Voici un orgue sur lequel Roethinger travailla dans les années 1925-1930, qui fut complété par Schwenkedel en 1951, et à nouveau transformé en 1984. C'est le destin de la plupart des orgues de ville, qu'il a fallu "mettre à jour" en fonction des modes de chaque époque. Mais le meilleur de cet instrument est assurément l'héritage de sa première version, construite par Martin Rinckenbach : c'était un petit instrument (II/P 19j), mécanique, et romantique jusqu'au bout de sa Voix céleste. En tirant les jeux qu'il faut à la curieuse console de l'instrument actuel, et avec beaucoup d'imagination, on peut encore imaginer cet orgue de 1896.
Historique
Au printemps 1896, Martin Rinckenbach, d'Ammerschwihr, posa ici son opus 46, logé dans un buffet de la maison Boehm. L'instrument aurait été acheté par la Ville de Mulhouse lors de l'exposition de Strasbourg de 1896. Cela explique sa taille plutôt restreinte pour un tel édifice. [LR1907] [Orgelbauerei1909] [IHOA] [ITOA] [Barth]
De fait, l'instrument n'avait que 19 jeux ("19 St.", pour "Stimmen", dans la plaquette Rinckenbach/Wiltberger de 1909), et bien que répartis sur deux manuels et pédale, cela devait faire un peu juste pour un orgue "de ville", dont les organistes et l'auditoire attendent beaucoup. Tous les orgues Rinckenbach d'avant 1899 étaient à traction mécanique, et celui-ci était fort probablement doté d'une des belles consoles indépendantes (façon Cavaillé-Coll) produites par la maison. Etant contemporaine de l'orgue de Selestat, St-Georges, cette console devait être du même style et avec la même plaque d'adresse, mais dotée de deux manuels seulement, et donc ressembler à celles d'Eichhoffen ou de Fouchy. L'orgue de Mulhouse était également contemporain d'un Rinckenbach fort célèbre, celui de Phalsbourg (57), église de l'Assomption (1896) (II/P 23 j).
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en mars 1917 ; cela représentait tout de même 210 kilos d'étain. [IHOA]
L'instrument fut reconstruit par Edmond-Alexandre Roethinger entre 1925 et 1930 (inauguration le 30/11/1930). La traction fut rendue électro-pneumatique, et la composition portée à 37 ou 40 jeux selon les sources, sur 3 manuels et pédale. [IHOA] [ITOA] [Barth]
Ce qui est sûr, c'est que l'instrument a été restructuré sur trois manuels, l'ancien récit devenant le nouveau positif. Mais on se demande où étaient logés les 4 ou 5 jeux (voir 7) en plus de la composition actuelle. [Visite]
Il y eut une nouvelle "mise à jour", par Georges Schwenkedel en 1951 : on peut lire qu'il "ajouta" trois jeux, mais il s'agit probablement de remplacements. [IHOA] [ITOA]
En 1984, Michel Gaillard (pour la maison Aubertin, c'est-à-dire la Manufacture d'orgues Franc-Comtoise) fit d'autres transformations (III/P 33j). [IHOA] [ITOA]
La (curieuse et atypique) console actuelle paraît aussi venir des années 80, mais n'est absolument pas conforme aux standards de qualité de Michel Gaillard, et son origine reste mystérieuse. Bien que fonctionnant parfaitement, elle a l'air d'avoir été réalisée avec des pièces de meubles de cuisine...
Le buffet
Le buffet néo-gothique provient de la maison Boehm. Il est constitué de deux corps sur base de demi-hexagone, reprenant une tradition remontant à l'orgue médiéval, et placés de part et d'autre de la rosace. Le petit buffet masquant la console est d'origine, contrairement à la plate-face centrale : cette dernière semble dater de la transformation de 1925. L'orgue Rinckenbach devait donc être entièrement logé dans les deux grandes tourelles, et ne masquait pas du tout la rosace. L'ampleur de la restructuration interne par Roethinger est donc très grande, puisqu'aucun sommier ne paraît avoir gardé sa place. Les couronnements sont constitués de tympans à crochets et de 12 pinacles.
Caractéristiques instrumentales
indépendante dos à la nef, d'un style très particulier. Tirage des jeux par mini-tirants.
électro-pneumatique.
A l'intérieur de l'instrument, les traces des transformations qui ont été effectuées sont évidentes. Le revers de la plate-face centrale est postérieur au reste, et de nombreuses gravures de postage ne servent plus, ou différemment. Il y a des faux-sommiers qui ne portent pas de tuyaux. Un complément de pédale de 3 notes a permis de passer de 27 à 30 notes. Le grand-orgue est en position centrale, la pédale à l'arrière. Le récit est placé à droite, en hauteur, et le positif à gauche.
Les sommiers du grand-orgue, du positif et le sommier principal de la pédale sont à gravures, et on l'air de Rinckenbach (celui du positif étant probablement le sommier de récit de l'orgue de 1896). Le sommier du récit (et du complément de pédale) est à cônes (probablement 1925). La pédale n'avait que 4 chapes à l'origine. Notons que la somme des jeux de l'actuel grand-orgue, de l'actuel positif, plus les 4 chapes d'origine de la pédale donnent 19, comme l'instrument originel. Le passage à 37 jeux est décidément peu probable, et cet orgue n'a probablement jamais dépassé les 33 jeux.
Calottes mobiles pour les Bourdons, entailles de timbre sur les jeux romantiques.
L'instrument est particulièrement intéressant, car sa disposition peut en faire une sorte d' "orgue-école", présentant de nombreuses solutions techniques utilisées en facture d'orgues au 19ème et au 20ème siècles. Evidemment, l'ambiance à la tribune est un peu perturbée par la curieuse console, qui empêche de bien profiter de la partie historique. On ne peut que rêver, soit de retrouver l'instrument original avec une console "alla Cavaillé-Coll" (et une rosace dégagée, les tuyaux retrouvant leur place dans un des corps du buffet), soit d'une version résolument post-romantique, avec console à dominos, octaves aiguës et cadran de crescendo.
Sources et bibliographie :
"Mülhausen, St. Genofeva 19"
Le Basson 16' du récit n'a jamais été posé ; il n'y a d'ailleurs pas la place.
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