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Les orgues de la région de Benfeld
Friesenheim, St-Nicolas
Friesenheim, l'orgue Max Roethinger.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 04/11/2017.Friesenheim, l'orgue Max Roethinger.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 04/11/2017.

En entendant "Friesenheim", on pense souvent à Neunkirch. Mais l'église paroissiale St-Nicolas, de 1871, en partie rebâtie après les dégâts de 1944, ne manque pas d'intérêt culturel. Les vitraux sont de René Kuder, et l'ornementation a été réalisée - pour partie - par le curé F.X. Haeussler (autels latéraux, Christ et statuettes, 1861 - 1873). Les deux superbes anges ornant le maître autel paraissent toutefois provenir de la maison Klem. L'orgue est situé en tribune, sous un vitrail rond figurant Sainte Cécile et deux angelots. L'instrument, dépourvu de buffet, est de style néo-classique. Il a été construit par Max Roethinger en 1955. Mais la tradition organistique du lieu est bien plus ancienne.

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Historique

En 1803, Friesenheim reçut, pour son église construite en 1737, le "cinquième positif" d'André Silbermann ("Keck le brasseur"), 1718, que Gottfried et Heinrich Silbermann avaient placé à l'église paroissiale d'Ebersmunster, Ancienne église paroissiale en 1759 (après son relevage par Jean-André). [IHOA] [PMSAS1978]

Michael Keck était un proche d'André Silbermann ; il tenait l'ancienne brasserie "Au Cerf d'Or", qui était située dans l'actuelle rue du Faubourg national à Strasbourg. Très abîmé par les rats en 1757, l'instrument fut racheté et relevé par Jean-André Silbermann, avant d'être installé à deux pas de là, au couvent Ste-Barbe (également situé rue du Faubourg national). Il a été déménagé à Ebersmunster en 1759.

C'est un dénommé Jean Thiébaut Hurstel qui a acquis l'instrument à Ebersmunster pendant la Révolution (1799) et l'a revendu à Friesenheim. [IHOA]

Cet épisode nous rappelle que l'Alsace a été, au début du 19ème, le théâtre d'un épouvantable trafic d'orgues, la plupart ayant été livrés à des spéculateurs ayant profité des spoliations opérées par les Révolutionnaires au détriment des congrégations religieuses. Démontés à la va-vite, mal entreposés, mal transportés, négociés par des incompétents animés par le seul appât du gain, puis finalement installés dans une paroisse où ils étaient totalement inadaptés, l'immense majorité de ces instruments devint vite irrécupérable.

A Friesenheim, le petit instrument fut entretenu, puisqu'on a gardé trace d'une réparation, en 1807, par un certain François-Joseph Fischer, qui était instituteur à Osthouse. [IHOA] [PMSSTIEHR]

On connaît même le nom de l'organiste en 1825 : Sébastien Kuntz. L'église fut reconstruite en 1872, et le positif devint évidemment insuffisant pour remplir la nouvelle nef. On se mit à la recherche d'un orgue d'occasion. [IHOA]

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L'orgue de facteur inconnu (1882)
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Historique

En 1882, la maison Stiehr plaça ici l'orgue d'Orschwihr, St-Nicolas, qu'elle avait repris à l'occasion de la construction d'un instrument neuf. [IHOA]

C'était un petit orgue à 1 seul manuel, 3 tourelles et deux plates-faces, qui devait beaucoup ressembler à celui de Munwiller, si bien que beaucoup pensent qu'il avait été construit par François Callinet (le père des frères Joseph et Claude-Ignace). On connaît même la composition de l'instrument en 1881, issue du devis Stiehr :

L'instrument fut détruit, par faits de guerre, en 1944. [IHOA]

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Historique

En 1955, Max et André Roethinger construisirent un instrument néo-classique neuf. [IHOA]

