L'église St-Georges d'Urschenheim a gardé son clocher du 12ème siècle, qui abrite une chapelle romane "tardive" (il y a déjà des arcs en ogives), fort bien mise en valeur. La nef est plus récente, et elle a été dépouillée de son ornementation historique dans les années 1950-1960. Un ornement d'origine de la Belle Époque a toutefois survécu : c'est le buffet de l'orgue Martin et Joseph Rinckenbach. Cet instrument est l'opus 83 de la grande maison d'Ammerschwihr, et il a été construit en 1904. Il est resté remarquablement authentique.
Historique
L'instrument actuel n'est pas le premier orgue du lieu : dans l'ancienne église (en grande partie démolie en 1846), on avait placé en 1792 un orgue neuf. Pie Meyer-Siat émet l'hypothèse qu'il avait été construit par Martin Bergäntzel (facteur établi à Ammerschwihr, qui est un peu le prédécesseur des Rinckenbach, auteurs de l'orgue actuel). [IHOA]
L'Histoire a retenu le nom de quelques uns des organistes d'Urschenheim à l'époque : Joseph Pfeffer en 1792, Jean-François Gasché en 1825. L'instrument a été réparé en 1804 et 1830. [IHOA]
La réputation de fiabilité des orgues de l'ancien régime est souvent largement exagérée : de fait, en 1840, il fallut pratiquement tout reconstruire : Antoine Herbuté, facteur à Marckolsheim, fournit un sommier (manuel) neuf, un nouveau clavier, une nouvelle transmission, et de nouveaux tuyaux de Montre. Il y eut à nouveau une réparation en 1877. [IHOA] [PMSAEA69]
Historique
En 1904, Urschenheim décida de se doter d'un orgue de 13 jeux. Cela a dû constituer un effort considérable, et on s'est de plus adressé à la manufacture d'orgues la plus en vue à l'époque : Martin et Joseph Rinckenbach. Ce fut l'opus 83 de la célèbre maison d'Ammerschwihr. [ITOA] [IHOA] [Barth]
Un trait caractéristique de cet orgue est la Trompette "solo" (au grand-orgue). Nul doute que, lors de la conception de cet instrument, ce jeu fut au cœur du débat. Avec des ressources limitées, est-il raisonnable de s'offrir cette Trompette, certes déterminante pour le rendu musical, mais aussi très coûteuse ? Les choix effectués par les décideurs de l'époque sont parfaitement lisibles lors de l'étude de l'instrument : les ornements sont moins élaborés que ceux de ses contemporains (buffet, joues de la console...) ; mais il est doté de cette fameuse Trompette. Elle a, de plus, été réalisée "sans concession" : les dessus sont harmoniques, ce qui nécessite des résonateurs de longueur double. On a donc renoncé au "décor" pour s'offrir ce jeu d'anche, qui était, à n'en point douter, "une petite folie". Aucune concession, non plus, dans le reste de la partie instrumentale : une grande Flauto dolce au grand-orgue, une Flûte harmonique 8' au récit. Pour parvenir à ses sonorités de prédilection, l'orgue romantique est exigeant !
La composition est tout à fait respectueuse de la tradition romantique : le grand-orgue est structuré autour du "carré d'or" de jeux de 8 pieds : un Principal, une Gambe, une Flûte et un Bourdon. C'est le "noyau" fondamental, qui est ici simplement complété par un Principal 4' et la fameuse Trompette solo. La Mixture (grave, en 2'2/3) que l'on retrouve dans beaucoup d'orgues contemporains n'est pas de la partie (ce qui démontre qu'elle n'a pas un caractère indispensable). Idem pour le Bourdon 16' manuel (que cette esthétique affectionne pourtant particulièrement). Voilà comment composer, avec 6 jeux seulement, un grand-orgue à la fois traditionnel (donc adapté au répertoire) et qui se démarque (avec la Trompette).
Pour composer un récit de 5 jeux seulement, on a appliqué une logique empruntée à l'orgue romantique allemand : les jeux sont les "alter ego" de ceux du grand-orgue, généralement moins forts, et colorés un peu différemment. Ainsi, le Principal a inspiré le Geigenprincipal, la Flauto dolce une grande Flûte harmonique 8', la Gambe une Aeoline, et au Principal 4' (Octave) correspond une Flûte à cheminée 4', parlant à la même hauteur, mais dotée d'un timbre très différent. Le dernier jeu est l'incontournable Voix céleste, à laquelle aucun organiste de l'époque n'aurait renoncé !
Pour la pédale, bien que certains orgues contemporains se contentent d'une seule Soubasse (le 8' étant assuré à l'aide d'une tirasse), celle d'Urschenheim est dotée de deux jeux : la Soubasse et une Flûte 8'. Cela témoigne de l'importance cruciale donnée aux fondamentales par cette esthétique.
Les 27 tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en avril 1917. [IHOA]
Ils ont été remplacés dès 1919 ! (Preuve qu'Urschenheim tenait beaucoup à remettre son orgue en état.) On ne sait pas qui a placé cette façade, qui est encore là aujourd'hui, réalisée en zinc, et très réussie. [IHOA] [Visite]
En 1960, l'orgue a été nettoyé par Alfred Kern. [ITOA]
En 2004, il y eut un relevage, mené par Sébastien Fohrer. [YMerlin] [Visite] [Devis2003]
Celui-ci fut exemplaire : aucune modification n'a été apportée.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un volet coulissant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en gradins de part et d'autre des claviers, munis de porcelaines orientées vers le haut à 45° (l'extrémité du triant, où se situe d'habitude le pommeau, est munie d'un point blanc). Ils sont du même modèle qu'à Zellwiller (1899), Dauendorf (1904), Kogenheim (1905) ou Romanswiller (1905). Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune (et non bleu clair comme d'habitude) pour la pédale. Claviers blancs. Les gradins sont munis d'un petit chanfrein concave. (Pour accueillir un crayon ?)
Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé, et repérées par des porcelaines rondes disposées tout en haut de la console (de part et d'autre de la plaque d'adresse) : à gauche de la plaque d'adresse "Pedal Koppel I." (I/P) et "Pedal Koppel II." (II/P), à droite "Manual koppel" (II/I), puis la porcelaine "Expression". Commande de l'expression du récit par pédale basculante, située à droite (au-dessus du "a" du pédalier). Il n'y a pas de trémolo.
Commande des combinaisons fixes par 5 pistons blancs, situés sous le premier clavier, au centre, et repérés par de petites porcelaines rondes placées en regard, entre les deux claviers : "PP.", "P.", "MF.", "F", et "0." pour l'annulateur.
Plaque d'adresse en position centrale, au-dessus du second clavier, constituée de lettres en laiton incrustées sur fond noir, et disant :
Le mot "Ammerschwihr" ondule entre les deux lignes inférieures.
Banc d'origine, typique de la production Rinckenbach, dont les flancs figurent une lyre stylisée.
Pneumatique tubulaire.
A membranes. Sommiers diatoniques, en mitre (basses au centre). Le récit est logé en hauteur, derrière le grand-orgue, sur toute la largeur. La pédale est tout au fond, contre le mur.
Le système de pompage à pied a été conservé, comme l'indicateur de niveau du réservoir au-dessus des pompes, à gauche du buffet. Il y a deux flèches dessinées, montrant dans quel intervalle doit se trouver l'indicateur. Notons qu'il y a, à la console, un tirant "Calcant" destiné à appeler le souffleur (distant pourtant de 2 ou 3 mètres seulement). Ce tirant devait animer une clochette, qui a disparu. Cela semble indiquer que l'ambiance à la tribune était très recueillie, vu qu'un simple signe ou "Hop, jetzt get's loos !" n'était pas envisageable.
Entailles de timbre, Bourdons à calottes mobiles. Aplatissages généralement en ogive. Biseaux à grandes dents, très prononcées et régulières. Le poinçon "R" de la Flûte à cheminée 4' signifie "Rohrfloete", et sur le tuyau "C" figure le nom du jeu en toutes lettres (capitales). Sur le poinçonnage du tuyau grave de la Voix céleste (a priori le "c"), l'avant dernier E de "CELESTE" est à l'envers.
Le Spotted (alliage étain / plomb à "seulement" 50% d'étain, et non raboté) est décidément, et à l'usage, un excellent alliage pour la facture d'orgues. C'est lui qui donne aux tuyaux leur texture "en peau de léopard". Non seulement il permet les magnifiques harmonisations que l'on entend dans ces instruments post-romantiques, mais il semble extrêmement stable dans le temps : il ne s'affaisse pas comme l'étain "riche" (qui est souvent beaucoup trop mou). Le prix de revient de la matière première étant raisonnable, on pouvait "étoffer" les tuyaux en prenant des feuilles plus épaisses, ce qui accroît encore la qualité et la longévité du tuyau. Après plus d'un siècle, cet alliage semble ne subir absolument aucune corrosion et être insensible à l'humidité. D'ailleurs, on en faisait des plombs de pêche, c'est dire... Aujourd'hui, on sait qu'il vaut mieux éviter d'envoyer du plomb dans les rivières. Raison de plus pour réserver le Spotted aux usages nobles, comme la construction de tuyaux d'orgues !
Un regard sur la tuyauterie rend aussi évidente l'importance de la Flauto dolce (au grand-orgue) et de la Flûte harmonique (au récit) : elles sont imposantes, ont dû compter parmi les jeux les plus coûteux, et sont les "stars" de la composition. Une fois de plus, cela invite à repenser les registrations, et à considérer la "Flauto dolce" comme un réel jeu soliste.
Les basses ont souvent des bouches arquées, mais pas systématiquement (le dessus de la Flûte 8' de pédale a des bouches droites).
D'une grande authenticité, cet instrument met en valeur les solutions techniques caractéristiques de la facture à la Belle Époque : traction pneumatique, tuyauterie romantique dotée d'entailles de timbre et souvent de freins harmoniques (pour favoriser l'attaque). Ces techniques ont été parfois été décriées plus tard, par les prosélytes du "tout baroque", mais elles constituent bel et bien des ingrédients déterminants pour réaliser des orgues de grand caractère. On redécouvre heureusement aujourd'hui ce style "post-romantique", qui procure, à chaque fois que les orgues ont été conservés dans leur état d'origine et bien entretenus, son lot de belles surprises.
Webographie :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Maurice Spitz.
Photos du 18/03/2018.
Ayant servi de cadre pour l'exécution des travaux, menés par Sébastien Fohrer.
La (jolie) plaquette en couleurs disponible dans la nef... ne parle absolument pas de l'orgue ! Il constitue pourtant un élément fondamental de l'édifice et du patrimoine local. Son authenticité en fait un des instruments les plus remarquables du Haut-Rhin. Il mériterait qu'on lui consacre une plaquette spécifique, permettant de sensibiliser les visiteurs à son importance culturelle, et rappelant l'effort considérable fourni par les habitants d'Urschenheim en 1904, et son entretien exemplaire depuis lors.
im68008720;avec une photo en couleurs de l'inventaire Wehr/Haegel
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