
La plaque d'adresse à Scharrachbergheim (1/2).
La maison Gebrüder Link, de Giengen-an-der-Brenz, est toujours en activité. Entre 1897 et 1916, elle a construit plusieurs orgues pour l'Alsace, et certains comptent parmi les instruments les plus attachants de la région. La qualité de leur harmonisation, et l'évident soin porté à leur construction, les dotent presque à chaque fois d'une ambiance, d'une "aura" inimitable. Nous sommes ici au coeur de l'esthétique romantique allemande, et plus précisément de ses dernières évolutions ("spätromantik" dirait-on). Les maîtres de l'Orgue d'alors s'appelaient Max Reger, Julius ou Otto Reubke, mais aussi G.Auguste Brandt (Magdebourg), Samuel de Lange (Stuttgart), Arthur Egidi (Frankfurt puis Berlin), Friedrich Wilhelm Franke (Köln), Paul Homeyer, Bernhard Irrgang, Heinrich Lang (Stuttgart), Josef (Stuttgart) puis Alfred Sittard (Dresden, Hamburg), Heinrich Reimann (Berlin, philharmonique), August Wiltberger (compositeur et pédagogue), Philipp Julius Wolfrum (Heidelberg). Quant à la facture, elle était bien sûr inspirée par E.F. Walcker, dont l'influence était incontournable.
Johann Link (25/02/1821 - 25/02/1871) et son frère jumeau Paul (25/02/1821 - 12/08/1891) sont nés à Aldingen. Ils ont commencé leur formation chez Blasius Braun et Spainchingen (Forêt-noire, 40km à l'est de Fribourg). Ensuite, ils sont allés compléter leur formation chez Walcker, pendant 10 ans, jusqu'en 1851. Les Links sont donc directement issus de l'école Walcker.
Anton Braun (1776-1840) avait fondé à Spaichingen une entreprise qui fut vite détentrice d'une part de tradition viennoise de la facture d'orgues (par Martin, formé chez Jacob Deutschmann). Et Blasius Braun (1823-1883) avait été formé par son père Joseph (1807-1877), lui aussi appartenant à l'école viennoise. Eugen Braun partit en 1923 pour les Etats-Unis. On peut donc dire que les frères Link étaient aussi détenteurs d'un héritage issu de Vienne.
Johann et Paul se mirent à leur compte en 1851. Ils comptaient s'installer à Schwäbisch Hall (60km au nord-est de Stuttgart). Mais une opportunité se présenta, qui changea leur destin : Adam Seitz persuada les deux frères d'aller épauler Viktor Grual, de Bissingen, qui avait décroché une fort belle affaire (40 jeux) à Giengen-an-der-Brenz. Or Grual était débordé : l'aide de deux jeunes facteurs formés 10 ans chez Walcker serait la bienvenue.
Johann Viktor II Grual (Bissingen an der Teck) était pris sur deux fronts, puisqu'il était aussi occupé en 1851 à l'orgue de Gutenberg (Lenningen), St-Nicolas. Et ce facteur était probablement plutôt habitué à construire de petits instrument "de campagne".
Pour les frères Link, ce partenariat était l'occasion idéale de se faire des références. De fait, cela fonctionna comme prévu : le grand instrument, pour lesquels les Link avaient eu totale latitude, fut un retentissant succès. L' "opus 1", bien que construit pour le compte de Grual, était vraiment l'oeuvre de frères Link. Pour capitaliser sur de cette bonne réputation, ils décidèrent de s'installer à Giengen.
Giengen-an-der-Brenz, Wurtemberg, est situé à 60km à l'est de Stuttgart, 20km au nord d'Ulm.
En ce milieu de 19ème siècle, fort fécond pour la facture d'orgues, les commandes ne tardèrent pas à affluer, pour l'Allemagne, mais aussi pour la Suisse et l'Autriche. Tout en restant à Giengen, l'entreprise s'installa dans des locaux plus spacieux, Memminger Tor-platz.
Au cours des 10 premières années d'activités de la maison Link (1851-1861), il y eut 25 opus. En 1863 fut posé l'opus 29. Au cours de la décennie suivante (1861-1871), ce fut environ 30 opus.
En 1871 survint la mort de Johann Link. Paul continua, et, à partir de 1885, c'est la marché "outremer" qui s'ouvrit à lui : le Japon, et surtout l'Inde. L'installation d'un orgue à la cathédrale Ste-Anne de Bombay fut l'occasion d'un voyage de deux mois, et permit à l'entreprise de livrer une dizaine d'instrument rien que pour Bombay.
En 1886, Eugen Link (29/11/1855 - 02/11/1940), le fils aîné de Paul, qui était en apprentissage depuis 1869, prit la tête de l'entreprise à la suite d'un voyage d'étude. En 1889, la firme signa son opus 152 et construisait plus de 50 opus par an.
