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Les orgues de la région de Hochfelden
Schaffhouse-sur-Zorn, St-Sébastien
1917 degr > Dégâts

L'histoire de l'orgue de Schaffhouse-sur-Zorn est très intéressante et pleine d'enseignements. Elle commence en 1852. Adalbert Kessler, historien local, a permis l'attribution de l'instrument à la maison Stiehr-Mockers, de Seltz. Et des études plus récentes ont corrigé certaines erreurs jusque-là présentes dans son historique, lequel, on le verra, n'a rien de simple.

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Historique

L'orgue de 1852

En 1852, la maison Stiehr-Mockers fournit un petit orgue, placé "à la Lorraine", c'est-à-dire à fleur de tribune (constituant une partie de la balustrade), et avec une console latérale. [IHOA] [ITOA] [PMSSTIEHR]

La composition supposée d'origine est identique à celle de 1995, ci-dessous. Elle est déduite de l'étude des chapes, mais sans preuve d'archive. D'ailleurs, il n'est pas exclu que ce fut un orgue d'occasion. Les archives Stiehr notent des réparations à "Schaffhouse" en 1894, 1901 et 1912, mais cela pourrait aussi concerner Schaffhouse-près-Seltz. [PaysAlsace187]

L'orgue a été entretenu en 1886 par Martin Rinckenbach. Cette fois, on est sûr qu'il s'agit bien de Schaffhouse-sur-Zorn, car c'est un compte-rendu de délibération du conseil de fabrique qui constitue la source primaire. Rinckenbach remplaça le système de pompage à bras, trop difficile à manipuler, par un système à pied. [IHOA] [ITOA] [PMSSTIEHR] [PaysAlsace187]

La même année, Charles Wetzel avait proposé de renouveler la soufflerie, et de remplacer le Nasard par une Dulciana ou une Gambe 4'. [PMSSTIEHR]

Les améliorations de Kriess

En 1907, on demanda à Franz Xaver Kriess, de Molsheim, de faire des travaux plutôt conséquents. [IHOA] [ITOA]

Car deux inconvénients majeurs de l'instrument de 1852 devenaient de plus en plus criants : un seul manuel, et sa disposition à fleur de tribune : "Depuis longtemps, on avait le projet de faire réparer l'orgue, et en même temps, ce qui était d'ailleurs l'essentiel, de le déplacer vers l'arrière de la tribune, afin de gagner de la place pour la chorale". (Et probablement aussi de permettre une extension de la tribune vers l'avant, ce qui est plus compliqué avec un orgue sur le chemin.) Kriess avait rédigé un devis dès 1904. Le 12/02/1907, il visita l'orgue et prit des mesures, en compagnie du curé et de l'instituteur Jakob Steiner. En examinant le projet, François-Xavier Mathias souligna qu'il serait souhaitable d'ajouter un second clavier, "afin de diversifier l'accompagnement des voix". [PaysAlsace187]

C'était effectivement une très bonne idée, mais elle ne fut pas réalisée tout de suite. Kriess recula le buffet d'1,70m, et construisit une console frontale. La partie basse (faisant balustrade) du buffet est restée en place, et un nouveau soubassement a été construit. Il était aussi prévu de remplacer l'anche manuelle et le Nasard par une Flûte harmonique 8' et un Bourdon 16'. La pédale devait être complétée à 20 notes, munie d'une tirasse ; et la Flûte 4' ainsi que la Trompette - de toutes façons inutilisables car de 15 notes seulement - y être remplacées par une Soubasse 16'. Il est probable que finalement, le pédalier a été complété à 27 marches, les 12 plus aiguës fonctionnant en tirasse, mais aussi à l'aide d'une reprise à l'octave. (Ce qui est déjà pas mal, et présente un immense avantage ergonomique.) [PaysAlsace187]

Enfin - et ce n'était pas prévu à l'origine - il est question d'une Gambe (Viola) : en fait un Dolce 8', venant de Strasbourg, Ste-Madeleine. [PaysAlsace187]

Voilà qui est intéressant ! Il s'agirait donc d'un jeu qui a survécu à l'incendie de l'orgue Koulen (06/08/1904). Le jeu a vraiment été placé, et il était toujours là en 1965. Il a malheureusement disparu en 1968. Au profit d'un Nasard... {Facepalm}

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 10/07/1917. [IHOA]

La façade a été une première fois remplacée à une date inconnue : celle qui est visible sur des photos d'avant 1990 était entièrement écussonnée, et la ligne des bouches était horizontale dans la plate-face centrale.

De la place !

