Batzendorf, l'orgue Roethinger dans son buffet Stiehr.Les photos sont de Martin Foisset, 14/08/2020.
Avec son clocher à plusieurs étages muni d'un bulbe, l'église de Batzendorf présente une silhouette originale. Elle date du 18ème : un chronogramme donne 1781. Logé dans un buffet du début 19ème, l'orgue, un Roethinger "de l'entre-deux-guerres", a lui aussi su rester original. Son récent relevage et son exceptionnelle authenticité en font un témoin fort important de cette époque très riche - et pourtant si méconnue - de la facture d'orgues.
Historique
C'est avant 1840 que Michel Stiehr construisit l'orgue dont provient le buffet actuel. [IHOA] [PMSSTIEHR]
L'instrument a été posé avant 1840, car il figure dans l'enquête-inventaire menée cette année-là. [Barth]
Mais il n'est pas prouvé que Stiehr construisit cet orgue pour Batzendorf : il a pu y être placé d'occasion vers 1836 (date à laquelle la tribune fut agrandie). Se basant sur le style du buffet, Pie Meyer-Siat penche plutôt pour une construction vers 1820. [PMSSTIEHR]
En se basant sur les orgues contemporains et la taille du buffet (3m50 de large et seulement un peu plus d'un mètre de profondeur), on peut estimer que l'instrument d'origine n'avait qu'un manuel (de 9 ou 10 jeux), et une pédale limitée à 15 notes (3 ou 4 jeux).
Selon des sources locales, il semblerait que l'instrument soit venu de Dauendorf. Mais selon Pie Meyer-Siat, l'orgue Stiehr de Dauendorf a été construit en 1833, et à été déménagé en 1881 à Breitenau, où on peut encore le voir. A moins qu'il n'y ait eu deux orgues Stiehr à Dauendorf (dont un premier construit dans les années 20), ces deux hypothèses s'excluent mutuellement. [Visite]
En octobre 1869, Félix Mockers fit une réparation. L'instrument était dans un état impeccable en novembre 1896 : Charles Wetzel n'eut qu'à l'accorder. [ITOA] [PMSSTIEHR]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [IHOA]
Historique
En 1926, Edmond-Alexandre Roethinger construisit un orgue à deux claviers et pédale complète, doté d'une console indépendante, en y intégrant une partie de la tuyauterie Stiehr et en conservant le buffet. [IHOA] [ITOA] [Barth] [PMSSTIEHR]
Alfred Kern participa à ce travail, employé à l'époque par la maison Roethinger. [Barth]
Grâce à l'usage de la traction pneumatique, on put descendre la tuyauterie du grand-orgue (4 jeux seulement) dans le soubassement, et donc ménager en hauteur de la place pour la boîte du récit. Et le buffet Stiehr put donc être conservé : il aurait été fort dommage qu'un aussi joli buffet soit perdu.
A l'époque, on ne faisait évidemment pas d' "historicisme" : un petit instrument datant de juste après la Révolution ne faisait tout simplement plus l'affaire. La console en fenêtre était incompatible avec l'organisation des tribunes (une console indépendante permet à un organiste - chef de chœur de diriger sa chorale). Le répertoire accessible, très limité par le manuel unique et l'étendue de pédale très limitée (en pratique : pas de pédale, en fait), en faisaient un instrument inadapté à ce qui était enseigné, donc joué.
Il y eut des dégâts pendant la seconde Guerre mondiale. En 1954, la maison Max Roethinger fit les réparations, ainsi qu'un nettoyage. [Visite]
Aussi, est-il fort réjouissant qu'en 2010, c'est bien un relevage de l'orgue Roethinger (et pas la reconstruction d'un hypothétique simili-Stiehr) qui fut sagement décidé. L'orgue Roethinger de Batzendorf a non seulement été sauvé de la "mécanisation", mais a bénéficié de tous les soins qu'il mérite. L'opération fut réalisée par la maison Yves Koenig fin 2009, la maîtrise d'ouvrage étant assurée par la commune et la maîtrise d'œuvre assurée par Robert Pfrimmer. [Caecilia]
La tuyauterie a été entièrement démontée et traitée, toutes les parties de l'orgue ont été nettoyées. La traction et la console ont été réglées, et des panneaux anti-poussière ont été placés au-dessus de la tuyauterie.
Le buffet
Le grand-orgue est disposé dans le soubassement et non à hauteur de la façade.Le buffet en chêne, est dit "de type Roeschwwog" (car à Roeschwoog la maison Stiehr réalisa pour la première fois un buffet de ce style). Le trait caractéristique concerne les tourelles, qui sont plates (et non plus rondes comme à l'époque classique). Il ressemble à celui d'Eschau. Epfig et Ergersheim en sont des versions avec positif de dos.
La "signature visuelle" de l'orgue de Batzendorf est la présence de fleurs dorées dans les sculptures (jouées, claires-voies, rinceaux). Ces dorures datent probablement de 1926, et contribuent de manière visuelle à l'identité de l'orgue Roethinger.
