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Les orgues de la région de Benfeld
Benfeld, Synagogue
Partie instrumentale classée Monument Historique, 10/2015.
A l'exception de quelques tuyaux, cet orgue est entièrement authentique
L'orgue Charles et Edgard Wetzel de la synagogue de Benfeld.
Les photos sont de Martin Foisset, 27/01/2019.L'orgue Charles et Edgard Wetzel de la synagogue de Benfeld.
Les photos sont de Martin Foisset, 27/01/2019.

On trouve à Benfeld le seul orgue de synagogue existant encore en Alsace. C'est un petit instrument de style romantique, particulièrement bien réalisé et adapté, et qui a été remarquablement conservé : jamais modifié, il n'a fait l'objet que de réparations. Remarquablement intégré à son édifice chargé d'histoire, c'est aujourd'hui le précieux témoin d'une aventure musicale étonnante : l'installation, à partir du milieu du 19ème, d'orgues dans les synagogues

Celle de Benfeld date de 1846 (pour sa partie centrale), et fut agrandie en 1876, sur des plans de l'architecte Gustave Adolphe Beyer, qui lui donna ses volumes actuels. Les parties latérales abritant alors les sièges pour les dames, la tribune devint disponible.

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Historique

C'est vers 1895 que Charles Wetzel posa l'orgue actuel. [IHOE] [PMSRHW] [SaisAls55]

Signé "Ch. Wetzel & Fils" sur sa plaque d'adresse, l'instrument a donc été réalisé par Charles (1828-1902) et son fils Edgard (1865-1945). Charles était le fils (cadet) du fondateur de la maison, Martin (1794-1887) et le frère d'Emile (1822-1910), avec lequel il s'était associé entre 1864 et 1874 pour constituer l'entreprise "Wetzel Frères". Mais en 1874, les frères s'étaient séparés, Emile étant allé s'installer à Bergheim, alors que Charles était resté à Strasbourg. D'où, probablement la précision "Strasbourg" sur la plaque d'adresse, qui était important jusqu'en 1891, quand y avait deux maisons Wetzel différentes en activité. [Visite]

Un profond ancrage dans le style romantique

Le 25/09/1856, le rapport de la conférence des grands rabbins de France (13-23/05/1856) autorisa l'orgue dans les synagogues. Cette décision, bien sûr, ne fit pas l'unanimité. C'était même plutôt le contraire, cet instrument étant devenu, au moins en Allemagne, le symbole évident de la querelle opposant les réfomateurs et les orthodoxes. Pour les premiers, la motivation était grande de se doter de tels instruments. Dans l'Est, la Lorraine devança d'ailleurs l'Alsace : la synagogue de Nancy (d'ailleurs équipée d'un harmonium dès 1844) n'y alla pas par quatre chemins, et commanda - à l'occasion de travaux à l'édifice - carrément un orgue à Cavaillé-Coll, alors leader incontesté de l'orgue romantique français. C'est donc tout naturellement que l'orgue juif fut résolument romantique. L'instrument fut installé en 1862, et suivi par celui de Sarreguemines dès 1867.

Wetzel

Pour ce deuxième orgue de synagogue mosellan, on s'adressa à un facteur - un peu - plus local, puisqu'il s'agissait des frères Wetzel, de Strasbourg. Ce choix s'explique probablement par le fait que les frères Wetzel ont posé en 1866 à l'église luthérienne de Sarreguemines un petit orgue de 7 jeux. Puisqu'il avait soutenu la comparaison par rapport à un Cavaillé-Coll et fait pencher la décision dans le sens des Wetzel, ce petit instrument devait avoir été très apprécié ! En fait, on peut toujours s'en faire une idée : s'il a été remplacé à Sarreguemines, ce petit Wetzel se trouve aujourd'hui à Durstel.

Le papier à entête de la maison vers 1897-1900.Le papier à entête de la maison vers 1897-1900.

A Strasbourg, en 1864, fut fondée la Société "La Lyrique" (Alfred Lévy, Nathan Blum, Baruch Netter, Alphonse Lévy), destinée à promouvoir le chant religieux à la synagogue. Pour l'orgue, le grand rabin resta prudent.

