André Silbermann et son fils Jean-André ont construit, souvent pour des particuliers, de petits orgues "positifs", compacts et intégrés. On les appelle les "Positifs Silbermann", mais Jean-André les appelait "Cabinets d'orgue" : il en décrit 9 réalisés par son père (le premier avec Gottfried), et 2 par lui. Conçus pour être facilement déplacés, ils ont été... beaucoup déplacés. Cela fait partie de leur charme, d'essayer de suivre leurs pérégrinations, et le "jeu de piste" que cela implique en a passionné plus d'un. L'enjeu était aussi technique : à cause de leur taille réduite, ces instruments comportaient souvent d'intéressantes spécificités techniques. Autre particularité : si plusieurs ont été modifiés, ils ne l'ont pas été comme un orgue "de tribune" (plutôt que de l'adapter, on préfère le déménager et en acquérir un nouveau). On savait donc que si on en retrouvait un, il aurait beaucoup à apporter à la connaissance de la facture. Or, au palais des Rohan à Strasbourg se trouvait entreposé, depuis 1945, un petit orgue André Silbermann construisit en 1719. Il s'agissait du "neuvième positif", le dernier d'André. Et le seul des 9 qui soit parvenu jusqu'à nous.
Pour éviter les confusions, il convient tout d'abord de clarifier les choses : il sera ici
question de trois orgues Silbermann différents, mais aussi de deux "choeurs" de
Ste-Madeleine. En effet, la vénérable église du couvent Ste-Madeleine, à Strasbourg,
disparut dans le grand incendie du 06/08/1904. Son choeur (gothique), qui en est le seul
vestige, est accolé à l'actuelle église Ste-Madeleine, tout en étant
séparé de sa nef par un mur. C'est en fait une chapelle (celle du St-Sacrement). On trouvera
sur la page principale consacrée à cet édifice les différents orgues "principaux" du lieu,
dont un premier "Silbermann" (celui construit par André en 1718 et que la Révolution
conduisit à Lampertheim), le grand Koulen disparu dans les flammes en 1904, le
Roethinger détruit en 1944, et bien sûr le grand Roethinger néo-classique actuel.
La
présente page est consacrée aux deux orgues "de choeur". L'un d'eux, qui fut en fait placé
dans le transept, était aussi un positif Silbermann. Plus exactement de Jean-André : c'est
le "positif de Blancherupt", très certainement celui qui se trouve actuellement à la
chapelle Ste-Odile du Mont Ste Odile. C'est donc le deuxième orgue Silbermann qui a été
installé à Ste-Madeleine.
Le positif actuel, est le "neuvième positif" (1719) d'André.
Il est aussi appelé "positif de Marmoutier" (où il n'est jamais allé), "positif des soeurs
grises de Haguenau", "positif de Sessenheim", et surtout "positif du château des Rohan", car
c'est là que le trouva l'inventaire des orgues de 1986.
Historique
C'est en 1931 qu'on installa dans le transept de l'église Ste-Madeleine (l'édifice de 1914), le "Cabinet d'orgue de Barr", construit par Jean-André Silbermann en 1737. Il venait de Blancherupt, St-André. [IHOA]
Pour compliquer encore un peu plus les choses, cet instrument,
destiné à Barr, a été confondu avec le "sixième positif" (ou
"positif Vigera") lorsqu'il réapparut en 1858 au Séminaire de Strasbourg, acquis
par l'abbé Simon Ferdinand Mühe. Explications :
Mühe offrit en 1861 son
petit orgue à la paroisse de Blancherupt (ou plutôt à l'organiste du lieu, son
ami Joseph Vilmin). L'instrument perdit sa façade lors de la réquisition de
l'étain par les autorités en 1917. En 1928, Léon Vilmin (fils de Joseph et curé
de St-Pierre-le-Jeune à Strasbourg) racheta ce qui en restait (et qui était dans
un triste état, probablement complètement injouable depuis 1924), et l'offrit à
F.X. Mathias pour l'Institut Léon IX. C'est Mathias, sûrement tout à sa joie,
qui l'attribua à André Silbermann et le prit pour le fameux "sixième positif".
