
La plaque d'adresse de la maison de Boulay, en 1907.
La maison Haerpfer de Boulay, en Moselle, est une des entreprises de facture d'orgues françaises qui compta le plus dans l'est de la France, durant troisième tiers du 19ème et la première moitié du 20ème siècle. On lui doit en tout environ 550 opus. Créée alors que la Moselle était encore française, elle prit son essor dans un "Reichsland" évidemment plus sensible au répertoire germanique. Les techniques et les "tailles" adoptées, et donc les couleurs permises à l'harmonisation sont inspirées de Walcker, Voit, Haas et des grands romantiques allemands.
Mais tout commença par une rencontre à Paris : en 1862, (Jean-)Charles Haerpfer (07/06/1835-1909, déjà formé chez Steinmeyer, Walcker et Haas) et (Nicolas-)Etienne Dalstein (17/06/1834-1900, essentiellement menuisier de formation) travaillaient tous deux pour Cavaillé-Coll à Saint-Sulpice. Ils décidèrent en 1863 de se mettre à leur compte, en s'installant à Boulay (Moselle). L'entreprise fut fondée le 29/07. Le duo était en fait un trio : il y avait aussi Jean-François Dalstein (1826-?), un frère d'Étienne. Charles était l'harmoniste, les Dalstein amenant les capitaux et leurs compétences d'entrepreneurs.
Une caractéristique du "paysage organistique" mosellan et alsacien de l'époque était frappante : si les églises catholiques étaient presque toutes équipées d'un orgue (cela s'est fait durant le 19ème), les églises protestantes (le terme est, rappelons-le, juste en Alsace et en Moselle) avaient souvent un grand retard. Les causes étaient économiques, bien sûr, mais aussi liées au fameux régime du "Simultaneum", imposé par... Louis XIV, et consistant de fait à réquisitionner les lieux de culte protestants pour servir également au culte catholique. Lorsque, dans les localités disposant de deux communautés, le régime du Simultaneum prenait fin, c'était par la construction d'un nouvel édifice. Si, dans certains cas, ce sont les protestants qui gardèrent l'orgue ancien, la plupart du temps ils se retrouvaient avec un édifice sans mobilier. Et, quand l'orgue ancien avait été conservé, il était souvent nécessaire de le remplacer, car en mauvais état, ou fort peu adapté à l'accompagnement du choral.
Or, une fois ces territoires devenus allemands, il est évident que les autorités avaient beaucoup plus de latitude pour corriger cette situation inéquitable. Il y avait sûrement même une volonté politique pour le faire. En tous cas, la maison Dalstein-Haerpfer se trouvait fort bien placée. En 1864, Adrian Spamann vint les rejoindre ; il se mit plus tard (vers 1886) à son compte à Boulay.
Représentatif de la production des premières années d'activités de Dalstein-Haerpfer est l'orgue de Niderwiller, Ste-Croix (1878). S'il eut à souffrir des eaux (1879) et des modes (1965), mais il a été restauré par Bruno Dillenseger (Wingen-sur-Moder) en 1996. [IOLMO:Mo-Sap1925-9]
[Niderwiller]
Parmi les instruments de cette première période, le plus marquant est certainement celui construit en 1881 pour Nancy, St-Sébastien : III/P 46j, à transmission mécanique. Il est resté pratiquement 100% authentique (à deux accouplements près), et a été récemment relevé par Laurent Plet et Jean-Baptiste Gaupillat. Il est probable que le rayonnement donné à la maison de Boulay par cette réalisation lui permit définitivement de dépasser le périmètre Mosellan pour ses futures réalisations. [IOLMM:p304-10]
[NancyStSebastien]
Epoque Dalstein-Haerpfer, de 1886 à 1916
En Alsace, l'aventure commença en 1886, soit 12 ans après la construction de l'Opus 1, à Teterchen. Entre 1863 et 1886, le trio d'associés et leurs équipes avaient déjà livré une trentaine d'opus. Dans les années 1880, la maison de Boulay construisait un orgue tous les 3 mois environ. Du point de vue technique, les sommiers à cônes ("Kegelladen") faisaient merveille, et rendaient possible des harmonisations spécifiques. La tuyauterie était très "germanique", tant par les tailles que les compositions, même si une influence Cavaillé-Coll se fait sentir (anches de récit).
Dans le Bas-Rhin, les concurrents étaient Heinrich Koulen, les frères Wetzel, les facteurs allemands (Walcker, et surtout les frères Link), et bientôt (1893) la jeune maison Roethinger. Franz Xaver Kriess n'était pas très présent sur le marché "protestant". La maison Stiehr de Seltz, tournée vers le passé, voulait continuer à faire des orgues comme en 1830, et son déclin était inévitable. Le Haut-Rhin étant plus loin des bases de Dalstein-Haerpfer, la concurrence avec Martin et Joseph Rinckenbach était sûrement moins vive.