En 1870, les frères Wetzel construisirent un orgue neuf pour la synagogue de Strasbourg (alors située 16, rue Ste-Hélène ; l'édifice avait été construit en 1834 à l'emplacement de l'ancien couvent des Petits Capucins, et appelée parfois "Barbaragasse" parce qu'elle se situait au coin des rues Ste-Hélène et Ste-Barbe). Cet orgue Wetzel était le premier orgue installé dans une synagogue d'Alsace, un instrument de 17 jeux sur deux manuels et pédale. Il fut déménagé en 1897 à la synagogue de Haguenau ; on pourra trouver sur la page correspondante sa composition et une photo de sa configuration à Strasbourg. L'instrument a disparu en 1940.

L'orgue Wetzel à la synagogue de la "Barbaragasse".L'orgue Wetzel à la synagogue de la "Barbaragasse".

En septembre 1874, Charles Wetzel avait déménagé un harmonium de la synagogue de Strasbourg (où il n'était sûrement plus utilisé depuis la construction de l'orgue neuf) à celle de Benfeld. En effet, il a noté dans ses archives : "Réparation, nettoyage, transport et posage de l'harmonium de la Synagogue de Strasbourg à la Synagogue de Benfeld. 130 F. Strasbourg le 10 7bre 1874. Exécuté. Payé.". Le projet d'un orgue neuf à Benfeld avec donc dû mûrir entre temps. [PMSRHW] [SaisAls55]

La maison Wetzel fut le fournisseur exclusif d'orgues des synagogues d'Alsace jusqu'en 1898. L'instrument pour Selestat fut posé en 1890. En 1891, Charles Wetzel fournit un premier instrument à la synagogue de Mulhouse (pour la salle du sous-sol), et dès 1892, toujours à Mulhouse ce fut le grand orgue de tribune. Ce dernier instrument existait encore en 2010, lorsqu'il fut détruit lors d'un incendie.

En 1898, la maison Wetzel, tenue par Edgard seul, était déjà mourante. Le marché pour le premier orgue de la nouvelle synagogue de Strasbourg (place des Halles) fut conclu avec le "boss" de l'orgue européen romantique : Eberhard Friedrich Walcker.

Définition d'un style

Dans l'histoire des orgues des synagogues d'Alsace, Wetzel trouve donc son nom encadré par ceux de Cavaillé-Coll et Walcker. Pas mal pour une "entreprise à rayonnement local". Pour les membres de ces communautés à qui on avait confié le mandat de s'occuper de l'orgue, le choix était simple : quand la maison Wetzel était active, c'est elle qu'on choisissait, et, sinon, on prenait le leader. Objectivement, dans les années 1860, ces "maîtres d'ouvrages" de l'orgue juif - qui était à inventer - n'avaient pas dû avoir une tâche facile : que choisir ? Pour quel usage au juste ? Comment échapper à un simple orgue "d'imitation" ? Et comment la communauté - très cultivée musicalement - allait-elle accueillir tout ça ? On peut se dire que dans un atelier de facteur d'orgues, ils ne devaient pas être beaucoup plus à l'aise que dans une charcuterie... Heureusement, il y avait la forte tradition des 'hazanims (chantres, très présents localement). Et les choix esthétiques étaient guidés par un répertoire florissant et en grande évolution : Samuel Naumbourg (1817-1880), Louis Lewandowski (1821-1894), Theodor Kirchner (1823-1903), Salomon Sulzer (1804-1890). Romantique, donc. Et l'orgue, même avec sa forte connotation cultuelle, reste un instrument de musique comme un autre. Un bon musicien n'est finalement pas plus démuni pour choisir un orgue qu'un instrument à cordes.

Lyrique, romantique et ludique

Ces choix, on le comprend, ont donc été au début plus consensuels qu'audacieux. Wetzel a tout simplement proposé des orgues polyvalents, très proches de sa production habituelle, conçus pour accompagner un chœur, ou d'autres instruments dans le cadre de prestations festives. Finalement, un orgue romantique, plus ludique et "décoratif" qu'on l'aurait attendu. Mais cette voie était logique : l'orgue "traditionnel" n'existait pas, et les orthodoxes n'allaient de toutes façons jamais être convaincus. Autant chercher à plaire.

