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Les orgues de la région de Mulhouse
Mulhouse, St-Etienne
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Mulhouse, St-Etienne, l'orgue Cavaillé-Coll, le 14/08/2005.Mulhouse, St-Etienne, l'orgue Cavaillé-Coll, le 14/08/2005.

En Alsace, les années 1860 étaient une période plutôt prospère. Les grandes paroisses avaient les moyens de se payer des instruments d'exception, commandés chez des facteurs réputés. C'étaient, par exemple, des orgues de Joseph Merklin, ou d'Eberhard Friedrich Walcker. Pour son nouvel édifice, la paroisse St-Etienne (catholique) de Mulhouse préféra s'adresser à Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899). Cet orgue sera le seul "vrai" Cavaillé-Coll d'Alsace.

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Historique

Le projet d'un orgue "parisien" pour Mulhouse vit le jour en 1859. Joseph Koechlin-Schlumberger, alors maire de Mulhouse, s'en occupait bien sûr personnellement. Il y eut un premier devis d'Aristide Cavaillé-Coll tout début 1859 : 43 jeux sur 3 manuels et pédale. Mais c'était cher. Trop cher. Surtout qu'il n'y avait même pas de buffet (les orgues parisiens s'entendaient "sans buffet"). Comme on ne pouvait pas trop négocier, et qu'on ne voulait pas réduire les ambitions, on décida d'échelonner les dépenses : le 31/03/1859, une version "allégée" du projet initial fut signée. La première tranche allait comprendre seulement le grand-orgue et la pédale (et encore avec des jeux manquants (faute de fonds, on se passe d'anches). Le positif (intérieur) restait bien sûr "prévu". Puisque 3 claviers étaient présents à la console, on décida de placer temporairement la batterie d'anches (Bombarde, Trompette, Clairon) du grand-orgue sur celui du positif. Le grand-orgue complet pourrait, en attendant, être joué en accouplant les deux claviers. La commande pour le buffet date du 19/08/1859 : elle est adressée à Charles Blumer, de Strasbourg. Pendant les travaux, on trouva quelques ressources supplémentaires, ce qui permit d'ajouter au marché, le 30/01/1860, le récit tel qu'il avait été prévu, ainsi que d'éliminer les concessions en jeux. On allait donc réaliser le projet initial, à l'exception du positif. Tel fut l'orgue inauguré le 24/10/1860. [YMParisAlsace]

Un mot concernant les édifices mulhousiens désignés par le nom "St-Etienne" n'est peut-être pas superflu. Il y avait déjà deux édifices "historiques" :

- l'actuelle église réformée St-Etienne, reconstruite au 19ème siècle (par Jean-Baptiste Schacre) sur l'emplacement d'un sanctuaire remontant au 12ème siècle. C'est à cet endroit que se trouvaient les orgues du 15ème (Bernardin Schmitt), du 17ème (Hans Huodt ou Mudderer), du 18ème (celui de Simon Burckhardt et celui de Jean-André Silbermann, 1766, dont le buffet se trouve à église réformée St-Jean), et que fut finalement construit le grand Walcker (1866 et 1909).

- L'actuel édifice consacré à Ste-Marie-Auxiliatrice, qui était l'ancienne église des Franciscains. On l'appelait "Barfüsser-Kirche", littéralement, "l'église des pieds-nus". Parfois, on l'appelle aussi "D'alte Kirch" - la vieille église. Au départ des Franciscains de Mulhouse (1524), elle devint... un grenier. A partir de 1529, le choeur fut progressivement utilisé à nouveau, et officiellement autorisé dès 1658 pour le culte réformé. De 1661 à 1812, on parla d'église réformée "française", puis l'édifice fut donné aux catholiques, qui le consacrèrent à St-Etienne. "Mulhouse, St-Etienne", de 1812 à 1860, désigne l'édifice qui est actuellement Ste-Marie-Auxiliatrice.

L'église catholique St-Etienne actuelle fut construite de 1855 à 1860, aussi par Jean-Baptiste Schacre (1808 - 1876), dans un style néo-gothique. Pour ce splendide édifice neuf, la paroisse voulut un orgue d'exception, et s'adressa tout simplement au plus grand : Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899). Car les orgues parisiens "faisaient rêver" : on se souviendra longtemps, à Gambsheim, de l'affaire du devis Stoltz. ("En moyenne, les 924 notes coûteront chaque 11,364 f."). Le projet fut abandonné (forcément : avec de tels arguments, Mozart eut renoncé à son Requiem), mais l'idée fit son chemin. Un chemin qui passa par Mulhouse.

