L'opus 87 de Martin et Joseph Rinckenbach a été construit pour Kogenheim en 1905. Il avait 20 jeux à l'origine, auxquels Joseph ajouta 3 jeux par la suite. Une fois de plus, on ne peut qu'être enthousiasmé par l'étonnante diversité des instruments construits à la Belle époque. C'est à nouveau un opus très différent des autres qui est ici sorti des ateliers d'Ammerschwihr. L'étonnante Fourniture progressive (jusqu'à 5 rangs), combinée avec l'accouplement à l'octave du grand-orgue ont un effet saisissant : si ces deux éléments sont d'origine (et il n'y a pas de raison de penser qu'ils ne le soient pas), cet orgue avait au minimum 25 ans d'avance !
Historique
Il y avait déjà un orgue à Kogenheim en 1758, mais on en ignore la provenance. Réparé à plusieurs reprises au cours du 19ème siècle (et inventorié en 1840), il était estimé bien bas par l'enquête-inventaire de 1892. [IHOA] [Barth]
Ce premier instrument est donc à rapprocher du maître-autel baroque (1769) de Thomas Batt, décoré par Jean-Baptiste Bremy. De pareilles acquisitions ont probablement été rendues possibles par le fait que Kogenheim était un important centre de construction de bateaux destinés à la navigation sur le Rhin. L'église fut en grande partie reconstruite en 1880.
Historique
L'orgue actuel a été construit en 1905 par Martin et Joseph Rinckenbach, et ce fut - comme en atteste sa plaque d'adresse - l'opus 87 de la maison d'Ammerschwihr. Les listes de travaux de la maison le donnent pour 20 jeux. [IHOA] [ITOA] [Barth] [Visite]
Cet instrument a une première particularité qui saute aux yeux : il est disposé tout en profondeur (presque 6m de profond). La façade n'est vraiment pas très large pour un instrument de 23 jeux (4,4m). Ceci crée une première surprise, vu d'en bas, quand ce "petit" instrument se met à parler avec ses 16' et sa grande Fourniture progressive qui monte jusqu'à 5 rangs. Il faut dire que la tribune avance beaucoup dans la nef, ménageant une bonne dizaine de mètres entre le mur du clocher et la balustrade. Elle semble avoir été conçue pour une très grande chorale : cela expliquerait que l'on ait souhaité garder le plus de place possible en largeur.
Autre particularité remarquable pour un orgue de 1905 : le buffet est clair. Au 19ème, les boiseries étaient généralement revêtues d'un enduit foncé, et les instruments du début du 20ème siècle étaient également très foncés, ou alors peints. Ici, le style néo-classique du buffet "ressort" de façon saisissante parce que le chêne est clair.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [IHOA]
En 1920, l'instrument a été confié à Joseph Rinckenbach. Il est donc pratiquement acquis que c'est lui qui a remplacé la façade disparue, et que cette façade de 1920 pouvait être considérée comme authentique, puisqu'elle a été réalisée par l'un des créateurs de l'instrument. [IHOA]
Outre la reconstitution de la façade, et puisqu'il est établi que l'orgue est passé de 20 à 23 jeux entre 1905 et 1935, c'est fort probablement Joseph Rinckenbach qui fut l'auteur des 3 jeux ajoutés. C'est d'ailleurs ce que confirme, sur place, l'analyse de la facture : l'intégralité de la tuyauterie intérieure est cohérente, et date du premier quart du 20ème. Parmi les trois jeux ajoutés, on compte probablement la Voix céleste (qui est postée en hauteur par manque de place) et la Quinte 2'2/3. Le troisième est plus difficile à établir (Fugara ?). La Quinte se trouve sur une chape occupée précédemment par un jeu plus large (comme en attestent les perçages du faux-sommier), mais cela ne veut pas forcément dire que le jeu correspondant a été supprimé : il a pu être déplacé sur une chape vide. De fait, l'orgue de 1905 était prévu pour être doté de 22 ou 23 jeux (écartement des tirants à la console, disposition des chapes). Il est probable que le tremblant du récit ait aussi été ajouté en 1920, car sa pédale de commande ne semble pas avoir été prévue à la console. [Visite]
Un récit sans Voix céleste était concevable : en 1896, le devis pour Bréchaumont proposait une telle composition.
Le 30/04/1935, Georges Schwenkedel nota que l'orgue était doté de 23 registres.
En 1981, l'orgue a été relevé par la manufacture Muhleisen. [IHOA] [ITOA]
En 1998, c'est à nouveau la manufacture Muhleisen qui fit un relevage. Malheureusement - et probablement parce qu'on ne connaissait pas sa provenance - la façade (de Joseph Rinckenbach) a été remplacée par des tuyaux en étain. [IHOA] [Caecilia] [AORM]
L'opération a compris un démontage/remontage complet, le traitement des boiseries, le relevage de la tuyauterie, de la console et de la soufflerie, le remplacement des peaux des membranes et des soufflets de transmission. L'harmonisation a été exécutée dans le respect de l’harmonisation de Rinckenbach, égale dans les attaques et le caractère (tempérament égal). Pour les anches, l'harmonisation a pu être refaite avec les anciennes languettes. Les travaux ont été achevés le 17/12/98. La façade neuve, constituée de 28 tuyaux en étain 80%, a été fabriquée sur mesure, selon les procédés de coulage, rabotage et finition conformes aux usages de Rinckenbach. [Muhleisen]
L'orgue a été inauguré un peu plus tard, le 21/10/2001 (pour la fête patronale) : dix chorales du secteur se sont réunies sous la direction de Francis Vonarb, avec Renaud Schmitt (Kogenheim) aux claviers. [Caecilia]
Le buffet
Le buffet est constitué d'une façade néo-classique, remarquablement ornée, et d'un enclos faisant le tour de l'instrument. Il n'y a pas de plafond : la boîte expressive est "collée" sous celui de l'édifice.