Une contribution significative à l'Orgue alsacien

La définition de ce style allait - bien sûr - encore évoluer. En 1898, lors de la construction de la grande synagogue consistoriale du quai Kléber à Strasbourg, une attention exceptionnelle fut accordée à l'orgue. D'abord d'un point de vue architectural (il était à l'avant, au-dessus de la Bimah, et face à l'assemblée). Une anecdote racontée par Emile Rupp illustre parfaitement le propos : il raconte au sujet de cet orgue Walcker (II/P 38j, opus 818) qu'il a été conçu (bien sûr avec beaucoup de bonne volonté) par un séminariste protestant, et que cet instrument était idéal... pour accompagner le chant choral ! Rupp trouvait ce premier instrument - sûrement trop vite construit - totalement inadapté. Fait révélateur : dans son ouvrage, il inclue la genèse des deux orgues de la synagogue du quai Kléber dans son chapitre définissant l'école d'orgue alsacienne ("Elsässiche Schule"). Comment l'orgue juif alsacien avait-il échappé au piège de l' "imitation" ? Pas en se démarquant, mais en contribuant à faire évoluer le style local. [Rupp]

En 1925, le Walcker fut remplacé par un orgue Edmond Alexandre Roethinger, sûrement le plus impressionnant de toute sa production. Une légende de l'orgue de l'orgue alsacien (III/P 62j, six 16', 32' de pédale...) : l'instrument avait été défini par Emile Rupp, mais aussi Max Reger, le chanoine Xavier Mathias, Charles Muller (professeur au conservatoire), de Félix Raugel (maître de chapelle à St-Eustache), et bien sûr Bernard Bochner, maître de chœur et titulaire à la synagogue, donc de l'orgue Walcker dès 1898. Emile Rupp jouait souvent ce nouvel orgue Roethinger : c'était son instrument préféré. Il y était visiblement heureux comme un enfant, comme en témoigne Jacques Rosenzweig : "On chantait du Naumbourg, du Lewandowski, du Sulzer, le tout accompagné à l'orgue par Emile Rupp. Il jouait tellement fort qu'on se croyait ailleurs. C'était formidable." Et tout cela à peine quelques dizaines d'années après qu'un volontaire désigné a toqué à la porte d'un facteur d'orgues en disant "Excusez-moi, s'il vous plaît..."

Le monumental orgue Roethinger de la synagogue de ,
quai Kléber.Le monumental orgue Roethinger de la synagogue de Strasbourg,
quai Kléber.

Un instrument authentique soigneusement entretenu

En juin 1935, alors que Rupp faisait encore trembler les ponts sur l'Ill avec son 32' et ses jeux à haute pression, Edgard Wetzel (le fils de Charles) dota l'orgue de Benfeld d'un ventilateur électrique. L'instrument n'a jamais été modifié. [PMSRHW]

Un autre article (celui de "Saisons d'Alsace") du même auteur, Pie Meyer-Siat, attribue ce ventilateur à Georges Schwenkedel et le date de 1927. On y évoque aussi le remplacement de la façade, qui aurait été réquisitionnée par les autorités en 1917. Mais la façade actuelle a bien l'air d'origine. [SaisAls55]

Grâce Eugène Guthapfel (et sûrement à d'autres dont on a oublié le nom), à la Libération, la synagogue de Benfeld - et son orgue - étaient toujours là. Evidemment, leur existence allait prendre une toute autre signification. En 1947, Georges Schwenkedel fit des réparations et un relevage général. En effet, dès le 9 juillet 1946, le président de la communauté, Léon Weyl, avait prévenu les instances départementales du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme qu'il a fait faire une évaluation des travaux de réparation de l'orgue. Le devis de Schwenkedel, daté du 21/02/1947, proposait le remplacement de 110 tuyaux en étain endommagés ou manquants, la réparation de la mécanique, et un nettoyage complet de l'instrument. [FBaumann]

En 1986, lors de l'inventaire technique des orgues d'Alsace, l'orgue a été trouvé en bon état, mais le ventilateur était hors d'usage. [ITOA]

Un tuyau en bois grave (D) porte à son sommet une inscription au stylo à bille rouge : 'Restauration Lo Steinmetz', puis en noir : '1955 Dachstein-gare'. [Visite]

Les frères Steinmetz avaient "pris la suite" de la maison Schwenkedel lorsque Curt mis fin à ses activités. Pour l'entretien des orgues, c'était alors le "successeur naturel".

