La (grande) chapelle de l'internat de l'institution Sainte-Marie à Ribeauvillé abrite l'opus 26 de Martin Rinckenbach. Cet orgue présente de nombreuses spécificités, dont une expression agissant sur les deux claviers. A l'exception de la peinture de son buffet et des tuyaux de façade (qui sont de toute façon muets), il est resté totalement authentique, et c'est devenu un précieux témoin de la qualité de la facture alsacienne.
Historique
La chapelle du pensionnat a d'abord été dotée d'un harmonium. C'est Martin Rinckenbach, d'Ammerschwihr, qui construisit l'orgue. La réception eut lieu le 20/11/1889. [LR1907] [IHOA] [Barth]
L'instrument est conçu comme un orgue de salon, avec une console "retournée" : l'organiste est placé dos à la façade, dans une configuration idéale s'il s'agit d'accompagner un chœur ou d'autres instruments. Bien qu'il ne dispose que de 10 jeux, cet instrument est doté de deux manuels. Le fait est significatif d'une spécificité de conception, car à Wolfgantzen (construit en 1888 et donc pratiquement contemporain), on trouve 14 jeux, mais seulement 1 manuel. C'est également le cas à Dalhunden (1892, I/P 12j). A Buschwiller, il y a deux manuels, mais déjà 12 jeux. Les commanditaires de Ribeauvillé, en définissant cette priorité, avaient donc probablement en tête une grande souplesse dans les missions d'accompagnement, et un répertoire comprenant des trios, des pièces avec une partie soliste ou alternant les intensités. On trouve une composition à 13 jeux (II/P) à Neuwiller : la répartition étoffe le grand-orgue (7+3+3 jeux ; cet orgue a malheureusement été altéré vers 1969). Il en va de même à Buschwiller (7+3+2). Mais à Ribeauvillé, il y a une différence importante : l'expression générale.
Les 10 jeux sont répartis en 5 pour le grand-orgue, 3 pour le récit, et 2 pour la pédale. Avec ce nombre de jeux, il n'y a ni anche, ni 16' manuel (et donc pas de Mixture, cette dernière semblant, à une exception près, être subordonnée à la présence d'un Bourdon 16' manuel). Le grand-orgue est constitué de trois 8' du "carré d'or romantique" (un Principal, un Bourdon, une Gambe et une Flûte ouverte - cette dernière étant absente ici) et deux 4' (d'intensité très différente, puisqu'il s'agit d'une Flûte harmonique 4' et d'un Dolce 4').
Le récit étant expressif, il reçoit une Voix céleste, ce qui implique la présence d'un jeu gambé pour l' "adosser". (Ici, un Salicional, qui tient pour le récit à la fois le rôle de Gambe et de Principal doux). Le troisième jeu, puisqu'il n'y a pas de Flûte ouverte 8' au grand-orgue, est logiquement une Flûte à cheminée 8'. La pédale fournit évidemment un 16' (Soubasse), et le second jeu est caractéristique de l'esthétique : c'est un Violoncelle 8', dont on vérifie le caractère totalement indispensable, même dans les petits instruments. L'ensemble permet de choisir tout une palette de sonorités allant du gambé au flûté.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés le 04/04/1917. [IHOA]
Il y eut un entretien, mené par Georges et Curt Schwenkedel en 1953. D'autres travaux sont signalés vers 1970, mais on en ignore à la fois l'auteur et la nature. [ITOA]
En 1986, l'inventaire des orgues d'Alsace trouva l'instrument en très bon état. [ITOA]
Le buffet
Le buffet néo-classique est constitué de deux tourelles plates encadrant une plate-face double. Les quatre éléments dotés de tuyaux de façade (muets et pas d'origine) dessinent des arcs plein-cintre. L'ornementation est constituée de colonnettes, frises, et de couronnements sculptés très élaborés. Les tourelles sont munies de frontons circulaires. Sous la plate-face centrale (donc juste au-dessus de la console) est disposé un trophée d'instruments de musique avec des motifs végétaux. Les jalousies sur le flanc gauche du buffet sont purement décoratives et ne correspondent pas à la boîte expressive.
L'ensemble a malheureusement été revêtu d'un enduit blanc à une époque indéterminée (vers 1970 ?) ; celui-ci a estompé le relief des sculptures.
Sous les claviers, il y a deux angelots ailés en console, très finement sculptés.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante dos à l'orgue, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés et porcelaines, disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers. Les jeux du grand-orgue sont repérés par des caractères noirs, ceux du récit sont en rouge, et en bleu pour la pédale. Comme souvent chez Martin Rinckenbach, on trouve le grand-orgue en bas, la pédale en haut à gauche, et le récit en haut à droite (à l'exception de la Voix céleste, en bas à droite). Claviers blanc, les deux à frontons droits.
Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, et repérées par des porcelaines fixées en relief sur des sortes de champignons. Du côté gauche : "Koppel pédale" (I/P transitive), au centre : "Koppel II. a. I." (II/I). Commande de l'expression du récit par pédale basculante, placée à droite (au-dessus du 'gis' du pédalier), avec une porcelaine "Expression". Elle n'est sûrement pas d'origine, car à l'époque l'expression était commandée par une cuiller avec deux positions ("ouvert/fermé"). Si elle était d'origine, ce serait l'une des premières expressions "à bascule" de Martin Rinckenbach. La transformation en pédale à bascule et positions "continues", si elle a eu lieu, date du tout début du 20ème.
La plaque d'adresse est spécifique, et diffère de ses contemporaines à la fois par le texte et le graphisme. Placée à l'endroit habituel (en haut au centre de la console), elle est constituée de lettres en laiton incrustées dans un rectangle de bois coloré en foncé. Le texte est encadré :
Cette plaque est une évolution, avec une fonte de caractères plus "droite" de celle de Geispolsheim.
Il y a également deux supports en laiton (pour des bougeoirs ?), au-dessus et à chaque extrémité du second clavier. Il est difficile de savoir s'ils sont d'origine.
Mécanique à équerres.
Les sommiers, à gravures, sont chromatiques. Celui des manuels est à l'avant, basses à droite ; les jeux du récit sont à l'arrière. Celui de pédale est au fond, les basses également à droite. Toute la tuyauterie sonore est placée dans une boîte expressive (avec des jalousies pratiquement invisibles, dont on ne peut voir que la partie supérieure, sur deux côtés). Les tuyaux de façade sont muets, et il n'y a donc pas de postage vers la façade.
Cet instrument, authentique, très bien conservé et plein de spécificités, est très attachant. Il fait plus penser (par son architecture et sa décoration) à un orgue de salon qu'à un "grand orgue de tribune". Sa situation dans l'édifice, également, indique qu'il était plus destiné à des auditions ou à participer à des formations musicales qu'à l'accompagnement "soliste" des chants. En tous cas, l'ensemble ne manque pas de charme, en bonne partie dû à l'ambiance et à la qualité de l'harmonisation.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Mme Thomann, Laure Lotzer, et Alexis Platz.
L'Orgue Rinckenbach (1889) du Pensionnat de l'Institution Sainte-Marie de Ribeauvillé. Documents, et photos de 2015.
Photos du 05/06/2019
"Rappoltsweiler (Pensionat) 10"
Le texte de la plaque d'adresse ne correspond pas (il est en français, pas en allemand, et ne mentionne pas "Oberelsass" ; les tuyaux de façade ne sont pas d'origine.
Localisation :