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Les orgues alsaciens des maisons Cavaillé-coll / Mutin / Convers

Wihr-au-val. Charles Mutin, 1918.Wihr-au-val. Charles Mutin, 1918.

Aristide Cavaillé-Coll a visité l'Alsace lors de son voyage d'étude, en 1844. On pourra consulter sur la page de Lutter un petit compte-rendu des événements. Mais, si son concurrent Joseph Merklin posa une bonne dizaine d'orgues en Alsace, si Walcker en plaça 26, il n'y eut qu'un seul et unique "Cavaillé-Coll" alsacien du vivant d'Aristide. Cela dit, si l'on prend aussi en compte les orgues construits du temps de Charles Mutin, le "parc" est un peu plus large, et s'est encore enrichi avec le temps, avec l'arrivé d'orgues Mutin venant d'autres horizons. Si cette page consacrée aux opus alsaciens de la maison Cavaillé-Coll et successeurs ne comprend pas beaucoup d'instruments, on peut dire que chacun a eu son importance, soit par son impact culturel, soit par son histoire. On ne peut que regretter la disparition (par faits de guerre) de l'orgue Mutin du conservatoire de Strasbourg (celui de 1922). Restent deux "figures" de l'orgue en Alsace : le grand instrument de Guebwiller, Notre-Dame, et celui de Wihr-au-Val.

Sites  Du temps d'Aristide

Miniature 1860 : Mulhouse, St-Etienne
Instrument actuel.
A tout seigneur, tout honneur. Le seul "vrai" Aristide Cavaillé-Coll d'Alsace est à Mulhouse. Pour un orgue "de ville", il a plutôt été bien préservé. Bien sûr, il est actuellement affublé d'un repoussant positif de dos (au moins sa présence prouve une fois de plus que rajouter un tel plan sonore à un orgue romantique est une absurdité), et d'une console dont on peut légitimement penser qu'elle a été dessinée pour être la plus laide possible... mais cela reste un orgue d'exception.

Si bien que c'est sur la page consacrée à son orgue de Mulhouse que l'on suivra le fil de l'installation d'un Cavaillé-Coll dans un haut lieu du textile, et plus généralement dans une région qui, décidément, ne peut rien faire comme les autres.

Sites  L'époque de Charles Mutin

En 1898, Charles Mutin (1861-1931), qui était entré chez Cavaillé-Coll comme apprenti à 14 ans, rachète l'entreprise. "Self-made man" ? Sûrement. Mais il avait surtout épousé une riche héritière : Eugénie Crespin (1870-1953). Entre temps, il avait aussi réussi à marier sa soeur à son maître harmoniste chez Cavaillé-Coll, Joseph Koenig (1846-1926) ; c'est à cause des exploits de leur fils qu'une station du métro parisien s'appelle Bir-Hakeim.

Miniature 1900 : Strasbourg, Cité de la Musique 2ème étage
Instrument actuel.
Le plus ancien Mutin d'Alsace n'y est arrivé qu'en 1965. Il venait de Saint-Benoît-sur-Loire (45). Il fait partie d'une intéressante série d'orgues "de salon", héritière d'une longue tradition initié sous l'ère d'Aristide. C'est l'orgue de l'ancienne "Salle 9" du conservatoire lorsqu'il était situé place de la République. L'instrument est aujourd'hui installé à la "Cité de la musique".

Miniature 1908 : Guebwiller, Notre-Dame
Instrument actuel.
Aristide Cavaillé-Coll est mort en 1899, et son dernier instrument est celui de Paris, St-Ferdinand (à l'origine aux concerts Lamoureux) ; il date de 1898. Mais il y a tellement de Cavaillé-Coll dans le superbe instrument de Guebwiller, que la prestigieuse plaque d'adresse qui orne sa console n'a vraiment rien d'usurpé.

La plaque de l'orgue de Guebwiller, Notre-Dame.La plaque de l'orgue de Guebwiller, Notre-Dame.

Miniature 1913 : Mulhouse, Foyer Notre-Dame

Celui-ci aussi a une plaque "Mutin Cavaillé-Coll". Sommier à gravures, tous les jeux en boîte expressive, console latérale ; il a été inauguré le 29/06/1913. Il fait beaucoup penser à l'orgue "laïc" de l'hôtel de ville de Villeurbanne (69), 1933, où Melle Michelle Dubeuple fut la première organiste "municipale" de France. Evidemment, dans une maison de retraite (rue Thénard), l'orgue de Mulhouse a dû accompagner moins de mariages. Mais il est resté entièrement authentique.

