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Les orgues de la région de Munster
Wihr-au-Val, St-Martin
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L'orgue Mutin de Wihr-au-Val.
Les photos sont de Martin Foisset, 11/07/2020.L'orgue Mutin de Wihr-au-Val.
Les photos sont de Martin Foisset, 11/07/2020.

Voici l'un des instruments "magiques" de l'Alsace. Ce n'est pas seulement un des orgues majeurs de la région, mais de la France. C'est un orgue d'esthétique symphonique, de 26 jeux réels sur 3 claviers et pédale... dans un village de 1300 habitants. L'histoire qui amena ce trésor de la facture française à Wihr-au-Val passe par les Landes, et la Hollande.

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L'orgue Hans Jacob Aebi,
1661
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Historique

Le premier orgue de Wihr-au-Val a été installé (dans l'ancienne église) en 1739 par Jodoc Von Esch. Il venait de Munster, Eglise protestante et avait été construit par Hans Jacob Aebi en 1661. Von Esch en demanda un prix considérable : 550 livres. (Alors qu'il l'avait acquis 150 !) C'est aussi cela, la réalité de l'orgue du 18ème... [IHOA] [PMSBERGANTZEL] [AMun1959] [WihrAuVal2004]

La composition était la suivante : manuel : Principal 8 (bois), Octave 4', Quinte 2'2/3 (étain), Superoctave 2', Fourniture 3 rgs. Pédale : une Flûte (8' ou 16'). Après 1790, le petit orgue Aebi était utilisé à la chapelle Sainte-Croix, au-dessus de Wihr-au-Val (Sonnenberg). [AMun1959] [WihrAuVal2004]

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Historique

Le deuxième orgue de Wihr-au-Val a été construit en 1790 par Martin et Joseph Bergäntzel. C'était donc un des tous derniers orgues du 18ème. [IHOA] [PMSBERGANTZEL]

Il a été reçu par Joseph Schilder (Orbey). Il n'y avait que 2 claviers (et non 3 comme on le lit parfois), et sa composition était la suivante : [PMSBERGANTZEL]

Un an après sa livraison, l'instrument fut doté d'une Voix humaine, d'un Clairon manuel (au grand-orgue) et d'un Clairon de pédale, probablement sur des chapes laissées vides à la construction. Les travaux, effectués par Bergäntzel, furent reçus par messieurs Eppel (Colmar) et Johannes Stoffel (Munster). [WihrAuVal2004] [WihrAuVal2004]

L'orgue Bergäntzel fut entretenu en 1819 par un certain Joseph Schertzinger. Ce dernier était sous le coup d'une interdiction de pratiquer la facture d'orgues en Bade. Il exerçait donc en Alsace... [PMSBERGANTZEL]

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L'orgue Joseph Callinet,
1832
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Historique

L'instrument fut reconstruit l'occasion de l'agrandissement de l'ancienne église en 1831-1832, par Joseph Callinet. [IHOA] [PMSBERGANTZEL] [WihrAuVal2004]

Les comptes communaux parlent clairement d'un orgue "neuf" en 1832. (Ce qui est compatible avec les montants alloués à l'opération.) [PMSBERGANTZEL]

Cela commença probablement par le remplacement de la Montre (celle d'origine était dans un alliage très riche en plomb, et non en étain), plus d'autres travaux aux sommiers, et la suppression de la Tierce 1'3/5 du grand-orgue au profit d'une Flûte traversière de 4 pieds. La composition relevée en 1940 confirme que l'instrument a été reconstruit, avec conservation du buffet (et peut-être d'une partie de la tuyauterie). [WihrAuVal2004]

En 1868, on construisit l'église actuelle : il en reste la partie basse que l'on identifie facilement en regardant les piliers de la nef. Elle est contemporaine du Temple de Munster, en style néo-gothique, à trois nefs, et prend modèle sur celle de Moosch. L'église neuve fut consacrée le 23/09/1873 par Mgr Raess, et la vieille église (du cimetière) fut démolie la même année. On transféra le buffet Bergäntzel et la partie instrumentale de Callinet dans l'église neuve en 1873, avec plusieurs modifications : en particulier, le positif fut transformé en un récit expressif, un Salicional y fut ajouté, ainsi qu'un Bourdon 16' au grand-orgue. [IHOA] [PMSBERGANTZEL] [WihrAuVal2004]

Photo de l'ancien buffet de l'orgue Bergäntzel dans l'église de 1873, avant l'incendie du 18/06/1940.Photo de l'ancien buffet de l'orgue Bergäntzel dans l'église de 1873, avant l'incendie du 18/06/1940.

