L'histoire des orgues de d'Hachimette est la parfaite illustration de la diversité du patrimoine instrumental de la région. L'édifice a successivement abrité deux orgues "venus d'ailleurs", ce qui en fait un cas probablement unique en Alsace, très attachée à la production locale.
Historique
C'est en 1967 qu'Alexander Baron installa à Hachimette un orgue qui avait été construit en 1927 par la maison Eberhard Friedrich Walcker pour les Diaconesses de Wülfrath-Oberdüssel. [ITOA] [IHOA]
Baron, le bourreau de l'orgue d'Insming (Moselle), et son compère Hubert Elsen s'étaient fait une spécialité de "récupérer" des orgues d'occasion un peu partout, et de les replacer (en entier ou en partie), un peu partout ailleurs, parfois avec des transmissions invraisemblables. Ils "achevèrent" littéralement un orgue Mutin-Cavaillé-Coll, 1914 (opus 1038) à Sarralbe, St-Martin (voir l'histoire du Basson de Galfingue). En Alsace, on ne vit Baron à l'œuvre qu'à Obernai où il amena (sans buffet) ce qui restait de l'orgue Walcker, 1907, provenant de Hochemmerich, et ici, à Hachimette. Mais là, ils laissèrent visiblement l'instrument 100% authentique.
Il s'agit de l'opus 2172 de la maison Walcker, construit en 1927 pour l'église de la maison-mère des Diaconesses de Wülfrath-Oberdüssel, près de Düsseldorf. Il y a été livré le 21/08/1927.
Dans le projet de composition, la Voix céleste a été ajoutée (d'une autre main, et causant une re-numérotation). Il semble qu'en échange, on ait renoncé à une Gambe 8' pour la pédale. On y décrit une Octave-Mixture (i.e. Principal 4' dans les deux premières octaves - en fait C-b - puis Mixture progressive, sans Tierce). Le commentaire "weicher Flötenton" (timbre flûté doux) a été rayé : on voulait quelque chose de plus principalisant !
Il faut noter quelque chose de remarquable (d'abord parce que l'Inventaire de 1986 est passé à côté) : le récit, doté de 68 notes (donc d'une octave aiguë supplémentaire) dispose des deux accouplements à l'octave : II/II 16' et II/II 4', ce dernier étant "réel" (fonctionnant jusque dans la dernière octave du clavier). Ces accouplements à l'octave étant transitifs avec l'accouplement sur le grand-orgue, on a aussi II/I 4' (et II/I 16'). Donc, d'un point de vue sonore, cet orgue, en plus de sa composition "visible", est muni de trois 4' et d'un 2' supplémentaires complets. Et le choeur de Voix céleste 16' 8' 4' est réalisable à partir du récit uniquement, laissant le grand-orgue pour un autre timbre.
Le libellé de la combinaison fixe est "Choral - Mezzoforte". Il est précisé que l'appel du Tutti ne doit pas activer les accouplements à l'octave.
L'orgue a été vendu en 1967, et c'est ainsi que Baron a pu mettre la main dessus.
La maison Walcker a construit plusieurs instruments assez proches, mais sans avoir tout à fait les caractéristiques de celui d'Hachimette (les Walcker sont tous différents !) :
L'opus 1671 pour l'Altkatholische Kirche de Dortmund (1912) (WOB 24/518), prévu à l'origine avec une composition analogue, a probablement été réalisé avec une composition très différente.
L'opus 1778 pour l'Oberrealschule d'Essen/Ruhr (1913) (WOB 26/70) a au grand-orgue un Principal 4' I en extension de la Montre (sans "complément Mixture" dans le dessus), et le second jeu de pédale est un emprunt de la Gambe du récit.
L'opus 2108 pour Zollgrün (1926) (WOB 29/458) a un "Celloprincipal" au récit (et une Aeoline à la place de la Voix céleste), et le second jeu de pédale est un emprunt de la Gambe du récit. Mais on y trouve bien la fameuse "Octav-Mixtur".
L'opus 2205, orgue privé pour Rödelheim/Francfort (1928) (WOB 31/58) est presque jumeau, mais avec des claviers de 61 notes.
Du point de vue de l'Alsace, l'orgue Walcker d'Hachimette ressemblait beaucoup au petit bijou de l'église protestante de Fellering (1912), et présentait de nombreuses caractéristiques communes avec celui de Soultz-sous-Forêts (1913). Il n'y a malheureusement, en Alsace, plus beaucoup de représentants de cette esthétique, beaucoup ayant été éliminés (église protestante St-Pierre-le-Vieux à Strasbourg, Dorlisheim, Sessenheim...) ou - ce qui est encore pire - atrocement mutilés par les "baroquisations" exigées par les "experts" (Woerth, Huningue).