Certains tuyaux (le Basson 16' en particulier) de l'ancien orgue de Sarralbe, St-Martin, sont intégrés dans l'orgue de Galfingue. Il s'agissait d'un instrument Mutin-Cavaillé-Coll, 1914 (l'opus 1038). Il a été réparé par Roethinger en 1948 suite aux dommages de guerre, puis par Jean-Georges Koenig en 1956 suite à des dégâts d'eau provoqués par un coup de foudre suivi d'un incendie. Après l'eau et le feu, le malheureux instrument a été confronté à Hubert Elsen et Alexander Baron (avec les conséquences que l'on imagine). Bernard Aubertin plaça un orgue neuf en 1987. Or, il restait encore au grand-orgue de l'instrument démonté un Basson 16' au moins en partie d'origine, de Mutin, qu'il aurait été dommage de laisser perdre.

Miniature 1918 : Wihr-au-Val (région de Munster), St-Martin
Instrument actuel.
C'est sur cet orgue qu'Yvonne Monceau a enregistré l'intégrale d'Augustin Barié. L'histoire de ce globe-trotter à tuyaux a fait l'objet d'une étude par Samuel Wernain ; on y croise Albert Schweitzer (qui fit en sorte que l'orgue vint en Alsace), Édouard Nies-Berger, Marius Monnikendam et Claude Dubosq. C'est le père de ce dernier qui avait commandé à Mutin un "instrument de travail et de prière" pour son fils, ajoutant que "s'il est victime de la guerre, je donnerai l'orgue à une église". C'était ça, les années 1910... L' "instrument de travail et de prière" est l'un des orgues les plus attachants qui soient. Une fois de plus, merci, Albert.

Miniature après 1920 : Strasbourg, Cinéma des Arcades

Placé dans un cinéma (comme de nombreux orgues à l'époque), cet instrument a été déménagé à Tieffenbach en 1943. Malheureusmeent, il disparut peu après.

Miniature 1922 : Strasbourg, Conservatoire Salle de concert

Cet orgue n'existe plus. Il avait été construit pour le "nouveau" conservatoire de Strasbourg (place de la République). Cité dans l'ouvrage fondamental d'Emile Rupp, il eut un rôle important dans l'évolution de l'esthétique néo-classique en Alsace.

Miniature 1925 : Herrlisheim-près-Colmar (région de Wintzenheim), St-Michel
Remplacé par Christian Guerrier (1988).
Il s'agissait de l'ancien orgue de salon de Mme Vogelweith, qui datait de 1925. Il avait reçu un clavier de récit en 1927, construit par la maison Voegtlé d'Epinal. C'est en 1953 que Pierre Huguin, de Champs-le-Duc, amena l'orgue d'Auguste Convers à Herrlisheim. Dans les années 1980, la composition relevait carrément du "bizarre", et l'inventaire des orgues lâcha ici en 1986 un de ses rares "état : lamentable". Mais Herrlisheim ne se découragea pas et sut faire un tout cohérent de cet instrument : l'orgue a été reconstruit en 1988 par Christian Guerrier, et, sur place, la chose a vraiment fière allure.

En 1924, Charles Mutin, l'ex séminariste, l'apprenti devenu patron, le séducteur (demandez à Louis Vierne), qui n'eut finalement comme tort que de succéder à un génie (Aristide Cavaillé-Coll), prit une retraite bien méritée. Emile Rupp, en tant qu'observateur non-parisien de l'orgue français, laisse cet hommage : "Sein Name wird in des Geschichte des orgelbaues nie vergessen werden, sondern fortleben als der eines charaktervollen Mannes, der in einer Zeit der Vergötterung des Artfremden zäh festgehalten hat am bewährten Alten und dadurch sich nicht nur den Dank der französischen, sondern auch der ausländischen Organistenwelt gesichert hat auf ewige Zeiten !".

Sites  Après Charles Mutin

En avril 1924, le directeur commercial et technique de la maison "Cavaillé-Coll successeur", Auguste Convers, prit la tête de l'entreprise. Il était bien décidé à ajouter des Mutations à ses orgues, et à vendre des tractions électriques. A ce poste, il dura 4 ans. La prestigieuse maison parisienne disparut peu à peu, au cours de fusions/acquisitions qui n'avaient pas grand chose à voir avec la Musique. Charles Mutin était encore vivant, bien qu'à la retraite. C'est peut-être quand même à lui qu'il faut attribuer les derniers orgues de la maison.

