L'église catholique St-Blaise de Geudertheim a été dotée d'un orgue dès son achèvement en 1900. C'est un instrument romantique de la grande maison Gebrüder Link, de Giengen-an-der-Brenz. Il est resté authentique, et, depuis son récent relevage (2018) c'est un des orgues les plus intéressants de la région, l'un de ceux qu'il faut découvrir absolument.
Historique
C'est en 1900 que fut posé à Geudertheim l'opus 327 de la maison Gebrüder Link. [IHOA] [ITOA] [PMSLINK]
Le triste destin des Link alsaciens de 1900
Rien qu'en 1900, pas moins de 8 orgues neufs ont été posés en Alsace par la maison Link. L'engouement était donc très fort, sûrement parce qu'ils correspondaient parfaitement aux aspirations des organistes bien formés durant la période 1880-1900, par des écoles normales de plus en plus efficaces et exigeantes. Malheureusement, ce patrimoine eut beaucoup à souffrir de la mode "néo-baroque" qui sévit à la fin du 20 ème siècle : si l'orgue Link de Lohr n'a pas subi de changement de composition, celui d'Ottwiller fut victime d'un legs : on ne trouva rien de mieux que d'utiliser cet argent, destiné à sa conservation, pour l'altérer : il perdit trois jeux du récit ! Ceux de Durrenentzen, de Volksberg et de Schweighouse-sur-Moder souffrent aussi de trois jeux altérés. Dans le dernier cas, une chape supplémentaire a servi à installer... une Tierce. (On ne comprend toujours pas bien s'il s'agissait d'une forme de militantisme provocateur ou d'une totale ignorance des styles...) L'orgue du Hohwald ne perdit que deux jeux, mais, ironiquement, c'étaient les plus importants pour un orgue romantique. Du coup, dans les années 80 il était tout simplement question de l'éliminer ! Enfin, celui de Kirrwiller-Bosselshausen eut à souffrir une des pires baroquisations commises pendant les années noires de l'orgue : 10 jeux sur 16 remplacés en 1959, laissant cet orgue défiguré, méconnaissable. Pour "enfoncer le clou", ce malheureux instrument a été relevé en 2015... en l'état ! L'entretien des "jeux baroques" a donc englouti les ressources qui auraient pu être consacrées à lui rendre sa splendeur passée !
Une heureuse exception
L'orgue de Geudertheim est donc un rayon de soleil dans ce noir tableau : il a été conservé authentique. Ses chapes vides n'ont pas été complétées. Celles-ci étaient fort probablement destinées à recevoir un Gemshorn 4' au récit (Le Hohwald, Schweighouse-sur-Moder, Volksberg), et, vu sa position en avant au grand-orgue, une Mixture-tierce à 3 rangs, sur 2'2/3.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 16/07/1917. On ne sait pas qui a procédé à leur remplacement. L'instrument a été doté d'une soufflerie électrique vers 1937. [IHOA] [PMSLINK]
Il y eut un relevage, en 1989 par Rémy Mahler. [IHOA]
L'orgue a été relevé en 2018 par Quentin Blumenroeder. [Visite]
L'opération a été absolument exemplaire. Elle a laissé un témoin éclatant de la valeur de ces orgues construits entre 1897 et 1916 pour l'Alsace par la maison de Giengen.
Le buffet
Le buffet néo-gothique est idéalement assorti à l'édifice et à l'esthétique sonore de l'instrument. Trois tourelles plates avec gâbles (ligne des bouches en "V") et portant chacune trois pinacles à crochets sont séparées par deux petites plates-faces (ligne des bouches horizontale) munies d'une galerie supérieure non ajourée.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux noirs de section ronde à pommeaux disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers. Les accouplements et tirasses sont aussi commandés par tirants. Ils sont repérés par des porcelaines placées sur un grand chanfrein. Elles sont rondes à liséré doré, et font apparaître le nom des jeux en lettres gothiques, dont les capitales sont enluminées. Les porcelaines du grand-orgue sont blanches, celles du récit ont un fond vert pâle, et celles de la pédale un fond rose. Selon une habitude de la maison Link, le nom des jeux est préfixé par le plan sonore (e.g. "I.M. Principal 8'"). Claviers blancs. Joues moulurées.
