L'église protestante de Molsheim date du tout début du 20 ème siècle. Bâtie en grès et de style néo-renaissance, elle abrite un orgue construit en 1937, dans ce style très personnel qu'a su élaborer Georges Schwenkedel : une approche unique du post-romantisme, toute en nuances et en résistance au "néo-classique générique". Malheureusement, cet instrument est aujourd'hui à l'abandon. Contrairement à ce qu'on a pu lire ailleurs, il est fortement improbable qu'un orgue de ce grand facteur qu'a été Schwenkedel ait été "à bout de souffle" en 2010. Il aurait probablement tout simplement suffi de renouveler ses membranes.
Historique
L'orgue de Georges Schwenkedel a été inauguré le 26/09/1937 (à 14h30... autre époque, autres horaires...). C'est l'Opus 66 de la maison de Koenigshoffen. [ITOA] [PlaquMolsPr1937]
Du point de vue de la composition, il n'y avait à l'origine pas de Mixture, mais une simple Doublette 2'. Le Salicet, petit Salicional en 4 pieds, est assez original, et fait penser à la facture anglaise. Quand au récit, s'il n'a pas sa traditionnelle Voix céleste, c'est que celle-ci - tout comme la Flûte 8' de pédale - n'avait pas été posée à l'origine. Les deux chapes étaient vides. [ITOA] [PlaquMolsPr1937]
La plaquette annonce que l'orgue contient 594 tuyaux. Or, il y avait 9 rangs aux manuels et un à la pédale, soit 9*56 + 30 = 534. Cela semble indiquer qu'on a fait l'hypothèse que les 5 jeux du récit étaient à octaves aiguës réelles, et qu'on a compté le second jeu de pédale comme posé (4*56 + 5*68 + 2*30 = 594). [PlaquMolsPr1937]
Or, au récit, les faux-sommiers du Nasard indiquent que ce jeu était dès l'origine prévu à 56 notes. Pour les deux jeux d'anches, tout était préparé pour 68 notes (même les faux-sommiers sont pré-percés), mais les tuyaux des deux octaves aiguës n'ont jamais été posés. Les octaves aiguës réelles ne portent donc que sur les deux fonds de 8', et le 4'.
Voici le programme de l'inauguration : [PlaquMolsPr1937]
- Accueil: "Halleluja ! Lob, Preis und Ehr"
- "Ehr sei dem Vater und dem Sohn"
- "Herr, es hat noch keiner, der zu dir gegangen"
- "O du meine Seel, singe fröhlich"
- Psaume 150
- Chœur d'enfants : "Pour chanter les louanges du Seigneur tout-puissant" (sur une mélodie de Mozart)
Finalement, les chapes vides ont été dotées ainsi :
- à la pédale, la Flûte 8' prévue,
- au récit, au lieu de la Voix céleste, on préféra un Cor de Basset.
Le nom "Basset horn", fait penser à la facture anglaise, mais Schwenkedel appelait parfois ainsi ses Trompettes (ou même "Cor anglais", voir Largitzen). Ici, c'est plutôt un Cromorne. Cela confirme que dans la pensée de Georges Schwenkedel (tout comme celle de Joseph Rinckenbach à la même époque), le second clavier peut être vu comme un récit ou un positif expressif. (La combinaison libre permettant d'alterner aisément entre les deux rôles). En tous cas, les anches en boîte expressive, c'est une facette "romantique française", avec tout le répertoire qu'elle appelle et inspire !
L'orgue a été réparé en 1972 par Curt Schwenkedel (peut-être fut-ce à cette occasion que la Doublette a été étoffée pour donner un petit Plein-jeu, ce qui est fort logique s'il s'agit d'accompagner le Choral luthérien dans des conditions idéales). [ITOA]
La suite de l'histoire est plus triste. En 2011 : installation d'un "orgue" électronique, et abandon. [Visite]
Le buffet
L'orgue est logé dans une niche voûtée en plein cintre. Les tuyaux de façade, sont répartis en deux alignements, et reposent sur un soubassement, dans lequel est aménagée la porte d'accès à la tribune. L'alignement postérieur et constitué de trois groupes constituant des arcs rappelant ceux de l'édifice. L'alignement antérieur est disposé en mitre. Tous ces tuyaux sont en zinc, très étoffés, de belle facture.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, à fleur de tribune, fermée par un rideau coulissant. Intérieur en loupe de noyer clair. Tirage des jeux par dominos disposés en ligne au-dessus des claviers. Ils sont beaucoup moins inclinés que les modèles standards, et sont presque à l'horizontale au repos. (Comme à Burnhaupt-le-Haut.) Les plans sonores sont repérés par la couleur des porcelaines placées sur les dominos : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, jaune pour la pédale. Les accouplements et tirasses concernant deux plans sonores sont bicolores, pour respecter le code de couleur. Claviers blancs. Joues de claviers galbées.
