L'église St-Vincent de Ranrupt date de 1840. Sa façade a la particularité d'avoir un grand porche ouvert par une arcade. Le superbe buffet néo-classique de Ranrupt abrite un orgue construit par Franz Xaver Kriess en 1900. Et qui mérite vraiment d'être mieux connu.
Historique
C'est fin mars 1900 que fut reçu l'orgue Franz Xaver Kriess de Ranrupt. [ITOA] [PMSAM84]
L'historique de cet orgue est plutôt court, puis qu'on a noté que deux réparations en 90 ans : cela confirme une fois de plus que, contrairement aux vieux ragots et préjugés, les transmissions pneumatiques, lorsqu'elles sont confiées à des facteurs compétents, sont tout aussi fiables - sinon plus - que les mécaniques. Toutefois, force est de constater qu'au moins une de ces deux interventions ne s'est pas limitée à une réparation, puisque la Flauto amabile 8' du récit a été remplacée par un absurde 2', et la Viole de Gambe a été découpée pour devenir une "Quinte 2'2/3" : les oreilles ont même été arrachées ! On ne sait pas qui est l'auteur de ces mutilations, d'autant plus regrettables que sans elles, l'orgue serait resté dans sa belle configuration d'origine.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 11/04/1917. Comme c'est la maison Kriess elle-même qui fut chargée du démontage, et que rien n'a été consigné au sujet du remplacement de la façade, il est fort probable que ce soit aussi la maison Kriess qui ait posé les tuyaux en étain actuels. La façade, certes pas authentique du point de vue historique, peut être considérée comme telle sur le plan instrumental. [PMSAM84]
Une première réparation eut lieu en 1948. [ITOA]
Et une autre en 1954. [ITOA]
En 2016, Richard Dott effectua un relevage. [JSHulard]
Malheureusement, et de façon inexplicable, rien n'a été fait pour rendre à cet orgue ses deux jeux supprimés ou mutilés. Quel dommage d'avoir raté cette occasion de rendre à cet instrument exceptionnel sa totale splendeur !
L'orgue a été inauguré le 24/04/2016 par Marc Baumann (œuvres de J.S. Bach, Félix Mendelssohn, A.P.F. Boëly, A. Guilmant, C. Saint-Saëns, Georges Hamel et L.J.A. Lefébure-Wely) ainsi que Pauline Hass (Harpe) et Thomas Bloch (glassharmonica). [JSHulard]
Le buffet
Le buffet, de style néo-classique, est en chêne. Trois tourelles plates, la plus grande au centre, sont séparées de deux plates-faces doubles. L'ornementation se distingue par des jouées très ajourées, mais aussi des rinceaux, ainsi que des claires-voies finement sculptées inscrites dans les arcs. Chaque tourelle est munie d'un fronton circulaire brisé laissant passer un fleuron, dont le central est une croix. Les montants se terminent en chapiteaux sculptés. La riche ornementation est complétée par des frises végétales, ou, au-dessus des plates-faces, à dards.
Caractéristiques instrumentales
C | fis |
- | 4' |
2'2/3 | 2'2/3 |
2' | 2' |
1'3/5 | 1'3/5 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Commandes des jeux par petits taquets à accrocher (mouvement en 'L'), repérés par des porcelaines rondes et à liséré doré, placées sur un grand chanfrein. Elles sont roses pour le grand-orgue, bleu clair au récit, et blanches pour la pédale. Claviers blancs, à frontons droits au premier, et biseautés au second. Bloc-clavier noir à joues arrondies.
Les tirasses, l'accouplement et aides à la registration ont leurs commandes sous le premier clavier, par pistons blancs : à droite, la tirasse grand-orgue, repérée par une porcelaine "Pedal-Coppel I M." rose et blanche, et deux pistons : celui de gauche l'appelle, et celui de droite, sur lequel figure un "0" frontal l'enlève. Plus à droite, la porcelaine "Pedal-Coppel II M." (II/P), bleue et blanche, avec ses deux pistons ; ensuite viennent les 4 pistons des combinaisons fixes, repérés par des lettres frontales : "I", "II", "III" et "0" pour l'annulateur. A droite, la porcelaine "Manual-Coppel" (rose et bleue) de l'accouplement des claviers, avec ses deux pistons.
Avec une des trois combinaisons active, les commandes manuelles (y compris les accouplements) ne sont pas annulées, mais s'ajoutent.
La seule commande à pied est la pédale basculante commandant de l'expression du récit, tout à droite.
Le porte-partitions, plus clair que le reste de la console, n'a pas l'air d'origine.
Banc dont les montant sont en forme de "A".
Petite plaque d'adresse ronde disposée en haut et au centre de la console, disant :
A membranes. Le grand-orgue et le récit sont diatoniques, en mitre (basses au centre). La pédale, diatonique, est placée sur les côtés, avec le Violoncelle 8' en avant, puis le Bourdon doux 16', puis la Soubasse, et la Contrebasse contre les flancs.
Voilà la magie de l'orgue alsacien : presque au fond d'une vallée, loin des centres urbains, dans une localité de 330 habitants, on pousse la porte de l'église, et on se trouve... face à un instrument de musique de cette classe ! On a beau commencer à s'habituer à faire de belles découvertes, il faut garder sa faculté à être surpris. L'incroyable richesse de ce patrimoine est extraordinaire. Il s'agit là d'une culture essentiellement populaire - dans le sens que ces instruments somptueux, sûrement totalement "déraisonnables", ont été désirés par les communautés locales, et acquis alors qu'ils représentaient de grands sacrifices. Il s'agit clairement de "petits folies". Mais il faut bien reconnaître que dans un monde qui se contracte vers la "première nécessité", on en a bien besoin...
Aujourd'hui (2020) l'orgue de Ranrupt est en parfait état, très agréable à jouer, et il raconte l'histoire de l'orgue en Alsace à la Belle époque. Evidemment, on ne peut que regretter que les deux jeux altérés n'ont pas été restitués lors du dernier relevage : cet instrument aurait pourtant vraiment mérité de retrouver sa configuration cohérente d'origine : il lui manque vraiment ces deux jeux pour exprimer toutes ses possibilités, alors que de 2' et cette quinte sont une totale aberration dans ce style.
L'orgue de Ranrupt, avec celui de Saales (1923) et l'instrument malheureusement aujourd'hui muet - mais plein de promesses - de Bourg-Bruche (1908) constituent un groupe d'instruments post-romantiques exceptionnel sur lesquels on peut interpréter l'essentiel du répertoire de l'époque. Ranrupt mérite le détour rien que pour sa Clarinette à anches libres : comme ces jeux plutôt rares aujourd'hui sont rafraîchissants !
Sources et bibliographie :
Remerciements à Pascal Ruggero.
Photos du 27/06/2020 et données techniques.
Photos du 27/06/2020.
Données sur l'inauguration, photos, et programme du 24/04/2016.
Photo du 21/07/2006.
Pour mémoire (2 lignes...) ; contrairement à ce qui est affirmé dans les 2 lignes consacrées à cet orgue, il n'est malheureusement pas resté authentique ; il s'en faut de 2 jeux.
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