Deux tourelles plates encadrent une plate-face double. L'ornementation est constituée des motifs végétaux et floraux, et s'inspire des Rocailles du 18ème. Une première frise parcourt la ceinture de buffet, sur toute la largeur. Les montants sont dotés de chapiteaux corinthiens, que rejoignent des claires-voies très ajourées. Celles du centre présentent une fleur en pendentif. Le haut des tourelles s'orne de couronnements, d'où retombent des guirlandes, et la partie centrale est surmontée d'un grand rinceau comportant une lyre. Les jouées, elles aussi très ajourées, présentent un original grillage carré, tourné à 45°.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un volet coulissant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en gradins de part et d'autre des claviers, munis de porcelaines orientées vers le haut à 45° (l'extrémité du triant, où se situe d'habitude le pommeau, est munie d'un point blanc). Il sont du même modèle qu'à Zellwiller (1899), Dessenheim (1901), Dauendorf (1904) ou Romanswiller (1905). Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et bleu clair pour la pédale. Claviers blancs. Joues légèrement arrondies. Les gradins sont munis d'un petit chanfrein concave. (Dans lequel peut se loger un crayon !)
Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé, et repérées par des porcelaines rondes disposées tout en haut de la console : (à gauche de la plaque d'adresse) "Superoct. koppel I." (I/I 4'), "Suboct. koppel I. z II." (II/I 16'), "Pedal koppel II." (II/P), (à droite) : "Pedal koppel I." (I/P), "Manual koppel" (II/I). Vient ensuite une porcelaine "Expression", mais aucune pour la commande du tremblant. Cette dernière est une pédale à accrocher, différente des autres (gaufrage en losange et non piquée), dont l'ouverture en "L" n'est pas renforcée de métal, et située tout à droite.
Commande des combinaisons fixes par 7 pistons blancs, situés sous le premier clavier, au centre, et repérés par de petites porcelaines rondes placées en regard, entre les deux claviers : "PP", "P.", "MF", "F", "FF", "Tutti", et "0" pour l'annulateur. Banc dont les flancs figurent une lyre.
L'intégralité de la console a l'air de 1905 (y compris la pédale basculante d'expression), sauf la pédale du tremblant et la porcelaine de la Quinte du récit. Mais ces deux derniers éléments ne semblent pas être postérieurs à 1925.
Plaque d'adresse en position centrale, au-dessus du second clavier, constituée de lettres en laiton incrustées sur fond noir, et disant :
Pour gagner de la place en largeur, le grand-orgue est réparti sur 3 sommiers : les basses (C-f') sont derrière la façade, à l'endroit habituel, sur deux sommiers diatoniques, en "M" (basses aux extrémités). Les aigus (fis'-g''') sont logés sur un sommier chromatique disposé dans le grand espace qu'il y a entre les sommiers précédents et le récit (et où se trouve le réservoir, mais plus bas). Les basses sont à droite, vers la cloison droite.
Le récit est au fond, à même hauteur que le grand-orgue. Il est entièrement diatonique, et la Voix céleste est postée en hauteur contre la cloison du fond. Des relais pneumatiques disposés sous les sommiers tirent une vergette qui actionnent la décharge d'un second relais décomprimant la membrane de chaque tuyau. Comme d'habitude dans ce type de transmission, l'alimentation en vent est commune pour toutes les notes de chaque jeu, et spécifique à chaque jeu ("Registerkanzelle").
La pédale est logée le long de la cloison gauche de l'orgue, là aussi diatoniquement, en "M".
A la pédale, il y a bien deux Bourdons 16' (le second n'est pas un "Echobass" réalisé en alimentant différemment les tuyaux du premier). Depuis le centre d'instrument vers la cloison, on trouve le premier Bourdon 16', puis le 8' ouvert, puis la grande Gambe 16' (basses coudées), et enfin le second Bourdon 16'.
La tuyauterie est de belle qualité, très étoffée. La plupart des tuyaux métalliques sont en Spotted, un alliage qui, décidément, gagne ses lettres de noblesse. Les Bourdons sont à calottes mobiles, et les jeux ouverts dotés d'entailles d'accord ou de timbre. Biseaux à dents. Les bouches sont droites à la pédale, mais la Flûte à cheminée du grand-orgue a des bouches arquées dans les basses.
L'orgue de Kogenheim est donc un témoin remarquable de l'approche originale qu'ont adoptée les facteurs alsaciens pour "éclaircir" les palettes sonores après l'époque romantique. Tout comme Georges Schwenkedel, Joseph Rinckenbach a adopté une approche personnelle, très différente de la voie adoptée à partir de 1930 par le néo-classique tel qu'il a été théorisé.
Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Renaud Schmitt.
Remerciements à Georges Walther.
Photos du 12/03/2016.
im67000841 ; nombre de "registres" erroné. La photo semble montrer la façade de 1920.
Localisation :