Cet orgue exceptionnel est l'opus 11 de la maison Roethinger. Ce fut pour Edmond-Alexandre le réel envol de son entreprise, qui lui permit d'affirmer son credo esthétique. A part la façade, réquisitionnée en 1917, et remplacée en 1922, l'instrument est resté entièrement authentique. Il représente une page incontournable de l'histoire de l'orgue alsacien.
Et Woerth, dans le monde de l'Orgue, c'est aussi la localité où exerce Joël Klein, tuyautier qui a repris en 1987 l'entreprise fondée en 1962 par son père Hermann à Lembach (c'était un ancien collaborateur de Schwenkedel) ; elle est installée à Woerth depuis 1964, et inscrite sur la liste des "entreprises du patrimoine vivant".
Historique
En 1898, Edmond-Alexandre Roethinger posa à Woerth son opus 11, logé dans un superbe buffet néo-gothique sculpté par Oscar Hettich, de Haguenau. C'était le premier orgue de l'église catholique. L'instrument, rapidement reconnu comme un chef d'œuvre, est d'un style romantique germanique tardif ("Spätromantik") plutôt affirmé. Mais on trouve au récit un Hautbois et une Voix humaine. [IHOA] [Barth]
Roethinger mettait ainsi fin, en 1898, au quasi monopole du "boss" de l'orgue romantique alsacien, Martin Rinckenbach. La maison d'Ammerschwihr avait encore pas mal d'avance, surtout en ce qui concerne la tuyauterie, mais, d'un autre côté, elle ne se mit au pneumatique de l'année suivante (1899). Roethinger a osé placer ici une transmission pneumatique, qui offrit... plus de 120 ans bons et loyaux services sans le moindre entretien exceptionnel d'envergure. La jeune maison de Schiltigheim a donc prouvé qu'elle savait faire des "Walcker alsaciens", c'est à dire exactement les orgues désirés par une grande partie des musiciens de l'époque.
En 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnées par les autorités. [IHOA] [ITOA]
La façade a été remplacée (par des tuyaux en zinc) en 1922. [ITOA]
La partie instrumentale a été classée Monument historique le 13/09/1982. En 1987, Alfred Kern fit un relevage. [IHOA] [Palissy] [FLechene]
L'historique est donc exceptionnellement court. C'est révélateur des orgues qui ont eu du succès, qui ont été appréciés pendant des décennies, et dont la fiabilité a permis d'éviter toute intervention majeure.
Le buffet
Le buffet néo-gothique a été sculpté par Oscar Hettich (Jean Weyh est l'auteur du reste du mobilier de l'édifice ; il a quand même construit des buffets, par exemple celui du malheureux orgue d'Andlau). [Palissy]
Très élancée, cette boiserie respecte les standards du style (voir sa parenté avec Moosch, mais ici, l'ensemble est réalisé avec beaucoup plus de virtuosité) en proposant quelques spécificités. Trois tourelles, la plus grande au centre, encadrent deux plates-faces doubles. Les tourelles latérales sont en tiers-point, alors que la centrale, plus volumineuse, est prismatique, sur la base d'un demi-hexagone. Les couronnements sont largement ajourés. Chaque tourelle latérale porte 10 pinacles ornés de crochets, la plupart reliés à l'ensemble par des "arc-boutants". (Pour la tourelle centrale, c'est 16 pinacles.) Les jouées sont peut-être inspirées de ce que faisait Klem à la même époque. (Ensisheim par exemple.) Frises, volutes géométriques rappelant la pierre taillée (et non le monde végétal) rompent résolument avec le style classique.
Caractéristiques instrumentales
C | c' |
2'2/3 | 2'2/3 |
- | 1'3/5 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle incliné. Tirants de jeux de section ronde, à pommeaux tournés munis de porcelaines, disposés en ligne au-dessus du second clavier. Nom des jeux calligraphiées en "gothique" (approchant "Wilhelm Klingspor Gotisch" ; mais cette dernière police de caractères n'a été publiée qu'en 1925), porcelaines blanches pour le grand-orgue et les accouplements, roses pour le récit, et vertes pour la pédale.
Commande des combinaisons fixes par pistons situés sous le grand-orgue. Ils sont brun clair, avec une petite porcelaine frontale blanche. De gauche à droite : l'annulateur ("A"), puis "Piano", "Mezzof", "Forte" et "Tutti".
Porte-partitions amovible, monté sur glissières. Les joues de la console sont ornées de motifs néo-gothiques.
La seule commande à pied est la pédale d'expression du récit, placée tout à droite.
Plaque d'adresse noire, disant :
pneumatique tubulaire, notes et jeux.
à cônes. Le grand-orgue est diatonique en "M" (basses au centre). La pédale est également diatonique en "M", placée derrière le grand-orgue (la passerelle d'accord est commune). Le récit est tout au fond, environ 1m plus haut que le grand-orgue, chromatique, avec les basses à droite.
Pour qui aime les orgues, visiter celui de Woerth est une expérience unique. C'est une étape fondamentale de l'histoire de l'orgue alsacien : l'envol de la maison Roethinger. Une maison à laquelle, rappelons-le, tous les autres facteurs alsaciens majeurs du 20ème siècle sont apparentés, car ils y ont travaillé ou appris leur métier.
Reste que... la poussière a fait son œuvre, et cet instrument nécessite aujourd'hui (2020) un bon relevage complet. Cela permettrait de le remettre en valeur, et de lui rendre la place qu'il mérite dans le patrimoine alsacien.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Marie-Claire Léopold.
Photos du 19/08/2020 et données techniques.
Photos du 07/07/2012.
Localisation :