L'orgue fut envoyé dans les ateliers Roethinger pour une reconstruction
complète. Le 07/07/1928, Mathias fit paraître dans le journal "Der Elsässer" un
article au sujet du fameux positif. Finalement, l'orgue (reconstruit, et
harmonisé par Ernest Muhleisen qui travaillait à l'époque pour la maison
Roethinger), n'alla pas à l'Institut Léon IX, mais à l'église Ste-Madeleine de
Strasbourg où l'institut organisait des concerts : le frère de F.X. Mathias,
Joseph, était organiste à Ste-Madeleine de 1925 à la guerre. Le "Cabinet d'orgue
de Barr" resta dans le transept de Ste-Madeleine de 1931 à 1939.
Ce positif fut retiré avant 1945, pour être placé à la chapelle Ste-Odile du Mont Ste Odile d'Ottrott (au premier étage). [IHOA]
Historique
En 2011, Quentin Blumenroeder restaura dans son état de 1826 (avec Tierce, comme en 1719, au lieu du Salicional), et installa dans le "choeur gothique" de Ste-Madeleine, le "neuvième positif" d'André Silbermann, 1719. [QBlumenroeder]
L'orgue venait du palais Rohan, où il avait longtemps été entreposé (depuis 1970). Retour sur son histoire :
André Silbermann construisit son neuvième positif presque à l'image du premier : avec deux claviers, l'un de 49 notes, l'autre de 25 (pour le Cornet d'écho). Il disposa le Cromorne en façade, pour le rendre plus facile à accorder. [ArchSilb] [IHOA] [ITOA]
L'instrument, commandé pour Marmoutier, n'y alla jamais. (Contrairement au
7ème positif, qui alla à Marmoutier alors qu'il avait été construit pour la
Toussaint à Strasbourg...) L'affaire avait capoté en raison des caprices de
l'abbé Anselm Moser (ou du caractère d'André Silbermann, vu que c'est Jean-André
qui raconte l'histoire). Il fut finalement livré au couvent des Soeurs Grises
("Tiercelines") de Haguenau en 1730, et destiné à l'enseignement. Il y fut
réparé vers années 1786 par Georg Hladky (sûrement à l'occasion de son
installation dans la nouvelle chapelle).
Appartenant à une congrégation
religieuse, l'orgue Silbermann fut détourné par des spéculateurs pendant la
Révolution, et, comme de nombreux autres, prit la route. La sienne passa par
l'église mixte de Sessenheim, où il fut installé par Hladky en 1793. [ArchSilb]
[ITOA]
[QBlumenroeder]
En 1822, Sessenheim voulut un orgue neuf. Mais l'usage de l'instrument était partagé avec Dalhunden et Stattmatten. Dans cette dernière localité, on voyait cette dépense d'un mauvais oeil, et on milita pour une simple remise en état. Il n'en fallut pas plus pour décider la préfecture à ne pas autoriser l'achat d'un orgue neuf. Le positif Silbermann fut donc réparé. L'accord fut signé le 09/05/1825, et les travaux reçus le 12/12/1826. Ils ont été réalisés par Xavier Stiehr. L'orgue fut doté d'une petite pédale et d'un Salicional. Le dessus de l'anche a aussi peut-être été remplacé à cette occasion :
En fait, il était prévu de mettre le Salicional sur la chape du Nasard, et une Flûte 4' sur celle de la Tierce. Mais, pas manque de place (à cause du Cornet d'écho), le Salicional ne pouvait être logé à l'endroit prévu. Il prit donc la place de la Tierce, et le Nasard fut épargné ! Notons que d'après Pie Meyer-Siat, la petite pédale a été posée par Hladky dès 1786. [PMSSTIEHR]