En 1900, le facteur Sattler plaça une Gambe au grand-orgue et remplaça le Clairon de pédale par un Violoncelle. [WihrAuVal2004]

On vit aussi ce facteur, installé à Colmar, travailler en 1892 à Uffheim. En 1900, il intervint aussi sur l'orgue Aebi de la chapelle Sainte-Croix, qui existait donc encore à ce moment-là. [WihrAuVal2004]

En 1911, le curé André Simon Burtz témoignait que "quoique vieux [l'orgue était] en bon état". [WihrAuVal2004]

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. En 1934, on considérait que l'instrument était à remplacer. Voici sa composition relevée en 1940 : [PMSBERGANTZEL]

L'orgue disparut dans l'incendie criminel provoqué par les Nazis, le 18/06/1940, et qui provoqua l'effondrement de la nef et du clocher. La quasi totalité de Wihr-au-Val fut la proie des flammes. [IHOA]

Pendant une année, les offices se sont tenus au foyer paroissial, et on commença les réparations de l'église, en construisant un mur séparant le bas-côté droit (où le toit avait pu être réparé) du reste de la nef (non couvert). Cette situation dura jusqu'en 1949. [WihrAuVal2004]

Reconstruire : le projet d'Albert Schweitzer

Pour l'orgue, on s'adressa à Albert Schweitzer. (Proximité de Gunsbach oblige...) Il fournit le 04/01/1950 une composition (II/P 31j avec Machine Barker, et un récit placé au-dessus du grand-orgue), et recommande Ernest Muhleisen (et son "premier collaborateur" Alfred Kern). [WihrAuVal2004]

En parcourant sa correspondance, on comprend que Schweitzer n'a pas beaucoup de temps à consacrer au sujet, et même qu'il semble lassé de cette fonction d'expert qu'on lui impose sûrement un peu par convenance. D'ailleurs, il commente qu'un 3-claviers correspondrait mieux à la taille de la nef de Wihr-au-Val. On note que Muhleisen est un peu le successeur, dans l'estime de Schweitzer, de Haerpfer. Et surtout, on découvre une composition assez extraordinaire pour les années 1950 (accouplements et accessoires restitués) : [WihrAuVal2004]

Composition, Projet_1950
Grand-orgue
Probablement ouverte
Douce
Doux
Transitif avec les II/II en 16' et 4' : II/I + II/II 4' donne II/I 4'
Récit expressif
Ouvert
Large
Large et ronde
Large
Sonorité large, weit mensuriert
Weit mensuriert, d'après modèle des anciennes orgues suédoises
Avec sonorité stable et ronde
Pédale
Large et rond, véritable sonorité de violoncelle
Doux
I/P
Avec accouplements
Lors de l'usage de la combinaison libre
[WihrAuVal2004]

On peut avancer sans trop de risque de se tromper que les manuels étaient conçus pour 56 notes, la pédale à 30, et, comme il était précisé que la console doit être conforme aux recommandations du Congrès de Vienne en 1900 (modèle à 2 claviers), les accessoires devaient être les mêmes qu'à Cronenbourg. Les commandes devaient donc être doublées (mains/pieds), accouplements à gauche, combinaisons à droite. Les combinaisons libres devaient pouvoir être appelées par plan sonore, et un tutti devait inclure les accouplements. On apprend au passage que l'ancienne console de Gunsbach (1931) était qualiment identique à cette spécification, sauf qu'elle disposait d'un crescendo par rouleau (Registerwalze), et qu'il n'y avait pas d'annulateur, mais un appel de la registration à mains (comme à Cronenbourg).