En 1953, à nouveau pour gagner de la place pour la chorale, on demanda à Louis Blessig de déplacer la soufflerie vers les combles, et de reculer l'orgue encore plus. [PaysAlsace187]

C'est probablement ce qui fut source de confusion par la suite, et laissa croire que Blessig a déplacé l'orgue du bord de la tribune vers le fond.

En 1965, l'orgue avait de nouveau un Cromorne, mais plus de Doublette. En fait, les changements de jeux paraissent avoir été incessants... [PaysAlsace187]

Arrivée du second manuel tant espéré

En 1968, c'est à nouveau Louis Blessig qui fut chargé d'ajouter un second manuel. Un projet déjà évoqué en 1907. L'inauguration eut lieu le 31/03/1968. [IHOA] [ITOA] [PMSSTIEHR]

Au début, l'opération était plutôt ambitieuse, et consistait à ajouter un récit néo-classique de 7 jeux :

Composition, Projet_1968
Grand-orgue, 54 n. (C-f''')
Neuve
Positif, 54 n. (C-f''')
Issue de l'ancienne Mixture
Issue de l'ancienne Mixture
Issue de l'ancienne Mixture
Pédale, 27 n. (C-d)
I/P
[ITOA]

Finalement, c'est un second clavier plus petit qui a été posé, au moyen d'un sommier d'occasion de 5 jeux. L'orgue a bien sûr été doté d'une nouvelle console, accolée et frontale. Certes finalement moins ambitieuse, cette disposition était fort pertinente, à la fois pour une utilisation en accompagnement et pour le répertoire (jeu en trio). Elle avait ajouté de nombreuses possibilités à l'instrument.

A nouveau, ce n'est PAS à ce moment que l'orgue a été retiré du bord de la tribune : il l'était déjà depuis 1907, et avait encore été reculé en 1953.

A en juger les photos des années 70, l'ensemble ne manquait pas d'allure. En tous cas, cet orgue était plein de possibilités.

Malheureusement, le Dolce de Ste-Madeleine disparut, ce qui est très regrettable. Et les bidouillages commencèrent rapidement, puisqu'en 1986, le second clavier n'avait déjà plus sa Flûte 8' :

Retour case départ

En 1995, Gaston Kern revint à la configuration de 1852. [IHOA] [PaysAlsace187]

L'orgue a été inauguré le 20/10/1996 par Claude Schnitzler. [Caecilia]

Comme le reste de l'historique de cet orgue, cette opération est réellement pleine d'enseignements :

L'argument acoustique

Pour justifier le retour de l'instrument en balustrade, il a été mis en avant des arguments acoustiques. On postulait qu'un orgue placé en balustrade "sonne" mieux que plus reculé sur la tribune. C'était "évident". Sauf que... l'acoustique est une science, qui s'accommode fort mal des "Il est évident que...", "on sait bien que...", etc... Les faits, eux, sont pourtant là : de nombreux orgues placés à fond de tribune sonnent magnifiquement ! (Les basses, après tout, ne sont pas directives, et rien ne prouve que les fréquences aiguës perçues directement soient plus agréables. Tout dépend probablement du contexte, et c'est parfois le contraire : un son agrémenté de réverbérations est souvent plus agréable à l'oreille que la version "crue".) L'argument acoustique "se raconte bien", et il ne souffre pas la contradiction. Mais il devrait. Non, l'acoustique ne relève pas du "bon sens" et de l'intuition, mais de phénomènes complexes qui sont difficiles à étudier. Ils sont de nature physique (propagation des ondes), psychoacoustique, ou relèvent carrément de l'expression artistique. Un Fernwerk par exemple, est loin d'être à la "place idéale" que définirait un musicien baroque.
Prenons une résolution : la prochaine fois que nous entendrons une phrase du genre "Pour des raisons acoustiques évidentes...", osons demander : "Pourquoi ? Pouvez-vous expliquer et développer ?"

L'évaluation des orgues et de la valeur des projets a priori

Se mettre face à un orgue empoussiéré, mal accordé, nécessitant un entretien, et dire "C'est pas beau", c'est facile. Ajouter "c'est parce qu'il est reculé", "ça se raconte bien", c'est crédible. Dans l'enthousiasme de l'élaboration d'un projet, on a envie d'y croire. Reste que souvent, tout ce dont l'instrument a besoin, c'est d'un nettoyage et un accord, pas de coûteuses modifications. Or, dans nos sociétés, il n'y a rien de plus difficile que de s'opposer à une dépense.
Déplacer un orgue parce que la chorale (qui s'en sert) a besoin de place, cela se comprend et se justifie.
Déplacer un orgue "pour des raisons acoustiques évidentes", cela devrait appeler à la plus élémentaire prudence.
Et déplacer un orgue "parce qu'il était là-bas à l'origine"... non mais, sérieux ?

