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Les orgues de la région de Saverne
Saverne, église protestante
1917 degr > Dégâts
Partie instrumentale classée Monument Historique, 31/03/1994.
L'orgue Walcker de Saverne, le 15/08/2003.L'orgue Walcker de Saverne, le 15/08/2003.

Le Walcker de l'église protestante de Saverne est l'un des orgues les plus marquants du patrimoine alsacien. Cet instrument posé en 1897 fait un peu écho à celui de Husseren-Wesserling, le premier orgue romantique d'Alsace, posé 40 ans plus tôt, également par la maison Walcker. En 40 ans, beaucoup de choses ont changé, à commencer par l'émergence du "Spätromantik", les couleurs qui vont bientôt inspirer Reger ou Karg-Elert, et qui ont aussi servi lors de la "redécouverte" de Bach. Certes, l'orgue de l'église protestante de Saverne est originaire de Ludwigsbourg (Ludwigsbourg - Saverne : 160km). Mais sa genèse a été supervisée par Ernest Münch, et, surtout, la maison Walcker adaptait ses œuvres au contexte local. C'est donc un Walcker spécifiquement alsacien que l'on trouve ici.

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L'orgue George Wegmann,
1847
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Historique

Dans l'ancienne église protestante de Saverne, au "Schleiferweg" (sur un terrain de l'industriel G. Goldenberg, aujourd'hui rue du Zornhoff), il y avait déjà un petit orgue, construit par George Wegmann. Il datait de 1847, l'année même de l'achèvement de l'oratoire. Notons que la paroisse protestante n'était pas encore officiellement créée. [IHOA] [IHOA]

L'intérieur de l'oratoire de Saverne vers 1860.
Lithographie d'Emile Lemaître, d'après un dessin de J.J. Kolb.
On peut comparer le buffet à celui de  (1845).L'intérieur de l'oratoire de Saverne vers 1860.
Lithographie d'Emile Lemaître, d'après un dessin de J.J. Kolb.
On peut comparer le buffet à celui de Berg (1845).

Les maisons Stiehr et Martin Wetzel avaient fourni des devis, mais c'est celui de Wegmann qui fut retenu. Après quelques ajustements, voici la composition sur laquelle on s'était mis d'accord :

L'instrument nécessita déjà des réparations en 1865, menées par les frères Wetzel : soufflerie et ressorts. [PMSCS94]

Comme une nouvelle église protestante était en construction, le directoire décida le 06/09/1897 de vendre l'ancien mobilier, y-compris l'orgue. [PMSCS94]

Mais, bien entendu, il ne fut pas facile de trouver preneur pour un instrument aussi "vielle école" et limité (pédalier de 18 notes). On essaya d'abord de le vendre à Klingenthal (qui préféra garder son petit Wetzel), puis à La Broque. Là-bas, le pasteur Sigwalt, en charge de la construction de la nouvelle église, répondit : "Ihre Orgel ist hier nicht anwendbar, weil wir Zwillingsorgel nothig haben, damit die hintere Rosette nicht verdeckt wird" ("Votre orgue ne convient pas ici : il nous faut un buffet en deux parties pour ne pas cacher la rosace du fond"). En fait, le pasteur Sigwalt avait d'autres ambitions pour La Broque, puisqu'en 1901, la maison Gebrüder Link y posa un bel orgue de 12 jeux avec deux manuels (et pédale complète). [PMSCS94]

Puis l'orgue Wegmann fut proposé à Neuviller-la-Roche. Le pasteur Kopp n'avait pas de rosace à présenter comme prétexte pour décliner l'offre, et ne chercha pas d'excuse. C'est Edmond-Alexandre Roethinger qui y posa un très joli petit instrument en 1900. Là aussi, avec 12 jeux, deux manuels, et pédale complète. En désespoir de cause, on se résolut à ne plus vendre l'instrument, mais à le donner. C'est ainsi qu'il fut proposé gratuitement à Monswiller. Mais on y demandait pas l’aumône, puisqu'on se paya l'opus 137 de la maison Dalsetin-Haerpfer dès 1899. (14 jeux, avec Trompette harmonique...) [PMSCS94]

De fait, plus personne ne voulait de ces instruments trop approximatifs, trop limités. Le petit orgue fut tout de même vendu... pour le prix des matériaux, à la maison Sinn, fabriquant des poêles et des fourneaux à Saverne. On a coutume de dire que les orgues remplacés ont fini à la chaudière ; là, c'est plutôt en chaudière. [PMSCS94]

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Historique

L'édifice actuel a été achevé en 1897, et c'est la même année que la maison Eberhard Friedrich Walcker y posa son opus 793. [IHOA]

L'entreprise de Ludwigsburg était alors dirigée par les fils d'Eberhard Friedrich, ce dernier étant décédé en 1872.