Sélection des la combinaisons libres par picots basculants blancs, situés en ligne au-dessus de leur domino respectif. Commande des aides à la registration par pistons blancs situés sous le premier clavier, à gauche, et repérés par des porcelaines rondes : "Jeux à main", "Comb. libre", "MF.", "TT.", "Annul.". Commande du crescendo et de l'expression du récit par pédales basculantes, placées très à droite de la console, et repérées par des porcelaines rondes : "Cresc. Général" (blanche), "Boîte-Expr. II" (rose). Commande du trémolo par pédale-cuiller à accrocher, du côté gauche, et repérée par une porcelaine ronde rose "Tremolo". Indicateur de crescendo en bakélite blanche, gradué "0", "3", "7", "9", "12", sous lequel se déplace horizontalement un picot rouge. Banc constitué d'une seule essence de bois (contrairement aux consoles plus anciennes de Schwenkedel, où le plateau est plus clair). Plaque d'adresse en deux éléments émaillés blancs. A gauche des dominos :
Il s'agit probablement d'une récompense obtenue à la foire de Strasbourg (qui prit d'ailleurs le nom "Foire européenne" en 1933).
Et à droite :
pneumatique tubulaire, notes et jeux.
à membranes. Le récit est à l'arrière et au même niveau que le grand-orgue. Les deux sont diatoniques, en mitre (basses au centre). Une cloison munie de jalousies mobiles sépare l'intérieur de l'orgue en deux : la partie expressive (récit et pédale) est au fond. La pédale est contre le mur du fond. La Soubasse est en bas, et la Flûte 8' accrochée au mur du fond (diatonique) sur un sommier spécifique.
Réservoir à plis parallèles, placé dans le soubassement. La pompe à bras a été conservée : elle est située à côté de la porte d'accès à la tribune.
La tuyauterie est de belle facture, et bien qu'empoussiérée, fort bien conservée pour un orgue abandonné. Quelques tuyaux ont été déposés. (Pour "soigner" un cornement en urgence ?) Pas de sciure qui indiquerait une attaque de ver (04/2019). Pas de trace de ré-harmonisation ou d'accord maladroit. D'ailleurs, tout ce qui fonctionne sonne très bien. Au récit, quelques résonateurs sont couchés.
Les "pliures" sont assez communes pour les jeux d'anches dépourvus de râtelier (et d'entretien). Les remettre en état ne pose aucune problème à un facteur compétent. Il faut évidemment s'abstenir d'essayer de les redresser soi-même, car il y a un grand risque de déchirure, et, fragilisés, ils ne tarderaient pas à se re-déformer.
Sur le côté droit du récit, une partie de l'enduit recouvrant la voûte est tombé dans l'orgue, probablement suite à une infiltration d'eau, car on voit une tache plus haut, et le décor peint a disparu.
Les tuyaux à bouche ont généralement des entailles de timbre pour les basses et des encoches d'accord pour les aigus. Biseaux à dents. Bourdons à calottes mobiles. Basses à bouches arquées. Comme il est d'usage pour cette esthétique, les basses sont en zinc ou spotted (très étoffé) et les aigus des Principaux en étain. Si la composition présente des traits néo-classiques (Cromorne à la place d'une Voix céleste, Plein-jeu à la place de la Doublette), les techniques de tuyauterie sont directement issues de l'esthétique romantique.
Sur place, on découvre un orgue... pas du tout muet, mais au contraire doté de jeux superbement harmonisés ! Certes, en 2015, l'instrument souffrait déjà de petits problèmes de transmission (cornement du a' au grand-orgue quand on ne tire pas le Principal 8' par exemple). Mais il est de toute beauté, et à l'évidence issu de la même veine que ses illustres contemporains (Burnhaupt-le-Haut ou Reiningue, 1932, Oberbronn, 1939), avec lesquels il partage pas mal de caractéristiques. De telles prestations alors qu'il est à l'état de quasi-abandon laissent imaginer avec enthousiasme ce qu'il pourrait être après un bon relevage (incluant un remplacement des membranes).
Cette facture a été injustement discréditée à la fin du 20ème siècle, par des conseillers et des facteurs peu scrupuleux, qui, souvent par manque de compétence, entretenaient mal ou refusaient d'entretenir les orgues pneumatiques. Ajoutons que la production de coûteux devis de "mécanisation" (à la place d'un entretien courant) a semé la confusion et encore plus découragé les propriétaires de ces instruments. Le tout a donné une réputation de "hors de prix" à la facture d'orgues. Hélas, la manipulation a finalement profité... aux revendeurs d'électronique.
Heureusement, ici, il n'est sûrement pas trop tard : la qualité du matériel est indéniable. Redonner leur lustre (et surtout leur boulot) à ces orgues post-romantiques, si différents des sempiternels "baroques" dont l'omniprésence fait s'étioler l'intérêt du public, redonnerait enfin un peu de diversité à notre parc organistique. En tous cas, dans le domaine de l'Orgue, une des toutes priorités pour le futur dans la région de Molsheim. Et une belle découverte de plus. A nouveau, les plus beaux orgues ne sont décidément pas les plus célèbres !
Mise à jour d'avril 2019 : le bilan est déjà plus lourd, car des cornements et dysfonctionnements empêchent en pratique d'utiliser un des claviers. Ce qui reste jouable est toujours très beau, mais l'instrument, empoussiéré et totalement à l'abandon, risque de continuer à se dégrader. Quand on pense que ces pannes trouvent probablement leur origine dans quelques membranes usées qui ne coûtent que quelques Euros...
Sources et bibliographie :
Remerciements à ________.
Visite à l'occasion des Journées du Patrimoine. Remerciements à Mr le Pasteur et à Mme la Sacristaine pour leur accueil.
Photos du 07/04/2019
Données historiques ; programme de l'inauguration
Il manque la réparation de 1972, et la composition n'est pas celle de 1937.
Localisation :