En 1859-60, Lemmens mettait la dernière main à sa méthode ("l'Ecole d'orgue"). Saint-Saëns était à la Madeleine (après Lefébure-Wély, les paroissiens avait dû avoir un choc...) Dans la production du prestigieux atelier du 94 de la rue de Vaugirard ("Grande médaille d'honneur de l'Exposition universelle en 1855"), l'orgue de Mulhouse arrivait peu après ceux de St-Jean d'Elboeuf, l'orgue de choeur de St-Sulpice à Paris, et celui pour la basilique Ste-Clotilde. Juste après allaient suivre l'orgue de la cathédrale de Bayeux, et le grand-orgue de St-Sulpice (1862). [YMParisAlsace] [ACCoriginesVieOeuvres]

On a donc vu qu'au lieu de réaliser un 3-claviers "normal" (pédale, grand-orgue, positif, récit), ce fut un 2-claviers qui fut réalisé, avec tout ce qu'il faut pour le compléter, et surtout avec une console à trois manuels. Ce qui est assez extraordinaire, c'est que le grand-orgue répondait au clavier du milieu, comme dans les instruments classiques munis d'un positif de dos : c'était assurément une disposition plus habituelle pour les organistes alsaciens. L'orgue Cavaillé-Coll était atypique dans son "éco-système", et avait bel et bien été "alsaciennisé". [YMParisAlsace]

En plus, son buffet venait de Strasbourg...

!Dans ces compositions, les jeux suivis d'une étoile sont dits "de combinaison" : ils sont appelables (ou annulables) à l'aide d'une pédale dite "de combinaisons".

L'orgue a été inauguré par Théodore Thurner et Joseph Heyberger. Ce fut la première fois que le public avait accès à l'intérieur du nouvel édifice. La consécration de l'église était programmée pour le 11 novembre. L'orgue a donc été inauguré... avant son édifice, et personne n'a jamais connu l'église St-Etienne sans orgue. [YMParisAlsace] [Menestrel]

L'hebdomadaire parisien "Ménestrel" reprend un article de "L'Industriel alsacien", qui fait un fort bon accueil à l'orgue, ainsi qu'à la prestation de Thurner. Un peu plus tard, le même "L'Industriel alsacien" (cette fois non repris par le Ménestrel) fait montre, dans un autre article, d'une modestie un peut "fayotte" : si "très certainement, parmi les orgues de notre province, si riche en belles oeuvres de ce genre, nul ne peut lui être comparé", "ce n'est point le chef-d'oeuvre du grand facteur de Paris, qui a fait l'orgue de la Madeleine et plusieurs autres de la capitale". En d'autres termes, on se garderait bien d'avoir fait aussi bien qu'à Paris...

Le 19 août, ce fut au tour des cloches d'être inaugurées. La "revue catholique de l'Alsace" rapporte que "M. Heyberger, qui tenait l'orgue, sorti des ateliers de M. Cavaillé-Colle [sic], tira du nouvel instrument des accords admirables". Dans "L'Industriel alsacien", cette fois, on se lâche, et l'heure est au lyrisme patriotique débridé un rien guerrier : "C'était émouvant d'entendre ces voix de soldats confondre leurs graves accents avec les sons harmonieux du vibrant airain. En ce moment la pensée de l'Empereur et de la patrie, mêlée au sentiment de reconnaissance envers l'autorité locale, transportait visiblement tous les coeurs et les unissait dans une prière commune". [RCAlsace]

Pose du positif intérieur

Le positif (intérieur) fut finalement posé en 1862-1863 (expertise de Charles Jungnickel). [YMParisAlsace]

Le devis pour compléter l'instrument avec son positif est daté du 08/04/1862. A cette occasion, un problème - jusque là pudiquement dissimulé - ressurgit assez vite : il n'y a pas de Cornet au grand-orgue ! (Un orgue alsacien se doit de disposer d'un Cornet.) Et Joseph Heyberger, l'organiste de St-Etienne avait un autre souci : trop d'anches (et donc pas assez de jeux de fonds). [YMParisAlsace]