L'année 1891 vit la mort du second fondateur, Paul, mais aussi la construction de l'orgue de Mirepoix (Ariège) et l'établissement d'une succursale à Namur. La maison Link était devenue pleinement "européenne", et tenait beaucoup au marché français (comme le prouve le fait qu'ils aient traduit en Français leur plaquette commerciale).

Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.
Entre 1903 et 1907, Reingold Link (02/01/1888 - 31/10/1946), fils aîné d'Eugen, fit son apprentissage. Il prendra par la suite la tête de l'entreprise, aux côtés de son père.
En 1906, l' "opus 1" fut remplacé par un instrument de 51 jeux (opus 450), qui est un des plus remarquables instruments de musique d'Allemagne. En 1909 fut livré un orgue de 20 jeux pour Tsingtau (Chine), posé par Reinhold, qui visita aussi des Etats-Unis et le Canada. Entre 1887 et 1914, 484 orgues étaient sortis des ateliers de Giengen.
Arriva l' "Orgelbewegung". Après des débuts fort louables, remettant la démarche artistique au coeur de la facture d'orgues, et luttant contre une certaine tension sur les prix, les mutations (si l'on peut dire) se firent profondes, et l'orgue allemand s'écarta du romantisme.
Après la mort de Reinhold, et la fin de la seconde guerre mondiale, son beau-fils Friedrich Schmidt prit la direction de l'entreprise, jusqu'en 1987.
L'arrivée de Christoph Naacke (qui a écrit l'histoire de la société) coïncida bien sûr avec le retour au "baroque" alors généralisé en Europe. L'entreprise s'appela alors "Giengener Orgelmanufaktur Gebr Link GMBH".
De 1896 à Barembach
L'histore alsacienne de la maison Link commence en 1896. Donc bien après que Walcker ou même Voit eurent posé leurs premiers instruments dans le nouveau "Reichsland".
1896 :
Hochfelden, Eglise protestante
Remplacé par Christian Guerrier (1973).
Malheureusement, le premier orgue Link posé en Alsace (
opus 264) fut une des victimes de la vague "néo-baroque" qui s'était emparée du monde de l'Orgue dans les années 70-80. Il fut démoli pour en récupérer le buffet et quelques tuyaux, afin de réaliser un instrument 100% conforme aux "dogmes" de cette époque (on voulait le même orgue partout, et on "forçait la main" des commanditaires en faisant de la désinformation sur les transmissions pneumatiques ; à nouveau, il convient de rappeler que la responsabilité n'incombe pas aux facteurs - qui n'avaient déjà plus aucun mot à dire - mais bien aux "théoriciens" à qui échut un pouvoir quasi illimité). Et pourtant, ce petit orgue (I/P 7j) ne devait pas manquer de personnalité : il devait beaucoup ressembler à celui de
Gottesheim.
Bien sûr, de nombreuses autres démolitions seront à déplorer sur cette page, la "pensée unique" ayant fait au moins autant de dégâts à notre patrimoine que les guerres. Le souvenir de ces orgues est encore là, même si leurs voix spécifiques manquent cruellement dans le paysage - en Alsace comme ailleurs. Le moment est peut-être venu d'étudier où il serait encore possible de restaurer les petits bijoux des années 1870-1930, dont certains composants sont cachés dans des orgues sans personnalité car "assemblés" dans le seul but d'avoir une composition standardisée et des sommiers à gravures. Une Sesquialtera dans un buffet Link de 1896 est au moins aussi absurde qu'une Voix céleste dans un Silbermann...
[IHOA:p79a]
[ITOA:3p263]
[PMSLINK:p213]
1898 :
Alteckendorf (région de Hochfelden), Eglise protestante d'Eckendorf
Instrument actuel.
Si Alteckendorf est aujourd'hui doté de ce remarquable orgues romantique, c'est grâce à l'engagement de l'organiste V. Huss et du pasteur Michel Spack. L'
opus 295 des frères Link fut leur 6 ème instrument alsacien. Aussi, la maison Wurtembourgeoise avait-elle encore à convaincre : elle était en concurrence avec Roethinger (qui était cher, et dont la réputation n'était pas encore fortement assise) et... Walcker (dont la réputation n'était plus à faire, mais qui proposait un orgue sans buffet de 11 jeux seulement).
[IHOA:p25a]
[ITOA:3p6]
[PMSLINK:p216-24]
[IOLMO:Mo-Sap1618]
[Barth:p137]
1899 :
Imbsheim (région de Bouxwiller), Eglise mixte
Instrument actuel.
