belle composition (voir ci-dessous), à l'évidence conçue sur mesure pour le lieu, son acoustique et son usage, comporte de nombreuses bonnes idées que l'on aimerait retrouver sur des orgues récents :

- Pour accompagner le choral chanté par l'assemblée, le grand-orgue est richement doté (plus que d'habitude à l'époque), évidemment fondé sur un 8' bouché par manque de place. Le "Plein-jeu" commence par les deux principaux en 4' et 2', auxquels on peut ajouter la Quinte, puis le récit, accouplé à l'octave aiguë, qui fournit sa Doublette décalée en 1'. L'acoustique étant plutôt mate, il était en effet fondamental de pouvoir finement gérer l'ampleur de l'accompagnement, non seulement en volume, mais aussi en timbre. Ceci était encore facilité par le fait que l'ensemble était non seulement expressif, mais doté de *deux* boîtes expressives, commandées indépendamment : une pour le récit et la pédale, l'autre pour le grand-orgue. On trouve rarement un pareil raffinement, probablement motivé ici pour des questions acoustiques.

- Il n'y a qu'un seul vrai jeu de pédale : la Soubasse 16', là aussi nécessaire pour accompagner le chant de la foule. Les deux autres jeux sont empruntés au récit, et on a choisi un Bourdon 4'. Cela permettait des solos à la pédale (accompagnée au grand-orgue ou même au récit, vu que le 4' pouvait parler à la pédale et pas au récit) qui devaient être tout en finesse. Notons que doter la pédale d'un 4' est un trait caractéristique de l'époque néo-classique. En accompagnant le 4' de pédale au grand-orgue, on pouvait en plus agir indépendamment sur l'expression des deux !

- De façon analogue, on a choisi de doter la pédale d'une tirasse à l'octave aiguë du récit (la Doublette devient un 1'), et donc donné accès à tout un répertoire polyphonique. {I:8' + P4 + D2 + II/I + II/I 4', II: 8' + 4' + D2, P: S16 + I/P + II/P 4'} devait donner une excellente registration pour les grandes fugues.

- Pour les préludes de choral ornés, les possibilités étaient très nombreuses, avec le Cornet ou la Sesquialtera, où même, vu l'acoustique, des solos 8'+2'2/3.

- La Trompette était au grand-orgue, ce qui est d'habitude un trait germanique. Elle devait plutôt être conçue pour les sorties festives que pour les solos. Son nom à la console "Englisch-Horn" évoque une harmonisation spécifique, plutôt anglaise.

Un document-témoin : 'Registres pour le culte'

A la console est scotchée une feuille titrée "Registres pour le culte". On y trouve les recommandations suivantes : [Visite]

- jouer sur le clavier du bas avec les 2 mains [(!) ; écrit en vert]

* orgue sans paroisse (prélude aux cantiques) + pendant la distribution de la Sainte Cène ["ajouter Cornett 3 fach" a été rayé vigoureusement au crayon, et la même main a ajouté :] ouvrir légèrement volets :

- aus Kornett Quintflöte 2 2/3

- Prinzipal 4'

- Rohrflöte 8' [ces 3 jeux étant notés, au moyen d'une accolade "registres du clavier du bas en service"]

- Gemshorn 8'

- Gedacktflöte 4' [ces 2 jeux étant notés, au moyen d'une accolade "registres du clavier du haut hors service" (i.e. ne jouent pas au clavier inférieur en absence d'accouplement...)]

- + manettes rouges Cornet 3 fach + Sub [sic] II-I abaissées + Fr.Comb sortie

En marge de l'ensemble, et en vert "VOLETS FERMES".
* orgue avec paroisse (chant des cantiques)

- idem registres ci-dessus + manette "Fr.Comb" poussée => registres clavier du bas et du haut en service

[Au crayon :]Fr Comb pour Cornet 3 fach et Sub II-I manettes rouges abaissées

En marge de l'ensemble, et en vert "VOLETS OUVERTS".

- N.B. manette "Handreg." toujours poussée.

On ne peut qu'éprouver de l'empathie avec le malheureux organiste qui a dû jouer toutes les parties "orgue avec paroisse" d'un culte avec seulement le Cornet de 3 rangs : c'est à n'en pas douter ce qui a motivé la note "N.B. manette 'Handreg.' toujours poussée.". En effet, quand elle ne l'est pas, *seulement* les jeux pour lesquels le picot rouge est basculé parlent. Avec "Handregister"="registration à main" enfoncé, les dominos (ce sont eux la registration "manuelle") agissent *en plus* des picots rouges.

