A Barembach, le souvenir laissé par les années 1870 est un peu différent que dans le reste de l'Alsace. En effet, en 1875, un énorme incendie ravagea une grande partie de la localité. L'église fut reconstruite en 1879, puis dotée presque successivement de deux orgues neufs. Du premier, il reste le buffet néo-gothique, car l'instrument lui-même ne donna pas satisfaction. Le second, œuvre des frères Link de Giengen-an-der-Brenz, a été remarquablement bien conservé, et fait donc partie de la belle lignée d'orgues post-romantiques construits en Alsace au tout début du 20ème.
Historique
Onze ans après l'incendie (7 ans après l'achèvement du nouvel édifice), soit en 1886, Théodore Stiehr posa à Barembach un instrument neuf, logé dans un très beau buffet néo-gothique en cinq parties. [IHOA] [ITOA]
La vieille et respectable maison de Seltz (qui était en concurrence avec Charles Wetzel) avait proposé deux devis, dès 1881. Aucun ne souleva l'enthousiasme, puisque l'affaire fut par deux fois revue à la baisse. Il est probable que ce soit la composition suivante - mais très certainement réduite à 22 jeux (d'après une délibération du conseil de fabrique) - qui ait été réalisée : [PMSSTIEHR]
L'étendue des claviers était presque certainement de 54 notes (C-f'''), et 27 notes à la pédale. Pour passer de 25 à 22 jeux, on a sûrement renoncé au 4' de pédale et à deux jeux du grand-orgue (Salicional, Doublette, ou même peut-être le Cornet : voir Westhouse ou Schweighouse-sur-Moder).
On retrouve, dans la composition du projet, le trio Doublette/Cornet/Fourniture, qui fait encore très "pré-romantique". (Une lecture "post-symphonique" - avec 40 ans d'avance - est exclue quand on connaît le caractère extrêmement conservateur de la maison de Seltz). Le récit était expressif, mais peut-être seulement muni une boîte à deux positions. Et il y avait les fameuses pédales "piano" et "forte" que l'on retrouve sur de nombreux orgues Stiehr (comme à Barr par exemple) et qui permettent d'ajouter ou de retrancher des jeux "forts". Au récit, il n'y avait probablement pas de Voix céleste, car le "Jeu céleste" de Stiehr est en fait souvent un simple Salicional. Comme il n'y a pas d'autre Gambe pour "adosser" un ondulant, ce "Jeu céleste" ne l'était probablement pas. Sinon, sur le papier, l'instrument avait l'air plutôt "de son temps".
Historique
Quelques années après l'achèvement du premier orgue, on demanda à la maison Gebrüder Link de renouveler complètement la partie instrumentale. Ce fut fait en 1902, et constitua l'opus 362 de la maison de Giengen-an-der-Brenz. [IHOA] [ITOA]
Que s'était-il passé avec l'orgue Stiehr ? Il est peu probable qu'il fut victime de dégâts (cela aurait laissé plus de traces, surtout que le buffet a été conservé). L'hypothèse la plus probable est que l'orgue de Théodore Stiehr ne convenait pas à l'usage qu'on voulait en faire. Au début du 20ème, cet instrument était déjà d'un autre âge ! Il était tout d'abord dépourvu d'une console indépendante (pratiquement indispensable en ce début de siècle, pour pouvoir accompagner un chœur et diriger en même temps). Les bruyantes et rustiques mécaniques, même si on les déclarait robustes (sauf quand elles cornent...), devenaient difficilement supportables. En fait, Barembach avait probablement un projet musical bien précis, incompatible avec les prestations du "Stiehr tardif", et qui avait peut-être trouvé son incarnation en 1901, lorsque la localité voisine de La Broque s'était fait construire un orgue des frères Link très réussi. C'était exactement ce qu'on voulait à Barembach, mais en plus grand ! On conserva le buffet néo-gothique, en chêne, de l'orgue Stiehr, et des tuyaux comme "base de travail", mais guère plus. Décidément, la maison de Seltz, qui avait eu son heure de gloire à l'époque dite "de transition" (avec les Callinet et Valentin Rinkenbach) et la première façon du romantique alsacien, n'était plus du tout en phase avec les goûts des deux dernières décennies du 19ème siècle et des années qui suivirent.
C'était de 19ème orgue Link livré en Alsace. De nombreux tuyaux, bien sûr, proviennent de l'orgue Stiehr, et on peut dire que la maison de Seltz servit finalement ici essentiellement de tuyautier. (Ce qui n'est pas péjoratif, la matière et la façon étant de grande qualité, il eut été absurde, en 1902, de tout refaire.) Bien entendu, ces jeux ont été harmonisés pour le nouvel orgue.
Une des caractéristiques de ce style est un grand équilibre de composition entre le grand-orgue et le récit. A part quelques exceptions, chaque jeu du grand-orgue a un alter-ego moins intense au récit. La Trompette est au grand-orgue, et on trouve au récit une Mixture-Tierce (Cornett-Mixtur), qui du coup est expressive. On la retrouve à Scharrachbergheim-Irmstett (1906), où, là aussi, elle constitue une caractéristique très intéressante de l'instrument.