L'
opus 306 a été construit dans le buffet d'un orgue Xavier et Ferdinand Stiehr "tardif" (1871) qui avait alors moins de 30 ans : les canons esthétiques de l'orgue évoluaient très vite ! 5 jeux furent malheureusement transformés en 1942 et 1960, et l'orgue a été ré-harmonisé. Le malheureux instrument eut droit à tous les outrages des "néo-baroquisations" extrêmes : Sesquialtera, Cymbale 3 rgs, et... Bombarde en cuivre ! En 1985, l'inventaire trouva l'instrument déposé en raison de travaux au plafond de l'édifice, et affublé d'une composition hétéroclite et absurde. Il vers 2010, cet orgue (II/P 15j)
nécessitait évidemment un entretien d'envergure. Une restauration en l'état de 1899 serait vraiment enthousiasmante !
[IHOA:p84b]
[ITOA:3p80]
[PMSLINK:p225]
G.A. Brandt,
commencement de la Passacaille en Fa Majeur.
1900 :
Ottwiller (région de Drulingen), Eglise protestante
Instrument actuel.
Cet instrument n'avait probablement pas de récit expressif à l'origine. Ottwiller peut s'enorgueillir d'être une des seules communes qui surent apporter à un orgue romantique allemand une modification bien inscrite dans son style originel... Ce fut fait en 1946. Malheureusement, en même temps, "grâce" à un legs, une somme d'argent fut disponible, et fut consacrée à altérer cet instrument, qui, sinon, nous serait peut-être parvenu intact. Seulement trois jeux du récit furent perdus, mais pour cet orgue pas très grand (II/P 10j), cela représente plus du quart de la tuyauterie.
[IHOA:p140a]
[ITOA:4p495]
[PMSLINK:p227]
1900 :
Durrenentzen (région d'Andolsheim), St-Blaise
Instrument actuel.
Comme de nombreux autres, l'
opus 324 eut a payer un tribut à la mode "néo-baroque" : vers 1970, trois jeux ont été transformés (Gambe remplacée par une Doublette, Mixture et Geigenprincipal décalés pour sonner une octave plus aigu). A part cette intervention, il semble avoir été fort bien conservé, et reste représentatif de la production alsacienne des Link (II/P 13j).
[IHOA:p54b]
[ITOA:2p101]
[PMSLINK:p227-8]
1900 :
Geudertheim (région de Brumath), St-Blaise
Instrument actuel.
L'
opus 327
(II/P 9j) n'a jamais été transformé. On y trouve une chape supplémentaire au récit, actuellement inoccupée. Mais comme l'Aeoline est au grand-orgue, on peut se demander si celle-ci n'a pas été déplacée du récit au grand-orgue (où elle remplacerait une Flûte 8' déposée ou jamais posée). Ce très bel instrument (buffet néo-gothique en chêne) a été relevé par Rémy Mahler en 1989.
[IHOA:p64b]
[ITOA:3p197]
[PMSLINK:p228]
[Barth:p199-200]
1900 :
Kirrwiller-Bosselshausen (région de Bouxwiller), Eglise protestante
Instrument actuel.
Une des pires baroquisations commises pendant les "années noires" : 10 jeux sur 16 remplacés, laissant ce malheureux instrument défiguré, méconnaissable. Les jalousies de la boîte expressive ont été éliminées, comme la pédale à bascule. Pour "enfoncer le clou", un des jeux neufs choisis pour remplacer les beaux jeux romantiques a été un Larigot (!). Qu'avait donc fait l'
opus 328 pour mériter une chose pareille ? Heureusement, il semble qu'un projet de réhabilitation soit actuellement à l'étude. Espérons qu'il ne s'agira pas d'un simple relevage !
[IHOA:p92a]
[ITOA:3p312]
[PMSLINK:p228-33]
1900 :
Volksberg (région de Drulingen), Eglise mixte
Instrument actuel.
L'
opus 331 a été logé dans un buffet dont on retrouve le dessin à
Schweighouse-sur-Moder et
Alteckendorf. C'est un instrument caractéristique de sa lignée (II/P 11j) (mais un jeu du récit est placé sur un sommier supplémentaire, ce qui tend à faire croire qu'il n'y avait que 10 jeux à l'origine). Trois jeux actuels ne sont pas d'origine : la Gambe du grand-orgue a disparu, tout comme la Voix humaine, ainsi que le fameux "jeu supplémentaire" du récit (remplacé par une Doublette). La chape de la Gambe du grand-orgue porte une Mixture trop aigüe d'une octave (1'1/3), et un tirant de registre "Mixtur 2 2/3", ce qui laisse penser que cette modification a été faite en deux fois. L'orgue a été relevé en 1993 par Freddy Bauer.
[IHOA:p212b]
[ITOA:4p812]
[PMSLINK:p234]
1900 :
Le Hohwald (région de Barr), Eglise protestante
Instrument actuel.