En 1982, Antoine Bois effectua un relevage. [ITOA]
L'orgue était noté "en bon état" lors de l'inventaire de 1986. (Qui le date de 1910, ajoute à la composition un Principal 4' en fait inclus dans la Mixture et oublie les fondamentaux II/II 4' et 16'.) [ITOA]
En 2000, Richard Dott effectua un relevage et retourna la console. [IHOA] [SMarchand]
En 2010, l'orgue Walcker a été démonté, et déménagé à Evreux, St-Germain du quartier de Navarre. (L'organiste du lieu, Raymond Frechard, étant natif de Lapoutroie.) L'instrument y a été inauguré le 27/02/2011 par Vincent Rigot. [BMLapoutroie]
A Evreux, l'orgue Walcker est très apprécié : les témoignages sur place rendent compte d'un instrument qui sonne magnifiquement, et qui est idéalement intégré à son très bel édifice et adapté à son usage.
Le buffet
Caractéristiques instrumentales
C | h | dis' | fis' | gis'' |
4' | 4' | 4' | 4' | 8' |
- | 2'2/3 | 2'2/3 | 2'2/3 | 4' |
- | - | 2' | 2' | 2'2/3 |
- | - | - | 1'1/3 | 2' |
Console indépendante (à Hachimette, elle était face à la nef jusqu'en 2000, puis face à l'orgue ; à Evreux, elle est face à l'orgue, qui est placé à droite du choeur), fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par dominos (non numérotés), disposés en ligne au-dessus du second clavier, et teintés en fonction du plan sonore : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et vert pour la pédale. Les accouplements et tirasses peuvent donc être bi-colores quand ils concernent deux plans sonores : I/P est par exemple blanc en haut et vert en bas.
Claviers blancs, biseautés, à joues moulurées.
Appel de la combinaison fixe et du tutti ("T.") par poussoirs blancs, situés sous le premier clavier. Il y a une petite palette à leur gauche. (La commande "Handregistrierung".)
Commande du crescendo par rouleau (Walze). C'était l'un des très rares "Rollschweller" d'Alsace : il y en a un autre à Soultz-sous-Forêts, sur une console Walcker de 1913. Sa porcelaine ronde précise : "Cresc.u. Decresc.", faisant écho à l'ancestrale plaisanterie d'atelier : "Attention, ce tournevis est également un tourne-qui-dévisse". L'indicateur du crescendo est circulaire et blanc, et interrompt la ligne de dominos ; il est gradué de 0 à 10. Pas d'appel/annulateur du crescendo. Commande de la boîte expressive par pédale basculante "Schwell II".
Il y a un tirant "Calcant", à droite et à la hauteur du second clavier, permettant d'appeler le souffleur. Comme à Fellering, le tirant devait actionner un petit soufflet relié par une tubulure à un autre petit soufflet muni d'une tige métallique tapant sur une clochette devant le souffleur.
Il y a un indicateur rond de pression de vent, placé à droite au-dessus du tirant Calcant.
Malheureusement, les plaques d'adresse ont disparu. (Probablement lors du déménagement de 1967.)
Pneumatique, notes et jeux.
Le récit est doté d'une octave supplémentaire (gis'''-g'''', sur les 4 jeux) pour rendre son accouplement à l'octave aiguë (II/II 4') "réel".
Historique
En 2011, Antoine Bois restaura et installa à Hachimette un orgue Mutin / Cavaillé-Coll, provenant du Touquet, Sainte-Jeanne d'Arc. [BMLapoutroie]
Cet orgue avait été rendu disponible après la construction pour l'église Sainte-Jeanne d'Arc du Touquet d'un instrument neuf de Pascal Quoirin, inauguré le 28/09/2008.
Commandé avant la guerre, l'orgue Mutin a fort probablement probablement été commencé avant 1914, mais n'a été installé qu'en 1925 et inauguré le 08/08/1926. Il est donc issu de la période "Auguste Convers" (qui tient l'entreprise entre 1924 et 1928) si on tient compte de son année de livraison. Mais Charles Mutin était encore en vie (il est mort le 29/05/1931) : il avait passé la main à Auguste Convers en 1924. L'instrument peut vraiment être attribué à Charles Mutin.