Albert Schweitzer "délégua" sa fonction d'expert à son gendre Jean Eckert (qui travaillait pour Kühn à Männerdorf) : la lassitude que l'on distingue en janvier 1950 se confirme : "Si je reste en vie et si je suis en Europe, je jouerai l'orgue pour l'inauguration. Si je ne suis pas à l'inauguration, je le jouerai plus tard [...]"". Jean Burgard, maire de Wihr-au-Val reprend les choses en main le 29/09/1952, en demandant à Schweitzer (au cours d'un entretien) de "faire de nouvelles propositions". [WihrAuVal2004]

Le projet Gérédis / Schwenkedel

A l'évidence, tout cela traînait vraiment trop, et la "délégation" de l'expertise passa à l'abbé Raymond Gérédis (Still) "expert réalisateur d'orgues et de cloches agréé". C'est probablement lui qui sollicita la maison Schwenkedel, qui proposa un devis (II/P 27j, du 07/04/1953) sur la base d'une composition néo-classique très intéressante. Le projet est très voisin de l'orgue qui fut réalisé en 1958 à Friesen. (En un peu plus réduit : sans batterie d'anche complète au récit et sans Flûte harmonique 8' au grand-orgue. Cet instrument malheureusement a été démoli en 2012, pour céder sa place à de "l'organistiquement correct" ; gageons qu'il a été déclaré "irréparable" ; "C'est ainsi que meurt notre patrimoine : sous les applaudissements") :

Le récit devait avoir 68 notes pour permettre d'avoir les octaves aiguës (II/I 4') réelles. Et Gérédis avait fait une proposition pour placer les mutations et mixtures sur un sommier indépendamment, jouable indifféremment depuis les deux claviers ; malheureusement, il ne précise pas si ce sommier doit être en boîte expressive ou non.

Le projet Gérédis/Schwenkedel fut approuvé par Mgr Hoch (président de l'Union Sainte-Cécile), puis en juin 1953 par de l' "expert réalisateur agréé" en personne. En décembre 1953 (donc 6 mois plus tard...), l' "ingénieur-expert assermenté" chargé des dommages de guerre, L.P. Bigenwald, confirma enfin le montant de l'indemnité "dommages de guerre". [WihrAuVal2004]

Dire que, 10 à 20 ans plus tard, des historiens de l'orgue alsacien ironisaient sur les "experts" allemands de la période 1870-1918, qui, selon eux, étaient responsables de tous les maux... En 1953, l'orgue alsacien allait droit vers ses années noires, qui ont tant coûté à notre patrimoine. Mais Wihr-au-Val échappa totalement à la logique des théoriciens :

Le "coup de théâtre" eu lieu en 1955, quand Wihr-au-Val sut saisir une opportunité extraordinaire. Dans le numéro 3/4 (mars/avril) 1955 de la revue Caecilia, figurait une petite annonce : "OCCASION INTÉRESSANTE. Un important orgue Cavaillé-Mutin (28 jeux, 3 claviers) de construction assez récente, est à céder." En fait, ce n'est pas cette annonce qui mit en contact le vendeur hollandais, Marius Monnikendam, avec la paroisse de Wihr-au-Val, car on sait qu'ils ont échangé des courriers un peu avant cette parution. Il faut plutôt y voir une "présentation officielle" de l'instrument dans le monde de l'orgue alsacien. Une façon d'y "mettre les formes". [WihrAuVal2004]

Car on imagine les mâchoires tombantes des Experts strasbourgeois apprenant qu'on allait laisser enter un orgue parisien, conçu pour les Landes, et qui venait de Hollande... Les encriers devaient voler bas. Surtout que la maison Roethinger était intervenue en médiation entre le vendeur et la fabrique. Directement.

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Historique

C'est en 1955 que Wihr-au-Val reçut son orgue actuel, construit par Charles Mutin en 1918. [IHOA] [PMSBERGANTZEL]

En 1900, Charles Mutin (1861-1931) avait prit la succession du plus illustre facteur parisien : Cavaillé-Coll. Il réussit non seulement à conserver le niveau d'excellence qu'avait atteint l'entreprise, mais à continuer à faire évoluer le style dans l'esprit symphonique.

Claude Duboscq

La maison Mutin-Cavaillé-Coll construisit, entre 1917 et 1920 (on le date généralement de 1918), un orgue "de salon" pour Claude Duboscq (1897-1938), compositeur de musique et "humaniste", très éclectique dans toutes sortes de domaines artistiques, dont le Théâtre. Il a été élève d'Henri Letocart (Neuilly, St-Pierre), puis se lia d'amitié avec Albert Roussel, Guy Ropartz, Joseph Bonnet, Ricardo Vinès, mais aussi Manuel de Falla. [WihrAuVal2004]

Antoine Duboscq, son père, décida de lui offrir un orgue à l'occasion de son retour de la guerre : en 1917, il prit contact avec Mutin, et lui expliqua qu'il voulait un orgue pour son fils, en ajoutant que "s'il est victime de la guerre, je donnerai l'orgue à une église". La conception de l'instrument est due à Charles Mutin et à Henri Letocart ; il a été installé dans la résidence des Duboscq à Onesse-et-Laharie (Landes), et inauguré le 21/01/1920 par Letocart. Placé dans un grand hall, il était accompagné de nombreux autres instruments de musique, dont deux pianos Pleyel, des cuivres, une harpe et des percussions. C'était, selon les témoignages de l'époque "un vrai paradis musical".