Le village natal d'Emile Mathis possède deux orgues fort intéressants (l'autre est un Martin et Joseph Rinckenbach de 1905). Celui de l'église protestante est l'
opus 332 de Link (II/P 11j). Il a été plutôt bien conservé (à part la Gambe remplacée par une Doublette et la Voix céleste par un Nasard). Dire que dans les années 1980, il avait été tout simplement question de remplacer cet instrument ! Mais les habitants du Hohwald n'ont pas laissé détruire leur orgue historique : en 1997, il a été relevé par Christian et Jean-Christian Guerrier.
[IHOA:p80b]
[ITOA:3p274]
[PMSLINK:p234-6]
1900 :
Schweighouse-sur-Moder (région de Haguenau), Eglise protestante
Instrument actuel.
Schweighouse est riche d'une tradition organistique qui remonte probablement au 18ème siècle. L'
opus 338 de Link a été logé dans un buffet ressemblant à celui de
Volksberg (le dessin sera repris à
Alteckendorf). Comme beaucoup de ses contemporains, il avait 11 jeux à l'origine (II/P 11j). Une chape supplémentaire a été installée au récit, portant le nombre à 12. Comme beaucoup de ses contemporains, il fut modifié : en 1952, le Salicional et la Voix céleste du récit ont été "recoupées" pour en faire un Nasard et une Doublette ; la chape supplémentaire porte une Tierce de récupération (c'était bien la peine...), et la Mixture, au grand-orgue, est une octave trop aigüe. Il y reste quand même un peu plus de 8 jeux sur 11 d'origine. L'instrument a été relevé en 1990 par Rémy Mahler.
[IHOA:p169a]
[ITOA:4p616]
[PMSLINK:p236-8]
1901 :
La Broque (région de Schirmeck), Eglise protestante
Instrument actuel.
L'
opus 343
(II/P 12j) fut aussi victime d'une baroquisation, très "poussée", puisque 7 jeux sur 12 ont été supprimés ou altérés. Le tirage des jeux se fait par dominos : c'est probablement la première fois. Ce devait être un instrument exceptionnel, à en juger les éléments restants, et par l'impact qu'il eut sur la région. La localité voisine de
Barembach, qui était pourtant équipée d'un orgue fort récent, passa rapidement commande d'un "Link" encore plus grand !
[IHOA:p97a]
[ITOA:3p85]
1902 :
Barembach (région de Schirmeck), St-Georges
Instrument actuel.
Au début du 20ème siècle, Barembach avait probablement un projet musical bien précis, incompatible avec les prestations du "Stiehr tardif" (Théodore, 1886) tout juste installé dans l'église. Lorsque la localité voisine de
La Broque se fit construire un orgue des frères Link, on sut que ce style était exactement ce qu'il fallait pour Barembach ! On conserva le buffet néo-gothique, en chêne, de l'orgue Stiehr. L'
opus 362 est de loin de plus grand Link posé en Alsace jusque là (16j pour le suivant), il est resté remarquablement authentique.
Avec ses 23 jeux, cet orgue Link est aujourd'hui l'un des plus fournis et des mieux conservés d'Alsace. Il constitue l'une des pièces majeures de l'impressionnant patrimoine culturel légué par les toutes premières années du 20ème siècle.
[IHOA:p31a]
[ITOA:3p22]
[PMSSTIEHR:p700-1]
[PMSLINK:p242]
M.J. Erb,
un prélude au Salve Regina sur les Gambes et Voix céleste.
De Strasbourg à Bust
1902 :
Strasbourg, Stift (collège St-Guillaume)
Instrument déménagé à Wildersbach, église protestante.
C'était le 3ème orgue du "Sift" (le séminaire protestant de Strasbourg), succédant au premier positif d'André Silbermann et à un petit orgue Wetzel. L'
opus 368 était conçu comme un orgue d'étude (pas de façade) ; il avait 7 jeux à l'origine (et 6 accouplements), et était installé au 1er étage. A part la Gambe du récit "recoupée" en Nasard, l'ajout d'une Doublette (portant l'orgue à 8 jeux), et la traduction des noms de jeux à la console, cet instrument est resté authentique. Le tirage des jeux se fait par dominos. Cet instrument a été déménagé à
Wildersbach en 1976, où il rejoignit une région déjà riche en orgues Link. Ils y coulent des jours heureux : celui-ci a été relevé en 1991 par Bruno Dillenseger.
[IHOA:p203b,42a,220b]
[ITOA:4p851]
[PMSSTIEHR:p444-6,754]
[VieuxStrasbourg:XIVp75-6]
[PMSLINK:p242-3]
1902 :
Mitschdorf (région de Woerth), Eglise des Rois mages
Instrument actuel.
