Cet orgue est l'un des trop rares survivants de la "première façon" d'Edmond-Alexandre Roethinger. C'était avant la "Réforme alsacienne de l'orgue" dont le facteur de Strasbourg-Schiltigheim sera par la suite le porte drapeau. L'instrument est contemporain de la genèse de l'ouvrage d'Albert Schweitzer "J. S. Bach, le musicien-poète" (paru en 1905) ; il a un intérêt historique considérable.
Historique
En 1900, Edmond-Alexandre Roethinger posa à Neuviller son opus 21. [IHOA]
L'édifice, néo-roman, avait été reconstruit en 1858, et fut d'abord doté d'un harmonium. En 1897, on songea à acquérir un orgue, en optant pour un instrument d'occasion, car celui de l'ancienne église protestante de Saverne était disponible. Il avait été fourni par Georges Wegmann en 1847. Mais le pasteur Gustave Kopp ne voulait pas d'une solution "à l'économie" : grâce à son engagement, il put réunir suffisamment de dons et de subventions pour pouvoir faire construire un orgue neuf.
Sa première idée était de s'adresser à Franz Xaver Kriess, qui lui rédigea un devis pour un orgue 12 jeux. Ce devis servit pour collecter les dons. L'industriel Jacquel, de Natzwiller, contribua, tout comme le conseil municipal de Neuviller, ainsi que le gouvernement allemand (07/12/1898, qui accorda plus que ce qui avait été originellement demandé). Mais on fit également faire un devis par Roethinger, qui, bien qu'il fut un peu plus cher (3800 Marks au lieu de 3740), a été retenu par le conseil presbytéral le 26/09/1898. [PMSAM84]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [PMSAM84]
Hélas, il y une une transformation, menée en 1963 par Ernest Muhleisen. La malheureuse Voix céleste du récit a été découpée pour en faire une sorte de Quinte 2'2/3. [ITOA]
Lors de sa visite, en 1966, Pie Meyer-Siat ne se rendit pas compte de cette transformation ! Il rapporte que l'orgue est authentique, sauf la façade. [PMSAM84]
Caractéristiques instrumentales
C | c' |
2'2/3 | 2'2/3 |
2' | 2' |
- | 1'3/5 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines centrales, placés en ligne au-dessus du second clavier, sans espace entre les plans sonores. Les porcelaines ont un fond bleu pastel pour la pédale, rose pour le récit, blanc pour le grand-orgue et jaune pour les accouplements. Claviers blancs.
Commande des combinaisons fixes par 4 pistons, placés au centre en-dessous du premier clavier. L'annulateur "A." est à droite, et permet le retour à la registration manuelle.
Toute la console est authentique.
Comment souvent chez Roethinger, la plaque d'adresse est constituée de plusieurs éléments. A droite, une plaque métallique grise à lettres noires :
Et, entre la plaque et les dominos : une porcelaine rectangulaire blanche :
A gauche, une autre plaque métallique grise à lettres noires :
Et, entre la plaque et les dominos : une porcelaine rectangulaire blanche à lettres gothiques noires :
pneumatique tubulaire.
à cônes, chromatiques (basses à gauche), prévus pour C-f''' à l'origine, et complétés. (54+2 notes.)
Le système de pompes à pied, dont les pédales émergent du côté droit du buffet, a été conservé.
C'est donc un orgue post-romantique très authentique qu'on trouve à Neuviller-la-Roche. Outre son évident intérêt musical, il a acquis une grande valeur historique : il ne nous reste pas beaucoup d'instruments de la période "pré-réforme alsacienne de l'orgue". Or, comment expliquer une réforme de l'orgue sans se souvenir de ce qu'il y avait avant ? Si son presque contemporain dans la production de Roethinger de Woerth (1898, opus 11) est fort justement classé monument historique, force est de constater que parmi ses 20 prédécesseurs, seulement 6 ou 7 sont encore jouables, dont 4 gravement mutilés par des transformations. Seulement deux ont été détruits par faits de guerre. Le reste a été éliminé par les experts qui ont décrété que "les instruments de la période allemande ne valent rien".
Bien que placé en tribune, l'instrument est l'héritier direct des orgues "de chœur" longuement élaborés au cours du 19ème, et que Schweitzer a étudiés au moment de définir son orgue d'accompagnement "idéal" pour St-Thomas (achevé en 1905). En enrichissant peu à peu la palette de jeux de fonds en 8', ces instruments ont démontré qu'on pouvait concevoir l'orgue autrement qu'en restant enfermé dans les "canons" du 18ème. Ils sont de plus remarquablement adaptés aux acoustiques courtes. Et celui de Neuviller-la-Roche en est le parfait exemple.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Mr le pasteur Fabien André.
Photos du 27/06/2020 et données techniques.
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