Portrait de Claude Duboscq à l'orgue, par le peintre Jules Joëts (1884-1959).
Photo transmise par l'Abbé Gilles Duboscq, 3ème fils du compositeur.Portrait de Claude Duboscq à l'orgue, par le peintre Jules Joëts (1884-1959).
Photo transmise par l'Abbé Gilles Duboscq, 3ème fils du compositeur.

Ora et labora

Il s'agissait d'un "Instrument de travail et de prière", qui fut le centre d'une intense activité musicale et de concerts. L'idéal musical de Claude Duboscq était incarné par Vincent d'Indy, Rameau, Fauré, Ravel, Debussy et Satie. Mais aussi Joseph Bonnet, auquel il dédia ses "Deux Oraisons pour orgue" (1919). Duboscq se consacra à partir de 1926 à l'art dramatique, mais alla jouer de nombreux orgues en Europe. [WihrAuVal2004]

Le conservatoire de La Haye

A la mort de Claude Duboscq, le 02/05/1938, et avec l'arrivée de la guerre, la maison d'Onesse fut vendue et démantelée. L'orgue fut revendu au compositeur hollandais Marius Monnikendam (1896-1977), qui le destinait au conservatoire de La Haye. L'affaire se fit probablement en avril 1940. L'orgue Mutin n'arriva en Hollande qu'en juillet 1942, et fut comme prévu installé dans la salle de concerts du conservatoire.

Monnikendam était resté propriétaire de l'instrument, mais lorsqu'il tomba dans de grandes difficultés financières, en 1952, il songea - avec grand dépit - à vendre l'instrument. Il déclara en 1957 : "Je dois avouer que l'orgue a été vendu pour faire face aux difficultés matérielles, étant donné que je suis père de sept enfants - dont un fait des études en France - et que mes ressources comme compositeur sont bien restreintes." [WihrAuVal2004]

Marius Monnikendam à l'orgue au conservatoire de La Haye.
Archives privées de Marius Monnikendam, photos fournies par le Dr Ton van Eck, organiste
à la cathédrale Saint-Bavon à Haarlem et expert d'orgues aux Pays-Bas.Marius Monnikendam à l'orgue au conservatoire de La Haye.
Archives privées de Marius Monnikendam, photos fournies par le Dr Ton van Eck, organiste
à la cathédrale Saint-Bavon à Haarlem et expert d'orgues aux Pays-Bas.

L'Alsace

L'affaire fut conclue pour 3 millions d'anciens Francs, plus les frais : transport, douane et montage. Revenons donc en Alsace : après l'ambiance Franckienne - quasi monastique - de la résidence de Duboscq, après celle - sûrement fort studieuse - du conservatoire La Haye, voici celle - plutôt Asterixienne - dans laquelle gesticulaient les experts "assermentés" et/ou "agréés" de l'après-guerre.

Car les lanceurs d'encriers de l'orgue alsacien n'avaient pas tout à fait perdu la main. Comme par hasard, le curé Rohmer s'opposa à ce que le remontage fut effectué par la maison Roethinger... "pour des raisons personnelles". On demanda donc à Monnikendam (!) de procéder au remontage.

Entre temps, une rumeur fort opportune affirma que l'orgue Mutin, en fait, était destiné au Caire. (Il était précisé : en Egypte.)

