Le 29/09/2015, une semaine après les Journées du Patrimoine, une tradition organistique vielle de plus de 260 s'est éteinte à Still, car l'orgue a été remplacé par un instrument électronique. Même si ça n'a aujourd'hui plus beaucoup d'importance, on peut quand même retracer l'histoire des orgues du lieu : elle explique peut-être pourquoi ce choix a été fait. Entre un truc numérique qui "fait le job" et un orgue repoussoir - car massacré dans les années 60 - il était en effet permis d'hésiter.
Historique
Un premier instrument est arrivé vers 1750. Il n'avait que 3 jeux. [IHOA]
Le petit instrument ne fut vendu à Jean Nicolas Toussaint qu'en 1797, bien après l'acquisition du suivant (1793). Mais on se doute qu'en cette période marquée par la terreur et les exactions, on ne pouvait pas toujours faire les choses dans l'ordre. [PMSAM75]
Historique
Puis, en 1793, Jean Nicolas Toussaint installa à Still un orgue venant de Molsheim, oratoire des Jésuites. [IHOA] [PMSAM75]
L'instrument ne put servir qu'à partir de fin 1796. L'instituteur Joseph Dörrbacher en fut l'organiste. [PMSAM75]
Historique
Le 28/05/1827 arriva le premier orgue neuf construit pour Still, par la maison Stiehr de Seltz. La réception a été assurée par Ignace Meyer (Mutzig) et Aloïse Ritter (Dinsheim). [IHOA] [PMSAM75] [PMSSTIEHR]
Historique
L'église ayant été reconstruite en 1866 (l'architecte était Matuszynski), on souhaita disposer d'un orgue plus important. Il fut livré le 24/10/1875 par la maison Stiehr, qui reprit l'instrument précédent. [IHOA] [PMSAM75] [PMSSTIEHR]
Voici la composition figurant sur le devis du 13/12/1873 :
Quand on connaît le conservatisme de la maison de Seltz, toujours prête à livrer des orgues conçus comme en 1820, cette composition est absolument remarquable. Pédalier (presque) complet, récit avec expression, portant quatre 8' et une Clarinette.... c'était vraiment un Stiehr d'exception !
On en tremble encore
Il y avait aussi des choses curieuses, à commencer par l'absence de tirasses, et l'étendue de la pédale s'arrêtant au 3ème dos. Il y a aussi ce "Jeu céleste" qui en fait est un Salicional (et pas du tout un ondulant comme le laisse supposer le nom). La maison Stiehr ne savait pas, ou ne voulait pas savoir, ce qu'est une Voix céleste. Le tremblant, aussi, était sûrement construit comme au 18ème, et pas comme un trémolo romantique, ce qui devait produire un effet comique fort différent de ce qui était recherché. Le conditionnel n'est d'ailleurs pas nécessaire, comme on le verra par la suite.
En 1896, Franz Xaver Kriess, de Molsheim, fit des transformations. [IHOA] [PMSAM75]
Le devis date du 01/02/1892. Il était prévu de rendre la console indépendante, face à la nef. Mais aussi de déplacer le récit (sûrement pour rendre l'expression plus efficace), d'ajouter un Gemshorn au grand-orgue à la place du Salicional, ce dernier passant au récit sur la chape du 2'. Et, bien sûr, de rendre le "Jeu céleste" ondulant comme une vraie Voix céleste, au moins pour éliminer la confusion. [PMSAM75]
Ces recommandations, finalement de pur bon sens, ont probablement été formulées par Friedrich Wilhelm Sering, car l'histoire a retenu son commentaire concernant le tremblant (dont nous avions promis de reparler) : "Der Tremulant fristet nur noch in italienischen Drehorgels sein meckernders Dasein". ("Il y a un tremblant qu'on ne pensait pouvoir trouver que dans les orgues de Barbarie.") [PMSAM75]
Note sur la traduction : l'orgue mécanique est apparu en Europe dans plusieurs pays pratiquement simultanément (Angleterre, France, Italie). Il n'a pas, a priori, une origine italienne. En tous cas, l'origine du mot "de Barbarie" venant de "Orgue de Giovanni Barberi", est une légende (de plus) du monde de l'orgue. "Barbarie" devait signifier "étranger, venu d'ailleurs", mais qu'on aime bien. En Allemand, on parle d' "orgue à tourner", et son côté exotique revient avec l'adjectif "Italienisch". Sering utilise "italienischen Drehorgel" car il s'agit probablement d'une expression toute faite. "Italienisch" n'a aucun caractère péjoratif. "Drehorgel", si.