Voici la composition initialement prévue pour le positif:

[YMParisAlsace]

Et voici celle du positif "alsacien" de Cavaillé-Coll issue de la négociation :

Au moment de réaliser, Cavaillé-Coll ajoutera même un Quintaton 8'. On a pu lire que ce positif était expressif dès l'origine. Mais rien, dans les documents, ne vient corroborer cette affirmation. L'orgue privé (IV/P 37j) construit en 1865 pour le marquis de Lamberye à Gerbéwiller (pas celui qu'il offrit à la paroisse... et qui explique peut-être pourquoi il dut se contenter de quatre claviers seulement pour le sien) reste bien le premier positif expressif de Cavaillé-Coll. [IOLMM] [YMParisAlsace]

Voici la composition de l'orgue achevé:

Cornet ou bâton ?

Contrairement à Joseph Merklin, qui n'avait rien contre les Cornets (il en plaça plusieurs en Alsace), Cavaillé-Coll n'aimait pas beaucoup ce demi-jeu puissant, compliqué (posté ; 150 tuyaux à harmoniser et accorder, au bas mot) et conçu à l'origine pour pallier à un défaut des anches "classiques" (trop fortes dans les graves), qui n'affectait même pas les siennes ! Pour Cavaillé-Coll, un Cornet était clairement un atavisme, et entravait le savant système de progression harmonique qu'il avait adopté. Mais bon, il posa donc bel et bien un Cornet dans son orgue alsacien ("planqué" au positif, toutefois, et pas au (et devant le) grand-orgue, comme c'est l'usage). Lorsqu'il rédigea un devis pour Obernai, il alla même jusqu'à proposer à nouveau un Cornet, devinant que cela répondait à un besoin local difficilement explicable, un peu comme cette habitude de prendre le café en même temps que le dessert. C'est Merklin qui fut retenu : avec les Cornets comme avec le café, il ne faisait pas semblant.

Au final, c'est bien d'un orgue "symphonique" dont il s'agit ici. Si la différence entre "romantique" et "symphonique" est souvent très artificielle, cet instrument est l'un des seuls en Alsace pouvant sans risque servir d'exemple d'orgue vraiment symphonique...

...mais il est quand même romantique.

En 1882, Emile Wetzel fit une réparation. [ITOA]

D'après plusieurs sources, cet orgue eut à souffrir de problèmes mécaniques, et ce dès le début. Son constructeur les attribuait au fait que l'instrument a été placé avant même que l'édifice ne soit totalement achevé. De fait, la poussière, l'humidité et le vent, une fois admises dans un édifice, ne font pas de bien (la sécheresse non plus, d'ailleurs). Mais le principale cause pourrait être le travail des matériaux trop jeunes (tribune en particulier), "chargés" trop rapidement. Toujours est-il que même avant la pose du positif, Cavaillé-Coll avait indiqué qu'il faudra faire des révisions lors de la pose de celui-ci.

En 1909, c'est à Martin et Joseph Rinckenbach que l'on demanda d'agrandir l'instrument, en y ajoutant 8 jeux. [ITOA]

Ce ne fut probablement pas le meilleur travail de la grande maison d'Ammerschwihr (Martin avait travaillé chez Cavaillé-Coll) : pour trouver de la place, le récit dut être pivoté de 90 degrés pour le mettre en position transversale, ce qui altérait l'architecture de l'instrument. Mais il est vrai que dès le début, l'orgue paraît avoir été "un peu juste" : des commentaires, souvent retrouvés, du genre "malgré son nombre réduit de jeu, cet orgue dispose d'une puissance suffisante" trahissant évidemment le contraire de la proposition énoncée. Les 8 jeux n'étaient sans doute pas superflus. Malheureusement, suite aux "travaux" de 1963, il n'en reste rien.