Cet orgue a été inauguré le 27 juin 1902. Il s'agissait de reconstruire un orgue Moeller datant d'après la Révolution : l'
opus 370
(I/P 7j) n'est donc pas à proprement parler un orgue neuf. Jusqu'ici, même avec 7 jeux seulement, les orgues Link d'Alsace étaient dotés de deux manuels. Celui-ci fait donc exception. En 1926, Schwenkedel posa un Principal 8'. En 1969, le Salicional fut remplacé par une Mixture, et la Flûte 4' décalée en Doublette.
[IHOA:p113a]
[ITOA:3p204]
[PMSLINK:p243-4]
[PMSCS61:p57-65]
1904 :
Soultzeren (région de Munster), Eglise protestante
Détruit lors du bombardement de l'église en 1915. Remplacé par Frédéric Haerpfer (1925).
L'
opus 406 était plutôt conséquent (II/P 17j) par rapport aux autres Link posés en Alsace. La réception a été menée le 26/06/1904 par Hutt (Colmar). L'hypothétique remplacement de cet instrument en 1904 n'a jamais eu lieu. Il fut endommagé en 1915, quand l'église fut pratiquement détruite par faits de guerre. Frédéric Haerpfer en reprit quelques éléments pour construire son orgue neuf, en 1925. Quand on sait ce qui est arrivé à ce dernier en 1970-71, on peut se dire, pour se consoler, que s'il avait été épargné par la guerre, l'orgue Link ne ressemblerait probablement plus non-plus à grand chose...
[IHOA:p177a]
[ITOA:2p431]
[PMSLINK:p244]
Friedrich Wilhelm Franke,
"Neues Choralbuch für die Orgel - 100 Choralmelodien vierstimmig, die Melodie im Tenor".
N.4 : "Ach wie flüchtig, ach wie nichtig".
1904 :
Mulhouse, St-Martin
Instrument actuel.
Avec ses 18 jeux, cet orgue de Mulhouse est le deuxième plus grand Link posé en Alsace. On retrouve le fameux buffet en cinq éléments alternés (
Schweighouse-sur-Moder), avec ici des couronnements pyramidaux et non des chevrons. Il a malheureusement été transformé en 1957 (Cymbale, Rauschquinte, Cromorne...), mais contient encore beaucoup d'éléments Link. Christian Guerrier l'a relevé en 1993 et l'a doté d'une façade en étain. (Il n'a visiblement pas été possible de réparer les dégâts de 1957.)
[IHOA:p119a]
[ITOA:2p277]
[PMSLINK:p245]
[Barth:p268]
1904 :
Hattmatt (région de Saverne), St-Laurent
Instrument actuel.
Terre d'orgues s'il en est, Hattmatt est dotée d'un instrument représentatif du "paysage" alsacien : sur la base d'un petit instrument datant du milieu de 19ème (quand l'orgue conquit les campagnes) a été reconstruit un instrument "romantique allemand" au début du 20ème siècle. L'orgue du 19ème était ici un Stiehr (Frères ; 1858), et le "spätromantik" l'
opus 413 de la maison Link (II/P 16j). 3-4 jeux ont été transformés, par la maison.... Muhleisen (il est vrai que ça a été fait en 1964). Des travaux auraient été menés en 2006, mais nous n'avons pas plus de détail. Espérons que rien d'irréparable n'ait été commis.
[IHOA:p74b]
[ITOA:3p245-6]
[PMSLINK:p246-7]
1905 :
Strasbourg, Chapelle des Diaconesses
Instrument actuel.
L'
opus 414
(II/P 9j) (à l'origine) a été transformé en 1955 : électrification de la traction, et passage à 12 jeux. Le buffet a une architecture originale : un assemblage de tourelles et de plates-faces en chevrons délimitent deux arcs : l'un est occupé par la tuyauterie, et l'autre sert d'accès. La console est latérale, accolée.
[IHOA:p186a]
[ITOA:4p686]
[PMSLINK:p246]
1906 :
Cernay, Eglise protestante Tribune
Détruit au cours de la première guerre mondiale. Remplacé par Georges Schwenkedel (1926).
La bataille dite du Hartmanswillerkopf ne laissa rien de l'
opus 432
(13j). Le pasteur Paul Kopp a raconté l'histoire, particulièrement poignante, de la communauté protestante à cette époque : comment le conflit fit irruption dans les vies, ce jour de Noël 1914, puis l'évacuation, et, au retour en 1918, le désolant spectacle des ruines.
[IHOA:p45b]
[ITOA:2p69]
[PMSLINK:p242]
[MerklinJurine:p1,22]
[PMSSTIEHR:p421,425]
[Barth:p171]
1906 :
Harskirchen (région de Sarre-Union), Eglise protestante
Remplacé par Curt Schwenkedel (1960).
