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~ Les orgues de la région de Strasbourg ~

Strasbourg, St Nicolas
André et Gottfried SILBERMANN, 1707

Partie instrumentale classée Monument Historique le 09/04/1976
Buffet inscrit à l'Inventaire Supplémentaire le 29/09/1976
Orgue démonté et dispersé.


SILBERMANN Après...

Composition, 1967
Grand-Orgue
56 notes
Positif intérieur
56 notes
Récit expressif
56 notes
Pédale
30 notes
Bourdon 16' Bourdon 8' Quintaton 16' Contrebasse 16'
Montre 8' Prestant 4' Bourdon 8' Soubasse 16'
Bourdon 8' Flûte 4' Flûte harmonique 8' Octavebasse 8'
Flûte majeure 8' Nasard 2'2/3 Dulciane 8' Choralbass 4'
Gemshorn 8' Doublette 2' Voix céleste 8' Tuba 16'
Prestant 4' Tierce 1'3/5 Prestant 4' Trompette 8'
Flûte harmonique 4' Larigot 1'1/3 Flûte 4' Clairon 4'
Quinte 2'2/3 Cymbale 3 rgs Quinte 2'2/3 I/P
Doublette 2' Cromorne 8' Flûte 2' II/P
Cornet 5 rgs III/II Fourniture 4 rgs III/P
Plein-jeu 3-4 rgs   Trompette 8'  
II/I   Basson/Hautbois 8'  
III/I (16', 8', 4')      

     En 1703, les frères André et Gottfried SILBERMANN avaient construit avec succès un orgue pour le couvent des Dominicaines (Ste-Marguerite) de Strasbourg : il en reste quelques éléments à Ittenheim. Ils conclurent alors un accord : André allait faire un voyage d'étude et de spécialisation chez François THIERRY à Paris (24/04/1704 - 03/05/1706), pendant que Gottfried tiendrait l'atelier strasbourgeois. Au retour d'André, celui-ci devait transmettre les connaissances acquises à son frère, qui s'engageait à retourner en Saxe après cela.

Ils conduisirent exactement comme prévu le début de leurs carrières, qui allaient toutes deux compter parmi les plus brillantes de l'Orgue du 18 ème siècle.

En 1707, les frères Silbermann construisirent le premier orgue qui soit réellement inscrit dans la "tradition" Silbermann, c'est-à-dire au confluent de l'influence germanique du 17 ème et du style français. C'est tout naturellement pour leur paroisse, St-Nicolas, qu'ils réalisèrent cet instrument novateur.

L'histoire de cet instrument, aujourd'hui malheureusement démonté et dispersé, permet d'évoquer un grand nombre des acteurs majeurs de l'Orgue alsacien. C'est une sorte de "visite guidée", où l'on retrouve toutes les étapes de la pensée organistique, avec ses heures brillantes, ses recherches, et ses errements.

Das Corpus wurde von der alten Orgel gebracht, jedoch wurde dasselbe auf jeder Seite um 3 Schue schmähler gemacht, und wider alles sauber gefast und vergoldet.
Mein H Vetter Gottfried Silbermann war noch bey meinem Vatter.
Sie wurden mit dieser Arbeit fertig anno 1707.

Jean-André Silbermann, fils d'André, parlant de l'orgue de St-Nicolas.

     Le premier orgue de St-Nicolas est arrivé en 1595 : il venait du Temple-Neuf, dont c'était jusque là l'orgue de choeur. C'est Hans KLEIN qui fit le travail, sous la houlette de Bernhard SCHMID. L'instrument avait un Positif de dos, et il fut entretenu par Johann Jacob BALDNER jusqu'en 1655.

De 1668 à 1670, Baldner et son gendre Heinrich Hochwald RICHERT construisirent un orgue neuf.

     En 1702, l'entretien échut à André Silbermann, qui commença par réparer la Soufflerie.

L'orgue Silbermann.

     En 1707, donc après son voyage à Paris, André et son frère construisirent un orgue neuf, dans le Buffet de Baldner (dont il fallut toutefois modifier les dimensions de 3 pieds de chaque côté). C'était un orgue de 18 Jeux :

Composition, 1707
Grand-Orgue Positif Pédale
Montre 8' Bourdon 8' Flûte 16'
Bourdon 8' Prestant 4' Octavebasse 8'
Viole de gambe 8' Nasard 2'2/3  
Prestant 4' Doublette 2'  
Quinte 2'2/3 Tierce 1'3/5  
Doublette 2' Fourniture 3 rgs  
Tierce 1'3/5    
Cornet 5 rgs    
Fourniture 4 rgs    
Cymbale 3 rgs    
Il y avait donc une Gambe "baroque", une Pédale indépendante fondée sur un 16 pieds ouvert (Jean-André parle d'une Soubasse ouverte), et... pas le moindre Jeu d'Anche. Pas même une Trompette de Pédale ou un Cromorne pour le Positif.