En 1954, un relevage a été effectué par Jean Decroix (Marles-les-Mines). En 1984, Michel Garnier (de Lumbres) fit quelques transformations et réharmonisa l'instrument. En 1996, il y eut à nouveau un relevage, par Bernard Bocquelet (Longuenesse), mais l'état de l'instrument aurait nécessité une intervention plus en profondeur. Ensuite, l'orgue s'est encore dégradé. [Palissy]
En 2007, Antoine Bois racheta l'orgue Mutin pour le sauver de la destruction (pour l'Euro symbolique). Il nécessitait de profondes réparations. Il avait la taille idéale pour l'église de Hachimette. Le projet a permis de redonner vie à cet instrument historique. Un 4' de pédale a été ajouté.
L'instrument a été inauguré le 18 septembre 2011 par Pascal Reber. [RLopes]
En 2012, Antoine Bois compléta l'instrument en posant un Basson 16', ainsi qu'un tremblant pour le récit. [SMarchand]
Le buffet
Le buffet, en chêne, est constitué de trois plate-faces à frontons percés d'oculus à croix, la plus grande au centre. Il n'est pas autoporteur : les sommiers reposent sur une charpente dédiée. Façade en étain, d'Antoine Bois.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante, en chêne, face à la nef, fermée par un couvercle incliné. Claviers en tilleul à naturelles blanches. Tirants de registres de section ronde, à pommeaux tournés et pastilles, disposés en trois gradins de part et d'autre des claviers. Commande des accouplements et de l'appel d'anches par cuillers à accrocher : I/P, II/P et "Combinaisons récit" à gauche de la pédale basculante de commande d'expression du récit, II/I, II/I 16' à droite. Plaque d'adresse :
Mécanique à équerres. Emprunts des deux octaves graves du 16' et de l'octave grave du 8' de pédale au grand-orgue électriques.
Le grand-orgue occupe moitié droite de l'orgue. Sommier neuf d'Antoine Bois ; diatonique en "M". Les tuyaux graves du Bourdon 16' sont disposés derrière le sommier principal, de l'autre côté de la passerelle d'accès, également sur un sommier neuf.
Le récit occupe la moitié gauche du buffet. Il est diatonique en "M" (basses aux extrémités). Passerelle d'accès entre le mur du fond et le sommier.
Pour la pédale, il y a un sommier Unit réalisant la partie non empruntée au grand-orgue des 2 bourdons de la pédale (c'-f' de la Soubasse et c-f' de la Flûte 8'). Sommier du Basson au niveau du sol, derrière le grand-orgue. Le sommier de la Flûte 4 est en hauteur, au-dessus du grand-orgue, et accroché au flanc droit du buffet.
Tuyaux ouverts à entailles de timbre, bourdons à calottes mobiles, dents prononcées.
C'était - on s'en rend compte rétrospectivement - un projet audacieux. Dans une Alsace sclérosée et crispée sur le "néo-baroque" depuis les années 1970, on peut même le qualifier de courageux... Surtout qu'il y a dû y avoir les remarques condescendantes habituelles, genre : "Oh, mais apprenez que ce n'est pas un vrai Cavaillé-Coll, c'est seulement un 'Convers'..." Pour se faire un avis, il vaut évidemment bien mieux écouter l'orgue que les "spécialistes". Alors, oui, en le jouant, on peut se laisser aller à l'enthousiasme généré par la légendaire plaque d'adresse ; puis remettre le Convers : complété par son anche 16' à la pédale, on peut dire qu'il est idéalement adapté aux proportions et à l'acoustique de l'édifice.
La vallée s'illustrait déjà par la présence des remarquables instruments de Lapoutroie (Ste-Odile), Le Bonhomme et des Basses-Huttes, Ste-Catherine, qui racontent l'histoire de l'orgue post-symphonique alsacien de 1913 à 1931. Cet orgue symphonique français vient idéalement les compléter : il illustre les influences qui ont conduit à ces évolutions. Son ascendance symphonique, mais aussi sa part de "néo-classique" en font un orgue capable d'une grande polyvalence. Après l'arrivée du Joseph Merklin de Selestat, c'est donc en 2011 que le patrimoine alsacien s'est encore enrichi, par cette acquisition, d'un instrument riche en histoire qui en renforce la diversité.
Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Sébastien Marchand.
Photos du 06/06/2021.
Données techniques et historiques récentes.
Détails sur l'orgue Walcker à Evreux ; photos du 08/09/2018.
Données techniques et photos.
Photo de l'ancien orgue.
Décrit l'orgue Walcker
im62001678 ; au Touquet
Localisation :