En 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités allemandes. [Palissy]

En 1928, la maison Convers / Cavaillé-Coll (Auguste Convers avait repris la maison Cavaillé-Coll après Charles Mutin) vint remplacer la façade. Ce travail fut reçu le 18/03/1928 par Marcel Dupré. [Barth] [ITOA]

La Néo-baroquisation de 1963

Malheureusement, l'orgue Cavaillé-Coll de Mulhouse eut un bien triste centenaire. En 1963, on demanda à la maison Max Roethinger (déjà mourante car pratiquant le "néo-baroque" avec un évident rejet) d'ajouter un positif de dos. Avec Cymbale et Larigot... [Panneaux] [ITOA]

A l'évidence, absolument aucun effort ne fut fait pour tenter d'intégrer cette "verrue" au prestigieux instrument existant. Ni visuellement, ni musicalement. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser que cela a été fait, délibérément, de manière choquante, pour pousser le spectateur (ou l'auditeur) à prendre conscience de l'absurdité de la chose... Une sorte de second degré, de provocation à vocation pédagogique. Malheureusement, si cette hypothèse est exacte, s'il s'agissait bel et bien d'une caricature, le résultat ne fut pas celui escompté : plus c'était dérangeant et "décalé," plus cela plaisait aux années 60-70. La "vinaigrette sur le dessert" fut donc considérée comme du bon goût avant-gardiste, et copieusement encensée par les commentaires de l'époque (généralement soigneusement repris depuis).

En plus, la Gambe du grand-orgue fut supprimée, au profit d'un couple Fourniture et Cymbale de 9 rangs en tout... La Doublette du positif a été décalée en Tierce 1'3/5. La pédale fut gravement touchée, puisqu'elle prit des couleurs "nordiques" avec une Mixture, un 2' et un Chalumeau 4' ! [Panneaux] [ITOA]

Le récit ne fut pas replacé dans sa position originale (puisqu'il était toujours tourné en 1986), malgré la disparition pure et simple des ajouts de 1909 qui, eux, étaient dans le style originel. On peut aussi se demander si ce n'est pas à cette occasion que le buffet fut amputé de sa galerie ajourée supérieure. Le positif a été rendu expressif, mais on ne sait pas bien si c'est en 1963. Enfin, et c'est là le plus regrettable, la console de Cavaillé-Coll (on sait qu'elle était sculptée, et devait évidemment être à elle seule une oeuvre d'art) fut tout simplement supprimée, au profit d'un meuble bien "moderne". [ITOA] [Palissy]

Après les errements de 1963, l'orgue fut confié à Daniel Kern en 1987. Il s'agissait avant tout d'un relevage. Le récit reprit sa position normale, et les travaux furent assortis d'une réharmonisation de la Soubasse (de 1963), et d'une restitution de la Gambe du grand-orgue. [Panneaux]

...avec évacuation sanitaire de la Cymbale de 1963. Tout cela était un pas dans le bon sens, mais un pas seulement. L'orgue Cavaillé-Coll de Mulhouse est toujours affublé d'un positif de dos, d'une console indigne d'un orgue de maison de retraite, et vit sous la menace permanente que quelqu'un, que ce soit par un acte délibéré ou juste irréfléchi, ne tire tout à coup cet effrayant Larigot !

Pour revenir à plus de sérieux (et aux claviers supérieurs), il faut souligner que cet instrument est surtout, et avant tout, servi par certains des plus talentueux artistes alsaciens : Pascal Reber a accédé à la tribune en 1995. Mais aussi Guillaume Nussbaum. Et la 8ème symphonie de Widor a été enregistrée ici par Frédéric Ledroit (créateur des Tuttis Citoyens, certes, mais surtout du Requiem, op.50). Car ce qui compte le plus pour un orgue, c'est comment il est joué.

Le buffet

Le grand buffet en chêne, de style néo-gothique, est dû au menuisier strasbourgeois Charles Blumer, sur les dessins de l'architecte de l'édifice, Jean-Baptiste Schacre. Il a 6m de large, sur pratiquement 10m de hauteur (c'est un "vrai 16 pieds").

L'absurde positif de dos sans buffet, défigurant l'aspect de ce magnifique buffet est une erreur datant de 1963 qui semble bien longue à être corrigée.

L'architecture générale du buffet consiste en trois tourelles en tiers-point (la plus grande au centre), encadrant deux plates-faces complexes ; ces dernières sont doubles : la partie basse, à nouveau doublée verticalement, est munie de frontons ; la partie haute est triplée, dans un rapport 1/5 3/5 1/5. De petites façades latérales donnent plus de volume à l'ensemble. L'ornementation reprend l'essentiel du langage néo-gothique : frises ajourées, moulures rapportées, colonnettes, clochetons, crochets et pinacles.

