Il s'agit d'un instrument extrêmement intéressant, même s'il est aujourd'hui injouable. Il est unique en son genre, et logé dans un buffet absolument remarquable. Toute son histoire n'est pas encore connue, mais il raconte une partie de celle de l'âge d'or des orgues de salon, à la fin du 19ème siècle. A la fois œuvres d'art, instruments d'exercice et de petits concerts, ils constituent une classe d'orgues à part.
L'édifice mérite quelques précisions : c'est la chapelle de l'ancien château de Blotzheim, qui fut la résidence des seigneurs du lieu depuis l'époque médiévale. La structure actuelle du château remonte à 1730. C'est en 1920 qu'il fut acquis par la congrégation du Saint-Esprit, et devint le Collège des Missions. Il ne s'agit PAS de l'ancien prieuré de Blotzheim. (Couvent de cisterciennes, dès le 13ème siècle). La chapelle du collège eut a souffrir d'un incendie en 1936, et fut reconstruite la même année.
Historique
L'instrument aurait été placé en 1936 par Georges Schwenkedel. [ITOA] [PMSSUND1981]
Donc l'année même de la reconstruction de la chapelle : c'est peut-être à l'occasion de la fin des travaux qu'on décida de la doter d'un orgue. Le (somptueux) buffet actuel est plus ancien : d'après le style, on peut situer sa construction entre 1890 et 1914. On sait aussi qu'il a été livré (en train) à la maison Schwenkedel. La partie instrumentale actuelle a été réalisée en deux fois : les sommiers semblent dater des années 30, mais la console des années 1950. [Visite]
A moins que 1936 ne soit une complète erreur de date, il est donc probable qu'une transformation d'envergure a été menée par Georges et Curt Schwenkedel, probablement vers 1951. [Visite]
Le buffet
Ce buffet, en noyer, est exceptionnel par sa qualité de fabrication et son ornementation, qui fait la part belle aux feuilles d'acanthe.
Il y a trois tourelles, la centrale étant plate et les latérales hexagonales outrepassant les flancs, séparées par deux plates-faces. Des colonnettes délimitent verticalement ces différents éléments. Les tourelles latérales présentent, au-dessus d'une première corniche, une grande partie sculptée et ajourée en attique, correspondant aux claires-voies des plate-faces et de la tourelle centrale. Ces dernières sont des volutes néo-classiques inspirées du style rocaille. Une tête à l'allure patricienne en est l'élément supérieur central. Elle est couronnée d'une coquille St-Jacques. Son encolure est ornée de deux cornes d'abondance, d'où sortent des grenades.
En couronnement, au-dessus d'une seconde corniche, les tourelles latérales reçoivent une coupole, les plates-faces un motif en vague, et la partie centrale une petite plate-face néo-romane de tuyaux postiches. La ceinture du buffet est également ornée de frises de cœurs et de fleurs de lys. Les culots des tourelles sont constitués d'oves et de dards, puis d'un double pendentif à feuilles.
La table de la console est supportée par des colonnettes, et même la porte d'accès (à gauche) est ornée d'un motif végétal en losange.
De nombreuses étiquettes ferroviaires, avec la manufacture d'orgues Schwenkedel en destinataire, indiquent que ce buffet a été acquis par la maison, puis doté d'une partie instrumentale neuve. Le fait est confirmé par la présence de traces de postages dans les tourelles latérales. Les tuyaux de Montre paraissent authentiques (contemporains du buffet). Certains sont aujourd'hui muets, dont évidemment la petite plate-face supérieure.
La partie avant, en noyer, richement décorée, a été complétée à l'arrière, par des éléments plus récents et plus modestes, sans que cela soit choquant. A l'origine, l'instrument devait avoir environ 60% de sa profondeur actuelle. Il était peut-être conçu pour être placé devant une niche ou en partie entre des piliers.
Caractéristiques instrumentales
Console frontale accolée, fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par dominos blancs à lettres gravées noires, placés en ligne au-dessus du clavier, et en deux groupes : les jeux sont à gauche, les accouplements à droite. Clavier blanc, à frontons biseautés, feintes bombées.
Une pédale basculante, placée au centre, commande l'expression de la Flûte 8' et de la Dulciane. De part et d'autre, il y a aussi deux pédales à accrocher. De nombreux éléments de cette console paraissent dater des années 50. La table supportant la console est d'origine.
Plaque d'adresse en plastique blanc à lettre noires, placées à droite, paraissant avoir été déplacée vers le haut d'un peu plus que sa hauteur, et disant :
Le coin inférieur gauche de la plaque est cassé. Dessous est situé un interrupteur basculant noir.
On trouve une plaque d'adresse du même style à Thann (opus 104, 1951), à l'abbaye de l'Oelenberg (opus 105, 1951), ou Benfeld (opus 110, 1953) ce qui permet de dater les modifications apportées à la console au début des années 1950.
En effet, à Biesheim (opus 111, 1953), c'est déjà une plaque noire. Les plaques des années 30 sont en porcelaine, et disent "G. Schwenkedel" et pas "et fils".
Le banc est également très ouvragé. Les flancs figurent une lyre (non ajourée), avec deux motifs : une coquille St-Jacques, et une rosace. Il y a deux petits rebords (comme pour signaler la fin du banc à l'organiste éperdu dans quelque interprétation de Reger).
Pneumatique tubulaire, notes et jeux.
La Flûte 8' et la Dulciane sont placées dans une boîte expressive, située derrière la façade, donc dans la partie avant ("ancienne"). Les jalousies sont tournées vers l'arrière. La Soubasse est dans la partie arrière (plus récente) du buffet, au fond, à droite, sur deux rangs.
Aujourd'hui (2020), cet orgue n'est pas jouable. Mais il est vraiment passionnant. Déjà, c'est un des plus beaux buffets d'Alsace. Il pourrait servir de base à bon nombre de projets. Un relevage simple ne serait probablement pas coûteux. Ce ne serait pas un orgue d'étude satisfaisant (un seul manuel), mais il serait idéal pour l'enseignement et pour l'accompagnement d'autres instruments (grâce à ses jeux expressifs). Et on peut même imaginer de le doter d'un second manuel (le premier commandant la Montre, l'autre un récit expressif avec la Flûte harmonique et la Dulciane). On pourrait même envisager de faire parler l'octave grave de la Soubasse au manuel quand I/I 16' est utilisé.
Cet instrument n'est pas sans rappeler celui du pensionnat Ste-Marie de Ribeauvillé (Martin Rinckenbach, 1889). Le style est fort différent, mais on y trouve la même attention aux détails et la volonté de faire de l'orgue un ornement à part entière.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Alexis Platz.
Photos du 06/07/2020.
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