1886 :
Illzach, Eglise protestante
Remplacé par Eberhard Friedrich Walcker (1923).
Il ne reste guère de ce premier opus posé en Alsace (II/P 16j) que le très beau buffet néo-roman et quelques jeux. L'instrument fut pratiquement remplacé par Walcker en 1923 (opus 2012, le dernier travail de la maison de Ludwigsbourg en Alsace), et les sommiers furent détruits en 1945. En 1947, l'endroit reçut l'opus 100 de Georges et Curt Schwenkedel. En 1975, il y eut une opération désastreuse, qui eut pour conséquence l'introduction d'un Larigot, et une Cymbale... à la place de l'Harmonia Aetheria 3 rangs ! Heureusement, l'orgue a été reconstruit, en 2005, par Hubert Brayé, dans l'esprit Dalstein-Haerpfer : console neuve, et retour à la transmission mécanique. Quelques jeux de Boulay (surtout au récit) sont encore présents dans l'instrument.
[IHOA:p84a-b]
[ITOA:2p178]
Vers 1888 commença à intervenir un allié de poids, en la personne d'un médecin, docteur en théologie, philosophe, prix Nobel de la paix, et organiste de renom :

Albert Schweitzer (1875-1965) fut un acteur majeur de l'orgue européen,
et contribua à écrire certaines des plus belles pages de son histoire.

La plaque "Opus 75" à Pfaffenhoffen.
C'est en 1893, au Schaeferhof (Dabo, 57), que la maison Dalstein-Haerpfer se mit à la transmission pneumatique. C'est finalement assez tôt (6 ans plus tôt que Martin et Joseph Rinckenbach, par exemple). Il est donc logique qu'il y ait eu quelques tâtonnements : par exemple ce premier opus pneumatique fut construit avec des sommiers à membranes ("Taschenladen"). Mais les sommiers à cônes ("Kegelladen") revinrent bien vite, commandés pneumatiquement. Ils étaient probablement plus chers à construire (car beaucoup plus compliqués), mais tout de même mieux maîtrisés. La maison Koenig a refait la traction de l'orgue du Schaeferhof en mécanique (1979), en respectant le caractère romantique de l'harmonisation.
De 1894 date l'opus 100 de la maison Dalstein-Haerpfer, le fabuleux orgue de l'église Saint-Martin à Hayange. Le numéro d'opus avait été "gardé de côté" pour un orgue d'exception. A partir de là, une autre tendance se dessine : des récits plus étoffés, donc plus "romantiques français". [IOLMO:H-Mip776-82]
1895 :
Mulhouse, Salle de la Fraternité
Peut-être en raison de son emplacement un peu atypique, le petit
opus 114
(I/P 7j) est resté longtemps à l'abandon et injouable ; il a été démonté en 1978 et ses éléments ont été dispersés. Son buffet et quelques tuyaux graves connaissent aujourd'hui une seconde vie, à la chapelle St-Joseph de Baillif, en Guadeloupe : ils ont rejoint un orgue construit par Sébastien Fohrer, achevé en 2013.
[ITOA:2p290]
1896 :
Mulhouse, St-Paul
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(2019).
De façon inexplicable, cet
opus 122
(II/P 28j), une merveille d'un intérêt historique incontestable (et musical extrêmement probable) (II/P 28j), est... abandonné. La console a changé de place en 1984, et 3 jeux ont malheureusement été altérés à une époque indéterminée. Mais il y a ici plus de 25 jeux authentiques. Nous verrons plus loin (1905) que cet instrument était l'un des 7 retenu comme références pour l'entreprise sur son papier à entête. Il mériterait vraiment une réhabilitation...
[IHOA:p119a]
[ITOA:2p278]
1904 :
Tieffenbach (région de la Petite-Pierre), Eglise protestante
Instrument actuel.
Cet orgue avait été construit pour l'école normale de Phalsbourg. Celle-ci ferma ses portes après 1918, et les orgues (a priori 4 sur les 5 encore présents à cette date) furent transférés dans différentes paroisses d'Alsace et de Moselle. Celui-ci fut installé par Frédéric Haerpfer dans l'église protestante de Tieffenbach dès l'achèvement de l'édifice, en 1925.
[IHOA:p206a]
[ITOA:4p789]
1905 :
Strasbourg, St-Thomas Choeur
Instrument actuel.
L'une des "star" du patrimoine organistique alsacien. Un instrument fondamental, qui contribua plus tard à rendre aux orgues de cette époque, et à transmission pneumatique, leurs lettres de noblesse. L'
opus 177
(II/P 14j) est l'idéal complément de l'orgue de tribune ; il en reprend la tourelle centrale tri-lobée (dessin de l'architecte Henri Salomon), comme un hommage esthétique.
