Historique

C'est en 1900 que fut construit l'orgue Gebrüder Link d'Ottwiller. Il n'avait que 7 jeux à l'origine : [IHOA] [ITOA] [PMSLINKL]

Un vrai cas d'école

Ces "petites" compositions sont pleines d'enseignements, car elles montrent quels jeux étaient considérés comme indispensables, et quelles étaient les priorités. Il y a ici trois fonds de 8' au grand-orgue, choisis parmi le "carré d'or" des fonds romantiques : un Principal, une Gambe, une Flûte ouverte et un Bourdon. On a renoncé à la Flûte ouverte, mais pas tout à fait, puisque celle-ci est au récit. Le 4' constitue logiquement le quatrième jeu du grand orgue. Le récit reçoit donc la Flûte ouverte 8', et un Salicional pour assurer la couleur gambée. Par l'accouplement à l'octave aiguë, le grand-orgue peut donc aussi jouer une Flûte 4' et un Salicet 4'. Enfin, la pédale ne comporte que le seul jeu indispensable : la Soubasse. Le 8' est accessible à l'aide des tirasses.

Ce qui est indispensable, ce sont les deux claviers, même pour 7 jeux seulement. Un seul manuel est impensable, car cela restreint à la fois le répertoire adressable et la souplesse de l'accompagnement. Une des rares exceptions sera le mini-Link de Mitschdorf (I/P 6j). C'est rare, parce qu'on renonce à beaucoup de choses, et que le gain est finalement restreint par le fait que sans récit (et donc sans sa tirasse), un 8' est nécessaire à la pédale.

On retrouvait le schéma d'Ottwiller à Gottesheim (opus 290, 1898, mais l'instrument a malheureusement été altéré). Il est étendu de trois jeux (un à chaque plan sonore) à Geudertheim (opus 327, 1900). On en déduit comment la composition de l'orgue d'Ottwiller aurait été "continuée" si on avait eu plus de moyens : un quatrième 8' pour le grand-orgue (à Geudertheim, c'est une Aeoline qui a été choisie), la Voix céleste - Alsace oblige - au récit, et - à nouveau Alsace oblige - un Violoncelle 8' à la pédale. Ces orgues Link, bien que construits à Giegen, étaient bien des instruments réalisés spécifiquement pour l'Alsace.

Quand on peut dépasser 10 jeux, on dote le récit d'un 4' (gambé), et le grand-orgue d'une Flûte 4' et d'une Mixture en 2'2/3. On peut aussi transférer la Flûte 8' ouverte au grand-orgue (donc à sa place "normale") et mettre au récit un Geigenprincipal (Merkwiller-Pechelbronn). Le 2', s'il existe, est au grand-orgue, et surtout pas au récit où il "écraserait" tout.

On appliquait donc des principes - une logique générative en quelque sorte - mais en se ménageant de nombreuses variantes, pour que chaque orgue puisse être différent des autres. Evidemment, ladite logique n'est pas idéale si on ne connaît que la musique classique française du 18ème. Mais Couperin, on peut le jouer en tellement d'autres endroits en Alsace... Ces compositions permettent d'adresser un vaste répertoire romantique, accessible et apprécié.

Les 31 tuyaux de façade (9 + 2 x 11) ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [SchwenkedelNB]

Le complément de Schwenkedel

L'instrument a été complété en décembre 1946 par Georges Schwenkedel. [IHOA] [ITOA] [SchwenkedelNB]

Une plaque apposée à l'orgue dit : "Cet orgue a été rénové et agrandi grâce au don généreux légué en avril 1944 à notre commune par la famille Paul Fischer. Les travaux ont été exécutés en décembre 1946". [ITOA]

Georges Schwenkedel avait déjà visité l'orgue avant guerre, le 06/12/1932, et noté la composition ainsi que la disposition de la façade, dans le but de la remplacer. Celle était constituée des 27 notes graves de l'Octave 4' du grand-orgue (C-d), et de 4 chanoines. Mais ce ne fut pas fait à l'époque. Il était aussi question de placer un moteur électrique. [SchwenkedelNB]

Schwenkedel revint en mai 1944. Il nota à nouveau le plan de façade, et élabora un projet de travaux, avec agrandissement, daté du 04/05/1944. Il s'agissait de remplacer la façade, procéder à un relevage de l'existant (7 jeux), ajouter trois jeux au récit et un au grand-orgue, et poser une boîte expressive.

La première version de ce projet était particulièrement calmiteuse, car le jeu qu'il était prévu d' "ajouter" au grand-orgue était une Rauschquinte 2'2/3 (!), et ce sur la chape de la Gambe, donc en remplacement de celle-ci. La Gambe ainsi récupérée devait servir à bricoler un Principal 8' pour le récit (sûrement par décalage/recoupage), auquel on allait ajouter trois petits jeux : Nasard 2'2.3, "Principalino" 2' et Tierce 1'3/5 totalement étrangers à l'esthétique de l'instrument. Bref, l'orgue Link aurait été complètement défiguré. Il est fort heureux que ce projet de 1944 n'a pas été réalisé.

Heureusement, c'est une solution moins "invasive" qui fut retenue : ajouter simplement trois petits jeux sur des chapes supplémentaires. Dans un premier temps, il était question de les loger dans leur propre boîte expressive. Il s'agit donc d'une simple extension, qui eut l'immense intérêt de laisser le reste de l'orgue Link intact. La Gambe était sauvée.

Dura legs, sed legs

Malheureusement, sûrement parce que l'influence néo-classique était très forte en 1946, cette extension ne suit pas du tout la logique post-romantique. D'abord, ces trois jeux sont tous au récit, ce qui nuit à l'équilibre entre les plans sonores. Ensuite, ils sont totalement étrangers à l'esthétique d'origine : le 2' au récit, trop "présente", donne en plus un 1' avec l'accouplement à l'octave). Idem pour la Mutation, qui n'a rien à faire là. Déjà dans l'immédiat après-guerre, on a l'impression qu'on ne concevait plus les orgues que comme des gros Cornets. En déclinant des harmoniques explicites (4', 2'2/3, 2', 1'3/5, ...), au détriment de celles fournies naturellement par les timbres des 8' bien harmonisés.

Ainsi, au lieu d'une Voix céleste au récit, qui aurait dû être la priorité absolue, puis un Geigenprincipal (ou un Gemshorn 4'), on a sûrement voulu "faire parisien"... On ne peut s'empêcher de penser que le legs de la famille Paul Fischer a été très mal employé. Ça a souvent été le cas. Il faut être très vigilant quand on fait un don, car il peut être utilisé de façon diamétralement opposée à son intention. Ainsi, encore en 2020 et en Alsace, un orgue de 1905 a été éliminé grâce (ou plutôt à cause) d'un don effectué pour son entretien (!). L'argent s'est souvent révélé plus destructeur, pour les orgues, que le ver à bois, les incendies ou les guerres réunis.

Un Link à ajouter à ses Favoris

En 1989, l'orgue a été relevé par Bruno Dillenseger. [IHOA] [SiteDillenseger]

Il résulte de cet historique qu'à part les tuyaux de façade et son extension (parfaitement détourée et qu'on peut enlever), cet orgue Link est entièrement authentique !

Il faut une fois de plus rendre hommage à ce grand facteur que fut Georges Schwenkedel. Même en étant parti d'un projet absurde, et là où beaucoup d'autres facteurs n'auraient pas hésité à massacrer l'orgue Link, il a su trouver une solution réversible et respectueuse de l'existant.

Caractéristiques instrumentales