Beaucoup de choses ont été écrites sur les orgues d'Eguisheim. Si bien qu'on pense que leur histoire est bien documentée. Hélas, ces articles sont encombrés d'approximations, d'incohérences et surtout de préjugés pro-Callinet qui en éliminent toute objectivité. Dans les années 2000, on a pu lire de parfaits contre-sens, qui, malheureusement, ont été recopiés par la suite. Alors que tout ce qui concerne les Callinet est souvent accompagné d'un baratin mielleux de vendeur de bagnoles, les travaux du début du 20ème siècle ont été méprisés par dogmatisme, et fort peu étudiés. Or, il y a là de belles surprises. Puisque les sources (secondaires) nous aident très peu, il faut surtout faire confiance à ses oreilles : sur place, on trouve un très bel orgue. Un très bel orgue... Kern. Caractéristique de la facture d'Alfred Kern. Un orgue qui n'a pas grand-chose à voir - à part évidemment son buffet - avec un Callinet. Pourquoi vouloir retirer le crédit de cet instrument à Alfred Kern et l'attribuer par complaisance aux frères Callinet ? Les orgues Callinet sont-ils "mieux" que les orgues Kern ? Sont-ils "mieux" que les orgues de Jules Besserer ? On a le droit - et même le devoir - d'en douter.
Retour sur une histoire qui commence en 1717, et qui a malheureusement été très déformée pour se conformer à des intérêts divers.
Historique
Un premier orgue est attesté à Eguisheim en 1717, et avait donc été installé avant. On en ignore l'origine. [IHOA] [PMSBUSSY]
Il a été réparé en 1740 par Daniel Cräner. [PMSBUSSY] [AMun1979]
Historique
En 1747, on acheta un orgue neuf à Jean-Baptiste Waltrin. En fait, seulement la partie instrumentale, car le buffet fut commandé à la maison Ketterer, célèbre pour avoir construit beaucoup de "buffets Silbermann". [IHOA] [PMSBUSSY] [PMSAEA85]
L'instrument fut reçu, inachevé, le 25/11/1747 par Dom George Franck de Munster. Evidemment, les réparations ne tardèrent pas : [PMSBUSSY]
Dès 1761, il fallu faire appel à Louis Dubois pour réparer l'instrument. [PMSBUSSY]
Puis en 1775, c'est Weinbert Bussy qui fit des réparations. [PMSBUSSY]
En 1785 on paya le facteur Joseph Zipffel, pour faire un rapport "pour pouvoir l'envoyer à l'Intendance". [PMSBUSSY]
Cela continua en 1787 par des travaux du fameux Joseph Rabiny : on lui avait demandé de "raccommoder" l'orgue. Ces travaux étaient peut-être la conséquence de l'effondrement d'une partie de l'église, en juillet 1787. [PMSBUSSY]
On devine que ça n'allait pas le rendre bien meilleur... Tous les orgues du 18ème n'étaient pas des chefs d’œuvre, loin s'en faut. Et tous les facteurs du 18ème n'étaient pas des génies, loin s'en faut.
On connaît le nom de l'organiste en 1809 : Joseph Czastka. [PMSBUSSY]
Et aussi la composition en 1809, qui ne paraît pas avoir été modifiée depuis 1747 (les intervenants étant probablement trop occupés à essayer de faire marcher la chose).
Rien de surprenant pour un instrument de 1747. Il il n'est pas surprenant non plus qu'on voulut le remplacer en 1809, surtout que l'église avait été reconstruite : Messier et Gouget ne conservèrent que la tour et quelques éléments de l'ancienne église.