[MSchaeferSilb:p132]
[ITOA:4p768-9]
[IHOA:p202b-3a]
En 1905, le papier à entête de l' "Orgelbau-Anstalt von Dalstein & Haerpfer" cite comme références :
- - Nancy, St-Sébastien (46 j)
- - Luxembourg, Cathédrale (40 j)
- - Mulhausen (Els.) ev.Kirche (28 j)
- - Metz Cathédrale (10 j)
- - Metz St-Vincent (50 j)
- - Hayingen (Lthr.) (56 j)
- - Metz, neue ev. Kirche (51 j)
[IOLMO:Sc-Zp2537]
De Nancy, Mulhouse et Hayange nous avons déjà parlé. L'orgue de la cathédrale de Luxembourg a été complété (remplacé) vers 1930. La présence sur cette liste des trois de Metz s'explique probablement plus par leur visibilité ou leur influence culturelle. Celui de la "cathédrale" fait référence à l'instrument d'accompagnement de la chapelle Notre-Dame-la-Ronde : c'était l'orgue pour les offices de la garnison (II/0P 10j). Celui du Temple-Neuf a été victime du conflit de 1939-1945, et a finalement été remplacé par l'une des plus belles réalisations de l'époque néo-classique. Celui de la basilique St-Vincent n'existe plus : il n'a pas été victime des guerres, mais des errements des années 1960.
1907 :
Cronenbourg (région de Strasbourg), St-Sauveur
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(09/07/1981).
Juste après avoir évoqué à St-Nicolas une des pires pages de l'histoire de l'orgue alsacien, en voici l'une des plus belles. L'orgue Dalstein-Haerpfer de Cronenbourg est l'un des joyaux de la région. Sa partie instrumentale a été classée en 1981, avec raison, car c'est un témoin essentiel de la Réforme alsacienne de l'orgue (le premier, même, selon Emile Rupp, qui savait de quoi il parlait). Cet orgue a été construit sur les directives d'Albert Schweitzer, en 1907, et le marché avait été offert à Frédéric Haerpfer en "cadeau" le jour de son mariage. Une époque ou les "process économiques" sacrifiaient au bonheur des gens, et non l'inverse. A la fois acte fondateur d'une pensée technique, ergonomique et esthétique, jalon historique majeur, éclatant exemple de conservation du patrimoine, c'est avant tout une merveilleuse machine musicale.
[ITOA:4p682-4]
[IHOA:p185a]
1908 :
Duntzenheim (région de Hochfelden), Eglise protestante
Instrument actuel.
On ne sait pas qui a dénaturé ce joli petit (II/P 15j) instrument (un Nasard sans octave grave - donc sur la chape d'une Voix céleste -, une Doublette au récit, et pas de Gambe ne sont pas bon présage...) qui serait à coup sûr bien mieux dans sa configuration d'origine. Un relevage était envisagé dans les années 2000.
[IHOA:p53b]
[ITOA:3p129]
1909 :
Strasbourg, Palais des fêtes
Instrument actuel.
Un orgue de légende, dans un endroit de légende. Le
"Strassburger Männersangverein" se dota de son
"Schönster Schmuck" (plus bel ornement)" en 1908. Il fut conçu en 1908 dans l'enthousiasme propre à cette époque, avec la participation de M.J. Erb, K. Frodl (
"Dirigent des Strassburger Männersangvereins"), Emile Rupp (Strasbourg, St-Paul et père de la Réforme alsacienne de l'Orgue) et, bien sûr, Albert Schweitzer. La Commission devait définir les caractéristiques de
"l'orgue de concert" idéal, quelques années après avoir fait réaliser
"l'orgue d'accompagnement idéal", dans le choeur de St-Thomas. Après une visite à l'orgue de Strasbourg St-Sauveur, il fut décidé de confier la réalisation de l'instrument aux facteurs préférés d'Albert Schweitzer : l'accord avec la maison de Boulay fut signé le 02/11/1908. l'orgue du Palais de fêtes fut inauguré en grande pompe le 09/12/1909 par Charles-Marie Widor, Eugène Gigout et Joseph Bonnet. Il y eut deux concerts magistraux : l'un proposa la Symphonie pour orchestre et orgue de M.J. Erb (composée pour l'occasion), l'autre la "Sinfonia sacra" de Ch. M. Widor. Pendant longtemps, la salle et son orgue furent l'un des phares de la culture alsacienne. Puis ce fut un long déclin : dans l'Alsace de la seconde moitié du 20ème siècle, il était "de bon ton" de dénigrer (ou au moins de passer sous silence) ces années "germaniques", quel que fut leur bilan culturel. Le "Männersangvereins" fut oublié, et la salle victime de l'implacable "No parking, no business". Elle paraît toutefois avoir recouvert un avenir (après des années de péripéties) qu'on lui souhaite aussi riche que son histoire (à partir de 2020). Il faut entendre l'enregistrement de Chritoph Bossert "Variationen und Fuge" (Reger op. 73) sur cet instrument.
