Cinq ans après avoir créé son entreprise, Georges Schwenkedel en était déjà à son opus 23 : celui-ci a été livré en 1929 à Bernwiller, et logé dans un buffet de style néo-classique issu des ateliers de la célèbre maison Ruthmann et Gudtmann de Logelbach. On y trouve plusieurs jeux très particuliers de Georges Schwenkedel, avec leur dénomination spécifique : Musiziergedeckt, Nachthörnlein, Harpe éolienne...
Historique
La présence d'un premier orgue est attestée par le paiement d'un organiste et d'un souffleur en 1809. On ne sait pas grand chose sur cet instrument, si ce n'est qu'il dut être réparé en 1854, 1869 (soufflet), et encore, de façon très conséquente, en 1878 (après un projet d'envergure, daté de 1871, pour une grosse réparation ou un remplacement, qui n'aboutit pas). [IHOA]
Il faut noter que l'enquête-inventaire de 1892 rapporte un orgue "neuf" en 1878. [Barth]
L'instrument fut endommagé vers 1916, lors du conflit mondial qui, on le sait, causa d'immenses dégâts dans la région de Bernwiller. [IHOA]
Historique
En 1929, Georges Schwenkedel posa à Bernwiller son opus 23. [IHOA] [ITOA] [Barth]
Georges Schwenkedel, pourtant établi à Strasbourg-Koenigshoffen, a construit pratiquement tous ses premiers instruments entre la vallée de Munster et le Sundgau, un peu en marge du "monde de l'orgue" strasbourgeois, et en profitant du coup d'une grande liberté. Déjà formé, il était passé brièvement par les ateliers d'Edmond-Alexandre Roethinger (leader de l'orgue Bas-Rhinois à cette époque), puis par l'éphémère maison Zann. Il se mit à son compte en 1924 et rencontra tout de suite le succès, principalement grâce au "bouche à oreille", et donc à son talent d'organier. Il n'était pas très introduit dans les "réseaux" strasbourgeois, et dut attendre 1930 pour se faire remarquer, à l'occasion de la construction de l'exceptionnel orgue de Mutzig (1931).
Son principal concurrent dans le Haut-Rhin, d'ailleurs, était de très haut niveau, puisque ce n'était autre que Joseph Rinckenbach. Mais Rinckenbach tenait tant à construire des instruments d'exception, qu'il en oubliait ses marges... Il fit faillite deux fois, et, bien sûr, cela constitua une solide opportunité pour Schwenkedel.
Schwenkedel pouvait déjà fournir de jolies références, comme les orgues de Largitzen (17 jeux) et de l'église protestante de Metzeral (12 jeux). Il devait préparer celui pour Hartmannswiller (16 jeux - une autre terre éprouvée par la première guerre mondiale).
Avec 19 jeux réels, l'orgue de Bernwiller est représentatif du style post-romantique spécifiquement alsacien de l'époque.
Le buffet
Le buffet est caractéristique d'un style qui s'est développé dans le Sundgau, entre le 19ème et les années 1930. Il est sûrement issu de l'influence des facteurs Franz (style Suisse), et se caractérise par des tourelles bombées très larges, abritant de nombreux tuyaux, et dotées de grands entablements. L'ornementation, souvent dorée et assortie de composants figuratifs, fait également partie du style.
La boiserie est l'oeuvre de la maison Ruthmann et Gudtmann de Logelbach. La façade est en chêne. Trois larges tourelles (la plus large au centre) sont séparées par des plates-faces. Les tuyaux de façade, en étain, ne sont pas ceux de la Montre du grand-orgue, mais de la Gambe de pédale, plus étroits à longueur égale, ce qui permet d'affiner la façade et de disposer plus de tuyaux.
Le couronnement de la tourelle centrale est constitué d'un cartouche blanc, encadré et soutenu d'éléments dorés, et disant : "Cantemus in hymnis et canticis". Sur les tourelles latérales, on trouve des têtes d'anges, blanches, à ailes dorées, également soutenues de motifs dorés. L'ornementation est complétée par des jouées très élaborées, dorées et comprenant un motif floral (tournesol ?). Les chapiteaux des montants des tourelles sont également dorés, tout comme les claires-voies des deux plates-faces, figurant des grappes de raisin. L'entablement supérieur est rehaussé d'une frise à oves, qui fait également partie du langage ornemental des buffets de Haute-Alsace depuis le 19ème siècle.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos blancs à porcelaines centrales, placés en ligne au-dessus du second clavier. Ils sont regroupés par plan sonore, et un quatrième groupe, à droite, comprend les accouplements et tirasses. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, vert pour la pédale, et celles des accouplements suivent la même logique, en étant bicolores lorsque cela s'applique.
