Voici l'opus 423 de la maison Gebrüder Link. Il a été remarquablement bien entretenu et conservé, et peut être considéré comme authentique. C'est un des plus remarquables représentants de l'esthétique post-romantique allemande en Alsace.
Historique
L'instrument a été construit en 1905 par la maison Gebrüder Link de Giengen an der Brenz, dont c'est l'opus 423. Le temple, dû à l'architecte Glockner, avait été achevé l'année précédente (avant sa construction, les paroissiens de Merkwiller étaient rattachés à la paroisse de Soultz / Kutzenhausen). L'orgue et son édifice ont été inaugurés en même temps. C'est donc le premier instrument du lieu. [IHOA] [ITOA] [PMSLINK] [ChroniqueMerkwiller]
L'instrument est presque contemporain d'un autre Link resté authentique : Scharrachbergheim-Irmstett (1906). Outre leurs qualités musicales, ces orgues ont une histoire à raconter : celle de l'évolution des goûts musicaux à la Belle-époque alsacienne. Les événements de Barembach (1902) en témoignent : jusqu'au fond des vallées, jusque dans les petites localités (qui n'étaient pas du tout les "laissées pour compte" de la Culture), on voulait des instruments nouveaux, originaux, et capables d'adresser le répertoire renouvelé. L'orgue avait alors une vraie mission culturelle, tournée vers l'avenir.
En 1928, Georges Schwenkedel procéda à un entretien. [ITOA] [PMSLINK]
En 1951, c'est à nouveau la maison Schwenkedel qui fit une réparation (probablement suite à une opération militaire survenue le 3 août 1944, et qui visait la raffinerie). Un projet visant à "baroquiser" ce bel instrument romantique ne fut heureusement pas mis à exécution ! [ITOA] [PMSLINK] [ChroniqueMerkwiller]
L'instrument a été relevé par Rémy Mahler en 1989. [IHOA]
En mai 2014, Rémy Mahler revint entretenir la transmission. [VWeller]
Le buffet
Le buffet, néo-gothique, est en chêne (façade en étain), et assorti à la balustrade de la tribune, mais aussi au reste du mobilier. Il a 3m20 de large et 4m50 de haut. Trois tourelles, la plus grande au centre, sont séparées par deux petites plates-faces. Les tourelles sont munies de frontons ornés de tri-lobes. Elles portent chacune trois pinacles. [Palissy]
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par dominos, situés en ligne au-dessus du second clavier. Les dominos sont munis de porcelaines, de couleur bleue pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Les accouplements et tirasses sont bicolores, pour respecter le code de couleur. Le domino commandant la pédale piano automatique a une porcelaine verte. Selon une habitude de la maison Link, le nom des jeux est préfixé par le plan sonore (e.g. "I.M. Principal 8'"). La ligne de dominos est flanquée de petites moulures. Claviers blancs à frontons biseautés ; joues moulurées. Commande de l'expression du récit par pédale basculante, située complètement à droite, tournée vers le centre, et repérée par une porcelaine "Schwelltritt".
Appel des combinaisons fixes par trois pistons blancs, complétés par un piston annulateur noir, placés au centre sous le premier clavier, et repérés par des porcelaines rondes disposées entre les claviers : "Mezzo-Forte", "Forte", "Tutti" et "Auslösung".
Plaque d'adresse en trois parties : les deux principales, en lettres dorées sur fond noir, sont de chaque côté à hauteur des dominos.
Celle donnant le numéro d'opus est blanche, rectangulaire, et placée au centre, sous les dominos.
Le niveau de finition est très élevé, et l'attention a été portée au moindre détail. Les porcelaines ont un liséré doré, et font apparaître le nom des jeux en lettres gothiques, dont les capitales sont enluminées. Ces enluminures sont en plus, ici, bicolores.
Pneumatique tubulaire, notes et jeux, d'excellente qualité et très précise.
Sommiers à cônes ("Kegelladen"), animés par des membranes rondes caractéristiques de la facture Link.