[IHOA:p195b]
[ITOA:4p734-7]
C'est en 1909, année de la construction de l'orgue du Palais des fêtes, que mourut Charles Haerpfer. Mais la "deuxième génération" était déjà fort active, et parfaitement formée : Frédéric Haerpfer (1879 - 11/12/1956) et Paul Dalstein (1868-1926).
1911 :
Cleebourg (région de Wissembourg), Eglise protestante (St-Blaise)
Remplacé par Gaston Kern (1976).
Il est "convenu" d'attribuer l'orgue de Cleebourg à Johann-Carl Baumann (tout en sachant qu'il ne reste là-bas de lui que le buffet). L'orgue de 1781 avait 8 jeux sur un manuel, et 3 jeux de pédale (17 notes). Après reconstruction en 1911 par Dalstein-Haerpfer, il était doté de deux manuels (II/P 12j). En 1976, sous prétexte d'un "retour à la traction mécanique", il resta 8 jeux en tout (1 seul manuel !). L'essentiel de la tuyauterie vient de l'orgue Haerpfer, mais elle a évidemment été totalement réharmonisée.
[IHOA:p46b]
[ITOA:3p99]
1911 :
Ste-Marie-aux-Mines, Temple réformé
Instrument actuel.
Cette reconstruction d'un orgue Callinet porte bel et bien la plaque de Boulay. Il n'est pas exclu qu'une première intervention (lors de laquelle le passage à 3 claviers a été réalisé en mécanique) ait eu lieu plus tôt. Il faut souhaiter que cet instrument très intéressant (aujourd'hui démonté mais sauvegardé) retrouve un jour sa voix.
[IHOA:p161b]
[ITOA:2p411-2]
1911 :
Sundhouse (région de Marckolsheim), Eglise protestante
Instrument actuel.
Le bel orgue de Sundhouse a été construit en 1911 sur la base de l'ancien orgue des Dominicains de Sylo (1750, que Joseph Bergäntzel avait installé à Sundhouse en 1793). Evidemment, on ira pas "chercher du Silbermann" là-bas (il y en a ailleurs, pour ceux qui ne veulent vraiment entendre que ça) mais un instrument plein de charme et de poésie, prouvant que ce que la fin du 20ème siècle appelait "pneumatisations" (avec un dédain sentencieux) étaient parfois de très belles choses. Pour s'en rendre compte, encore faut-il dépasser la théorie, et aller ouvrir ses oreilles sur place. En 2009, Emmanuel Uhry (Neubois) a effectué un exemplaire relevage, avec remise en l'état de 1911.
[ArchSilb:p103-4,411-2,476-7,510-1]
[IHOA:p204a]
[ITOA:4p781-2]
[PMSRHW:p231]
[HOIE:p80-1]
1912 :
Westhoffen (région de Wasselonne), Eglise protestante
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(28/03/2001).
L'orgue du Palais des Fêtes de Strasbourg n'étant plus accessible, le "vaisseau amiral" alsacien de la maison de Boulay se trouve actuellement à Westhoffen. Il est réellement impressionnant, et orne une tribune chargée d'histoire (il y a des orgues là-bas depuis 1667, et on y rencontre successivement Christoph Aebi, Johann-Peter Toussaint, Xavery Mockers, Heinrich Koulen, Frédéric Haerpfer, Georges Schwenkedel et Ernest Muhleisen.)
[IHOA:p219a]
[ITOA:4p840-2]
[ArchSilb:p297-8]
[PMSSTIEHR:p206]
[PMSCS79:p37-41]
1912 :
Thann, Temple réformé
Remplacé par Georges Schwenkedel (1951).
Il s'agissait de remplacer un orgue Wegmann de 1837. L'instrument avait 15 ou 16 jeux. Il fut endommagé par faits de guerre en 1945. Il en reste quelques tuyaux (en particulier de la Voix céleste et de la Mixture) dans l'orgue actuel.
[IHOA:p205b]
[ITOA:2p451]
[PMSWEG:p290]
En 1912, il y eu aussi des travaux à l'orgue Stiehr de Hatten (transmission). Comme une grande partie de Hatten, l'église et l'orgue furent totalement détruits sous les obus lors de l'opération "Nordwind", en janvier 1945.
1915 :
Rott (région de Wissembourg), St-Georges
Instrument actuel.