Claviers blancs plaqués d'ivoire. Joues moulurées. Appel des combinaisons par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. De gauche à droite : "HR." (Hand Register : annulateur ; ce n'est pas un appel "jeux à mains" permettant d'ajouter la registration manuelle aux combinaisons, mais un simple retour à la registration par dominos), "FR.Comb." (appel de la combinaison libre), "P.", "MF.", "FF.", "TT.". Programmation de la combinaison libre par picots basculants, placés au-dessus de chaque domino. Les accouplements sont donc programmables.
Les commandes aux pieds sont limitées aux deux grandes pédales basculantes : à gauche, l'expression du récit, curieusement repérée par une porcelaine ronde rose disant "Echo II", et celle du crescendo, repéré par une porcelaine ronde blanche "Crescendo". Indicateur linéaire de crescendo, gradué de 0 à 6, et constitué d'une petite boule rouge se déplaçant sur un cadran rectangulaire blanc placé en haut et au centre de la console.
Comme souvent chez Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque "principale" est à gauche, au niveau des dominos, et dit :
Les deux autres sont à droite des dominos, et donnent respectivement le numéro d'opus et la date de construction :
Pneumatique tubulaire, très précise et agréable à jouer.
Les sommiers sont à cônes. Pour chaque note, le pilote commandant la barre des cônes est simplement soulevé par un petit soufflet : la maintenance est très facile.
Le grand orgue est diatonique, en "M" (basses aux extrémités).
Le récit est placé à l'endroit habituel : au fond, et un peu en hauteur. Il est également diatonique, disposé en "M". Les sommiers du récit sont prévus pour 68 notes (pour un accouplement II/I 4' actif aussi sur la dernière octave). Même les faux-sommiers ont été (pré-) percés pour cette octave aiguë supplémentaire, mais les tuyaux n'ont jamais été posés.
La pédale est logée contre les flancs, et sa Gambe est en partie en façade.
Bourdons à calottes mobiles, tuyaux ouverts à entailles de timbre ou d'accord, biseaux à dents, Gambes à freins harmoniques : la tuyauterie respecte les standards de la facture romantique.
Dans un paysage organistique alsacien considérablement appauvri, ces dernières décennies, par la production en masse de pastiches du 18ème et de simili-Silbermann ou simili-Callinets, le Sundgau réserve décidément beaucoup de belles surprises aux musiciens et aux amateurs d'orgues. Des endroits où on a su préserver les belles réalisations de la facture d'orgues alsacienne des années 1920 et 1930. On peut avec plaisir y pratiquer le répertoire romantique et symphonique, mais aussi s'aventurer dans de belles pages du 18ème et du 20ème. Ces instruments ont pu être préservés grâce au goût artistique local, car, pendant longtemps, ils ont été largement et injustement négligés, voir discrédités par les experts et les "virtuoses exigeants", souvent pour ouvrir la voie à d'absurdes projets de "mécanisation". Une fois de plus, la culture "populaire" est le vrai garant de la conservation et de la valorisation du patrimoine.
Sur place, on découvre un instrument très attachant. Evidemment, comme il n'est pas joué très souvent, il faut d'abord lui faire faire un peu d'exercice, et arranger un cornement ou un jeu qui fait encore la grasse matinée à 17h. C'est normal quand un orgue n'est pas utilisé régulièrement. C'est alors le talent de son créateur, Georges Schwenkedel, qui s'impose sans réserve. Son style s'inspirait (très librement) d'un "retour aux sources" classiques, consistant à compléter une base romantique avec des éléments empruntés à l'orgue du 18ème, en particulier des jeux plus brillants. Il marquera ce mouvement très spécifique en 1930 à Bisel, quand il réalisera un positif de dos, inspiré par l'orgue classique français (mais avec un rôle bien différent). L'instrument de Bernwiller est donc issu de ce "bouillonnement" culturel. La confiance que l'on accorda ici à ce jeune facteur strasbourgeois a contribué à faire épanouir son style spécifique.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Pascale Martin.
Photos du 06/10/2018 et données techniques.
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