Selon la tradition locale, le superbe buffet abritant cet instrument viendrait de la Hofkirche de Saarbrück. Il fut amené à Harskirchen en 1768. En 1906, la maison Link installa dans ce fameux buffet son
opus 454
(II/P 12j). La console était à fleur de tribune. L'instrument fut endommagé durant la seconde Guerre mondiale, et en 1960, ce ne sont évidemment pas que des réparations qui furent menées : console électrique, sommiers électro-pneumatiques, et 7 jeux sur 12 altérés... La Fourniture présente 6 rangs (!) et est accompagnée d'une absurde Cymbale (le tout pour un clavier fondé sur 8' seulement). La "Doublette" est en fait la Gambe recoupée, et la "Sesquialtera" résulte de l'assemblage du Salicional recoupé en 2'2/3 et du rang de Tierce de l'ancienne Mixture. L'instrument a été relevé récemment, mais une restauration dans l'état de 1906 était probablement hors de portée. La console a été placée latéralement.
[IHOA:p74a]
[ITOA:3p243]
[HOIE:p124-5]
[PMSLINK:p242-3]
1907 :
Muntzenheim (région d'Andolsheim), St-Urbain
Instrument actuel.
Seulement 5 jeux sur 11 survivants, et le buffet démoli ! Ce fut commis au cours de deux "baroquisations" successives qui ont littéralement défiguré l'
opus 460. Les "dommages de guerre" (1950), au lieu de réparer, supprimèrent le buffet (probablement abîmé). Et 1977, ce fut la partie instrumentale qui se vit privée de 5 jeux, remplacés par d'autres, étrangers à l'esthétique de l'instrument. C'est un des rares "Link" du Haut-Rhin, et cet édifice absolument exceptionnel mériterait vraiment de retrouver un orgue cohérent (et avec un buffet).
[IHOA:p122a-b]
[ITOA:2p296]
[PMSLINK:p252-3]
[PMSAEA69:p201-1]
[Barth:p271]
1907 :
Petersbach (région de la Petite-Pierre), Eglise protestante
Instrument actuel.
Paradoxalement, cet
opus 462, construit sur la base (tuyauterie et buffet) d'un orgue Stiehr "tardif" (1875) est aujourd'hui l'un des "Link" les plus authentiques d'Alsace. La transformation de 1907 fut profonde (sommiers neufs, composition romantique tardive) et effectuée alors que l'orgue Stiehr n'avait même pas 20 ans : cela rappelle qu'à l'époque, les goûts avaient radicalement changé.
[IHOA:p140a]
[ITOA:4p496]
[PMSLINK:p253]
1908 :
Furchhausen (région de Saverne), Eglise protestante
Instrument actuel.
La photo manque, malheureusement, mais
opus 490 est un joli témoin authentique de cette belle lignée d'instruments.
Gottesheim (1898) et
Hattmatt (1904) sont à deux pas : preuve que ces orgues plaisaient beaucoup ! A la pédale, le jeu de 16' peut être utilisé par 2 registres différents, pour obtenir une intensité différente. C'est une solution élégante pour un problème très commenté à l'époque : comment faire pour adapter l'intensité des graves à toutes les registrations ? Relevé en 1978 par Christian Guerrier et en 1989 par la maison Alfred Kern, cet instrument (II/P 8+1j) présente un très grand intérêt historique et musical : un telle composition (inaltérée) est devenue très rare, et donc fort précieuse.
[IHOA:p63a]
[ITOA:3p189]
[PMSLINK:p253-4]
1908 :
Lingolsheim (région d'Illkirch-Graffenstaden), Eglise protestante
Remplacé par Gaston Kern (1999).
L'
opus 496
(II/P 15j), a été supprimé en 1999, parce que, lit-on, il était trop sensible au chauffage (!) qui l'avait rendu muet. (Ses membranes n'avaient vraisemblablement pas été changées en 80 ans ; ce qui est quand même une longévité exceptionnelle pour une pièce d'usure !) Mais on se souvient qu'à l'époque, tout prétexte était bon à prendre pour construire des instruments "mécaniques" partout. L'opus 496 avait une Trompette de récit (avec une Fugara) et une "Mixtur-cornett" (progressive) au grand-orgue ; s'il avait été conservé, ce serait aujourd'hui un orgue remarquable. L'instrument actuel est plein de qualités ; mais l'esprit 1900 (celui de l'édifice) a bien sûr disparu, tout comme la "magie" et les attachantes originalités de l'époque "spätromantik".
[IHOA:p103b]
[ITOA:3p341-2]
[PMSLINK:p254]
1909 :
Drulingen, Eglise protestante
Instrument actuel.