Très comparable à son contemporain de Rexingen est le tout petit orgue de Rott (II/P 5j) : il s'agissait de faire, avec une grande économie de moyens, un vrai instrument de musique. Les deux manuels, avec les accouplements à l'octave, même s'il n'y a que 5 jeux, élargissent considérablement les possibilités. Ce petit bijou est resté entièrement authentique !
[IHOA:p153]
[ITOA:4p552]
[Barth:p316]
1916 :
Benfeld, Eglise protestante
Instrument actuel.
En 1916, on livrait encore des orgues : la Musique avait une place prépondérante dans la vie des gens, et sûrement un rôle consolateur dans les épreuves liées au conflit. C'est un instrument de taille moyenne (II/P 16j) ; à part sa "Mixtur Cornett" malheureusement décalée (passée en 2'), une Doublette fort suspecte et probablement sa façade, l'orgue est resté authentique, et c'est un témoin poignant de la résilience de la population face à la guerre. Face aux canons et aux urgences, qui aurait jugé qu'il avait seulement la moindre chance d'être livré ? Et pourtant, il est toujours là, petit miracle de bois et de métal, désespérée profession de foi contre la folie des Hommes, qui a survécu à deux conflits mondiaux. Assis à sa console (à fleur de tribune), on fait face à la nef et au monde. Logique. Et on peut y jouer Josef Rheinberger et Alexandre Guilmant.
[IHOA:p34a]
[ITOA:3p30]
[PMSRHW:p191]
Epoque Frédéric Haerpfer, de 1919 à 1946
C'est Frédéric Haerpfer qui prit la direction de l'entreprise lorsque les ateliers purent ouvrir à nouveau, en 1919. De nombreux autres changements allaient s'opérer dans les quelques années à venir, le principal étant le départ de Paul Dalstein. Ce dernier, bien que plus ou moins retraité (jusqu'à sa mort en 1926), se retrouva en situation de concurrence avec la nouvelle "Manufacture Lorraine de Grandes Orgues, Frédéric Haerpfer successeur". Il ne semblait plus avoir beaucoup d'estime pour les travaux de Frédéric. [IOLMO:p2539]
1919 :
Steinseltz (région de Wissembourg), Eglise protestante
Remplacé par Alfred Kern (1974).
Il s'agissait d'un petit instrument (II/P 8j), dont on peut lire qu'il avait une transmission mécanique. Endommagé en 1945, il avait déjà 3 jeux altérés en 1970 (Doublette, Prestant, Mixture à 3 rangs). En 1974, on se rendit compte qu'il manquait absolument un Larigot... De l'orgue de 1919, le premier "Frédéric Haerpfer" (même hors Alsace), il ne reste plus rien qu'un beau buffet néo-roman, et, sûrement, quelques tuyaux "récupérés" comme on dit.
[IOLMO:p2539]
[IHOA:p179]
[ITOA:4p651]
En 1911 et 1922, il y eu des travaux de transformation à l'orgue Stiehr-Mockers de l'église protestante de La Robertsau.
1925 :
Soultzeren (région de Munster), Eglise protestante
Instrument actuel.
Il n'y a pas eu de travail Dalstein-Haerpfer ici en 1904, mais la construction d'un orgue neuf en 1925 : il s'agissait de remplacer l'orgue Gebrüder Link, 1904, du lieu. Le bel instrument fut malheureusement défiguré en 1971 (Fourniture 5 rangs, Cymbale , Cromorne, et 4' de pédale ; Flûte majeure transformée en Bourdon (!) et Voix céleste découpée pour en faire un improbable Nazard). Ce serait probablement restaurable, mais, bien sûr, à quel prix ?
[IHOA:p177a]
[ITOA:2p431]
[PMSLINK:p244]
1925 :
Ribeauvillé, Eglise protestante
Remplacé par Antoine Bois (1993).
L'orgue de Frédéric Haerpfer (II/P 15j)
occupant un buffet de Joseph Waltrin de 1717 (qui était arrivé là en 1784), il n'avait pas beaucoup de chance de survivre aux années 80-90. Le "retour à la normale" a eu lieu en 1993. Le résultat est loin d'être mauvais ; mais l'orgue de 1925, conçu selon les directives d'Albert Schweitzer, ne l'était peut être pas non plus.
[IHOA:p147a-b]
[ITOA:2p358-9]
[HOIE:p54-5]
En 1925, il y aussi eu des travaux importants à l'orgue de Colmar, St-Matthieu (transmission et récit).
1926 :
Stosswihr (région de Munster), Eglise protestante
Remplacé par Georges Schwenkedel (1944).
