Historique
C'est en 1793 qu'Ittenheim acquit l'orgue André Silbermann (assisté de son frère Gottfried) de Strasbourg, couvent des Dominicaines Ste-Marguerite. Le petit orgue datait de 1703. [IHOA]
En effet, la Révolution, confisqua les biens des sœurs, faisant de ces spoliations des "bien nationaux".
C'est probablement Jean Nicolas Toussaint qui effectua le déménagement de Strasbourg à Ittenheim de cet petit instrument qui avait déjà 90 ans.
Cela explique ce petit instrument paraisse plus adaptée au culte catholique que luthérien. (Cromorne, composition plus destinée à "commenter" la liturgie qu'à accompagner des chorals.) Comme en de nombreux autres endroits, cet instrument déplacé lors du chaos de la Révolution se révéla inadapté : il n'avait en fait qu'un seul manuel (le second n'étant qu'un dessus de Cornet), il manquait les Do# graves, et la pédale n'avait en fait que 12 notes.
Notons qu'ici, l'instrument n'a pas un côté "classique français" très affirmé. Ce qui est logique, puisque André le réalisa avant son voyage d'étude à Paris.
Même si les hagiographes des Silbermann ont poussé de grands cris, bras au ciel, pour théâtraliser la perte d'un instrument dont ils avaient décidé - forcément - que c'était un chef d'œuvre, il était parfaitement logique de vouloir le remplacer, au début du 20ème siècle. Les organistes, à l'époque très bien formés (souvent dans les écoles normales, par des professeurs de grand talent), ne pouvaient guère se contenter de jouer au jour-le-jour sur des pièces de musée. Et on les comprend. De fait, la partie instrumentale était limitée, malgré la coupure en basse+dessus de trois jeux :
Les frères ont réalisé eux-mêmes l'ensemble de l'instrument. Ils n'ont rien sous-traité, comme c'était courant à Paris à l'époque. (Plus tard, à la fois André et Jean-André feront faire leurs buffets par des sous-traitants.) Gottfried, le frère d'André, se surpassa comme ébéniste en réalisant ce superbe petit buffet !
Historique
En 1906, la maison Gebrüder Link de Giengen-an-der-Brenz posa son opus 443 à Ittenheim. La façade du buffet de 1703 fut conservée. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [PMSLINK]
L'instrument a fait l'objet d'une importante documentation - Silbermann oblige - mais ces savantes études ont un point commun : elles sont toutes passées à côté de l'essentiel, c'est à dire la grande qualité de la partie instrumentale de Link. Car c'est vraiment un très bel orgue, et les somptueux jeux de 1906 s'accordent à la perfection à l'environnement et au joli buffet de Gottfried. Après tout, ces orgues post-romantiques sont issus d'une évolution des instruments du début du 18ème.
L'orgue a été doté d'un ventilateur électrique en 1941 par Edgard Wetzel. [ITOA]
On ne sait pas de quand date la seule - et malheureuse - transformation qui affecta ce bel instrument : deux jeux Muhleisen ont remplacé des jeux d'origine. La Gambe du grand-orgue a été supprimée pour loger une absurde Doublette, et le Violoncelle 8' de pédale par un 4' (du coup, il n'y a plus de 8' à la pédale, ce qui est aberrant, et impose l'utilisation d'une tirasse). [ITOA] [Visite]
Il est certain que le jeu supprimé au grand-orgue était une Gambe. D'abord parce qu'un tel instrument est inconcevable sans Gambe 8' au grand-orgue. Ensuite parce que "Gamba 8' est noté sur une tubulure du tirage des jeux. Puis parce que des tuyaux poinçonnés "Gba." ont été utilisés pour réaliser l'improbable 2'. [Visite]
De même, il est certain que le jeu supprimé à la pédale était un Violoncelle, car "Cello 8" est écrit sur le système de tirage de jeux. [Visite]
Le buffet
Caractéristiques instrumentales
Console accolée frontale, fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par dominos, placés en ligne au-dessus du second clavier. Ils sont munis de porcelaines rondes à fond coloré en fonction du plan sonore : blanc pour le grand-orgue, vert pour le récit, et rose pour la pédale. Claviers blancs, joues moulurées.
Il n'y a que deux commandes à pied : au centre, une pédale-cuiller à accrocher pour l'appel du tutti, et la pédale basculante de l'expression du récit, à droite, repérée par une porcelaine "Schwelltritt".
L'intégralité de la console est d'origine. Le pédalier n'est pas très profond, comme c'est souvent le cas pour les orgues de cette esthétique.
Comme souvent sur les orgues Link, la plaque d'adresse est constituée de plusieurs éléments. Il y a deux plaques rectangulaires noires à lettres dorées, en haut et de part et d'autre de la console. A gauche :
Et à droite :
Une porcelaine blanche rectangulaire, placée au centre au-dessus du second clavier, dit (avec un "O" très enluminé) :
Pneumatique tubulaire, notes et jeux. (Transmission d'excellente qualité, très fiable, agréable à jouer, et précise.)
Sommiers à cônes. Le récit est à gauche, orthogonalement à la façade, le long du mur. La pédale est au centre. Le grand-orgue à droite, le long de la cloison latérale du buffet donnant sur la nef.
Les jeux du grand-orgue, de gauche (passerelle longeant la droite de la pédale) à droite (flanc vers la nef), sont disposés de la façon suivante : le Principal 8', la chose en 2', le Bourdon 8', l'Octave 4' et la Mixture.
Au récit, de gauche (mur de l'édifice) à droite (jalousies, donnant vers les tuyaux de pédale) : le Salicional, la Flûte 8', le Geigenprincipal, et le Gemshorn.
A part les deux jeux altérés, la tuyauterie est homogène de très belle qualité. Les Bourdons métalliques sont à calottes mobiles, munies de feutrine rouge. Entailles de timbre pour les jeux ouverts, sauf les notes les plus aiguës.
C'est vraiment un très bel instrument. Et il est idéalement adapté à son édifice. Il sonne tellement bien qu'on enrage de voir cet absurde 2' qui a pris la place de la Gambe du grand-orgue. Pour trouver les belles couleurs Link, il faut forcément accoupler les claviers pour "amener" le Geigenprincipal. Comment a-t-on peu amputer sa Gambe à un aussi bel orgue ? Il faudrait vraiment la restaurer ! De la même façon, l'absence de Violoncelle de pédale est très gênante (vu qu'il n'y a plus de 8'...), alors que ce 4' est totalement inutile... (ici, on peut pour le coup utiliser une des tirasses.)
Reste que tout ce qui est d'origine est d'une grande beauté, à commencer par l'inimitable Flûte 8' ouverte de Link, ici placée au récit. Un orgue qui mérite vraiment d'être découvert pour ce qu'il est, et pas seulement pour quelques planches sculptées de 1703, qui sont certes bien faites, mais ne doivent pas faire oublier l'incomparable musicalité de l'ensemble.
Sources et bibliographie :
Remerciements au pasteur Benjamin Buschholz.
Photos de 2007.
im67010755
Localisation :