Georges Schwenkedel construisit son opus 25 pour Bisel en 1930. Logé dans son magnifique buffet fourni par la maison Rudmann et Guthmann (Logelbach), cet instrument est apparenté à son contemporain de Seppois-le-Bas, et celui de Durlinsdorf (1932). C'est parce qu'ils sont munis d'un positif de dos, chose plutôt extraordinaire pour les années 30, la tradition du petit buffet s'étant éteinte au cours dernier quart du 19ème siècle.
Historique
Le premier orgue de Bisel avait été construit par Valentin Rinkenbach, et reçu le 11/05/1843 par Antoine Ginck (Heimersdorf) et Georges Artzet (Hirsingue). L'instrument était doté d'une Physharmonica. Le devis est daté du 23/05/1841. [IHOA] [PMSRHW]
La composition en faisait un jumeau de l'orgue de Soppe-le-Bas :
L'orgue a été réparé par Joseph Antoine Berger en 1901. [PMSRHW]
L'instrument a été détruit (avec l'édifice) au cours de la première Guerre mondiale, vers 1916. [IHOA] [PMSRHW]
Historique
Georges Schwenkedel construisit pour Bisel un orgue neuf, qui fut inauguré par Auguste Goelinger le 09/03/1930. [IHOA] [ITOA] [PMSRHW]
Le positif de dos
Avec Seppois-le-Bas, Bisel vit donc le retour, dès 1930, d'un positif de dos. Cette disposition caractéristique de l'orgue classique français (où le grand-orgue et son positif sont plutôt utilisés pour dialoguer) avait été abandonnée au cours du dernier tiers du 19ème : le second clavier était devenu un récit, conçu pour compléter - et non pour s'opposer - au grand-orgue. Le placer au bord de la tribune, proche de l'auditoire, donc avec une position bien "lisible" acoustiquement empêchait de parvenir au résultat voulu, qui consiste à fusionner les plans sonores.
Evidemment, à Bisel, comme plus tard Durlinsdorf, il ne s'agissait pas d'imiter l'orgue classique français. Le positif "en balustrade" restait un élément de l'héritage de l'histoire de la facture, au moins du point de vue esthétique. Cette mission pouvait bien sûr être confiée à un positif "postiche", c'est-à-dire dépourvu de jeux. Mais, dans la mouvance néo-classique, on commençait à se dire qu'il pouvait y avoir un réel enrichissement de l'instrument. La démarche, toutefois, était généralement vouée à l'échec, car les "petits jeux" (aigus) en balustrade, écrasent généralement complètement le bel édifice sonore d'un orgue romantique. Or, Schwenkedel ne pratiquait pas le "néo-classique", mais un post-romantisme innovant. Il cherchait à enrichir les possibilités, sans "faire semblant".
Tant qu'à remettre des jeux dans un positif de dos, il chercha à les intégrer complètement à l'harmonie générale, et il finit par concevoir ce plan sonore original, qui est en quelque sorte un Fernwerk à l'envers, c'est à dire un plan sonore de proximité. Cela ne fonctionne que si les jeux aigus se font très discrets. Et cette approche est fondamentalement différente de celle adoptée, 20 ou 30 ans plus tard, par la vague "néo-baroque", qui, justement, s'attacha à construire des positif de dos "façon 18ème" (et en totale rupture avec un orgue romantique).
Pour le reste, l'instrument est un orgue post-romantique dans la grande tradition : un grand-orgue de 5 jeux seulement s'exprime pratiquement toujours en faisant usage des accouplements (4 sont ici à la disposition de l'organiste, dont deux à l'octave aiguë et un à l'octave grave). Avec cette disposition, aucun jeu plus aigu que le 4' n'est nécessaire : le rôle du grand-orgue est d'amener des fondamentales.
Le récit, plus fourni, porte le couple Aeoline/Voix céleste, ainsi qu'un Gemshorn, ce qui constitue l'héritage du romantisme allemand. Le romantisme français, lui amène la la Flûte harmonique (rééquilibrant le plan sonore vers les aigus) et la Trompette de récit (ici appelée "Cor anglais", selon une habitude de Schwenkedel). La Fourniture, elle aussi, se trouve au récit, pour pouvoir disposer de la boîte expressive. Enfin, le 4' s'appelle "Musikgedackt", et rappelle le goût de Georges Schwenkedel pour les appellations originales ou poétiques des jeux. Il utilisa aussi "Musitziergedakt" (Bourdon de musicien d'harmonie).
La pédale aussi est conçue pour être jouée non pas seule, mais avec les tirasses. Il n'y a qu'une Soubasse et sa Flûte 8'. Avec un peu plus de place et/ou de moyens, cette pédale aurait reçu une Gambe 8' ou une anche 16' (pas d'anche 8', puisque l'on dispose déjà du Cor anglais avec la tirasse récit).
En 1984, l'instrument a été relevé par Michel Gaillard de la Manufacture d'orgues Franc-Comtoise. Cela explique l'absence de nombreux tuyaux de façade sur la photo de l'inventaire technique de 1984-1986. [ITOA]
En 1999, il y eut des travaux, menés par Christian Guerrier. Ceux-ci ont été motivés par des réparations à faire à la transmission, qui avait souffert d'un chauffage trop violent (le chauffage fautif a été modifié en 1994). Les travaux ont eu lieu entre le 15/07/1999 et le 15/08/1999, et l'orgue été inauguré le 05/12/1999 par Georges Baltrès et Peter Paul. [Caecilia]
Des travaux à la console ont été effectués vers 2006 par Michel Gaillard. [JCGuerrier]
Malheureusement, comme en atteste l'harmonisation que l'on peut entendre actuellement (2015), qui n'est plus du tout conforme aux belles réalisations de Georges Schwenkedel (les Fonds sonnent "néo-baroque"), l'instrument a été réharmonisé, entre 1984 et 2015 (on ne sait pas par qui). Cet orgue prestigieux, constituant un témoin important de la facture d'orgue en Alsace, et qui pourrait atteindre la valeur de celui de Seppois, mériterait vraiment le retour à sa belle harmonisation d'origine !