Pour remplacer l'orgue Claude-Ignace Callinet détruit par faits de guerre en 1915, Frédéric Haerpfer construisit un instrument neuf (II/P 18j). En 1944 (!) on choisit de le remplacer par un orgue néo-classique. En 1958 on fit le choix de remplacer ce dernier par un autre instrument néo-classique (sans buffet).
[IHOA:p180b-1a]
[ITOA:2p443]
1927 :
Dornach (région de Mulhouse), Temple réformé
Instrument actuel.
Selon ses propres termes, Frédéric Haerpfer a noté qu'il avait "reconstruit" cet instrument. Malheureusement, dans les années 60-70 cet orgue a été gravement altéré par la transformation d'un bon tiers de ses jeux, le laissant avec une composition totalement absurde. Il a donc rejoint la longue liste d'orgues romantiques ou post-romantiques "baroquisés", c'est à dire mutilés, qui ont perdu non seulement toute authenticité mais aussi toute intégrité, et finalement tout intérêt. Une situation d'autant plus préoccupante qu'on voit mal comment se trouveront les ressources pour réparer ces errements : autant il est facile de "recouper" une Voix céleste pour en faire un "Nasard" (et une bonne marge avec le métal récupéré...), autant restaurer une Voix céleste ainsi mutilée est très coûteux, en temps et en matériel. Pour la plupart de ces malheureux instruments défigurés, il est sûrement déjà trop tard.
[IHOA:p53a]
[ITOA:2p280]
En 1927, il y eu des travaux (qui furent d'ailleurs fort critiqués) à l'orgue de la chapelle de l'hôpital de Pairis. L'orgue Martin et Joseph Rinckenbach, 1911, du lieu y perdit toute authenticité pour pas grand chose. Il fut de nombreuses fois réparé, mais rien n'y fit, et il fallut procéder à la construction d'un orgue neuf dans le superbe petit buffet en 2000.
1928 :
Altkirch, Temple réformé
Remplacé par Christian Guerrier (1971).
Ce petit instrument (II/P 10j) avait été construit pour remplacer un orgue Koulen de 1884, probablement endommagé durant le conflit, car il avait fallu en réparer le buffet. Seulement une partie de la tuyauterie, évidemment totalement réharmonisée, et le buffet (datant probablement de l'orgue Koulen) furent conservés en 1971 lors de la "re-mécanisation".
[IHOA:p26a]
[ITOA:2p5]
1929 :
Seppois-le-Haut (région de Hirsingue), St-Hubert
Instrument actuel.
Le bel orgue de Seppois a eu plus de chance que ses contemporains : ses propriétaires ont su le respecter et l'entretenir. Il a l'air totalement authentique, et a été relevé par Hubert Brayé en 2002 : son avenir paraît donc assuré. Comme on peut le constater, c'est un des rares (et donc précieux) témoins de la production de Frédéric Haerpfer d'entre les deux guerres.
[IHOA:p172b]
[ITOA:2p419]
[PMSRHW:p108-9]
[Barth:p339]
De 1930 date la reconstruction (avec une transmission pneumatique) de l'orgue Charles Wetzel, 1885, de l'église protestante de Neudorf. L'instrument fut détruit par faits de guerre en 1944. Il s'y trouve aujourd'hui le chef d'oeuvre bien connu - un des sommets de la facture de la seconde moitié du 20ème siècle - construit par Alfred Kern en 1966.
1931 :
Gunsbach (région de Munster), Eglise mixte
Remplacé par Alfred Kern (1961).
Albert Schweitzer a commencé à tenir l'orgue de Gunsbach à l'âge de 8 ans. Il voulut pour son village
"l'orgue de campagne idéal". Frédéric Haerpfer eut le marché, Schweitzer supervisa l'opération, et le travail sur place a été effectuée par Alfred Kern (qui travaillait alors chez Haerpfer). L'orgue a été endommagé par un obus, réparé par Kern en 1945, et fut finalement reconstruit en 1961, à nouveau sur les directives d'Albert Schweitzer, qui appela cet orgue de 1961 "sa dernière oeuvre". Force est de constater que la définition de "l'orgue de campagne idéal" avait beaucoup changé depuis 1931. Pas forcément en bien, d'ailleurs.
[IHOA:p71a]
[ITOA:2p137-8]
[MHGunsbach65:p28-32]
[PMSRHW:p18]
[Barth:p207]
En 1934 Frédéric Haerpfer fournit une console neuve (mobile) pour l'orgue Merklin du Temple Neuf de Strasbourg. Elle a, depuis, été remplacée.
1939 :
Kuttolsheim (région de Truchtersheim), St-Jacques Majeur
Instrument actuel.