Orgue et édifice sont donc totalement contemporains, et idéalement assortis. C'est Ernest Münch qui a conseillé de choisir Walcker. Voici la composition figurant dans le "Walcker Opus Buch" (données complétées par ce qui a été réalisé) :

Composition, 1897
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
Sapin, puis poirier
Etain
Sapin, puis poirier
Sapin, puis poirier ; ouverte
Etain à 45%
C-H en spotted
Etain
Etain à 45% (=spotted)
Etain ; avec Tierce
Etain
Piston
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
C-H en sapin, puis étain
Bois sauf gis''-g'''
Bois ; ouverte
Etain à 45%
Etain à 45%
(c-g''')
Etain à 45%
Poirier ; harmonique sur c'-g'''
Etain ; ou Hautbois ?
Etain
Pédale, 30 n. (C-f')
Bois
Bois, ouverte
Basses en bois ; ouverte
Etain à 45%
Résonateurs en bois
I/P
Piston
Piston
Pédale
[WOB] [Visite]

L'orgue figure bien sous le numéro 793, et il est daté du 01/09/1897. Il est possible qu'on ait décidé de remplacer la Fugara du récit par un Hautbois pendant la construction. Un plan-masse de la disposition à la tribune est joint. L'accès était prévu par une porte unique, située au centre :

Cet orgue, le onzième livré par la maison de Ludwigburg en Alsace, était presque contemporain des deux "grands" Walcker strasbourgeois :

- celui de St-Guillaume, qui a été joué par Max Reger. C'est là où, depuis 1885, officiait Ernest Münch. Le fondateur du chœur de St-Guillaume et ami d'Albert Schweitzer est, dans les rétrospectives, considéré comme l'un des musiciens les plus influents en Alsace à l'époque. Il a participé à la conception (sumultanée) des instruments de Saverne et de St-Guillaume, le second ayant été achevé un an après le premier. L'orgue de St-Guillaume, on le sait, a été supprimé en 1955, au bénéfice d'une machine néo-classique, elle-même remplacée en 1987. C'est donc bien à Saverne qu'il faut aller pour se faire une idée de ce qu'était le Walcker de St-Guillaume, et des timbres que l'on entendait là-bas à la grande époque de Münch.

- Et bien sûr celui de St-Paul, l'orgue - plutôt le Laboratoire - d'Emile Rupp, théoricien de la "Réforme alsacienne de l'orgue".

Nous sommes donc là - n'en déplaise aux esprits chagrins - au cœur de l'âge d'or de l'orgue alsacien. D'ailleurs, au cours de la décennie 1890-1900, l'Alsace fut dotée de pas moins de 140 orgues neufs : un record jamais égalé. Et le sommet ne fut pas seulement atteint du point de vue de la quantité : ce fut une réelle dynamique, qui dura jusqu'à milieu des années 30.

C'est aussi l'occasion de rappeler que, si la maison Walcker a eu une influence déterminante sur l'orgue alsacien, la réciproque est vraie : la Réforme "alsacienne" de l'orgue a grandement participé à l'évolution du style de la maison, surtout du temps d'Oscar. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller à Koenigshoffen.

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [ITOA] [Visite]

C'est la maison Frédéric Haerpfer qui procéda au remplacement de la façade, en 1922. [ITOA] [IHOA]

La façade Haerpfer, remplacée depuis, mais de grande valeur, a été conservée :

De 1964 date une regrettable transformation, menée par Ernest Muhleisen. [IHOA] [ITOA]

On a beau connaître le contexte (les "heures noires" de l'orgue - qui ne faisaient d'ailleurs que commencer), et savoir que ce sont les commanditaires, et pas les exécutants qui sont à blâmer, une question reste criante : comment peut-on faire ça à un aussi bel instrument ?