C'est donc la première fois de son histoire que Friesenheim reçut un orgue neuf, spécifiquement adapté à son église. Max Roethinger avait déjà réalisé une composition presque analogue en 1952, avec la Ranquette, lorsqu'il agrandit l'opus 1 de son père, à Oberhaslach. L'instrument adopte la plupart des traits caractéristiques de l'esthétique néo-classique, et il constitue un vrai "cas d'école". Le plus évident étant l'absence de buffet : la façade repose sur un simple soubassement, et la forme est donnée en jouant sur les lignes sommitales des tuyaux. Le second clavier est plutôt un positif expressif qu'un récit. Suivant les principes de l'esthétique néo-classique, il associe une partie romantique (un couple Salicional/Voix céleste), avec un cornet décomposé (Jeu de Tierce), et une anche. Ici, le choix d'un Cromorne (et non d'une anche douce) annonce le néo-classique "radical", qui prépara le chemin vers le néo-baroque. Ce Cromorne est toutefois plutôt rond et s'intègre bien dans le fonds d'orgue. Ceci est confirmé de façon fort explicite par une Cymbale à 3 rangs extrêmement aiguë (2/3').

Cette Cymbale constitue un des "tâtonnements" de l'époque. A un clavier dépourvu de Montre 8' et de Prestant, son effet tonitruant était pourtant prévisible. Mais son intérêt musical est indiscutable, et il y a un répertoire pour cela ; elle fait de plus partie de l'histoire de cet instrument. (Ce qui n'exclut pas une grande prudence, comme avec tous les objets tranchants.)

A la pédale, les trois jeux à bouche sont constitués en complétant la Soubasse de deux octaves dans l'aigu, permettant, en faisant jouer les tuyaux à l'octave supérieure, de faire entendre un Bourdon 8', et, avec un décalage de deux octaves, un 4'. Dans les aigus, les tailles de ces tuyaux sont élargies, afin de sonner plus fort. Ces techniques d'extension sont aussi caractéristiques de l'époque néo-classique. L'astuce n'est perceptible que quand on joue des octaves à la pédale (avec deux jeux tirés, on entend 3 tuyaux au lieu de 4). Et, évidemment, les deux jeux "étendus" ne peuvent pas être harmonisés spécifiquement.

Le grand-orgue est relativement limité en nombre de jeux (c'est une tendance qui s'est affirmée depuis les années 30). Il est limité à l'essentiel de l'époque : deux Principaux (8', 4'), deux Bourdons (16', 8'), la Fourniture et la Trompette. Par rapport à un orgue post-romantique, on constate la disparition des accouplements à l'octave (II/I 4', II/I 16', I/I 4'...), pourtant si riches en possibilités. Mais comme les Mixtures de cette esthétique sont déjà extrêmement aiguës, et qu'il n'y a pas beaucoup de jeux "colorés" à magnifier ainsi, l'intérêt de ces solutions était moindre.

En 2002, l'instrument a bénéficié d'un relevage par Richard Dott. [IHOA]

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2017
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
C f f' f''
1'1/3 2' 2'2/3 4'
1' 1'1/3 2' 2'2/3
2/3' 1' 1'1/3 2'
- - 1' 1'1/3
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
C c c' f' c''
2/3' 1' 2' 2'2/3 4'
1/2' 2/3' 1'1/3 2' 2'2/3
1/3' 1/2' 1' 1'1/3 2'
Pédale, 30 n. (C-f')
Extension de la Soubasse
Extension de la Soubasse
I/P
En fait, tutti
[ITOA] [RLopes] [Visite]
Console:

Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos blancs, disposés en ligne au-dessus du second clavier. Le nom des jeux est sérigraphié sur les dominos (pas de porcelaines). Il y a des dominos pour les 3 accouplements (commande double) et pour le trémolo du récit. Claviers blancs.

Les commandes au pied sont, de gauche à droite, d'abord 5 pédales-cuillers : "Appel Mixtures" (il vaut mieux l'éviter quand la Cymbale est tirée...), "Appel Anches", "Tirasse II", "Tirasse I", "Copula II/I", puis les deux pédales basculantes : "Expression II" et "Crescendo-gen.", et enfin la pédale cuiller appelant le tutti "Grand Jeu". (La maison Roethinger avait depuis longtemps l'habitude d'appeler "Grand Jeu" le tutti.) La position du crescendo est repérée par un indicateur linéaire, placé à droite des dominos, et gradué de 0 à 10. Voltmètre, placé en haut à gauche, gradué jusqu'à 25V, et affichant 17V en marche.