Le dernier des instruments construits par Frédéric Haerpfer pour l'Alsace avait été commencé par Adolphe Blanarsch. Il s'agissait de reconstruire entièrement un instrument sur la base d'un Stiehr de 1828. Blanarsch n'ayant pu mener le projet à terme, on s'adressa à Frédéric Haerpfer, qui fournit un orgue pratiquement neuf, et plutôt original. Cet instrument est intéressant à plus d'un titre : il témoigne que même à la veille de son changement de carrière (de la facture vers l'expertise), Frédéric Haerpfer était toujours plein d'idées. Une intuition lui fera ici construire un orgue extrêmement novateur du point de vue technique : les sommiers sont à gravures, comme au 18 ème siècle (et donc à l'époque néo-baroque). Malheureusement, l'orgue de Kuttolsheim n'est pas resté authentique : il a été modifié dès 1943.
[IHOA:p95b-6a]
[ITOA:3p322]
On le sent bien en considérant les derniers opus, après 1930 : le "souffle" était perdu. Si d'autres maisons, comme celle de Joseph Rinckenbach, on su produire de véritables chef d'oeuvre (souvent méconnus) dans les années 1930, Frédéric Haerpfer, détenteur des progrès insufflés par Schweitzer, ne s'est sûrement jamais trouvé très à l'aise avec la mode néo-classique "Mainstream". Le concept d'orgue-à-tout-jouer, les harmonisations empilant les compromis, les Larigots sur transmission électrique, tout cela ne devait pas beaucoup lui parler. Quand viendra la radicalisation "néo-baroque", la situation sera évidemment encore plus difficile.
Epoque Haerpfer-Erman, de 1947 à 1998
En 1946, Walter Haerpfer et Pierre Erman ont fondé la "Manufacture Lorraine de Grandes Orgues Haerpfer & Erman". Frédéric Haerpfer devint expert, chargé, après guerre, d'estimer des "pourcentages de destruction". Il mourut le 11/12/1956. [IOLVO:p2541]
Le fils de Walter Haerpfer, Théo (08/09/1946 - 12/06/1999) rejoignit l'entreprise en 1970.
On peut faire un parallèle avec la maison Roethinger, qui n'entra dans le "néo-baroque" qu'à reculons, et qui, du coup connût à peu près le même destin : un héritage fabuleux mais complètement "passé de mode". Après 1945, il fallait soit s'arrêter (comme Joseph Rinckenbach ou Frédéric Haerpfer), soit accepter de se satisfaire des "dommages de guerre", soit être réellement détenteur d'un souffle nouveau (Curt Schwenkedel, Ernest Muhleisen, Alfred Kern, Jean-Georges Koenig).
Toujours est-il que commercialement, les années 1946-1970 ont été assez fastes (à cause des fameux "dommages de guerre" : 250 orgues construits à Boulay). En 1975, Théo Haerpfer prit la suite, bénéficiant encore pendant 3 ans de la présence de Pierre Erman. Ce devint la "Manufacture d'orgues Haerpfer". Sa toute fin est une histoire triste, pour de nombreuses raisons, l'une d'entre elle étant probablement les immenses difficultés liées aux successions.
1961 :
Haguenau, St-Nicolas
Remplacé par Alfred et Daniel Kern (1987).
Cet instrument, qui fut inauguré par Marie-Claire Alain, a été construit dans le superbe buffet venant de l'orgue Joann Georg Rohrer, 1747, de l'abbaye cistercienne de Neubourg. Les louanges de 1961 (avec une Sesquialtera au positif et un Larigot au récit, comment eut-il pu en être autrement ?) firent vite place à la déception : traction du positif (1964), tirage des jeux complètement défectueux (Inventaire technique, 1986). La partie instrumentale fut heureusement remplacée par Alfred et Daniel Kern en 1987.
[IHOA:p72b-73a]
[ITOA:3p229-32]
1988 :
Brumath, Eglise protestante
Instrument actuel.
Partie instrumentale classée Monument Historique
(08/05/1973).
Il s'agissait ici de restaurer dans son état de 1810 un orgue de Michel Stiehr, qui avait été reconstruit par Georges Schwenkedel en 1936.
Style et façon
Oublions la fin, pour ne retenir que les années 1886-1939. L'histoire de la maison Haerpfer est indissociable de la "Réforme alsacienne de l'Orgue" (qui n'est pas qu'alsacienne). Les combats d'Albert Schweitzer pour une polyphonie plus "lisible", des compositions plus équilibrées et des consoles plus ergonomiques ont inspiré les meilleurs facteurs du moment (Joseph Rinckenbach et Edmond-Alexandre Roethinger). Ils dotèrent l'Alsace d'une esthétique "néo-classique" bien différente de celle qui s'imposera plus-tard (après 1930) en France, ou de l'"Orgelbewegung" allemande. Mais c'est bien la maison Dalstein-Haerpfer que Schweitzer promouvait sans relâche, et estimait la mieux placée pour concrétiser ses idées.