Le tirant supplémentaire du grand-orgue (à gauche) a été relié (à une époque indéterminée) à un trémolo, qui toutefois ne fonctionne pas.
Commande des combinaisons fixes par quatre pistons munis d'une pastille terminale blanche, situés en haut et au centre de la console, au-dessus du second clavier. Ils sont repérés par des porcelaines. De gauche à droite : "Piano", "Mezzo-Forte", "Tutti", et "Auslösung" (annulateur).
Le seule commande à pied est la pédale basculante d'expression, tout à droite et légèrement tournée vers le centre, repérée "Schwelltritt".
Comme souvent chez les Link, la plaque d'adresse est en plusieurs éléments. Les deux principales sont noires à lettres dorées. Elles sont placées au-dessus du second clavier, à gauche et à droite des pistons de combinaison, et disent respectivement :
Au centre, entre les deux claviers, une porcelaine blanche rectangulaire :
L'intégralité de la console a l'air d'origine. Elle est du même style que celle de Barembach, mais sans les pédales-cuillers.
Les combinaisons fixes n'annulent pas la registration manuelle : si des jeux non inclus dans la combinaison active ont leur domino enfoncé, ils parlent en plus de ceux de la combinaison.
pneumatique tubulaire, notes et jeux, d'excellente qualité et très précise.
à cônes (Kegelladen). Les manuels sont diatoniques, disposé en mitre (basses au centre). La pédale est sur les côtés, orthogonale à la façade.
C'est vraiment le genre d'orgue qu'on voudrait avoir à moins de 2km de chez soi, avec la clé dans sa poche ! Tout est beau et réussi : l'aspect visuel (avec le buffet et la magnifique console), le confort de jeu, le contexte, l'accueil... et, évidemment les prestations musicales. L'harmonisation est toute en distinction et en équilibre. Déjà, les jeux en solo ont tous un caractère exceptionnel, tout comme les mélanges "traditionnels" de cette esthétique. Avec un tel nombre de 8', le nombre de combinaisons est exceptionnel, si bien qu'on oublie que l'on a à faire à un orgue de 10 jeux seulement. Et, par la magie de l'accouplement I/I 4', le voilà avec cinq jeux de 4', sur un somptueux fondement de sept 8' et la Soubasse. Dire qu'il y a deux chapes vides... S'il y a un Père-Noël des orgues quelque part sur cette planète, on sait exactement où il devrait intervenir !
Cet instrument a un potentiel exceptionnel, et démontre de façon éclatante pourquoi il y a urgence à réparer les autres orgues Link mutilés par la mode "néo-baroque". Il explique pourquoi, à la Belle époque en Alsace, tout le monde voulait le sien... Bien sûr, leur style est conçu pour magnifier le répertoire romantique d'outre-Rhin. Leur influence fut déterminante pour la suite de l'histoire de l'orgue : ils permirent aux facteurs alsaciens, au début du 20ème siècle, de définir un style post-romantique spécifique, propre à l'Alsace. L'orgue de Geudertheim, en plus d'être un prodigieux instrument de musique, a beaucoup à raconter.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Béatrice Treil.
Photos du 14/08/2020 et données techniques.
L'instrument n'a pas pu être "restauré" en 1989, puisqu'il n'a jamais été altéré.
L'accouplement à l'octave est noté "RECIT/G.O. EN 16" (II/I 16').
Composition notée "a minima", sans détailler les accouplements, qui sont pourtant fondamentaux dans ce style. Il est par exemple noté une "Superkoppel", sans préciser s'il s'agit de II/I 4' ou I/I 4'.
Les "histoires Silbermann" (comme il y en a tant) sont bien entendu erronées. L'orgue André Silbermann, 1715, de l'église mixte (aujourd'hui protestante) de Geudertheim fut vendu à l'église protestante de Weiterswiller en 1843, soit plus de 40 ans avant la construction de l'église St-Blaise.
IM67006843
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