Ce bel édifice néo-roman est dû à l'architecte Bruno Steller. Il date de 1905, et sa construction - motivée par une volonté impérieuse et inébranlable de mettre fin au "simultaneum" à Kutzenhausen - fut un effort considérable : la commune comptait à l'époque environ 750 habitants. Elle est aujourd'hui dotée de deux églises remarquables, et il y avait même une synagogue, qui n'a malheureusement pas pu être sauvée en 1952, tellement elle avait été dévastée en 1940. L'orgue de l'église catholique devait également être remarquable : il a été construit en 1926 par Edmond-Alexandre Roethinger, et compte 11 jeux. "Devait", car il est malheureusement totalement injouable, puisque sa console a été arrachée pour être remplacée par une chose électronique.
Historique
C'est en 1926 qu'Edmond-Alexandre Roethinger dota Kutzenhausen d'un orgue caractéristique du style post-romantique alsacien. [ITOA] [IHOA] [Barth]
C'était déjà le second orgue construit par la maison de Schiltigheim et Strasbourg pour Kutzenhausen : le premier avait été posé à l'église protestante. Ce n'était pas un instrument neuf, mais la reconstruction de celui de 1832, qui avait été endommagé (déjà par une tempête...) en 1897. Mais en 1921 - comme la plupart des paroisses protestantes à l'époque - c'est la maison Dalstein-Haerpfer et non Roethinger qui fut retenue pour le renouveler.
L'instrument de l'église catholique est contemporain des magnifiques orgues de Ferrette ou Batzendorf, où l'on peut se faire une idée de ce qu'il était quand il pouvait encore jouer. Il était aussi contemporain de l'Opus 100 de la maison Roethinger, qui était placé à Soufflenheim, mais qui a malheureusement été détruit en 1981.
Son histoire commence dès 1916, date des premières démarches (19/11) avec la maison Roethinger. Cela démontre que la motivation ayant permis l'édification de l'église ne s'était pas éteinte ! On rêvait donc d'orgues... en pleine guerre. De façon prévisible, en mars 1918, il fut sagement décidé de "Bis nach dem Krieg warten" ("attendre la fin de la guerre"). [IHOA]
La belle composition - de 11 jeux seulement - mérite qu'on s'y attarde. Elle est particulièrement adaptée à ces édifices de taille "moyenne" qui ont une belle acoustique sans offrir trop de réverbération. Dans ce cas, inutile de "courir vers les aigus" : ils faut une grande richesse de fonds de 8'.
L'orgue étant aujourd'hui totalement inutilisable, on ne peut se fier qu'à l'analyse de sa tuyauterie, et surtout aux performances de ses contemporains survivants. Dans les années 1920, la maison Roethinger était capable de s'exprimer dans deux styles esthétiques :
- L'un plutôt conservateur, disons "fidèle" aux origines germaniques de la maison, est celui que l'on retrouve à Durrenbach (1916) : nombreux Fonds de 8', récit plutôt Gambé et doté d'une anche plutôt "bassonnante".
- L'autre, issu de ce que l'on a appelé la "Réforme alsacienne de l'orgue", plus ouverte aux influences romantiques françaises, et avec un caractère (qui se veut) moins symphonique : plus de Principaux, des Mutations (Quinte, Tierce, parfois même Larigot), et des anches plutôt "françaises". On le trouve par exemple à Ferrette, Marlenheim ou Saint-Bernard.
C'est bien une synthèse de ces deux tendances que l'on retrouvait ici, avec ce (petit) grand-orgue (le même qu'à Batzendorf) avec deux principaux plutôt orientés "polyphonie", mais un récit (comparativement plus grand), plutôt "parisien" et symphonique, doté d'une Flûte harmonique et une Trompette. Il ne faut pas oublier que, par la magie des accouplements à l'octave (II/I 16' et 4'), c'est une batterie d'anches complète (16', 8', 4') qui pouvait s'exprimer ici. Pas de Mutations.
La confluence de ces deux voies esthétiques caractérise le style d'orgue alsacien de l'époque, et c'est en cela que celui de Kutzenhausen en était représentatif.
Une vie sans histoires...
L'orgue ne semble pas avoir nécessité de travaux d'envergure. Il n'a jamais été altéré.
...jusqu'à la catastrophe
Il était entièrement authentique en 2001 quand sa console fut arrachée pour "faire de la place" à une chose électronique imitant les orgues... Cette décision fut prise suite à quelques dégâts causés par la tempête... mais dont on peine à retrouver les traces aujourd'hui. [Visite]
De façon totalement inexplicable, plutôt que de placer la chose électronique ailleurs, il fallut absolument la mettre A LA PLACE de la console, avec pour conséquence de détruire un orgue déjà historique. Toutes les tubulures ont été coupées à ras des sommiers ou des relais, et supprimées ! Un pareil vandalisme dirigé à l'encontre de notre patrimoine est vraiment affligeant. Il faut surtout se souvenir qu'il s'agit de la conséquence directe de plusieurs décennies d'un inepte discours des "connaisseurs" prétendant qu'un orgue pneumatique "ne vaut rien".
Caractéristiques instrumentales
La console, indépendante (dont on aperçoit le haut sur une photo ancienne) a été arrachée pour être remplacée par une chose "numérique".
Elle était probablement du même type que les belles consoles de Ferrette ou Batzendorf. Le porte-partition à alvéoles en tri-lobes, retrouvé à la tribune (avec le banc, il représente tout ce qu'il en reste) semble attester cette hypothèse. On est sûr, grâce aux inventaires, qu'il y avait 6 accouplements, dont cette fameuse "tirasse à l'envers" (P/I) qui était une originalité de l'instrument.
Pneumatique tubulaire.
A cônes, très bien conservés. Pour le grand-orgue, 2 sommiers diatoniques, en "M" (basses au extrémités). Idem pour le récit, placés derrière ceux du grand-orgue, au même niveau. La pédale est chromatique, logée dans le soubassement contre le flanc gauche, orthogonalement à la façade, et basses vers la façade.
Entièrement intègre, authentique, plutôt bien conservée (quelques tuyaux du Principal 4' ont été déposés et couchés). Mais, surtout au grand-orgue, le ver à bois a sérieusement attaqué les faux-sommiers, leurs supports, et des éléments du buffet.
Sources et bibliographie :
Photos du 24/09/2022 et données techniques.
Localisation :