En 1996, la maison Muhleisen fit un relevage en préparation des commémorations du 150ème anniversaire de l'édifice. [IHOE] [FBaumann]

Le buffet

Le buffet, en chêne, est doté d'ornements polychromes. Ses arcs outrepassés sont adaptés à la décoration intérieure de la synagogue, d'inspiration orientale. Les Tables de la loi figurent au-dessus de la plate-face centrale.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2019
Manuel, 56 n. (C-g''')
Etain ; e, f et gis-g''' sur le vent, les reste en façade (4 tuyaux centraux de la façade muets) ; entailles de timbre ; chape 7
C-H en sapin, puis étoffe, sans cheminées ; calottes mobiles ; fis'''-g''' ouverts ; chape 3
C-H en sapin, puis étain, cylindrique, non harmonique ; entailles de timbre sauf extrême dessus (Stiehr ?); chape 5
C-H en sapin communs avec le Bourdon, puis étain ; entailles de timbre ; chape 4
Etain ; C-H en façade, puis sur le vent, entailles de timbre ; chape 6
f''-g''' ouverts, ancien, taille large ; le reste à calottes mobiles, entièrement bouché ; chape 2
Etain ; conique sauf gis'-g''' ; entaille de timbres ; chape 1
Pédale, 20 n. (C-g)
I/P
Permanente
[ITOA] [Visite]
Console:

Console latérale accolée sur le côté gauche du buffet, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en ligne au-dessus du clavier, à pommeaux tournés, munis de porcelaines blanches. Le nom des jeux apparaît en majuscules, et le chiffre indiquant les pieds n'est pas suivi de "'". Clavier blanc. Pas de commande aux pieds. Pédalier de 20 notes, plutôt atypique. Toute la console semble intégralement d'origine.

Plaque d'adresse placée horizontalement, à l'arrière et au-dessus du clavier. Ce sont des lettres gothiques en laiton, incrustées dans le bois (de même essence que le reste de la console, mais c'est une pièce rapportée), et disant :

Ch. Wetzel & Fils
STRASBOURG
La plaque d'adresse,
et les tirants centraux.La plaque d'adresse,
et les tirants centraux.
Transmission:

Mécanique à équerres et balanciers.

Sommiers:

Sommier à gravures, de Wetzel, diatonique en M (basses aux extrémités).

Tuyauterie:
Ordre des chapes depuis l'arrière (accès) à la façade :
le Flageolet (conique), le Cor de nuit, le Bourdon 8',
le Salicional, la Flûte 8', le Prestant et la Montre.
(Ces deux derniers jeux étant partiellement en façade.)
			Ordre des chapes depuis l'arrière (accès) à la façade :
le Flageolet (conique), le Cor de nuit, le Bourdon 8',
le Salicional, la Flûte 8', le Prestant et la Montre.
(Ces deux derniers jeux étant partiellement en façade.)

La tuyauterie est en étain ou en étoffe, avec généralement les basses en sapin. Il n'y a que des jeux à bouche.

A l'usage, il s'agit avant tout d'un instrument de musique attachant et très réussi. Les orgues Wetzel sont généralement très bien harmonisés (surtout pour les Flûtes), et celui-ci ne fait pas exception. Evidemment, l'orgue est aujourd'hui (2019) très empoussiéré, et les panneaux arrière étaient déposés, ce qui nuit à l'équilibre sonore, surtout depuis la tribune. La perspective d'un relevage (évidemment après les travaux de restauration de l'édifice, qui sont planifiés dans les prochains mois) est donc extrêmement prometteuse.

Loin de n'être qu'une "curiosité", un peu atypique, cet orgue vaut tant par ses caractéristiques intrinsèques que par son étonnante et riche histoire. Et aussi par le rôle culturel qu'il pourrait jouer dans la suite de celle-ci.

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Références Sources et bibliographie :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670028003P01
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