En 1719, "auf Ansuchen Herrn D Thenen des Organisten und Herrn Silbermanns Gutbefinden", on se livra à la légère transformation suivante :

Composition, 1719
Grand-Orgue Positif Pédale
Bourdon 16' Bourdon 8' Flûte 16'
Montre 8' Prestant 4' Octavebasse 8'
Bourdon 8' Nasard 2'2/3  
Prestant 4' Doublette 2'  
Quinte 2'2/3 Tierce 1'3/5  
Doublette 2' Fourniture 3 rgs  
Tierce 1'3/5    
Cornet 5 rgs    
Fourniture 4 rgs    
Cymbale 3 rgs    
A la demande de l'organiste et avec l'accord des frères Silbermann, c'est bien vers le "goût français" que l'on s'oriente. Voilà l'orgue fondé sur un Bourdon 16' manuel, sans Gambe (cette dernière pouvant être considérée comme un atavisme germanique...)

La famille Silbermann (sans Gottfried, bien sûr, parti pour la Saxe en 1709) continua à entretenir cet orgue jusqu'en 1784.

La période dite "de transition".

     Après la Révolution, il n'y avait plus de Maison Silbermann. L'entretien des orgues de la famille fut assuré selon les endroits par Conrad SAUER, George WEGMANN, puis Martin WETZEL. Mais ici, c'est à Louis GEIB que l'on demanda deux Buffets neufs, en 1814 (rappelons que cet orgue n'a jamais eu de Buffet "Silbermann"). On ne sait pas bien si le Buffet "actuel" (il est démonté) est bien celui de Geib. Si oui, ce serait le plus ancien "Buffet-caisse" d'Alsace, avec pratiquement 15 ans d'avance.

En 1820, Jean Conrad Sauer, successeur "naturel" de Josias Silbermann, puisque son père Conrad avait été contremaître de la Maison, se livra à une reconstruction de la partie instrumentale. Il changea les Sommiers, mais conserva une grande partie de la tuyauterie de 1707.

En 1833, l'entretien était toujours à la charge des Sauer, la Maison étant alors tenue par Théodore. Mais le travail fut réalisé par George Wegmann, l'un des deux organiers qui se réclameraient plus tard "héritier" de la tradition Silbermann. Wegmann accéda à l'entretien du grand orgue de la Cathédrale de Strasbourg, construisit quelques orgues neufs, mais sa carrière fut plutôt brève.

Aussi, en 1850, c'est Martin Wetzel, l'autre détenteur de la tradition Silbermann (car ancien élève de Jean Conrad Sauer) qui fit des travaux à St-Nicolas, ce qui légitima sa position de "successeur", qu'il revandiqua d'ailleurs ouvertement.

La période Romantique et Post-romantique.

     L'ère des Silbermann et de leurs "héritiers", avec l'orgue alsacien dit "de transition" prit réellement fin dans les années 1870, lorsque la province devint allemande. On vit alors en Alsace deux types de facture :

  • l'une, "Romantique française", s'inspirant d'Aristide CAVAILLE-COLL, trouva en Alsace son apogée avec les instruments de Martin RINCKENBACH. L'Alsace commanda aussi plusieurs orgues à Joseph MERKLIN.
    Cette influence fut toutefois fort réduite à Strasbourg, où plusieurs types de raisons firent privilégier :
  • une esthétique "Romantique allemande", évidemment inspirée par les orgues d'Eberhardt Friedrich WALCKER.
Tout comme à la Cathédrale, ce fut Heinrich KOULEN qui fut retenu pour effectuer les transformations demandées par les évolutions esthétiques. Un choix logique, car Koulen représentait sur le plan artistique un bon compromis (il avait travaillé avec Joseph Merklin). Mais sur le plan technique, Koulen était probablement trop friand de nouveautés. Ses belles machines restèrent éphémères, alors que les dégâts infligés aux instruments modifiés subsitaient.

Heinrich Koulen reconstruisit l'orgue de St-Nicolas en 1884 : 33 Jeux sur 3 Manuels et Pédale. Il eut plutôt la "main légère", par rapport à ce qu'il commit à la Cathédrale. Mais évidemment, c'était un orgue à transmission mécanique, système qui allait devenir une "tare injustifiable" au cours des années suivantes.

L'émergence du Néo-classique.
Albert SCHWEITZER.