Ce que l'on peut en déduire (outre le fait qu'on avait oublié que les 2' sont les meilleurs amis de l'accompagnateur de choral), c'est que l'on se servait de la combinaison libre pour appeler le Cornet et l'accouplement à l'octave... grave (donc l'orgue jouait en 16' à cause du Gemshorn 8' qui tombe d'une octave !). Cette utilisation des octaves graves au lieu d'aiguës (idéales pour l'accompagnement du choral) est probablement la conséquence d'un malentendu dans un passage de consigne, et devait donner un résultat fort décevant. Là aussi, on imagine les moments de solitude de certains organistes de passage appliquant à la lettre ces consignes... De plus, vu que le "mode d'emploi" ne juge pas nécessaire de mettre de jeu de pédale, on ne devait pas se servir du pédalier. Cela laisse à penser que, vers la fin du 20ème siècle, non seulement la plupart des facteurs ne savaient plus entretenir ces instruments, mais que de nombreux organistes ne savaient que très partiellement les utiliser.

Ce "saut dans le temps", montrant comment des organistes à l'évidence pas très formés aux consoles néo-classiques se débattaient avec les commandes, est fort émouvant et attachant. Car évidemment, cette complexité fait un peu "partie de la magie" : les organistes aiment bien, dès que possible, entretenir la part de "secrets d'arcanes" qu'ils estiment liée à leur fonction. En clair, on aime bien que ça soit un chouilla compliqué, et il ne faudrait pas qu'un simple pianiste puisse s'en sortir... Un regard dans le passé nous montre souvent nos propres petits travers.

Les membranes étant des pièces d'usure (devant être remplacées tous les 30 ans environ), il était normal que l'orgue présente de sérieux problèmes de fonctionnement à la fin du 20ème siècle. De coûteux travaux ont été confiés à une maison de facture d'orgues strasbourgeoise, mais suite à cette intervention, l'instrument présentait toujours les défauts qui le rendait inapte à sa fonction. [Visite]

Plutôt que d'avouer son incompétence sur une traction pneumatique, cette entreprise engagea donc quand même des travaux... et cela finit, comme on va le voir, en catastrophe pour ce bel orgue.

Le démontage

En 2007 : remplacement par un "orgue" électronique ; dépose de la tuyauterie. [Visite]

La tuyauterie Schwenkedel (dont on connait la qualité) a été offerte à la paroisse luthérienne de Baden-Baden pour qu'elle puisse étoffer un instrument déjà fort important. [Visite]

Cet orgue était entièrement authentique quand il a été démonté.

A voir aussi, à ce sujet : Cernay, où manque une autre tuyauterie de Schwenkedel, laissant là aussi l'instrument muet.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2015
Grand-Orgue expressif, 56 n. (C-g''')
Cheminées rentrantes
(C-g''')
Vrai rang, sur 2 chapes dédiées
(C-g''')
Vrai rang, sur 2 chapes dédiées
(C-g''')
prob. appel 2'2/3 + 2' + 1'3/5
prob. appel 2'2/3 + 1'3/5
(C-g''')
Vrai rang, sur 2 chapes dédiées
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
(Chape inexistante)
Domino à porcelaine rose vierge
Pédale expressive, 30 n. (C-f')
Expressive avec le II
Emprunt du II
Emprunt du II
(sic) en fait sur tout l'orgue ; domino
Picots / piston
[ITOA] [APlatz] [Visite]
Console:
La console était un peu difficile d'accès...En fait, elle ne sert pas de débarras, c'est juste que ce jour-là (journées du patrimoine),des musiciens avaient entreposé leur matériel à la tribune,vu que l'édifice était fréquenté par le public.La console était un peu difficile d'accès...
En fait, elle ne sert pas de débarras, c'est juste que ce jour-là (journées du patrimoine),
des musiciens avaient entreposé leur matériel à la tribune,
vu que l'édifice était fréquenté par le public.