En 1909, l'orgue fut à nouveau déménagé, mais n'alla pas très loin : au musée Goethe de Guillaume Gillig (Sessenheim). C'était donc déjà devenu une "pièce de musée". En 1942, il fut racheté par directeur régional des musées, et, 5 ans plus tard, rejoignit Strasbourg, où il fit partie des collections du Musée des Arts Décoratifs (entreposé sous le délicieux numéro Inv. LXI.38). C'est probablement Kriess qui fut chargé du déménagement, car il fit quelques travaux dans les années 1940 (dessus du jeu d'anche). En 1945, une restauration fut confiée à Ernest Muhleisen, mais resta inachevée. La partie instrumentale a été classée Monument historique le 20/10/1976. Le rapport d'expertise de Marc Schaefer est daté 07/06/1976. Entre temps, en particulier grâce aux travaux de de dernier, la connaissance des Silbermann, de leur facture et de leur oeuvre, avait fait des progrès déterminants. Etienne Martin, conservateur du musée des arts décoratifs de Strasbourg, s'intéressa à l'instrument et en assura la promotion. [ITOA] [PMSSTIEHR] [CMStrasbourg20091109] [QBlumenroeder]
Il existe des photos anciennes de l'orgue à Sessenheim, prises au musée de Guillaume Gillig (même celle publiée dans l'inventaire de 1986, où on voit un autel, qui était aussi au musée). Sur l'une d'elles, on voit l'orgue muni de ses portes de console, de ses panneaux masquant la tuyauterie du côté droit, ainsi que la jouée droite. Panneaux et jouées sont de style "19ème" (1870 ? - elle sont un peu "néo-gothiques"), et ont donc probablement été posés là-bas. Une autre photo montre l'orgue, panneaux et portes déposés. [QBlumenroeder]
Vu qu'il n'y avait pas de 8' à la pédale, on peut déduire qu'il y avait déjà une tirasse, probablement permanente.
L'orgue fait donc partie des collections du Musée des Arts Décoratifs de Strasbourg. Il a été décidé de l'installer dans le choeur gothique de Ste-Madeleine (qui, on l'a vu, avait déjà abrité deux instruments similaires), après avoir bénéficié d'une restauration en l'état de 1826. De fait, vu la nature de l'instrument et son statut un peu particulier, c'est bien l'intérêt historique, et son caractère de "témoin" de la facture du 18ème qui état prioritaire pour cette restauration (avant les considérations liées à son utilisation). L'opération a été confiée à Quentin Blumenroeder et menée en 2011. D'une certaine façon, il s'agit du mieux préservé des orgues Silbermann (une pédale a certes été ajoutée, et 1 jeu 1/2 remplacé, mais ce qui n'a pas été changé n'a pas été touché du tout). En particulier, le fameux tempérament d'origine avait été conservé. [QBlumenroeder]
L'inauguration a eu lieu le 14/12/2012, et l'orgue a été béni le 15/12/2012 par Mgr Vincent Dollmann. La réception des travaux de restauration de l'orgue a eu lieu le 19/02/2013. [CKlipfel]
L'inauguration - et c'est peut-être dû au statut juridique un peu particulier de l'instrument - s'est déroulée de façon spécifique, dans le sens qu'elle a été faite sur invitation. Ce ne fut donc pas, comme c'est généralement l'usage pour les orgues, un événement public : il est quand même triste que les "simples amateurs d'orgue" en aient été écartés. Ceci ne doit surtout pas occulter le fait que cet événement a permis de rendre hommage au regretté et grand musicien Jean-Luc Gester (1961-2006), qui fut organiste à Ste-Madeleine.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' | c'' |
1' | 1'1/3 | 2' | 4' |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2'2/3 |
1/2' | 2/3' | 1' | 2' |
Console frontale. Claviers noirs, d'origine : Ernest Muhleisen, lors de la restauration inachevée de 1945, comptait y placer les anciens claviers (Jean-André Silbermann) de St-Thomas. Les deux blocs claviers ont été préservés et restitués : ceux de St-Thomas ont rejoint la console historique exposée dans la nef (c'est quand même celle qui fut jouée par Mozart !), et ceux du neuvième positif ont logiquement retrouvé leur place d'origine.
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Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
Historique et détail des travaux.
Renseignements et photos.
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