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~ Les orgues de la région de Strasbourg ~

Strasbourg, Ancienne Synagogue
Edmond-Alexandre ROETHINGER, 1925

Orgue aujourd'hui disparu.


Avant... ROETHINGER Après...

Composition, 1925
Grand-orgue
56 notes
Positif expressif
56 notes
Récit expressif
56 notes
Pédale
32 notes
Montre-Violon 16' Bourdon à cheminée 16' Quintaton 16' Grand Bourdon 32'
Bourdon 16' Gemshorn 8' Diapason 8' Grosse Flûte 16'
Montre 8' Flûte à cheminée 8' Cor de nuit 8' Bourdon expressif 16' (Pos.) (2)
Bourdon 8' Salicional 8' Flûte traversière 8' Soubasse 16' (Réc.)
Flûte harmonique 8' Quintaton 8' Viole de Gambe 8' (h.p.) (1) Basse de viole 16' (h.p.)
Orchestra Cello 8' Unda Maris 8' Harpe éolienne 8' (h.p.) Grosse Quinte 10'2/3
Prestant 4' Flûte pastorale 4' Voix céleste forte 8' (h.p.) Flûte 8'
Flûte à cheminée 4' Cor de daim 4' Voix céleste 2 rgs (8') Bourdon 8' (Réc.)
Nasard 2'2/3 Fugara 4' Prestant de viole 4' Violoncelle 8' (Réc.)
Doublette 2' Quinte pastorale 2'2/3 Flûte octaviante 4' Bombarde 16'
Tierce 1'3/5 Flageolet 2' Viole d'amour 4' I/P
Grand Cornet 5 rgs Tierce 1'3/5 (conique) Quinte 2'2/3 (conique) II/P
Plein-Jeu 4 rgs Larigot 1'1/3 Octavin 2' III/P (8', 4')
Trompette 8' Piccolo 1' Tierce 1'3/5  
Clairon 4' Clarinette 8' Septième 1'1/7  
I/I (16') Basson 8' Plein-jeu 4'rgs  
II/I Trémolo Basson 16'  
III/I (16', 8', 4') II/II (16', 4') Trompette harmonique 8'  
  III/II Basson/Hautbois 8'  
    Voix Humaine 8'  
    Clairon harmonique 4'  
    Trémolo  

     En 1940, un incendie volontaire détruisit complètement la Grande Synagogue Consistoriale de la place des Halles de Strasbourg. Non seulement ce sinistre avait été provoqué, mais il a évidemment été planifié.
En cette période qui fit tant de victimes, il pourrait paraître "léger" de s'intéresser aux dégâts matériels et/ou culturels que provoquèrent l'intolérance, le racisme et l'antisémitisme.

Il est tout de même bon de se souvenir que ces courants de "pensée", encore si présents aujourd'hui, commencent par s'attaquer au patrimoine et aux traditions historiques, dans le but d'imposer les leurs, mais surtout de dévaloriser leurs cibles et de leur retirer une partie de leur identité.

Rien ne saurait justifier que l'on oublie les crimes dirigés vers le patrimoine ou la culture d'une communauté, même celles qui ont eu tant à souffrir par ailleurs. Un commando de la S.A. allemande a incendié ce lieu d'exception que devait être la Grande Synagogue (qui avait été construite, rappelons-le, par les Allemands, en 1898). L'orgue avait été démonté peu avant, mais, on le verra, cela n'a pas suffit à le sauver. (D'ailleurs, l'eut-il fallu? Il était construit pour cet édifice, et partageait avec lui une bonne partie de son identité.)

Quand on connaît la place un peu particulière qu'occupe l'Orgue dans les Synagogues, on ne peut que s'émerveiller devant l'instrument qui avait été construit ici par la communauté juive de Strasbourg. Un orgue passionnant, étonnant, dont l'évocation apporte sa petite pierre, si modeste soit-elle, au souvenir de ce qu'était le Strasbourg "d'avant Guerre", avec tout ce qui se cache derrière cette expression.

     L'orgue de la Synagogue de Strasbourg avait été construit par Edmond-Alexandre ROETHINGER, en suivant les préceptes du célèbre Emile RUPP, expert de la Commission d’Art sacrée, et titulaire de l'orgue de l'église protestante de garnison : St-Paul.