Plaque d'adresse placée en haut à droite (symétriquement au voltmètre), constituée de lettres en laiton incrustées dans le bois, entourées d'un liséré, et d'une porcelaine blanche rectangulaire donnant la date de réalisation :

E.A.Roethinger
Strasbourg
1954
Sommiers:

Les sommiers sont à cônes. Le grand-orgue est logé à gauche, derrière la façade, diatonique en mitre (basses au centre derrière la partie élevée gauche de la façade), et la pédale "fait le tour" (au fond, et revient sur les côtés). Le récit est placé à droite.

Tuyauterie:
De gauche (façade) à droite (accès) : Montre 8', Bourdon 16',
Flûte à cheminée 4', Prestant, Trompette, Mixture.De gauche (façade) à droite (accès) : Montre 8', Bourdon 16',
Flûte à cheminée 4', Prestant, Trompette, Mixture.
En bas à droite, les aigus du grand-orgue.
En haut à droite, le revers de la façade.
En haut à gauche, quelques tuyaux de la Ranquette, et, au centre,
les tuyaux trapus de la Soubasse 16' (poinçonnés ainsi),
mais qui servent en fait à la Basse 8' et la Basse 4'.En bas à droite, les aigus du grand-orgue.
En haut à droite, le revers de la façade.
En haut à gauche, quelques tuyaux de la Ranquette, et, au centre,
les tuyaux trapus de la Soubasse 16' (poinçonnés ainsi),
mais qui servent en fait à la Basse 8' et la Basse 4'.
Au récit aussi, la Mixture (Cymbale) est sur la première chape, devant l'anche (le Cromorne).Au récit aussi, la Mixture (Cymbale) est sur la première chape, devant l'anche (le Cromorne).

On note, une fois de plus, la quantité d'acajou utilisée par la maison Roethinger, qui semble avoir eu accès à des stocks inépuisables de cette essence pourtant "haut-de-gamme". Il sert pour la menuiserie, mais également pour faire des tuyaux, même graves. Ces rangées de tuyaux de basses sont impressionnantes...

Sainte Cécile et les deux angelots.
Il est probable que ce soient ses aides de registration.Sainte Cécile et les deux angelots.
Il est probable que ce soient ses aides de registration.

Il n'existe pas beaucoup de données écrites sur cet orgue, qui, comme ses contemporains, semble ne pas avoir intéressé grand monde. Force est de constater que les instruments construits dans les années 1950 sont un peu vite qualifiés de "dommages de guerre", ce qui est quand même péjoratif. L'inventaire de 1986, fait "service minimum" sur cet instrument, mais réussit à placer, dans la ligne consacrée à la tuyauterie : "Zinc, spotted et étain pauvre". Pour l'organologie, "en quoi c'est fait" compte plus que "comment c'est fait". Or, une fois débarrassé du préjugé, on se demande en quoi le zinc est inférieur à l'étain (qui a d'ailleurs, lui, une sérieuse tendance à s'affaisser). Les qualificatifs "pauvre" ou "tuyauterie industrielle" ont beaucoup nui à notre patrimoine, en laissant croire qu'il fallait remplacer ces réalisations par du neuf "comme il faut" (étain et sommiers à gravures).

Alors, s'il est vrai qu'il existe des instruments des années 1950 qui ne sont pas très enthousiasmants (aucune époque n'a produit que des chef d'œuvres), il est important de ne pas discréditer les orgues construits avec soin, et présentant des qualités remarquables. C'est le cas ici. Evidemment, on ne s'en rend compte que sur place. Il y a déjà le confort de jeu, amené par une console ergonomique, la belle couleur de l'acajou, ainsi que la composition, qui autorise un répertoire considérable. Mais, par dessus tout, c'est un instrument qui sonne très bien, avec un grand intérêt musical. L'orgue de Friesenheim permet de "réhabiliter" l'esthétique néo-classique, aujourd'hui peu valorisée, car méconnue, mais qui ne tardera pas à retrouver sa place dans le cœur des organistes soucieux de diversité culturelle.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670146001P03
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