L'article sur l'orgue de Sill de 1975
Il y a moins drôle : dans son article de 1975, Pie Meyer-Siat utilise cette phase pour salir la mémoire de cet immense musicien que fut Sering, qui a tant apporté à l'Alsace. Il écrit, après avoir cité son commentaire sur le tremblant : "cela donne un air de connaisseur, n'est-ce pas ?", convoquant au passage le "bon sens" du lecteur, qui n'en demandait pas tant. Sauf que des connaissances, Sering en avait largement assez pour ne pas avoir besoin de se donner un air. [PMSAM75]
Les hauts de hurlement
Plus loin, l'auteur "hurle" deux fois. La première à la lecture du devis de 1892 : "un immense bricolage, cher, inutile, désastreux : c'est ainsi que commencent les démolitions ; un tel devis, qu'on nous permette l'expression, est à faire hurler". Que faire, alors, face aux devis qui proposent de massacrer les plus beaux orgues d'Alsace pour les remplacer par de la "cuisine internationale" néo-baroque ? [PMSAM75]
Le second hurlement est poussé parce qu'on voulait mettre une Soubasse en plus du Bourdon 16'. ("[...] remplacement de la flûte 4' de pédale par une Soubasse 16' (il y avait déjà une contrebasse et un bourdon 16') ; c'est à hurler.")
Une Soubasse et un Bourdon 16', d'intensité différente, permettent de jouer le 16' avec trois volumes différents. C'est certes un luxe, mais si c'est "à hurler", une Fourniture de pédale quand on a deux tirasses et une Cymbale à chaque clavier... aussi. [PMSAM75]
Tout commentateur peut "se lâcher", car les lecteurs savent que tout ce qui est excessif est insignifiant. On resterait donc au niveau de l'anecdote... si on ne devinait pas une préoccupante corrélation entre les articles qui "traînent dans la boue" un orgue, et l'abandon ultérieur de l'instrument. Ces articles ont servi de dogme aux experts de la fin du 20ème siècle, et de référence pour évaluer les orgues. Ce qui explique qu'ils ont pu avoir de très lourdes conséquences.
Historique
En 1904, Edmond-Alexandre Roethinger reconstruisit l'instrument pour le doter d'une transmission pneumatique. [IHOA]
C'est un rapport de Martin Mathias (Strasbourg, cathédrale), adopté par le conseil municipal en 1921, qui initia le projet.