Il existe une photo qui montre l'orgue sans son "positif de dos" (la balustrade était juste ininterrompue dans la partie centrale, et serait donc restaurable). Elle montre aussi une galerie ajourée supérieure, dans le couronnement de l'orgue, qui a donc malheureusement disparu au 20ème siècle. [Panneaux] [Palissy]

Caractéristiques instrumentales

Console:
La vilaine console de 1963.Photo de Roland Lopes, 09/06/2010.La vilaine console de 1963.
Photo de Roland Lopes, 09/06/2010.

Console indépendante face à la nef, de 1963, réalisée sans aucun souci esthétique, et remplaçant la console Cavaillé-Coll d'origine, qui a disparu à cette occasion. Claviers blancs, tirants de jeux (commandes électriques) placés en gradins des deux côtés des claviers. Accouplements par tirants, au-dessus des claviers. Combinaison libre par rotation des tirants. Voltmètre. La plaque d'adresse "A. Cavaillé-Coll" est... une copie !

Transmission:

mécanique à équerres (1963). Barker au grand-orgue (1914 ou 1963) et au positif (authentique : 1863). Tirage des jeux électrique (1963).

Sommiers:

à gravure, authentiques (1860 et 1863) pour le grand-orgue, le positif et la pédale (dans cet ordre depuis la façade jusqu'au fond du buffet). Les compléments à 56 notes des manuels et 30 de la pédale datent sûrement de 1963.

Sites Aristide Cavaillé-Coll et l'Alsace

Si son concurrent Joseph Merklin a posé de nombreux orgues en Alsace, Aristide Cavaillé-Coll n'y a livré que celui de Mulhouse, et c'est réellement le seul orgue Cavaillé-Coll placé du vivant d'Aristide entre Wissembourg et Delle.

"Cavaillerou" avait appris à connaître l'Alsace durant son voyage d'étude, en 1844 : il était passé par Lutter (où on ira consulter les péripéties de cet épisode haut en couleurs).

Après Mulhouse (1860), qui inaugura la série d'orgues "parisiens" en Alsace, Cavaillé-Coll n'en posa donc plus : le marché de l'église réformée St-Etienne lui échappa en raison d'un malentendu au sujet de la réutilisation des tuyaux Silbermann (de l'orgue dont le buffet se trouve aujourd'hui à l'église réformée St-Jean). L'affaire alla à l'autre plus grand facteur d'orgues du monde : Eberhard Friedrich Walcker. Le marché d'Obernai (1879, 38 jeux) lui échappa au profit de Joseph Merklin, dont les origines germaniques, une fois l'Alsace devenue allemande, adoucissaient peut-être la démarche consistant à acheter un orgue parisien ; démarche que certains auraient pu estimer un rien militante... (voir patriotique ?)

Mais il y a d'autres plaques "Cavaillé-Coll" en Alsace : à commencer par celle de Guebwiller, Notre-Dame, où le magnifique instrument (1908), plutôt bien conservé, est tout à fait digne d'Aristide (décédé en 1899). Charles Mutin avait su conserver la "culture d'entreprise", et cet orgue reste un "Cavaillé-Coll" jusqu'au bout de ses entailles de timbre.

La plaque du grand Mutin de Guebwiller.La plaque du grand Mutin de Guebwiller.

Bien sûr, tout comme il y a légion de "faux Silbermann", au moins deux "ACC" sont du domaine de la légende. Celle du premier se forgea en 1899, quand Franz Kriess installa à Rosteig un bien bel orgue venant d'Oermingen. On croyait savoir qu'il avait été construit par Jean-Frédéric Verschneider (Puttelange) en 1826. Mais, surprise, le "Verschneider" était toujours à Oermingen, en fait à l'église protestante. D'où l'apparition d'un vide forcément rempli avec un "Cavaillé-Coll"... Or, les ateliers de Puttelange avaient bel et bien construit pour Oermingen deux orgues en 1826 : un pour l'église catholique, un autre pour l'église protestante. Le premier alla à Rosteig, alors que le second était resté tranquillement au fond de sa tribune.