Mais Rupp n'était pas le seul à avoir participé à sa définition : il était entouré de Max REGER, du chanoine Xavier MATHIAS, de Charles MULLER (professeur au Conservatoire), de Felix RAUGEL (maître de chapelle à St-Eustache), ainsi que d'autres compositeurs, et bien sûr Bernard BOCHNER (maître de choeur et titulaire à la Synagogue, qui avait été dotée d'un orgue WALCKER dès 1898). La Musique avait rassemblé toutes les communautés.

C'était d'ailleurs le deuxième orgue de la Synagogue : il y avait avant lui un Walcker de 1898. Des éléments de cet instrument, repris par Roethinger, ont été intégrés à l'orgue de Strasbourg, St-Maurice lors de sa transformation de 1942.

Sur le plan technique, à peu près tout avait été inventé en matière d'orgue dès la fin du 19 ème siècle : Claviers expressifs, transmissions et assistances pneumatiques et/ou électriques, combinaisons, Accouplements pléthoriques. On disposait de Jeux "colorés" propres à inspirer les improvisateurs.

Mais en ce premier quart du 20 ème siècle, l'Orgue devait surtout être un instrument puissant et impressionnant. Le Roi des instruments. Et on lui donnait à dessein toute une aura technologique, à mi-chemin entre un transaltantique et un orchestre symphonique. Le "Tutti" de l'orgue devait en imposer au moins autant que le tonnerre des cieux.

On en veut pour preuve l'apparition de ces jeux "à haute pression" (Hochdruck), comme ceux qui ont été installés dans le WEIGLE de Strasbourg, St-Maurice en 1899. Ils provoquèrent par leur démesure l'ire d'Emile Rupp, et son premier article (intitulé "Hochdruck" justement) qui initialisa la Réforme alsacienne de l'Orgue.
Roethinger construisit aussi (c'était l'époque!) de tels Jeux (par exemple en 1914 à Erstein) mais sûrement d'une façon plus personnelle.

Car Rupp était admirateur de la facture de CAVAILLE-COLL (mais 30 ans trop tard), et, s'il affublait ses arguments d'un verbiage Silbermannien (seuls facteurs à être reconnus comme "grands" en Alsace à cette époque) c'était surtout pour citer des exemples diamétralement opposés à la facture allemande de l'époque.

     Quoi qu'il en soit, il fallait faire "moderne" et "technologique" et aller avec le progrès, qui avançait à coups de "systèmes" et de brevets révlutionnaires ; le monde était à inventer. Plus question de jouer sur une triste Console en Fenêtre a traction mécanique (sensée être lourde), dotée de Registres à tirer. Il n'était plus question non plus de jouer à l'invisible et modeste organiste coincé entre ses deux Buffets : on voulait des Consoles indépendantes, et à l'idéal, pouvoir être vu du public.

Le grand orgue de la Grande Synagogue était l'exemple parfait de cette tendance.

D'abord, il devait être impressionnant. C'était le seul en Alsace qui réunissaient tous les caractéristiques d’un orgue fait pour les concerts, les cérémonies, les choeurs, l’accompagnement des chants israëlites d’homme en solo, tout en étant capable de jouer tous les répertoires musicaux aussi bien classiques, romantiques, symphoniques, mais aussi tant à la façon occidentale qu’orientales d’Israël.

L'orgue Roethinger a été inauguré le 28/05/1925, avec la chorale juive de la Grande Synagogue de Paris et tout l'aréopage d'organistes, compositeurs et musiciens cité plus haut. C'était, à n'en pas douter, l'Evèment musical strasbourgeois de l'année!

     L’instrument était placé au-dessus de la tribune-déambulatoire du choeur. La façade était constituée d'une Montre-violon (donc une Gambe) de 16 pieds. Elle était construite en zinc (sûrement pour des impératifs de solidité).




Le Buffet, photo fournie par Gilles RITZ.
Voici à quoi ressemblait cet instrument de légende.

Le Buffet, de style néo-romano-bysantin était placé face à l'organiste, en hauteur. L'orgue était absolument intégré à son édifice et avait bel et bien été construit pour lui.


     Bien sûr - comme le faisait Cavaillé-Coll - chaque plan sonore était alimenté en vent selon une pression adaptée et était muni de plusieurs Layes destinées à équilibrer les Jeux et à éviter que les "petits" tuyaux n'aient à souffrir de l'appétit des grands. Mais ici, la démarche avait été plus radicale : il y avait 4 Souffleries distinctes.