Le 18/03/1811, François Callinet fit une petite réparation. On ne sait pas si c'est lui qui démonta l'orgue à l'occasion des travaux. [IHOA] [PMSAEA85]
Un premier projet, très ambitieux, avait porté sur une quasi-reconstruction et la construction d'un positif de dos. Ce projet ne vint pas à exécution. [PMSCALL]
Historique
En 1838, les frères Callinet livrèrent un orgue neuf. Le traité fut signé le 22/01/1838. [IHOA] [PMSCALL]
La pédale n'avait été à l'origine conçue qu'avec 18 notes ("pédalier d'instituteur"), mais grâce à la contribution d'un conseiller dont l'histoire a malheureusement oublié le nom, l'instrument reçut une pédale jouable. Cette contribution a aussi permis de doter l'instrument d'un Bourdon 16' manuel, et un Nasard complet. [PMSCALL]
L'orgue Callinet a été reçu le 21/01/1839 par l'instituteur/organiste Baumann, Jehl, Hippolyte Dervieux, Antoine Beyer, ainsi que le maire Jänzer. [PMSCALL]
En 1897, on fit intervenir Martin Rinckenbach. [IHOA]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 28/03/1917. [IHOA]
Historique
En 1925, Jules Besserer reconstruisit l'instrument. [IHOA]
Ces travaux ont été peu documentés, l'organologie de la fin du 20ème siècle méprisant totalement ce qui avait été entrepris dans la première moitié du siècle. On peut lire dans l'hagiographie des Callinet rédigée par Pie Meyer-Siat (débordante de préjugés et de parti-pris) : "l'orgue d'Eguisheim fut massacré à la mauvaise époque, à plusieurs reprises et par plusieurs facteurs d'orgues du cru". "Mauvaise époque" ? "Massacré" ? Devant tant de violence verbale, il faut dire la vérité sans détour. [PMSCALL]
D'abord, si les années 20 ont été une "mauvaise époque", que dire des années 1960-1980, où là, de véritables massacres ont été commis, par dizaines... quand on a envoyé à la chaudière, sous les applaudissements et en s'auto-congratulant, une bonne partie du patrimoine spécifiquement alsacien des orgues, pour "baroquiser" (lire : "parisianiser") à tout va.
La réalité est pourtant toute simple : en 1925, les défauts de ces orgues "de transition" étaient devenus rédhibitoires, en particulier à cause de leurs compositions inspirées de l'orgue "classique parisien", mais sans avoir pour structure un répertoire particulier. D'ailleurs, aujourd'hui encore, on ignore le répertoire pratiqué sur ces instruments. Le fait que les Callinet (comme la maison Stiehr) fournissaient "par défaut" un pédalier de 18 notes est révélateur. (Ces "pédaliers d'instituteur", utilisés essentiellement pour lourdement marquer les cadences lors de l'accompagnement des chants. En clair : un pédalier inutilisable pour un organiste normal, car si on l'utilise, on ne prend que de mauvaises habitudes.)
Dans les années 1960, enfermé dans ses préjugés et de son dogmatisme "pro-classique", le monde de l'orgue se bouchait le nez à l'évocation de ces instruments. Mais les gens en 1925 n'étaient pas plus stupides qu'en 1965... il faudrait d'abord considérer les choses de façon objective :
Voici la composition de l'orgue d'Eguisheim en 1960 :
L'instrument était tout de même doté d'un récit expressif ! Et complet. Très symphonique, sans Principaux. Le positif était fondé sur un 8' ouvert (Montre), et pas sur un malheureux Bourdon censé porter tout un fatras de petits jeux criards à quelques mètres du public... Son 2' était une Flûte et évidemment pas une Doublette, car aussi proche de l'auditoire, on entendrait plus le reste quand on la tire. Le grand-orgue, très symphonique, était doté de cinq riches 8', aux timbres variés : le "carré d'or" romantique (un Principal, une Flûte bouchée, une Flûte ouverte, une Gambe) auquel on avait ajouté un Dolce. C'était tellement Haut-Rhinois qu'on peut supposer que ce Dolce était de Martin Rinckenbach.
Et puis surtout, il y avait un très alsacien Violoncelle de pédale. Ce devait être un orgue merveilleux !
Mais vinrent les années noires, où on était sûr d'avoir tout compris : on avait décidé que les gens, entre 1870 et 1939, étaient des imbéciles, et ne comprenaient rien à la "structure saine de l'orgue". Quelle prétention... Exprimer un tel mépris, de la part de gens qui se prétendent historiens est inexplicable. En quoi cette superbe composition, très alsacienne et riche en possibilités était-elle un "massacre" ? Comment peut-on utiliser un mot pareil quand, à l'évidence, on ne comprend rien à l'esthétique de l'instrument ? Etait-ce "Moi je comprends pas, donc c'est nul." ? Il faut vraiment être obnubilé par le répertoire classique parisien pour penser cela...
Il est probable que l'orgue d'Eguisheim n'a jamais été meilleur qu'entre 1925 et 1960. Evidemment, on peut avancer "Ce n'était plus un Callinet". Certes, mais l'orgue actuel non plus ! Avec son Larigot, sa Cymbale et son Cromorne, encore moins, en fait. L'orgue de Besserer représentait ce qu'aurait pu devenir la facture des Callinet s'ils avaient continué leurs activités. L'orgue actuel, avec son retour en arrière disproportionné vers l'époque "classique", "efface" les Callinet de l'histoire, comme s'ils n'avaient jamais existé.