L'évaluation des travaux achevés

L'évaluation "a posterori" est encore plus difficile. Pourtant, c'est là qu'on peut - ou non - retirer les enseignements pour les projets suivants, donc pour le reste du patrimoine. Seulement voilà, après avoir dépensé des dizaines de milliers d'Euros dans un projet de déplacement d'orgue, qui va avoir le courage de comparer objectivement ? Qui osera dire : "Bof, la différence est pas flagrante" ? Ou pire : "Ben... c'était mieux avant." Surtout une fois que la presse locale, et les commentateurs, auront - forcément - trouvé le tout absolument génial, pour arranger tout le monde. En conséquence, les évaluations des projets terminés sont extrêmement difficiles, et, si on veut en tirer un enseignement, il faut le faire plus tard, de façon objective, quand on aura moins tendance à se mentir à soi-même ou à vouloir faire plaisir aux autres.

L'aveuglement causé par les dogmes

Du point de vue historique, les faits sont pourtant simples. Il suffit de voir les choses en face : l'orgue de 1852 n'a jamais donné satisfaction ! Un seul manuel, un pédalier inutilisable : il ne convenait tout simplement pas à l'usage. Les compléments de 1907, déjà souhaités "depuis longtemps" à cette date, étaient pertinents. Les gens n'avait pas moins de bon-sens, moins de compétence, en 1907 qu'en 1987 ! Croire que "Dans le temps, les gens étaient plus bêtes que nous" est d'une effrayante arrogance. Pourquoi n'a-t'on pas essayé de comprendre les raisons des modifications apportées à cet instrument, avant de décider que la configuration "d'origine", issue de graves concessions et d'habitudes contestables (petits pédaliers décoratifs) sera forcément "meilleure" ?

Le problème de la responsabilité de la prise de décision

Alors bien sûr, on avance aussi que "Les Experts étaient unanimes". Dans ce cas, on ne peut pas faire d'erreur, n'est-ce pas ? Sauf que lesdits experts appliquent - en toute bonne foi - leurs propres critères d'évaluation, fort différents de ceux des utilisateurs. Pourrait-on au moins commencer par demander aux organistes : "Qu'est-ce que vous préférez : 2 claviers et un pédalier normal, ou un seul clavier et un pédalier inutilisable ?" Car le problème est là : un orgue "vaut" surtout par ceux qui en jouent. Evidemment, un "virtuose" peut faire ses tours avec un manuel unique et un pédalier réduit. Il pourra même frimer : "Ha, vous voyez bien qu'on y arrive !" Sauf que pour un organiste non-pro, jouer sur un tel pédalier - forcément mal - donne de mauvaises habitudes. Et ne disposer que d'un manuel, en plus de compliquer l'accompagnement, exclut de fait une partie considérable du répertoire d'orgue. Donc élimine toute motivation pour travailler ces œuvres. Bref, quand on supprime un clavier et un pédalier jouable, on supprime surtout l'envie d'y jouer, pour beaucoup d'organistes ou d'aspirants organistes.

Au musée ?

Tout cela était courant à la fin du 20ème siècle, avant une importante prise de conscience qui a eu lieu depuis les années 2000. Il ne s'agit pas de désigner des responsables : de tout temps, tout le monde a essayé de faire son travail le mieux que possible avec les ressources et la documentation disponibles. Le vrai problème, c'est que ces pratiques "historisantes" existent toujours aujourd'hui, pour des instruments où l' "historicité" ne se justifie absolument pas. Elles sont responsables non seulement de la perte d'éléments très précieux de notre patrimoine, mais d'une affligeante baisse de la "jouabilité" et de l'attrait des instruments. Les orgues sont des instruments de musique, pas des pièces de musée. A force de ne pas comprendre ça, et de continuer à "restaurer tout bien comme il faut", on ne va bientôt plus en trouver que dans des musées.

Enseignements

Reste que les efforts produits à Schaffhouse nous livrent un orgue Stiehr dans sa configuration d'origine, sans fard, avec ses qualités et ses (criants) défauts. Et aussi de précieux enseignements sur la façon de gérer notre patrimoine, de façon plus respectueuse de certaines modifications, qui, réellement, ont apporté des choses aux orgues.

Caractéristiques instrumentales

Console:

Console latérale de 1995 (sic), en imitation des consoles Stiehr.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670439001P01
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