Car les trois claviers et le pédalier commandaient des Plans sonores très différenciés, logés chacun dans une enclave du Buffet, et étudiés en fonction des nombreuses missions confiées à l'instrument:

  • Le Récit, conçu pour l'accompagnement de chorales, était placé au fond de la 3eme enclave, dans une boite expressive très épaisse de façon a donner l’impression d’une puissance venant de loin, quand l'organiste utilisait les Jeux les plus forts avec la boîte fermée. Ces jalousies étaient pilotées électriquement. Une série de voyants lumineux indiquait à l’organiste la force exacte de son Récit hautement expressif. Et ce clavier était également doté de Jeux symphoniques à haute pression.
  • Le Positif, placé dans la première enclave du buffet, présentait les mêmes caractéristiques que celui du Récit, mais était plus "présent", et l'amplitude de l'Expression était aussi plus réduite. Il était conçu pour accompagner les chanteurs solistes.
  • Le Grand-orgue occupait l’enclave médiane. C'était la part du "chef d'orchestre", concertante, et permettant par Accouplements de commander le reste de l'instrument.
  • La Pédale était bien entendu un plan sonore indépendant, mais certains de ses Jeux étaient placés dans les enclaves du Récit expressif et au Positif. Ce n’étaient pas des Emprunts mais de vrais Jeux de Pédale, un peu comme s'il y avait eut trois Pédales différentes. Voilà une solution intéressante aux problème classique où la Pédale, registrée pour jouer la Basse du Grand-orgue, "écrase" le Récit et le Positif lors des changements de claviers.

     La Console, électro-pneumatique, très impressionnante, était placée en bas, en vue de l'assemblée, et parfaitement orientée de façon à bien voir le choeur et la chorale.




La Console, photo fournie par Gilles RITZ.
Chacune des Soufferies pouvait y être commandée indépendamment. Enfin, pour parfaire le côté "Jules Verne" de l'instrument, il y avait des cadrans : un Ampèremètre pour chaque Soufflerie, un manomètre de Pression en mm, et un indicateur pour la Haute Pression.

Les accessoires étaient pléthoriques : il y avait d'abord huit Combinaisons fixes (Piano, Mezzo Forte, Forte1, Forte2, Plein-jeu, Anches, Grand-jeu, Tutti), et quatre Combinaisons libres.
Les commandes des Accouplements étaient doubles (par boutons et pédales).

Les Appels des Anches, et des Mutations étaient spécifiques à chaque Plan sonore, et complétés par un Appel général. Il y avait un Appel pour la Haute Pression, et aussi un Appel/Annulateur spécifique sur chaque Plan sonore, un Annulateur des 16', des 32', et un Annulateur général. Une pédale "Jeu dynamique" complétait les Expressions (électriques) du Positif et du Récit.

     Démonté (par la Maison Roethinger) juste avant l'incendie de la Synagogue (personne ne s'émeuvra de ce que cela sous-entend : la froide machine était en marche ; pensez vous qu'un facteur d'orgues aurait pu l'arrêter ?), l'orgue a plus ou moins disparu, dans des circonstances qu'il faudrait encore éclaircir. Peu adapté à d'autres édifices, à d'autres missions, cet instrument a probablement été dispersé. Peut-être qu'en certains endroits, quelques Jeux en perpétuent encore le souvenir. Il faudrait les connaître, et savoir où... Il est fort probable que le Hautbois du Récit se trouve à l'heure actuelle à l'orgue de Notre-Dame-de-Lourdes à Nancy, orgue construit en 1948 par Roethinger.

Au moins, sa fin prématurée aura évité qu'il ne fut dénaturé, "Néo-classicisé" ou "Néo-baroquisé". C'est donc entier qu'il est entré dans la légende.

Peu de gens, aujourd'hui, doivent se souvenir comment cet orgue sonnait. Mais il est incontestable qu'au-delà de ses caractéristiques techniques, on ne peut qu'admirer l'adéquation de cet instrument à l'édifice auquel il était destiné, et l'incroyable motivation musicale de la communauté qui l'a commandité.

(1) Les Jeux marqués "(h.p.)" étaient à haute pression.
(2) Les Jeux de Pédale marqués "(Pos.)" et "(Réc.)" étaient placés sur les Sommiers de ces deux claviers (donc dans leurs boîtes expressives), pour être expressifs avec eux. Il ne s'agissait donc pas d'Emprunts.
Sources :

  • La page a été rédigée conjointement avec Gilles RITZ.
  • Remerciements à Yves MASSON (pour le Haubois du Récit !)

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Dernière mise à jour : 22/02/2003 10:24:47

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