L'
opus 499
(II/P 14j) devrait faire prochainement l'objet de travaux. Il est resté authentique, sauf la façade et deux jeux qui ont été "recoupés" en 1957. Son buffet est original. A part la façade, remplacée en 1923, et une Quinte 2'2/3 (occupant visiblement la chape de la Voix céleste, puisqu'il n'y a pas d'octave grave) (et peut-être l'Octave 2' du grand-orgue), cet orgue est resté authentique. Il mériterait vraiment de retrouver son jeu d'origine au récit, ce qui lui rendrait sa totale intégrité.
[IHOA:p53a]
[ITOA:3p128]
[PMSLINK:p254]
August Wilberger (1850 - 1928). Interlude.
Extrait des "Orgelstucke moderne Meister", choisies par Johannes Diebold, 1907.
Derniers travaux
1912 :
Waltenheim-sur-Zorn (région de Hochfelden), Eglise mixte
Instrument actuel.
Il s'agissait ici de reconstruire un orgue Roethinger de 1896, qui avait cessé de fonctionner après 4 ans seulement. L'
opus 567
(II/P 14j) contenait donc naturellement de nombreux tuyaux Roethinger. Le moins qu'on puisse dire est que cet orgue n'a pas été épargné par l'histoire. La cause n'en fut pas les obus ou la foudre, mais plusieurs interventions absurdes, menées entre 1959 et 1983 ; le malheureux instrument fut complètement défiguré : au grand-orgue, Bourdon 16' décalé en 8', Quinte, Doublette, "Terz 1'1/3" (sic), et Mixture reconfigurée (décalée vers l'aigu d'une octave et demi !). A récit, un 8' décalé en 4', un 4' décalé en 2', "Zimbel 2 rgs" (!) et Trompette, les jeux "neufs" étant un assemblage de "tuyaux de rencontre" (comme disait pudiquement Wetzel). L'inventaire des orgues de 1986 note
"Tuyauterie : hétérogène et plusieurs fois transformée". Pourtant, en 1912, ce devait être un bien bel instrument de musique !
[IHOA:p214b]
[ITOA:4p880]
[PMSLINK:p255]
1912 :
Berstett (région de Truchtersheim), Eglise protestante
Instrument actuel.
L'
opus 568
(II/P 13j) est logé dans un buffet de Martin Wetzel (1846). Ce n'est pas moins de 7 jeux qui furent remplacés ou "recoupés", au cours de deux désastreuses interventions, qui laissèrent cet orgue non seulement méconnaissable, mais doté de tuyaux Silbermann qui n'ont aucun sens dans un instrument de cette esthétique sonore, et seraient sûrement bien mieux ailleurs. Vestiges des agissements désordonnés et inconséquents de la seconde moitié du 20ème siècle : au grand-orgue, le Gemshorn transformé en Flûte conique, la Mixture-tierce grave remplacée par une Fourniture de Silbermann (!), 1718, sur 1' (donc 1 octave et demi trop aigüe ; elle a heureusement, depuis, repris la direction l'orgue de Strasbourg, Sainte-Aurélie, qu'elle n'aurait jamais dû quitter). Au récit, ce fut pire : l'indispensable Gambe a été recoupée pour en faire un Prestant, une Doublette de Silbermann (décidément...) a été placée en 1950, l'Aéoline a été recoupée pour en faire une absurde Tierce, et, comble du mauvais goût, une Cymbale (1/2') a achevé de défigurer ce plan sonore. A la pédale, l'indispensable Gambe 8' (Violoncelle) a aussi été traitée à la pince coupante, pour en faire un inutile 4'. L'orgue a été relevé en 2011, mais réparer toute cette incroyable série de mutilations était fort probablement hors de portée. (Que faire quand on hérite des dégâts de tant d'errements ?) Ce pauvre instrument est donc resté dans un configuration incohérente : on attendra des jours meilleurs, s'ils arrivent.
[IHOA:p36a]
[ITOA:3p39]
[PMSLINK:p257]
Les travaux désignés par "Opus 598" ne correspondent pas à un orgue neuf mais à l'ajout d'une pédale indépendante (1 seul jeu) au petit orgue Stiehr-Mockers, 1854 de Gimbrett. Ces travaux, réalisés en 1913, furent défaits en 1978.
L' "Opus 611" est encore moins significatif : il s'agissait juste de déménager l'orgue de Bischheim dans le choeur de l'édifice. (Il retourna en tribune en 1942.)
1915 :
Menchhoffen (région de Bouxwiller), Eglise mixte
Remplacé par Christian Guerrier (1984).
