L'orgue de Balgau date de 1874 : c'est l'opus 2 de Martin Rinckenbach, et aussi son premier en Alsace, puisque l'opus 1 a été construit pour Cellule, dans le Puy-de-Dôme. L'orgue de Balgau possède de nombreuses caractéristiques héritées de Valentin Rinckenbach, et donc du "pré-romantisme" tel qu'il fut pratiqué de 1830 à 1870. Et, par la qualité de son harmonisation, c'est déjà un "vrai" Martin Rinckenbach. Il constitue donc un jalon majeur dans l'évolution de l'orgue alsacien.
Historique
La présence d'un premier orgue à Balgau est attestée dès 1770 par un payement. On ne sait rien de plus de cet instrument. [IHOA]
Historique
Balgau est devenue une paroisse indépendante en 1843, et, dès 1847, Claude-Ignace Callinet posa un petit orgue neuf dans l'ancienne église. L'instrument, dont le devis est daté du 12/09/1847, avait 4 jeux 1/2 sur 54 notes (un Bourdon, un Salicional, un Prestant, une Flûte 4' et un dessus de Trompette), et un pédalier (probablement en tirasse permanente) de 12 marches. On raconte que Claude-Ignace ne mit que 3 semaines à le construire. [IHOA] [PMSCALL] [Barth]
C'était pratiquement un orgue d'étude, comme il est probable que les Callinet en ont construit plusieurs. Hamel le confirme : "[Claude Ignace] Callinet a construit en outre beaucoup d'orgues de quatre et de huit jeux pour appartements et chapelles". La plupart ont disparu sans laisser de trace. [Hamel]
Après la construction de la nouvelle église (achevée en 1861), cet instrument était devenu bien trop petit, et a été vendu (selon la tradition orale) à l'église mixte d'Appenwihr en 1872. Il y disparut avant 1898. [IHOA] [PMSCALL] [Barth]
Appenwihr est aussi situé près de Neuf-Brisach, à quelques kilomètres de Balgau. Il n'y a plus d'orgue dans son église St-Antoine depuis 1898. L'orgue Callinet aurait donc disparu seulement quelques années après son déménagement.
Historique
En 1874, Martin Rinckenbach construisit pour Balgau son deuxième orgue neuf, et le premier en Alsace [LR1907] [IHOA] [Barth]
Pour désigner sa Trompette de pédale, Rinckenbach utilise ici une dénomination empruntée aux Callinet : "Ophicléide". (Mais les frères Callinet réservaient cette dénomination à la Bombarde.) Plus tard, il préférera "Trombone". Ce jeu est ici très doux, presque un Basson.
Les tuyaux de façade de l'orgue Rinckenbach ont été réquisitionnés par les autorités en mars 1917. [IHOA]
Des travaux ultérieurs, non attribués, ont eu lieu vers 1918 et semblent avoir été de piètre qualité. L'instrument a sûrement été doté d'une soufflerie électrique à ce moment. [AORM]
Il y eut une réparation et un nettoyage en 1983, sans transformation : en 1986, lors de l'inventaire, l'orgue avait toujours sa composition d'origine, avec sa Voix céleste. [IHOA]
Enfin, le 21/11/1988 fut achevé un travail effectué par Antoine Bois, d'Orbey. Les travaux paraissent avoir consisté à déplacer le ventilateur, réparer la soufflerie, et poser un nouvelle façade en étain. Malheureusement, la Voix céleste de cet instrument - jusque là authentique enièement authentique à l'exception de la façade - a été remplacée par un Flageolet 2'. La perte de la Voix céleste est vraiment préjudiciable pour un instrument de cette esthétique. [IHOA] [JGUhlrich]
Le buffet
Trois tourelles à entablement, de même hauteur, encadrent 2 plates-faces. Les tourelles latérales portent chacune un pot-à-feu, et la centrale un ornement constitué d'une lyre et de flûtes entrecroisées. Jouées ajourées. Le haut des plates-faces figure de petits frontons, avec les oculus caractéristiques de la façon de Valentin Rinkenbach (l'oncle de Martin). Le dessin de ce buffet est hérité de ceux de Valentin Rinkenbach et de ses fils : il s'agit d'une variante à plates-faces rectangulaires de celui de Pagny-la-ville (21) (construit vers 1863 ; les plates-faces sont en arcs). L'émouvant petit orgue de Saint-Germain-le-Châtelet (90) (Rinkenbach frères, 1867), récemment restauré par Jean-Christian Guerrier est un autre exemple de ce buffet. On peut aussi le voir comme une déclinaison en console frontale de celui de Sundhoffen (Rinkenbach frères, 1865).
Valentin Rinkenbach appréciait beaucoup ces oculus, qui constituent en quelque sorte une signature visuelle de ses buffets. Valentin en a placé à Rustenhart en 1835 (buffet aujourd'hui à Hettenschlag ; il porte aussi une lyre en couronnement de la tourelle centrale), Westhalten en 1841 (il y en a 3), Kientzheim en 1847 (3 également). Les frères Rinckenbach l'ont fait évoluer en "mini-rosaces" à Heimersdorf en 1862. Ces oculus - ici plus petits - et la reprise du trophée en forme de lyre sont donc probablement un hommage de Martin à son oncle Valentin, renforçant le côté "inscrit dans la tradition" de l'orgue de Balgau. La réelle rupture de style n'interviendra qu'en 1881 à Selestat. Il faut dire qu'alors, peu à peu, les dons de Martin et la qualité de ses réalisations l'ont promu au rang de leader, cessant d' "obéir à une tradition" pour définir de nouveaux styles.
Caractéristiques instrumentales
Console en fenêtre frontale. Tirants de jeux de section carrée à pommeaux munis de porcelaines, placés en deux colonnes, une de chaque côté du clavier. Le nom des jeux est écrit en noir pour le manuel, et en bleu pour la pédale. (Le bleu de l'Ophicléide est un peu passé.) Porcelaine "Flageolet 2p" récente. La porcelaine du Hautbois dit "Hautbois 2P.", ce qui est une façon originale d'exprimer le fait qu'il s'agit d'un dessus, en appliquant à la lettre la logique donnant la hauteur en pieds du tuyau le plus grave du jeu : celui-ci a effectivement 2'. Mais comme il est placé sur le troisième Do (c'), ce Hautbois sonne bien en 8'.
Clavier blanc, d'origine, dont les joues sont constituées d'une moulure (dont la forme se retrouvera souvent sur d'autres orgues Rinckenbach), et d'une tête de gargouille.
Plaque d'adresse calligraphiée en lettres gothiques noires au-dessus du clavier, et disant :
Mécanique suspendue.
A gravures.
Entailles de timbre, en forme de trous de serrure (caractéristiques de Martin Rinckenbach). Façade de 1983.
Ce premier opus alsacien de Martin Rinckenbach a fait l'objet de toute son attention. Il a clairement passé beaucoup de temps à fignoler les moindres détails, comme les joues des claviers (un modèle a priori unique), le porte-partitions (idem), et même les découpes des panneaux arrière du buffet. Martin Rinckenbach avait alors 40 ans. Il avait passé de nombreuses années dans l'ombre de son oncle et des fils de ce dernier, puis chez Cavaillé-Coll (5 ans), puis à effectuer des prestations de tuyautier. A l'époque, personne ne pouvait prédire l'essor qu'allait prendre la carrière du plus talentueux des facteurs d'orgues alsaciens.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Annie Engasser.
Origine du Flageolet 2'
Photos du 24/06/2018.
Photos du 17/07/2012.
"Balgau i. Els. 14 [jeux] anno 1874"
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