Console indépendante située sur le côté gauche de la tribune, orthogonalement au buffet et face à celui-ci, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos disposés en ligne au-dessus des claviers, munis de porcelaines de couleur permettant d'identifier le plan sonore du jeu : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Les tirasses et accouplements sont bicolores pour respecter le code de couleur. La commande de l'accouplement à l'unisson et des trois tirasses sont doublées par 4 pédales-cuillers à accrocher ("I-II, "Ped. I", "Ped. II", "Super-Ped. II"), suivant en cela les recommandations dues à Albert Schweitzer (dont on retrouve donc une petite partie de l'oeuvre dans cet instrument !) ; elles sont situées à droite.
Claviers blancs. Joues de claviers galbées. Sélection de la combinaison libre par picots rouges basculants, situés au-dessus de leur domino respectif (les accouplements et tirasses sont donc programmables). Commande des aides à la registration par pistons blancs situés sous le premier clavier, à gauche, repérés par des porcelaines blanches. De gauche à droite : l'appel "jeux à main" ("Handreg.") qui rend les dominos actifs avec la combinaison libre, l'appel de la combinaison libre ("Fr.Comb."), l'appel du tutti ("Tutti"). Ces trois commandes sont doublées au pied, par des pédales-cuillers à accrocher et repérées par des porcelaines rondes : de gauche à droite "Tutti", "H.R." et "Fr.comb" (cette dernière étant rose, il n'est pas exclu qu'ont ait pu appeler la combinaison du récit indépendamment de la globale).
Commande de l'expression du grand-orgue "Schweller I" et du récit ("Schweller II" ; incluant la pédale) par deux pédales basculantes (dans cet ordre de gauche à droite), placées en position centrale, et repérées par des porcelaines rondes (rose pour l'expression II). Pas de crescendo.
Banc constitué de deux essences de bois (le plateau est plus clair, comme souvent chez Schwenkedel jusque vers 1937). Plaque d'adresse en trois éléments émaillés blancs. A gauche des dominos :

Georg Schwenkedel
Orgelbaumeister
Strasbourg - Königshofen.

Au-dessus du c (deuxième Do) du second clavier :

Opus 38

Au-dessus du a'' (quatrième La) du second clavier :

1931
Les plaques d'adresse.Les plaques d'adresse.
Transmission:

pneumatique

Sommiers:
L'intérieur du buffet, côté récit (gauche). Evidemment, pour qui aime ces instruments,et sait ce qu'ils valent une fois passés entre les mains d'un facteur compétent,cela cause un fort pincement au coeur...A gauche, le mur du fond de la tribune. On ne le voit pas d'ici, mais le vitrail-rosace figure en son centre une Rose de Martin Luther.C'est celui qui se situe au sommet du fronton, sur la façade.En face, la cloison centrale. La façade de l'orgue est à droite,et on peut voir une partie du mécanisme de commande des jalousies rendant l'orgue expressif.Au fond, les 8 tiges des dispositifs pneumatiques permettant le tirage des jeux.La dernière chape, tout à gauche, correspondait à la Soubasse.L'intérieur du buffet, côté récit (gauche). Evidemment, pour qui aime ces instruments,
et sait ce qu'ils valent une fois passés entre les mains d'un facteur compétent,
cela cause un fort pincement au coeur...
A gauche, le mur du fond de la tribune. On ne le voit pas d'ici,
mais le vitrail-rosace figure en son centre une Rose de Martin Luther.
C'est celui qui se situe au sommet du fronton, sur la façade.
En face, la cloison centrale. La façade de l'orgue est à droite,
et on peut voir une partie du mécanisme de commande des jalousies rendant l'orgue expressif.
Au fond, les 8 tiges des dispositifs pneumatiques permettant le tirage des jeux.
La dernière chape, tout à gauche, correspondait à la Soubasse.

Les sommiers à membranes sont toujours là. Ils sont l'air entièrement diatoniques (sauf la Soubasse) et en parfait état. (Aucune trace de xylophages.) Le buffet est cloisonné dans son milieu, et les deux claviers correspondaient réellement à deux plans sonores isolés, dans deux boîtes expressives indépendantes, les jalousies des deux côtés étant commandés par deux pédales différentes. Le tirage des jeux arrive de part et d'autre de la cloison centrale.

La partie gauche est entièrement vide, et contenait la tuyauterie du récit (deux fois 4 chapes, 8 dispositifs de tirage de jeux) et, au fond, la Soubasse.

Dans partie droite se trouvent (déposés) des faux-sommiers (l'un est noté au crayon "Principal 2 Cs" - pour "Principal 2' côté dièses" - et confirme le fait que les sommiers sont diatoniques. Juste à côté se trouve un faux-sommier du Nasard. Ils sont en sapin massif. On y trouve aussi de nombreux râteliers. Cette partie était dévolue au grand-orgue. On devine deux fois 6 chapes, avec 12 tirages de jeux, soit 6 rangs (8', 4', 2'2/3, 2', 1'3/5, anche ; pas forcément dans cet ordre). Il ne semble donc pas y avoir eu de Sesquialtera indépendante, et elle était donc aussi "aus Kornett", comme les Mutations.

Soufflerie:

le système de pompage à pied (à gauche de l'orgue derrière la console) a été conservé.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670482040P01
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