Le buffet
Le buffet a été réalisé par la maison Rudmann et Guthmann. Cette entreprise de Logelbach a aussi travaillé avec Joseph Rinckenbach à la fin de l'activité de ce dernier (Stosswihr-Ampfersbach, 1927, Eglingen, 1928). C'est peut-être à Wolschwiller qu'il faut aller chercher l'explication de la parenté esthétique de tous ces buffets : là-bas, il provient (en partie) de Jean Franz (Sondersdorf). L'inspiration semble donc bien venir de cette famille de facteurs d'origine suisse. Ces buffets construits par la maison Rudmann et Guthmann pour Rinckenbach puis Schwenkedel peuvent donc être considérés comme une évolution esthétique du style de la famille Frantz, et, en définitive, comme un vrai style d'orgue sundgauvien.
La structure et l'ornementation sont "classiques" : au grand corps, trois tourelles semi-circulaires à entablements - celle du centre étant plus large - encadrent deux plates faces doubles. Au positif, deux tourelles encadrent une grande plate-face. L'ornementation est constituée de motifs végétaux et floraux directement inspirés du style "rocaille" du 18ème (jouées, claires-voies, pots à fleurs en couronnements).
Ce sont les proportions qui sont totalement étrangères à l'esthétique classique, et révèlent une conception "début 20ème" : l'instrument se déploie tout en largeur, et la plate-face du positif se permet d'être plus haute que les tourelles. Les sculptures sont dorées.
Le grand corps est une déclinaison de la structure adoptée à Bernwiller en 1929 (opus 23, où le buffet a également été construit par Rudmann et Guthmann) : mais à Bisel, les tourelles sont plus hautes que les plates-faces, et ces dernières sont séparées en deux.
L'ornementation figurative est inspirée des buffets du 19ème :
- trophées d'instruments de musique en rinceaux (instruments à pavillons enlaçant un violon à gauche, un tambour à droite ; en référence au Psaume 150),
- un couple de têtes d'angelots ailées au sommet de la grande tourelle et en pendentif de la plate-face du positif,
- des têtes d'anges "solitaires", ailées, pour les plates-faces latérales.
Le positif porte en position centrale supérieure un écusson sur lequel figure "Soli Deo Honor et Gloria", et, au revers (visible depuis le narthex) "Anno Domini 1930".
Caractéristiques instrumentales
A la console, 'I' fait référence au grand-orgue (bien qu'il y ait un positif de dos), et 'II' au récit expressif (qui est d'ailleurs appelé "Echo"). Le positif de dos, joué sur le second clavier, serait donc 'III', mais cela n'apparaît nulle part à la console, vu qu'il ne dispose pas d'accouplements spécifiques.
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos disposés en ligne au-dessus des claviers, munis de porcelaines de couleur permettant d'identifier le plan sonore du jeu : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit et le positif de dos, et jaune pour la pédale. Les tirasses et accouplements sont bicolores : "II-I" (II/I), "Super II-I" (II/I 4'), "Sub II-I" (II/I 16'), "Super I" (I/I 4'), "Ped. I" (I/P), "Ped. II" (II/P). Claviers blancs. Joues de claviers galbées.
Sélection de la combinaison libre par picots blancs basculants, situés au-dessus de leur domino respectif (les accouplements et tirasses sont donc programmables). Commande des aides à la registration par pistons blancs situés sous le premier clavier, repérés par des porcelaines blanches. De gauche à droite : l'appel "jeux à main" ("Handreg.") qui rend les dominos actifs avec la combinaison libre, l'appel de la combinaison libre ("Fr.Comb."), puis les combinaisons fixes ("P.", "M.F.", "TT."), et l'annulateur du positif ("Reg. Pos. ab").
Commande de l'expression du récit ("Echo II.") et du crescendo ("Crescendo") par pédales basculantes (dans cet ordre de gauche à droite), placées très à droite de la console, et repérées par des porcelaines rondes, respectivement rose et blanche. Commande du trémolo par pédale-cuiller à accrocher, à droite de la pédale de crescendo, repérée par une porcelaine rose "Tremolo".
Indicateur de crescendo par une plaque en plastique blanche, graduée "0, 1, 2, 3, 4, 8", avec un picot rouge se déplaçant horizontalement.
Banc constitué de deux essences de bois (le plateau est plus clair). Plaque d'adresse en deux éléments émaillés blancs. A gauche des dominos :
A Largitzen (1928), c'était encore "Strasbourg - Cronenbourg".
A droite des dominos :
pneumatique tubulaire.
à membranes. Grand-orgue diatonique (basses aux extrémités). Positif chromatique.
Sources et bibliographie :
Photos du 18/10/2015.
La composition de l'orgue Schwenkedel dans cet ouvrage oublie... le positif de dos. Ses jeux y apparaissent au récit, comme si les jeux avaient simplement été relevés, et pas joués.
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