Réservoir à plis parallèles. Le système d'alimentation manuel a été conservé. Il y a un indicateur de niveau repéré par 3 porcelaines blanches : "Voll" ('Plein', en haut), "Treten" ('Pomper', au milieu), "Leer" ('Vide', en bas).
La tuyauterie est de très belle facture, avec entailles de timbre, bouches arquées, Bourdons à calottes mobiles immobilisées par de la feutrine rouge, biseaux à dents. Flûte à cheminée (rang de 4' de la Mixture-Cornet) à cheminées rentrantes. Il y a différents types de freins harmoniques, choisis selon le jeu, mais aussi la tessiture.
Les tuyaux graves en bois de la grande Flûte 8' du grand-orgue sont repérés par des lettres manuscrites bleues, mais aussi sous la patte d'accord, à la plume, par exemple "Flöte 8' Fs".
Décidément, ces orgues Link ont une forte personnalité, et sont de vrais petits bijoux. On le voit ici, même avec 11 jeux "seulement", on a su concevoir un instrument plein de possibilités, et enthousiasmant pour l'auditoire et les organistes.
Aujourd'hui (2020) il est certes empoussiéré, mais laisse imaginer ce qu'il pourrait être après un relevage. Ce dernier est d'ailleurs prévu. C'est vraiment un projet prometteur.
Les freins harmoniques
La richesse des timbres produits par les orgues post-romantiques n'est pas le fruit du hasard : de nombreuses techniques ont été mises au point pour générer les harmoniques voulues, ou favoriser l'attaque - cette dernière étant souvent déterminante pour la façon dont notre oreille identifie une sonorité.
Le frein harmonique est un dispositif placé devant la bouche du tuyau. Son invention est souvent attribuée à Anselme Gavioli (1828-1902), qui en déposa effectivement le brevet en 1878. Gavioli était constructeur d'orgues mécaniques. (Au sens, "qui joue tout seul avec des cartons perforés".) Le brevet de Gavioli a créé une antonomase, "Gavioli" voulant souvent dire "frein harmonique". Mais c'est apparemment bien lui qui est à l'origine du mot "frein".
Il est certain que les facteurs d'orgues ont utilisé des rouleaux placés devant les bouches (en particulier les grands tuyaux bouchés) depuis bien plus longtemps. La "Kastenbart" (par extension de "Seitenbart" = oreille) est décrite dans l'ouvrage de Johann Julius Seidel ("Orgel und ihr Bau", p55), paru en 1843. Et on en aurait retrouvé dans l'orgue Stumm de Bechtolsheim (D), qui date de 1756.
Les freins sont surtout utilisés dans les basses, ou lorsque le rapport de la largeur de la bouche au diamètre du tuyau est petit, ce qui est le cas pour les Gambes : Salicionaux, Voix célestes, Violons, Violoncelles, Aeolines.
Il existe différents types de freins harmoniques, choisis selon le jeu, mais aussi la tessiture : un même jeu peut donc être muni d'un type de frein dans les basses, et d'un autre dans les aigus. Ils constituent parfois un même assemblage avec les oreilles, des deux côtés de la bouche.
Sur l'image ci-dessous :
- Une transition dans un même jeu : le passage de freins Gavioli (avec oreilles) aux freins à barbe ("Kastenbart"). Ces derniers relient dans un plan vertical les deux oreilles. (Gambe 8' I, tuyaux f' et fis'.)
- Un "frein-cheville" sur un tuyau à bois (à la bouche très arquée ; basses de la Flûte 8' I.)
- Des freins rouleaux en bois. (Basses de la Gambe 8' I.)
- Frein bavette, reliant les oreilles par le bas dans un plan horizontal. (c''' du Salicional 8' II.)
Sources et bibliographie :
Remerciements à Mme Viebach-Mall.
Photos du 04/10/2020 et données techniques.
Recherches historiques et photos de cette page.
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