Il est aussi inutile d'aller chercher un Cavaillé-Coll à chapelle gothique de Logelbach (sur la commune de Wintzenheim, à côté de Colmar). Ce bel édifice en grès, construit par les Herzog au siècle dernier (abandonné lors de notre visite), contient en fait un harmonium "Parkard Organ" de Fort-Waye Ind. (USA). Il a 12 jeux et un clavier de 5 octaves (commençant au Fa). Il n'a donc rien à voir ni avec la rue de Vaugirard, ni avec l'avenue du Maine.

De 1900 est daté le petit orgue Mutin situé au 2ème étage de la Cité de la Musique à Strasbourg. Il est venu de St-Benoît-sur-Loire en 1965.

Le petit orgue entièrement expressif situé au foyer Notre-Dame à Mulhouse (c'est aujourd'hui une maison de retraite du groupe "St-Sauveur") a été inauguré le 23/06/1913. Il porte une plaque "Mutin-Cavaillé-Coll" ; il est resté authentique.

Un autre "monument" de l'âge d'or de la facture française porte aussi cette plaque "Mutin-Cavaillé-Coll". Cet instrument, celui de Wihr-au-Val, n'avait pas été construit pour l'Alsace. C'était l'ancien orgue "de salon" (on dit : "Instrument de travail et de prière"), daté de 1918, de la famille Duboscq ; en 1939, le compositeur hollandais Marius Monnikendam le racheta, mais dut s'en séparer pour des raisons financières ; il fut installé à Wihr-au-Val en 1955, grâce à l'engagement d'Albert Schweitzer. C'est aussi l'un des instruments préférés de Pascal Reber, celui sur lequel il enregistra son "Hommage à Albert Schweitzer".

La console de "l'instrument de travail et de prière".La console de "l'instrument de travail et de prière".

Il ne faut pas oublier, en parlant de Cavaillé-Coll et ses successeurs, d'évoquer la petite localité de Kesseldorf. Les origines laïques de son "Mutin" (il vient du cinéma "Capitole" de Strasbourg), et son histoire exemplaire (grâce à l'engagement des habitants de Kesseldorf) en font un instrument extrêmement attachant, et assurément une des "découvertes" incontournables de l'orgue alsacien. (Un entretien récent a encore été décidé, le 03/01/2011. Il est réjouissant de constater qu'il y a donc encore beaucoup de gens attachés à cet instrument "Issu de la Diversité".)

Enfin, le "petit dernier" (par ordre d'apparition sur la scène alsacienne), n'est arrivé qu'en 2011. C'est celui de Lapoutroie, église Ste-Richarde de Hachimette. Une autre histoire assez incroyable, puisque cet instrument a littéralement été sauvé de la benne. Voici sa plaque :

Outre les orgues eux-mêmes, la célèbre maison parisienne eut beaucoup d'influence en Alsace, même lorsque cette dernière fut devenue allemande. En effet, Martin Rinckenbach avait été formé chez Cavaillé-Coll, et allait s'imposer, après 1870, comme l'acteur majeur de la facture alsacienne. Martin, décédé en 1917, ne revit jamais son Alsace française, mais son fils Joseph, si. Et que fit Joseph à Scherwiller dès 1921 ? Il posa une Batterie d'anches complète au récit. L'Orgue alsacien aussi, ce jour-là, avec juste un peu de retard, redevint français, en adressant un salut au Parisien de Toulouse.

Caractéristique du Travailleur Acharné est l'horloge dans le dos.Le trivial écoulement du temps ne vient pas perturber le Patron (qui se moque de l'heure qu'il est),mais s'imposera à son éventuel visiteur. Et que ce soit clair : "Ultima necat"."Quelle était donc votre question au sujet d'un Cornet ?- Euh... Non, rien..."Caractéristique du Travailleur Acharné est l'horloge dans le dos.
Le trivial écoulement du temps ne vient pas perturber le Patron (qui se moque de l'heure qu'il est),
mais s'imposera à son éventuel visiteur. Et que ce soit clair : "Ultima necat".
"Quelle était donc votre question au sujet d'un Cornet ?
- Euh... Non, rien..."
Le grand orgue Cavaillé-Coll, 1860, de l'église St-Etienne de Mulhouse.Photo de Roland Lopes, 09/06/2010Le grand orgue Cavaillé-Coll, 1860, de l'église St-Etienne de Mulhouse.
Photo de Roland Lopes, 09/06/2010

Références Sources et bibliographie :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F680224009P01
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