Voici la composition relevée en 1963, qui doit être celle d'origine (1904). Les accouplements et tirasses, malheureusement, n'avaient pas été relevés, si bien qu'on ne sait pas s'il y en avait à l'octave :
C'était donc un orgue post-romantique tout à fait alsacien : Violoncelle de pédale, cinq 8' et Cornet au grand-orgue, Voix céleste et Flûte harmonique. La Clarinette était toujours là, même si ce n'était qu'un dessus. On ne peut qu'estimer qu'on était là à l'apogée : Still n'avait jamais connu d'orgue meilleur. Il faut dire que le répertoire adressable était immense ; il était taillé pour le récital, l'improvisation et la création. Bref, l'orgue qu'on voudrait avoir à quelque kilomètres de chez soi.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorité en avril 1917. [IHOA]
Ils ont été remplacés en 1921 par Edmond-Alexandre Roethinger, si bien qu'on pouvait considérer le bel orgue de 1904 comme authentique. [IHOA]
Historique
C'est en 1967 qu'eut lieu la catastrophe : une "reconstruction mécanique" , par Curt Schwenkedel. [IHOA]
On a beau savoir ce que signifie une "reconstruction mécanique", on peut ne peut qu'être consterné par ce qui a été fait à ce pauvre orgue, et l'extrémisme quasi militant qui a produit cette composition. Deux Cymbales... (parce qu'il en faut une pour taper sur l'autre ?) Mixture de pédale... (au cas où les deux tirasses tombent en panne ?) Suppression pure et simple du récit et des belles choses qu'il contenait pour le remplacer par un positif fondé sur un malheureux Bourdon 8', muni de petits jeux aigus et d'un Cromorne "indispensable pour jouer Couperin". Plus de Clarinette. Plus de Violoncelle de pédale. Pour toute Gambe, il n'y a plus que le pauvre Salicional au grand-orgue ! Dans cette opération, on a même supprimé une Flûte harmonique 8' ! Cela laisse l'impression qu'on a voulu s'attacher, exprès, à ôter à cet orgue tout ce qu'il avait d'alsacien, et tout ce qu'il avait d'intéressant. Il en reste un ramassis de petits jeux, et une pédale délirante :
C'était donc un orgue d'expert, suivant les "marottes" néo-baroques, mais qui a oublié d'être attrayant. A la limite, quand on a un répertoire axé à 100% sur le 17ème et le 18ème, on peut y voir un intérêt... mais avec un gaspillage considérable de ressources. Bref, c'est le genre d'instrument qui, lorsqu'on vous demande d'y jouer, rend très imaginatif pour trouver des excuses. ("Ah, non, désolé, ce dimanche-là, mes chaussures sont en révision.") Son abandon ultérieur, certes triste, est parfaitement compréhensible.
Ce qui est incroyable, c'est que cet instrument encore a bénéficié, en l'état, d'un relevage, en 2001. [IHOA]
Quand des activistes dégradent une œuvre d'art, la première chose que l'on fait est de la nettoyer et la réparer... et pas de l'entretenir AVEC ses dégradations. Mais il est probable qu'on en soit aujourd'hui au point que, si quelqu'un taguait la Joconde, il se trouverait un illuminé pour proposer de garder le tag comme "contribution artistique du 21ème siècle"... Evidemment, aussi scrupuleux que furent ces travaux de 2001 à cet orgue, ils n'ont pas pu en faire un instrument qu'on a envie de jouer.
Abandon
En 2015, Still a acheté un instrument électronique. Cela, on l'a vu, peut se comprendre. Mais il y a plus déprimant : la chose a été inaugurée (!) comme s'il s'agissait d'un vrai orgue... comme s'il s'agissait d'un progrès, d'un accomplissement, et pas d'un renoncement. [VWeller]
Padmé aurait dit : "Ainsi s'éteint l'orgue à Still, sous une pluie d'applaudissements !"
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef.
Mécanique à équerres pour les notes, penumatique pour les jeux.
Sommiers à gravures (1967).
Sources et bibliographie :
STILL, Kt. Molsheim. - 1840, Liste, mit O., u. Visit.-Bericht 1892. - O. von Stiehr. Mittlg des Orgelexperten Geredis, aumonier in Still. - Nach MATHIAS 45 : O. von Stiehr, rep. von Roethinger, 1904, O. mit 28 Reg., 2 Clav., Ped. - Auch eine Rep. von Kriess, O. mit 25 Reg., 2 Clav., Ped. Liste Kriess.
206. Still Stiehr, Roethinger, 1904, 28 Jeux, 2 Clav. Péd., sommier pneu., traction tub., soufflerie électr.
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