Evidemment, il est d'usage de parler de "synthèse" des styles romantiques allemands et français. Schématiquement, les orgues Haerpfer seraient un mélange de Walcker et de Cavaillé-Coll. De fait, ils sont souvent dotés de sommiers (si nécessaire superposés), de tailles et de fonds de conception allemande ; et les anches peuvent avoir un côté français, et les commandes à pied des consoles sont très "parisiennes". Les compositions proposent souvent des Aéolines, des Flûtes à double bouche, mais aussi des Trompettes de récit. En fait de synthèse, on se demande bien comment il eut pu en être autrement... L'originalité n'est finalement pas dans le mélange des genres, mais dans l'art exprimé par l'assimilation de ces différentes techniques.
Et dans ce schéma, deux influences sont négligées : tout d'abord celle du Suisse Friedrich Haas (1811-1886), de Lucerne, chez qui Charles Haerpfer a aussi appris son métier. Haas était lui-même élève de Walcker, ami de Cavaillé-Coll, et travaillait avec Töpfer (le théoricien des "tailles" germaniques). La "synthèse" que l'on prête d'habitude à Charles Haerpfer était donc déjà bien commencée... De plus, le style de Lucerne était extrêmement apprécié : pour preuve, le foudroyant succès de Martin Rinckenbach, certes aussi passé chez Cavaillé-Coll, mais qui a été formé par Friedrich Haas à Lucerne. Or, la maison Haas avait ses spécificités : elle fut reprise par celui qui fut si longtemps le compagnon du patron, Friedrich Goll. Et ce dernier signa les instruments d'exception que l'on sait. Friedrich Haas a apporté une contribution essentielle à l'orgue romantique, mais aussi post-romantique européen.
Une autre influence qui enrichit encore la palette de la maison de Boulay, à partir de la deuxième génération, est italienne. En 1905, on trouve Frédéric Haerpfer chez Vincenzo Mascioni (Milan). Il y restera un an, ce qui est loin d'être négligeable dans une formation. Il rencontra Marco Enrico Bossi. [IOLMO:Sc-Zp2539]
De façon pragmatique, ce qui caractérise ces instruments, c'est la qualité de la tuyauterie, et le soin apporté à son harmonisation. Les autres éléments techniques sont au service de la tuyauterie. Les consoles sont souvent très travaillées, ergonomiques (troisième congrès de Vienne), et contribuent beaucoup à l'ambiance magique, que l'on qualifiera à loisir de "post-romantique" ou "spät-romantik" (ce qui est à la fois fondamentalement différent et parfaitement synonyme).
Comme pour tout le patrimoine laissé par les maisons post-romantiques (Joseph Rinckenbach, Link, Voit, mais aussi Roethinger et Schwenkedel d'avant 1939), on ne peut que souhaiter qu'il soit préservé, entretenu, et mis en valeur. Il faudrait commencer par ne plus raconter n'importe quoi au sujet des "orgues pneumatiques" (qu'ils seraient fragiles, coûteux à entretenir, ou "inadaptés au répertoire")... Puis se souvenir à quel point ces instruments, construits entre 1880 et 1939, sont intimement liés à la vie et aux préoccupations d'une population, décimée par la guerre puis la grippe "espagnole", et qui se tenait face aux ruines, aux privations, et fut vite, en plus, confrontée à la montée des intolérances et de la haine sous toutes ses formes. Les orgues d'avant 1914 sont l'émergence d'un projet esthétique européen, mêlant les idées artistiques et économiques aux tendances de l'Art nouveau, du Jugenstil et de la "Belle époque". Ceux d'après 1918 sont de véritables actes missionnaires, démontrant une résilience exceptionnelle, et un attachement constant à la musique et à la paix.
Comme gage de notre compréhension et de notre respect, ce serait bien de commencer par penser les "petites plaies", et d'enlever - à chaque fois que possible - les Cymbales et autres Larigots affublant ces merveilleux instruments, pour leur rendre un ou deux des beaux jeux romantiques qui leur manquent.
Webographie :
Sources et bibliographie :
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[IOLMO] Christian Lutz et François Ménissier : "Orgues de Lorraine, Moselle"
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[IOLMM] Christian Lutz et René Depoutot : "Orgues de Lorraine, Meurthe-et-Moselle", éditions ASSECARM / Serpenoise, 1990
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[IHOA] Pie Meyer-Siat : "Inventaire historique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, puis Coprur, 1985 et 2003
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[ITOA] "Inventaire technique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM
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[OrgueNormand] L'orgue Normand (association 'Connaissance de l'Orgue'), vol. 34, p. 45-6
Hommage à Théo Haerpfer.