Caractéristiques instrumentales
L'élégante console indépendante.Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. L'intérieur est en acajou. Tirage des jeux par dominos à porcelaines, placés en ligne (sans espace entre les plans sonores) au-dessus du second clavier. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale.
Claviers blancs à frontons biseautés. Commande des tirasses et accouplements par pédales-cuillers à accrocher, en bois recouvert de métal, et repérées par des porcelaines rondes, séparées en diagonale et colorées selon le code de couleur des plans sonores. De gauche à droite : "PÉDALE / RÉCIT", "PÉDALE / GRAND ORGUE", "OCTAVES AIGUËS RÉCIT / GRAND ORGUE", "OCTAVES GRAVES RÉCIT / GRAND ORGUE", "RÉCIT / GRAND ORGUE". Vient ensuite la pédale basculante de commande de la boîte "EXPRESSION RÉCIT". Pas de trémolo.
Commande des combinaisons fixes par poussoirs, situés au centre sous le premier clavier : "P", "MF", "F", et "A" pour l'annulateur, qui est noir alors que les autres sont blancs.
Pupitre ajouré d'ouvertures quadrilobées.
Ce sont vraiment de très belles consoles,qui ont beaucoup de charme.
Plaque d'adresse constituée de deux inscriptions en lettres dorées, de part et d'autre des dominos. A gauche :
Et à droite :
Pneumatique tubulaire, notes et jeux.
Sommiers à cônes. Le grand-orgue est logé en avant dans le soubassement. Il est diatonique en "M" (basses aux extrémités). La pédale est juste derrière : d'abord la Soubasse, puis le Violoncelle. Le récit est à l'arrière, les jalousies donnant vers l'avant (et le grand-orgue). Il est également diatonique, en "M".
Une vue sur le sommier gauche du grand-orgue.Le revers du soubassement est à gauche, la pédale
(dont on voit des tuyaux de la Soubasse), à droite.
De gauche à droite : la Montre, le Prestant, le Bourdon 8' et la Dulciane 8'.
Dans le creux devant la Soubasse, le système de tirage des notes de la pédale.
Le sommier gauche du récit, vu du fond de l'orgue.Les jalousies de la boîte sont en haut à gauche,
et le panneau du fond est ouvert. De gauche à droite :
la Tierce, la Doublette, la Quinte, la Flûte 4',
le Salicional 8', la Voix céleste,
la Flûte harmonique 8', et la Montre-Viole 8'.
La maison Roethinger savait faire de très beaux orgues : son immense succès, au cours de la première moitié du 20ème siècle, n'a pas été usurpé. C'est un instrument fort adapté à son usage et son environnement qui fut construit en 1926. C'est d'ailleurs aujourd'hui un orgue historique, au même titre que bien des "pièces de musée" difficilement jouables, ou à l'authenticité discutable car issues de nombreuses restaurations... La composition, intègre et intelligente, assume son esthétique et sa personnalité : évidemment, ce n'est pas un orgue "à tout jouer". C'est un orgue "différent" qui échappe joyeusement aux schémas néo-baroques : ces instruments sont fort attachants !
Sources et bibliographie :
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[Visite] "Visite sur place", 14/08/2020
Remerciements à Valérie Zitvogel.
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[MFoisset] Martin Foisset : e-mail du 26/09/2020.Document "Batzendorf, 14-08-2020.docx"
Photos du 14/08/2020 et données technique.
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[FLechene] Franck Lechêne :
Photos du 30/04/2012.
- [IHOA] Pie Meyer-Siat : "Inventaire historique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, puis Coprur, 1985 et 2003, p. 32b
-
[ITOA] "Inventaire technique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, vol. 3, p. 27
L'inventaire confirme : "1926 : orgue neuf ROETHINGER dans le buffet Stiehr."
- [PMSSTIEHR] Pie Meyer-Siat : "Stiehr-Mockers, facteurs d'orgues", in "Archives de l'Eglise d'Alsace", vol 20., éditions de la société Haguenau, 1972-73, p. 250-1
- [Barth] Médard Barth : "Elsass, 'Das Land der Orgeln' im 19. Jahrhundert", in "Archives de l'Eglise d'Alsace", vol 15., éditions de la société Haguenau, 1965-66, p. 147
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[Caecilia] "Caecilia, Revue de musique liturgique du diocèse d'Alsace", éditions Union Sainte Cécile, p. 17, 2010-05
On y lit, dans l'historique : "1936 : Roethinger transforme entièrement l'instrument contre tout bon sens", et encore que, s'il "n'a pas été possible de revenir à l'état premier Stiehr de 1836", c'est "pour des raisons financières compréhensibles". Rappelons que le "Stiehr état premier" n'avait fort probablement qu'un seul manuel et une pédale de... 15 notes.
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[Palissy] Ministère de la Culture : "Base Palissy"
im67001718 ; Palissy confirme : "instrument neuf par Roethinger en 1926".
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