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Strasbourg, Ancienne Synagogue ![]() ![]() ![]()
L'orgue de la Synagogue de Strasbourg avait été construit par Edmond-Alexandre ROETHINGER, en suivant les préceptes du célèbre Emile RUPP, expert de la Commission d’Art sacrée, et titulaire de l'orgue de l'église protestante de garnison : St-Paul. Mais Rupp n'était pas le seul à avoir participé à sa définition : il était entouré de Max REGER, du chanoine Xavier MATHIAS, de Charles MULLER (professeur au Conservatoire), de Felix RAUGEL (maître de chapelle à St-Eustache), ainsi que d'autres compositeurs, et bien sûr Bernard BOCHNER (maître de choeur et titulaire à la Synagogue, qui avait été dotée d'un orgue WALCKER dès 1898). La Musique avait rassemblé toutes les communautés.
Sur le plan technique, à peu près tout avait été inventé en matière d'orgue dès la fin du 19 ème siècle : Claviers expressifs, transmissions et assistances pneumatiques et/ou électriques, combinaisons, Accouplements pléthoriques. On disposait de Jeux "colorés" propres à inspirer les improvisateurs. Mais en ce premier quart du 20 ème siècle, l'Orgue devait surtout être un instrument puissant et impressionnant. Le Roi des instruments. Et on lui donnait à dessein toute une aura technologique, à mi-chemin entre un transaltantique et un orchestre symphonique. Le "Tutti" de l'orgue devait en imposer au moins autant que le tonnerre des cieux. On en veut pour preuve l'apparition de ces jeux "à haute pression" (Hochdruck), comme ceux qui ont été installés dans le WEIGLE de Strasbourg, St-Maurice en 1899.
Ils provoquèrent par leur démesure l'ire d'Emile Rupp, et son premier article (intitulé "Hochdruck" justement) qui initialisa la Réforme alsacienne de l'Orgue.
Car Rupp était admirateur de la facture de CAVAILLE-COLL (mais 30 ans trop tard), et, s'il affublait ses arguments d'un verbiage Silbermannien (seuls facteurs à être reconnus comme "grands" en Alsace à cette époque) c'était surtout pour citer des exemples diamétralement opposés à la facture allemande de l'époque. ![]() Quoi qu'il en soit, il fallait faire "moderne" et "technologique" et aller avec le progrès, qui avançait à coups de "systèmes" et de brevets révlutionnaires ; le monde était à inventer. Plus question de jouer sur une triste Console en Fenêtre a traction mécanique (sensée être lourde), dotée de Registres à tirer. Il n'était plus question non plus de jouer à l'invisible et modeste organiste coincé entre ses deux Buffets : on voulait des Consoles indépendantes, et à l'idéal, pouvoir être vu du public. Le grand orgue de la Grande Synagogue était l'exemple parfait de cette tendance. D'abord, il devait être impressionnant. C'était le seul en Alsace qui réunissaient tous les caractéristiques d’un orgue fait pour les concerts, les cérémonies, les choeurs, l’accompagnement des chants israëlites d’homme en solo, tout en étant capable de jouer tous les répertoires musicaux aussi bien classiques, romantiques, symphoniques, mais aussi tant à la façon occidentale qu’orientales d’Israël. L'orgue Roethinger a été inauguré le 28/05/1925, avec la chorale juive de la Grande Synagogue de Paris et tout l'aréopage d'organistes, compositeurs et musiciens cité plus haut. C'était, à n'en pas douter, l'Evèment musical strasbourgeois de l'année! ![]() L’instrument était placé au-dessus de la tribune-déambulatoire du choeur. La façade était constituée d'une Montre-violon (donc une Gambe) de 16 pieds. Elle était construite en zinc (sûrement pour des impératifs de solidité).
![]() Bien sûr - comme le faisait Cavaillé-Coll - chaque plan sonore était alimenté en vent selon une pression adaptée et était muni de plusieurs Layes destinées à équilibrer les Jeux et à éviter que les "petits" tuyaux n'aient à souffrir de l'appétit des grands. Mais ici, la démarche avait été plus radicale : il y avait 4 Souffleries distinctes. Car les trois claviers et le pédalier commandaient des Plans sonores très différenciés, logés chacun dans une enclave du Buffet, et étudiés en fonction des nombreuses missions confiées à l'instrument:
![]() La Console, électro-pneumatique, très impressionnante, était placée en bas, en vue de l'assemblée, et parfaitement orientée de façon à bien voir le choeur et la chorale.
Les accessoires étaient pléthoriques : il y avait d'abord huit Combinaisons fixes (Piano, Mezzo Forte, Forte1, Forte2, Plein-jeu, Anches, Grand-jeu, Tutti), et quatre Combinaisons libres.
Les Appels des Anches, et des Mutations étaient spécifiques à chaque Plan sonore, et complétés par un Appel général. Il y avait un Appel pour la Haute Pression, et aussi un Appel/Annulateur spécifique sur chaque Plan sonore, un Annulateur des 16', des 32', et un Annulateur général. Une pédale "Jeu dynamique" complétait les Expressions (électriques) du Positif et du Récit. ![]() Démonté (par la Maison Roethinger) juste avant l'incendie de la Synagogue (personne ne s'émeuvra de ce que cela sous-entend : la froide machine était en marche ; pensez vous qu'un facteur d'orgues aurait pu l'arrêter ?), l'orgue a plus ou moins disparu, dans des circonstances qu'il faudrait encore éclaircir. Peu adapté à d'autres édifices, à d'autres missions, cet instrument a probablement été dispersé. Peut-être qu'en certains endroits, quelques Jeux en perpétuent encore le souvenir. Il faudrait les connaître, et savoir où... Il est fort probable que le Hautbois du Récit se trouve à l'heure actuelle à l'orgue de Notre-Dame-de-Lourdes à Nancy, orgue construit en 1948 par Roethinger. Au moins, sa fin prématurée aura évité qu'il ne fut dénaturé, "Néo-classicisé" ou "Néo-baroquisé". C'est donc entier qu'il est entré dans la légende. Peu de gens, aujourd'hui, doivent se souvenir comment cet orgue sonnait. Mais il est incontestable qu'au-delà de ses caractéristiques techniques, on ne peut qu'admirer l'adéquation de cet instrument à l'édifice auquel il était destiné, et l'incroyable motivation musicale de la communauté qui l'a commandité.
![]() (1) Les Jeux marqués "(h.p.)" étaient à haute pression. |