Ensuite, on rapporte des actes de vandalisme.
Comment pourrait-il en être autrement si les "experts" traînent dans la boue des orgues à la seule vue de leur date de construction ? Comment peut-il en être autrement quand ces mêmes "experts" infligent un "Votre orgue ne vaut rien, il faut le refaire comme il faut." Du coup, mêmes les propriétaires s'en désintéressent ("Notre orgue ne vaut rien..."). Pire : ils lisent des articles totalement biaisés, qui semblent confirmer que leur instrument - au potentiel énorme - est une daube issue d'une période de "décadence"... et répètent ces fadaises à qui veut bien les entendre. Evidemment, après ça, l'orgue n'est plus entretenu, plus protégé, plus respecté. Tout le monde s'en désintéresse, sauf ceux qui veulent y casser quelque chose pour s'amuser. Comment peut-on s'étonner de ces actes de vandalisme ? Car le premier acte de vandalisme, c'est le coup porté la réputation et la perception de qualité de l'orgue, par un "expert" ou quelque détenteur d'une autorité totalement usurpée.
Il est fort dommage que ce bel orgue alsacien de Jules Besserer n'ait pas été conservé. Il est encore plus attristant de voir la mécanique de "persuasion" utilisée pour envoyer ces orgues à la chaudière et les remplacer par des instruments à la mode dans les années 1960-2000 : diffusion de clichés, ricanements snobs à l'évocation des techniques instrumentales et organistiques des années 20-30, mauvaise foi, décrédibilisation de toute contestation possible. Et endoctrinement des "décideurs" par des "experts" cooptés dans un cercle restreint d'organistes - certes doués musicalement - mais sans réelle compétence pratique en facture d'orgues et à la connaissance historique limitée à quelques clichés approximatifs.
Historique
En 1962, Alfred Kern effectua une reconstruction "néo-baroque". [IHOA] [Caecilia]
Cette fois, on peut vraiment dire que l'instrument a subi "le sort des orgues sacrifiés à la mode du temps, et fut passablement défiguré". Chacun pourra se faire son opinion sur la pertinence de l'opération, en se souvenant qu'on a quand même mis dans cet orgue soit-disant "Callinet"... une Sesquialtera ! Par contre, ce qui est sûr, c'est qu'il ne s'agit absolument pas d'une "restauration". Le résultat (reconstruction dans "l'esprit classique", i.e. baroquisation) n'a rien à voir, ni avec le style, ni avec l'esprit Callinet. Les orgues Callinet ne sont ni des simili-Silbermann, ni de soit-disant "orgues nordiques".
Il y aurait aussi eu des travaux en 1984.
En 2002, nouveaux travaux par Daniel Kern. Les commentateurs de l'époque insistèrent surtout sur le retour de portes à la console... L'orgue a été inauguré le 28/05/2000. [Caecilia]
Caractéristiques instrumentales
Console en fenêtre frontale.
Mécanique suspendue.
Le grand-orgue et l'écho sont sur les mêmes sommiers ; il n'y a donc qu'un seul plan sonore.
Sources et bibliographie :
Photo du 29/06/2003.
2000-5 est l'errata de 2000-4, où, par exemple, la composition de la pédale était (2 jeux) : Cymbale 3 rgs et Cromorne 8' (sic).
364. Eguisheim {S B I}, Waltrin fils 1747, Callinet, 1838, 34 Jeux, 2 Clav., Péd., sommier méc., traction méc., soufflerie électr.
EGUISHEIM, Kt. Winzenheim. - O. von Waltrin, Sohn, 1747. MATHIAS 71. - Wie andere Weinorte hatte sicher auch E. viel früher eine O. Neue Kirche 1807-1808. Rep. 1811 durch Francois Callinet. O.-Vertrag 22. I. 1838 mit den Freres Callinet. O. mit 35 Reg., 3 Clav., Ped., Preis 11.700 Fr. Rücknahme der alten O. für 800 Fr. Aufstellung der O. u. Abnahme im Januar 1839. Restaur. von A. Kern 1962. MEYER-SIAT 180 ff. - O. bezeugt für 1807. Vgl. Aug. SCHERLEN, Egisheim, Dorf u. Stadt, Colmar 1929, 113. - O.-Gehäuse in Abb., in MEYER-SIAT pl. 14. - 1962: O.-Rep. durch A. Kern, 32 Reg., 3 Clav., Ped., tract mecan. O.-Weihe am 20. V. 1962. J. RINGUE, in : L'orgue, n. 103 (VII.-IX. 1962) 76-79.
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