Arrivée festive

Mais, pendant que les experts strasbourgeois organisaient leurs tracasseries, l'ambiance était tout à fait différente sur place. L'orgue Mutin arriva à Wihr-au-Val par le train, en mai 1955. La population contribua, en organisant une noria de charrettes tirées par des chevaux entre la gare et l'église. Les enfants de chœur portaient les paquets et découvraient les tuyaux : "le plus petit n'était pas plus grand qu'un stylo-bille". Monnikendam était en très bon rapports avec la paroisse, et désirait participer à l'inauguration de l'instrument. Il avait même demandé "sa résidence à Wihr-au-Val, afin de pouvoir revenir jouer sur son instrument lors de ses entrées en France." (Certificat de vente, 26/05/1955.) [WihrAuVal2004]

Mais de là à s'occuper du remontage de l'orgue... Monnikendam, sûrement pris au dépourvu, s'assura les services de trois artisans hollandais et de deux facteurs d'orgues parisiens : Jean Hermann et Jean Perroux. Ce dernier - un "ancien " de Cavaillé-Coll - se chargea de l'harmonisation. [WihrAuVal2004]

Souvent, l'histoire oublie un acteur essentiel : l'organiste de Wihr-au-Val à l'époque. Il s'appelait Isidore Maurer (1927-1959). [WihrAuVal2004]

Lors de l'un de ses retours d'Afrique, Albert Schweitzer assista aux travaux. Le 15/06/1955 l'instrument était en état de marche. L'orgue fut inauguré le 28/08/1955. Aux claviers se succédèrent Monnikendam, Jean-Joseph Rosenblatt (Colmar, St-Martin) et R. Seiter (Strasbourg, St-Pierre-le-Vieux) :

- J. Langlais : "Dialogue sur les Mixtures", par R. Seiter

- J.S. Bach : "Wachet auf" et la "Toccata et fugue en Ré m", par J.J. Rosenblatt

- (Intervention de la chorale, avec "Gloire et louange au Créateur"

- M. Monnikendam : "Thèmes avec variations"

- Ch.M. Widor : Scherzo de la 4ème symphonie, par J.J. Rosenblatt

- Avec Maris Stella (chorale)

- J.B. Loeillet : "Fanfare Allegro", par M. Monnikendam

- Intervention de la chorale, suivie du "Grosser Gott".

- J.S. Bach : Fugue en Ré m, par R. Seiter.

Schweitzer, qui ne pouvait "malheureusement" pas assister à l'inauguration, était allé visiter l'orgue quelques jours avant, quasi incognito, avec un ami américain. Il le lui présenta comme "l'un des plus beaux instruments de la région". [WihrAuVal2004]

Vu ce qu'était devenu le "milieu" d'orgue alsacien, on peut comprendre que Schweitzer - qui déjà affichait une lassitude évidente - préférait rester en retrait. Mais cette lassitude n'affectait pas sa passion pour l'orgue lui-même.

Le 18/09/1955, Albert Schweitzer donna à Wihr-au-Val le dernier concert de sa vie. Il partagea les claviers avec Edouard Nies-Berger. Au programme : Bach, Mendelssohn, Widor et Franck. [WihrAuVal2004]

Tracasseries

Mais l'affaire n'était pas terminée : il y eut des "difficultés". Les lanceurs d'encriers prétendirent que l'orgue n'avait pas été remonté correctement.

On ne peut s'empêcher de penser que leur but était clairement de saboter l'opération, sûrement pour intervenir en "sauveurs" à la fin. Mais c'était fort maladroit : soit il s'agissait de pure désinformation, soit ce mauvais remontage était une conséquence directe des intrigues destinées à "punir" la maison Roethinger en l'écartant du projet. Dans les deux cas, leurs agissements étaient irresponsables.

Deux mois après l'inauguration arriva une caisse contenant un jeu complet. On avait dû mal compter.

A Wihr-au-Val, évidemment, l'inquiétude monta, et on ne voulut plus payer. Etait-ce vrai, cette histoire d'orgue mal remonté ? Or, pendant ce temps, le Franc était en pleine dévaluation par rapport au Florin... Monnikendam, en difficultés financières, fut la principale victime de ces tergiversations. Les experts strasbourgeois, eux, ne prenaient pas de risque : en 1955, l'orgue alsacien entrait tout juste dans sa "période noire", et les orgues romantiques et post-romantiques étaient discrédités. On ne rêvait déjà plus que de "nordique" et de Sesquialteras.