Une fois de plus, on découvre un instrument alsacien issu de la période allemande qui dispose de nombreuses caractéristiques de l'orgue romantique français : commandes au pied, nom de plusieurs jeux en français. Et il est fort réussi ! Loin de l'image stéréotypée (et décidément fausse) d'une Belle époque alsacienne soumise à l'impérialisme culturel allemand, mené par des "Altdeutschen" chargés de germaniser les esprits et favoriser les fournisseurs allemands, les faits font voir des réalisations plutôt "francophiles". En tous cas menées par des maîtres d'œuvre à l'esprit ouvert et appréciant la diversité. On a l'impression que ces considérations "politiques" sont plutôt un préjugé de la seconde moitié du 20ème siècle. Les motivations originelles étaient probablement 100% esthétiques, à en juger - tout simplement - du résultat : si ces choix ont été faits, ce n'est pas dans une logique opposant "Français" et "Allemand", ni même une volonté de "synthèse". A chaque fois, on a retenu la solution la plus adaptée à l'instrument que l'on voulait réaliser.
En 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités. [ITOA]
En 1922, c'est Joseph Rinckenbach qui remplaça la façade. [ITOA]
En 1997, Bruno Dillenseger fit un relevage, avec réparation de la Trompette manuelle et de la Bombarde. [IHOA]
Le buffet
Il s'agit du buffet néo-gothique, en chêne, de l'orgue Théodore Stiehr de 1886. Cinq plates-faces - la centrale, plus grande, jouant le rôle de "tourelle" - sont ornées de la même façon : tri-lobes, rosaces, pinacles et tympans néo-gothiques ajourés et munis de crochets. Les chevrons sont aussi munis d'une amorce de "galerie", dont le style néo-gothique est friand. Il y a aussi des petites jouées, non ajourées. Une double frise parcourt la ceinture du buffet. Le soubassement est orné d'arcs brisés où sont inscrits des tri-lobes, le tout supporté par des colonnettes tournées. Balustrade de tribune du même style.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers. Ils sont repérés par des porcelaines placées sur un grand chanfrein. Elles sont rondes à liséré doré, et font apparaître le nom des jeux en lettres gothiques, dont les capitales sont enluminées. Les porcelaines du grand-orgue sont jaunes, celles du récit ont un fond bleu pâle, et celles de la pédale un fond rose. Selon une habitude de la maison Link, le nom des jeux est préfixé par le plan sonore (e.g. "II.M. Principal 8'"). Claviers blancs. Joues moulurées. Il y a un tirant avec une porcelaine verte disant "Motor", qui est exactement du même style que les autres.
Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher. (L'orgue romantique allemand préfère pourtant généralement les commandes manuelles : ceci est sûrement du "sur-mesure".) Elles sont en fer forgé piqué, placées du côté droit de la console (à partir du "A" du pédalier), et repérées par des porcelaines carrées blanches. De gauche à droite : "COPPLUNG II. MAN.Z. I. MAN." (II/I), "COPPLUNG I. MAN. Z. PEDAL" (I/P), "COPPLUNG II. MAN. Z. PEDAL" (II/P). Puis vient la pédale basculante d'expression, tout à droite et légèrement tournée vers le centre, repérée "SCHWELLTRITT". Commande des combinaisons fixes par quatre pistons en bois munis d'une pastille terminale blanche (la 4ème manque), situés en haut et au centre de la console, au-dessus du second clavier. Ils sont repérés par des porcelaines. De gauche à droite : "Piano", "Mezzo-Forte", "Tutti", "Auslösung" (annulateur).
Comme souvent chez les Link, la plaque d'adresse est en plusieurs éléments. Les deux principales sont noires à lettres métalliques. Elles sont placés au-dessus du second clavier, à gauche et à droite des pistons de combinaison, et disent respectivement :
Au centre, entre les deux claviers, une porcelaine blanche rectangulaire :
Contrairement à la console de l'église protestante du Hohwald - qui a une disposition très voisine -, il n'y a pas de plaque donnant l'année de construction.
L'intégralité de la console a l'air d'origine.
pneumatique.
à cônes, canaux par jeux (Kegelladen / Registerkanzelle).
Avec ses 23 jeux, cet orgue est aujourd'hui l'un des Link d'Alsace les plus fournis et les mieux conservés. Il constitue l'une des pièces majeures de l'impressionnant patrimoine culturel légué par les toutes premières années du 20ème siècle. A la fin du 20ème siècle (et au début du 21ème) ces instruments eurent à souffrir de la mauvaise réputation donnée à la transmission pneumatique par les facteurs qui ne savaient pas les entretenir, par manque de compétences. Aujourd'hui, heureusement, ces compétences sont à nouveau disponibles, et les instruments de l'époque sont peu à peu redécouverts et mis en valeur comme ils le méritent.
En raison de sa genèse complètement atypique, cet orgue est unique. Et vraiment attachant. En tous cas, il fait partie de ceux qui ont une histoire à raconter. Il faut le découvrir pour continuer à appréhender l'incroyable richesse et diversité du patrimoine alsacien.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Thierry Hassler.
Photos du 16/06/2019.
Photos prises en 08/2012.
Pour mémoire seulement. L'article sur Barembach fait... 4 lignes, et on peut dire que l'auteur, enfermé dans ses préjugés, et horrifié à l'idée que l'on ait pu préférer un instrument de 1902 à un Stiehr, "passe complètement à côté".
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