Miniature vers 1925 : Lapoutroie, Eglise Ste-Richarde de Hachimette
Instrument actuel.
En 2011, Antoine Bois restaura et installa à Hachimette un orgue Convers / Cavaillé-Coll, 1925, provenant du Touquet. Cet instrument avait été rendu disponible après la construction pour l’église Sainte-Jeanne d’Arc du Touquet de l'orgue Pascal Quoirin, inauguré le 28/09/2008. Commandé avant la guerre, l'orgue Convers n'avait été installé qu'en 1925 et inauguré le 08/08/1926. Il est donc attribuable à la période "Auguste Convers" (entre 1924 et 1928), mais il n'est pas exclu que l'instrument ait été commencé bien plus tôt. En 1954, un relevage a été effectué par Jean Decroix (Marles-les-Mines). En 1984, Michel Garnier (de Lumbres) fit quelques transformations et réharmonisa l'instrument. En 1996, il y eut à nouveau un relevage, par Bernard Bocquelet (Longuenesse), mais l'état de l'instrument aurait nécessité une intervention plus en profondeur. Ensuite, l'orgue s'est encore dégradé, et il était surtout inadapté à l'usage que l'on voulait en faire. Le nouvel instrument, de 37 jeux sur 3 claviers et pédale, est en effet beaucoup plus grand et donne accès à un répertoire plus large.

La plaque de l'orgue de Hachimette...."à Paris",
        certes, mais c'est bien à Hachimette que se trouve aujourd'hui un des exemplaires de la plus
        belle plaque d'adresse du monde de l'Orgue.La plaque de l'orgue de Hachimette.
..."à Paris", certes, mais c'est bien à Hachimette que se trouve aujourd'hui un des exemplaires de la plus belle plaque d'adresse du monde de l'Orgue.

Miniature vers 1930? : Kesseldorf (région de Seltz), Notre-Dame de la Nativité
Instrument actuel.
L'histoire de l'orgue de Kesseldorf est particulièrement attachante, par son côté conte d'Erckmann-Chatrian. Cet orgue Mutin - un ancien orgue de cinéma ! - avait "échoué" dans une toute petite commune : on aurait pu le croire condamné, une aussi petite communauté n'ayant bien sûr pas les moyens d'entretenir un tel instrument. Bien sûr. C'est du moins ce que l'on entend partout ailleurs. Mais à Kesseldorf (un peu plus de 330 habitants, soit un peu moins de la moitié du nombre de tuyaux qu'il y a dans leur orgue), on réalise des choses impossibles, sûrement parce qu'on ne savait pas qu'elles l'étaient.

L'histoire commence à la fin de la seconde Guerre mondiale, face à la petite église endommagée durant le conflit. Au lieu de baisser les bras, on reconstruit, et on dote même l'édifice de vitraux de Werlé en 1953. "Avant", l'église était dotée d'un orgue. Mais le remplacer était impossible, vu le coût d'un instrument neuf. On chercha donc d'autres solutions. Cet orgue n' "échoua" pas à Kesseldorf : on l'y a adopté. Il était au cinéma "Capitole" (situé au n.3 de la rue du 22 Novembre à Strasbourg) où il avait été installé au temps du muet. Avec l'arrivée du parlant, certaines Stars passèrent de la gloire à l'oubli, d'autres furent rapidement promues. Tant qu'à passer de la musique enregistrée, pour accompagner les scènes judicieusement "floutées", on préférait des nappes de violons ; et les orgues de cinéma furent éliminés, tout comme les vedettes du muet.
On demanda à Louis Blessig de déménager "zi Artist", et de l'adapter à sa nouvelle mission : des Temps Modernes au Temps Pascal, il n'y eut qu'un pas.
Il n'est pas sûr qu'à l'origine, à Kesseldorf, on était tout à fait conscient de la valeur de cet achat. Il faut concéder que "Mutin" ne disait pas grand chose à grand monde. Dans l'inventaire historique, Pie Meyer-Siat lui-même passe complètement à côté : il ne dit même pas d'où vient l'instrument, qui est juste qualifié d' "orgue d'occasion" ! C'est vrai que pour une occasion, c'était une Occasion... L'inventaire technique des orgues du Bas-Rhin (1986), ouvert à la page de Kesseldorf, indique que l'état de l'instrument est mauvais, et qu'il sera "remplacé par un orgue électronique". La situation paraissait désespérée.
Non seulement Kesseldorf sauva son orgue, mais sut aussi l'entretenir. Elle l'aurait fait quelque soit le facteur qui l'a construit. Il se trouve que c'est un Mutin. Dénouement quasi cinématographique, genre conte de fées. A Kesseldorf, la magie surgit, un peu comme lorsqu'un violoneux itinérant sort de son étui un Stradivarius, et laisse bouche bée le Citadin qui croyait la ramener...
Et le cinéma Capitole, dans tout cela ? Bien sûr, il ne s'est jamais remis de la perte de son orgue. Privé de cet élément vital, il a fini par fermer ses portes... certes seulement en 2003. Interminable agonie. Moralité : ne jamais vendre son orgue. Surtout si on a oublié que c'est un Mutin.

Charles Mutin est mort le 29 mai 1931. L'esthétique "néo-classique" de l'Orgue prit alors une nouvelle orientation.

Références

Sources et bibliographie :

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