Comme il avait été décidé que l'orgue de Wihr-au-Val avait été mal remonté, on alla chercher l'abbé Ringue et Alferd Kern. On conclut que la pression était trop haute, et que la mécanique ne donnait pas satisfaction. En septembre 1955 des travaux furent donc menés par Alfred Kern. Ce fut pour le moins surprenant : rectification des tailles (!), réharmonisation sous 80 mm de colonne d'eau. Sur demande de Schweitzer, on ajouta une Flûte 16' à la Pédale et une Mixture 3 rangs au grand-orgue. C'est probablement lors de ces travaux que le Basson/Hautbois du positif a été échangé avec le Soprano harmonique (Hautbois 4') du récit, et que la boîte expressive du positif a été supprimée (!). Il fallut démonter tout l'instrument "pour le dépoussiérer". [WihrAuVal2004]

Pendant que les caciques de l'orgue alsacien se demandaient quelle boîte expressive il fallait démolir et dans quel sens déménager les Hautbois pour que l'orgue soit "mieux remonté", on avait oublié l'essentiel : Monnikendam envoya sa facture le 20/09/1956. L'affaire prit une tournure et une complexité inexplicable. Les Dommages de guerre furent plus difficiles à obtenir que prévu. (Même si réellement, le remontage avait été mal fait, ce n'est pas Monnikendam qui avait écarté Roethinger. Entre temps, l'abbé Rohmer, qui avait pris cette décision, était décédé...) Si bien que le reliquat du prix de l'orgue ne fut payé qu'en 1959. Entre temps, les 3 millions d'Ancien Francs avaient perdu 20 % de leur valeur... [WihrAuVal2004]

Vu le contexte de l'époque, il nous est pratiquement impossible de démêler le vrai du faux. Deux choses sont sûres : il faut absolument restaurer l'expression du positif, et il serait urgent qu'un véritable connaisseur de la facture de Mutin fasse le point sur les soit-disantes "réharmonisations" que et instrument aurait subi.

Place à la musique

Mais l'arrivée en Alsace de cet orgue d'exception ne doit pas être ternie par ces absurdes "histoires de sous". Car c'était probablement exactement le but des caciques de l'orgue des années 50. L'essentiel est musical : l'orgue de Wihr-au-Val connut rapidement un succès impressionnant : concerts, enregistrements...

En 1995, à l'initiative de l'abbé Albert Beck, on demanda à Richard Dott un relevage, accompagné d'une restitution de la composition d'origine. L'orgue a repris son service le 11/11/1995 (fête patronale) avec, à la console, Gérard Wisson, organiste à l'église catholique de Munster. [SWernain]

L'orgue a été inauguré le 03/12/1995 par Thierry Mechler, avec la participation de l'ensemble vocal "La Saltarelle" de Mulhouse. En clôture fut interprétée la 8ème symphonie de Charles-Marie Widor. [SWernain]

En août 2003, Pascal Reber (Strasbourg, cathédrale) a enregistré "Hommage à Albert Schweitzer" (Bach, Boëly, Gigout, Widor et Vierne).

Le buffet

Le buffet, tout en rondeurs, rappelle le passé de l'instrument ("Ora et labora"). Il y a trois plates-faces frontales, la grande au milieu, et deux qui épousent les coins arrondis du buffet. Au-dessus et au centre, un ornement prend la forme d'une couronne végétale. L'ensemble est raffiné sans être exubérant. Tout est d'origine, y-compris les tuyaux de façade et la disposition de la console, sauf la couleur : l'orgue était probablement blanc à sa livraison.

Ce buffet est voisin de celui de Roubaix, Notre-Dame de Lourdes (manoir de Denouval, la résidence de Sarah Hershey Marsh à Andrésy, 1907), mais avec la partie frontale plate.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2020
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
I/I
Positif, 56 n. (C-g''')
Bouché
Freins-rouleaux en bois
Cylindrique ; entailles de timbre
Conique
Spotted
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
Pédale, 30 n. (C-f')
Extension de la Soubasse
Extension de la Soubasse
Extension de la Soubasse
P/P
Appel pédale
I/P
[Visite]
Console:

Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés et porcelaines, disposés en quatre gradins de part et d'autre des claviers. Les plans sonores sont identifiés par un liséré de couleur entourant la porcelaine : bleu pour le grand-orgue, jaune pour le positif, rouge pour le récit, et marron pour la pédale. Ils sont disposés de façon parfaitement rationnelle, pédale en bas, grand-orgue sur le second gradin, les deux gradins supérieurs étant occupés à gauche par le positif et à droite par le récit. Les porcelaines de la Flûte 16' et de la Mixture du grand-orgue ne sont pas d'origine, ce qui est compatible avec l'historique de l'instrument. Claviers blancs, à frontons biseautés (même le premier).