On veut bien que l'époque ait été friande de Fournitures et de Cymbales (était-ce la conséquence d'une lecture pleine de contre-sens des écrits de Schweitzer ?) Mais pourquoi fallait-il des Cymbales et des Tierces à TOUS les orgues ? De plus, on aurait pu comprendre qu'on voulait ajouter des jeux ; mais pourquoi avoir choisi de sacrifier, pour leur laisser la place, ceux qui appartenaient au fondement même de l'esthétique d'origine ? On pourrait croire que le choix des jeux à retirer a été fait de façon à dénaturer l'instrument au maximum.

Comme souvent, ce fut le récit qui eut à payer le plus lourd tribut à cette opération calamiteuse : pour placer les inutiles Nasard, Doublette, Tierce et Cymbale (jeux totalement étrangers à l'esthétique de cet orgue), ce sont l'Aeoline, la Voix céleste, la Fugara (ou le Hautbois), et la "Mixtur-Cornett" qui furent supprimées. Comble de l'incohérence : une Tierce (indépendante) a été greffée au récit, et, en même temps, la Mixture du grand-orgue dépouillée de son rang de Tierce.

Voici l'état de ce pauvre instrument ainsi défiguré :

Heureusement, l'orgue a été restauré dans son état de 1897 par la maison Walcker en 1997. [Visite] [walcker.com]

Ce fut fait de façon exemplaire. Au récit, Aeoline, Voix céleste et Mixture-Cornet retrouvèrent leur place. Il fut aussi posé un Hautbois : bien qu'il n'ait probablement pas été réalisé en 1897 (une Fugara était prévue), il était tout à fait logique dans le contexte. Les dominos, à la console, ont été refaits avec une couleur légèrement différente, pour indiquer la partie restaurée.

Le buffet

Le buffet est d'un style néo-gothique très "sobre". Il y a trois tourelles plates, la plus grande au centre, séparées par deux plates-faces doubles superposées. Les tourelles sont un peu en avant, les latérales en encorbellement, supportées par des corbeaux, et la centrale sur une avancée du soubassement. Les tourelles sont munies de tympans ornés de tri-lobes (latérales) ou d'un quadrilobe (centrale). Il y a deux pinacles à crochets au-dessus des pilastres délimitant les tourelles, et des fleurons au-dessus des trois tympans.

L'ornementation est homogène avec celle du reste du mobilier : on retrouve des quadrilobes sur la rambarde des tribunes latérales.

La façade, de 1997, est entièrement écussonnée, avec des lignes de bouches en "V" dans les tourelles et horizontales dans les plates-faces.

Caractéristiques instrumentales

Console:
La console.La console.

Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos de couleur, non numérotés, placés en ligne (ininterrompue) au-dessus du second clavier. Les dominos du récit (à gauche) sont roses, ceux du grand-orgue en blanc, et ceux de la pédale (à droite) en vert. Claviers blancs, à frontons biseautés (de façon plus marquée au récit). Joues moulurées.

Les dominos du récit.Les dominos du récit.

Commande de l'accouplement et des tirasses par pistons, placés sous le premier clavier, au centre, et repérés par des porcelaines bicolores. (Par exemple rose/blanc pour II/I). De gauche à droite : "II. z I.", "I. z. Ped.", "II. z Ped.".

Commande des combinaisons par pédales, en fer forgé piqué, repérées par des porcelaines rondes. De gauche à droite : "Auslöser" (annulateur, ce n'est pas une pédale mais une sorte de champignon, presque vertical), "T. & Coppeln", "F.", "MF.", "P.", puis "Schwell" à gauche de la pédale basculante d'expression du récit, et enfin la pédale "Hand-registrierung".

Il y a un tirant "Calcant" (sonnette souffleur, comme à Fellering), placé à gauche du bloc-clavier.

Comme souvent chez Walcker, la "plaque d'adresse" est en plusieurs éléments. Entre les deux claviers, en grandes cursives :

E.F. Walcker & Co Ludwigsburg-Württbg.

Puis il y a deux porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires, placées au-dessus du second clavier. Celle de gauche dit :

Op. 793.

Et celle de droite :

1897.
Transmission:

Pneumatique tubulaire (notes et jeux), d'origine.

Un soufflet de commande de cône.Un soufflet de commande de cône.
Sommiers:

Les sommiers sont à cônes. ("Kegelladen" ; Walcker oblige !) Le récit est à gauche ; le grand-orgue et la pédale à droite. Les sommiers sont chromatiques, sur deux niveaux pour le grand-orgue et la pédale.

Sites Webographie :

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670437004P02
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