L'
opus 612
(II/P 12j) remplaçait un orgue Wegmann construit en 1952. Malheureusement, ce dernier avait été installé dans un buffet de François Callinet (Fegersheim 1803), et ce buffet fut une nouvelle fois ré-utilisé en 1915 pour abriter l'orgue Link. Il n'en fallut bien sûr pas plus pour justifier la suppression de l'orgue post-romantique et son remplacement par un instrument "standard" des années 80 (les seuls alors jugés dignes d'occuper un buffet "historique"). Il reste d'intéressant... un joli buffet.
[IHOA:p110b]
[ITOA:3p373]
[HOIE:p27,182-3]
[PMSLINK:p258]
[PMSWEG:p307,319-21]
[PMSSTIEHR:p534-5]
1916 :
Forstfeld (région de Bischwiller), Eglise mixte
Instrument actuel.
C'est a Forstfeld que fut posé, en 1916, le dernier orgue Link d'Alsace. L'
opus 620
(II/P 11j) est logé dans le joli buffet de l'orgue précédent (un petit Stiehr-Mockers de 1839). Il a été légèrement modifié (suppression d'un rang au "Kornett", et deux 2' correspondant probablement à de beaux 8' accordés avec une pince coupante...), puis il fut totalement abandonné en 1988, au bénéfice d'un machin électronique. A l'époque, le devis produit pour l'orgue avait atteint une somme astronomique (gageons qu'au lieu de demander un simple relevage, et peut-être la restauration des deux jeux mutilés, on a fait chiffrer une "reconstruction" en mécanique...) Mais, grâce à cela, l'orgue Link de Forsfeld a été préservé, et il se pourrait bien que l'on y écrive prochainement une des belles pages de l'orgue alsacien : une association se serait constituée, visant à restaurer le dernier construit des Link d'Alsace.
[IHOA:p61a]
[ITOA:3p179]
[PMSLINK:p258]
[PMSSTIEHR:p283-5]

La plaque d'adresse à Scharrachbergheim (2/2).
L'héritage alsacien des Link
La maison de Giengen dédia donc 48 de ses opus à l'Alsace, représentant 46 orgues. Cela se fit de 1896 à 1916. Il s'agit d'un patrimoine exceptionnel, constitué d'orgues très élaborés, à la fois lors de leur conception et de leur réalisation, et de grande valeur. La richesse de leurs timbres et leurs possibilités sonores sont à chaque fois surprenants. Une vingtaine ont été détruits par les guerres ou par l'ignorance. Ce qui caractérise avant tout les survivants, c'est une "ambiance" envoûtante, caractéristique de cette époque (1897-1914) où le monde aspirait à la modernité et au partage, mais bascula tout de même dans la haine, le malheur et la destruction. Pourtant, il y avait eu beaucoup de personnages de bonne volonté, dénués de nationalisme, et au contraire bien décidés à rendre le monde meilleur par l'expression la diversité. La maison Link était francophile (sa documentation en témoigne), et, si les compositions de ses orgues sont très "typées" - car issues d'une exigence particulière pour l'exécution d'un répertoire bien spécifique - ses oeuvres ne sont absolument pas le fruit d'un prosélytisme "romantique allemand". Il s'agit de réelles contributions à un environnement artistique qui se voulait diversifié, libre de frontières, et assumant ses spécificités. L' "orgue unique" était une aberration inconcevable : tout opus dans les années 1890-1914 était un petit pas (Fortschritt) vers une facture que l'on voulait meilleure. Et chacun était différent.
Outre leur "aura" historique, ces instruments se distinguent par leur harmonisation : sa qualité, mais aussi un passionnant "système" progressif, fortement théorisé. A chaque fois, quand il n'a pas été dénaturé par un fatras de Tierces et de Cymbales, il offre une merveilleuse découverte à l'oreille curieuse. Ces instruments font "un tout", chaque jeu étant d'abord le membre d'une équipe sonore, avec son propre "territoire" expressif. Comme un bon "mix" moderne, ils exploitent un axe "spatial" (position dans le buffet), un axe "harmonique" (utilisation du spectre de fréquences) et un axe "volume" (intensité). Il s'agit de rendre chaque composante "lisible" (identifiable), puis de la disposer dans un plan d'ensemble.
C'est pour cela que, dans un tel instrument, la présence d'un ou plusieurs jeux "baroques" est désastreuse : l'édifice entier est ruiné. Les "petits jeux" dont ont été affublés la plupart de ces orgues entre 1970 et 1990 sont en fait des 8 pieds d'origine "recoupés". Or, un tuyau, c'est facile à couper (c'est même fort rentable à faire vu le matériau que l'on récupère), mais évidemment très coûteux à rallonger... Il faut donc espérer que, peu à peu, la prise de conscience de la valeur de ces orgues s'affermissant, des projets soient lancés pour leur rendre leurs jeux d'origine.
Sources et bibliographie :