Les deux pédales basculantes d'expression étaient situées au centre. Celle du positif, à gauche, à disparu, mais il en reste la trace. De part et d'autre, on trouve les pédales-cuiller à accrocher commandant les accouplements, tirasses, combinaisons et accessoires.

Une vue sur les pédales d'accouplement et de combinaisons.Une vue sur les pédales d'accouplement et de combinaisons.

Dans le groupe de gauche, on trouve, de gauche à droite : "TIRASSE PÉDALE" (P/P, soit appel de la pédale), "TIRASSE G. O." (I/P), "TIRASSE POSITIF" (II/P), "TIRASSE RÉCIT" (III/P), "COMB. POSITIF" ("anches" II), "COMB. RÉCIT" ("anches" III) et "COPULA G.O." (I/I, soit appel grand-orgue).

Dans le groupe de droite : "COPULA I + II" (II/I), "COPULA II + III" (III/II).

Plaque d'adresse en laiton incrusté dans le bois, en haut et au centre de la console. Son style enluminuré est celui des plus prestigieuses plaques Cavaillé-Coll. Elle dit :

Mutin Cavaillé=Coll
à
Paris
La plaque d'adresse Mutin à Wihr-au-Val.La plaque d'adresse Mutin à Wihr-au-Val.
C'est un peu la "signature" d'un orgue symphonique.C'est un peu la "signature" d'un orgue symphonique.
Transmission:

Mécanique à équerres (manuels) et pneumatique (pédale). Machine Barker pour le grand-orgue. Façade sur moteurs pneumatiques.

Sommiers:

Les sommiers manuels sont à gravures, de Mutin. La Flûte 16' de pédale est sur un sommier à cônes de 30 notes, dans une niche, à l'arrière de l'orgue. Elle est diatonique, en mitre, sur deux couches (évidemment aigus à l'avant). Il y a bien une Soubasse 16' de pédale (elle n'est pas empruntée au grand-orgue), logée dans le soubassement. La Quinte 10'2/3, la Basse 8' et la Flûte 4' de pédale en sont des extensions, et le rang fait 54 notes (30+24).

Le positif est à droite. Le cadre de la boîte expressive est encore là : il suffirait de remettre ces jalousies. Cette mutilation est tout à fait incompréhensible et désolante. Il faudrait absolument réparer cela : cela devrait même être la première priorité, aujourd'hui, de l'orgue alsacien !

Soufflerie:

Il y a un réservoir à plis parallèles dans un local séparé, accessible à droite de l'orgue, avec un ventilateur mu par un moteur triphasé "Japy Frères & Cie" d'1,5 Cv. Il y a des réservoirs secondaires dans le buffet, dont un, vertical, pour sécuriser l'alimentation de la machine Barker.

Tuyauterie:

La tuyauterie est d'excellente qualité, bien étoffée, très bien conservée, à l'exception de quelques problèmes apparents aux systèmes d'accord.

Une vue sur la tuyauterie du positif.
Au premier plan, la "laye des anches", et celle des fonds plus loin.
De bas (accès par le flanc droit de l'orgue) en haut :
le Hautbois (en Spotted), le Flageolet 2', la Tierce, la Quinte,
puis la Flûte 8', la Flûte 4', le Cor de nuit 8' (bouché),
et le Salicional 8'. On distingue, sur la planche du bord (rouge),
les trous où devraient venir se placer les axes des jalousies de la boîte.Une vue sur la tuyauterie du positif.
Au premier plan, la "laye des anches", et celle des fonds plus loin.
De bas (accès par le flanc droit de l'orgue) en haut :
le Hautbois (en Spotted), le Flageolet 2', la Tierce, la Quinte,
puis la Flûte 8', la Flûte 4', le Cor de nuit 8' (bouché),
et le Salicional 8'. On distingue, sur la planche du bord (rouge),
les trous où devraient venir se placer les axes des jalousies de la boîte.

On se doute, à la lecture de ce qui précède, qu'approcher cet orgue est une expérience enthousiasmante. Elle l'est encore plus grâce à la qualité de l'accueil à Wihr-au-Val. Il n'y a qu'à la console que l'on mesure tout ce que l'histoire peut apporter à l'ambiance et la magie d'un lieu. Musicalement, cet orgue Mutin tient toutes ses promesses, et porte très haut les couleurs de l'orgue symphonique français. C'est un orgue à visiter, à écouter, et à faire connaître.

Culture Activités culturelles :

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Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F680368001P04
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