     C'est la Maison DALSTEIN-HARPFER, de Boulay (57) qui effectua la pneumatisation, en 1906. Nous sommes au coeur de l'ère Schweitzer et de la Réforme Alsacienne de l'Orgue. Albert Schweitzer avait été vicaire à St-Nicolas, et il était parvenu à une synthèse extrêmement lucide des données artistiques et techniques gravitant - parfois un peu vite - autour de l'Orgue de cette époque. Ce furent des années fécondes :

  • procédant de la convergence des deux esthétiques "romantiques" (Cavaillé-Coll et Walcker),
  • réagissant contre certaines outrances, à commencer par les "systèmes" techniques fragiles, ou les Jeux tonitruants comme ceux, à "Haute pression" ("Hochdruck") de St-Paul,
  • et replaçant l'organiste et l'interprétation au centre des préoccupations techniques du facteur.

Schweitzer, en réel humaniste, n'était ni obnubilé par la facture, ni par l'exécution. Il faisait des recommandations sur l'ergonomie des Consoles, mais cherchait aussi à comprendre pourquoi l'Orgue avait perdu des qualités que l'on trouvait dans certains orgues historiques (Marmoutier). L'époque Néo-classique fut, dans l'Est de la France, très spécifique, et cette spécificité explique les quelques "petits bijoux" (Uffholtz) construits dans les années 1930 ; une période qui, ailleurs, est généralement désignée - évidemment à tort - comme l'époque noire de la facture d'orgues.

     En 1917, les tuyaux de façade de pratiquement tous les orgues alsaciens et mosellans ont été réquisitionnés par les autorités allemandes. Ici, ils furent remplacés en 1929 par Frédéric Haerpfer (en étain).
Puis ce fut évidemment la transmission pneumatique qui se mit à vieillir. Ernest MUHLEISEN fit quelques travaux en 1948 et procéda à une électrification de la traction, avec agrandissement, en 1961. Malheureusement, à l'occasion de la pose d'une Console électrique, la Console "Schweitzer" de 1906 fut perdue.

Les années "Néo-baroque".

     L'orgue de St-Nicolas était alors dans un état fort comparable à beaucoup d'autres instruments historiques "citadins" : victime des modes, des tentatives d'amélioration, et des fausses-bonnes-idées, c'était devenu une grosse machine vaguement Néo-classique, recelant tout de même beaucoup de Jeux Silbermann, dont les plus vieux du monde...
L'heure du Néo-baroque sonna. On redemanda des tractions mécaniques, des plans sonores très marqués et des Mixtures aiguës. A St-Nicolas, c'est à Philippe HARTMANN que l'on confia cette transformation. L'orgue fut démonté en 1967, mais suite à de nombreux problèmes, le projet capota.
Le vieil orgue Silbermann / Geib / Sauer / Wetzel / Koulen / Dalstein-Haerpfer / Muhleisen, démonté, fut livré aux convoitises, au vandalisme, puis au désintérêt.
Lorsqu'en 1972, tout espoir de remonter l'orgue Silbermann fut perdu, Philippe Hartmann fournit un petit Positif qui servit d'instrument d'appoint. Mais, évidemment, les guitares faisaient déjà l'affaire.

     Dans l'instrument démonté, se trouvaient aussi des éléments provenant des deux acteurs majeurs de l'Orgue alsacien qui n'ont pas participé directement à cette incroyable histoire d'orgue :

  • Les Sommiers de Pédale sont de STIEHR, tout comme deux jeux de Pédale (la Soubasse et la Flûte 8'), un Jeu du Positif (la Flûte 4'), deux du Récit (la Flûte harmonique et la Trompette) et une partie du Plein-jeu du Grand-orgue.
  • ...et le Basson/Hautbois était de CALLINET. On ne peut bien sûr parler autant de l'Orgue alsacien sans que la Maison de Rouffach ne soit citée. En plus de ce Jeu, figuraient dans le lot "Silbermann" rendu par Philippe Hartmann, certains tuyaux de l'orgue (Claude-Ignace ?) Callinet de Saint-Claude, et même de l'orgue Stiehr de... Constantine. Voilà qui rajoute un peu de soleil au tableau !

Outre les quatre Sommiers Manuels (sauf bien sûr le Récit), étaient de Sauer :

  • La partie intérieure de la Montre, le Prestant et une partie du Plein-jeu du Grand-orgue,
  • le Bourdon du Positif.

Quant aux tuyaux Silbermann, c'étaient :

  • Le grand Bourdon manuel de 16 pieds de 1719,
  • le Bourdon 8' et le grand Cornet du Grand-orgue. Ces éléments ont certainement été intégrés à l'orgue de Neuf-Brisach. (Notons que là-bas, au moins, ils servent...)
  • Le Bourdon (de Positif ?) et une partie du Plein-jeu, qui avaient été placés au Récit.
  • Dans le Positif intérieur de trouvait un Prestant contenant des tuyaux... Jean-André Silbermann de St-Thomas.

La fin.

     Puis, même les guitares se turent. C'est vrai que la guitare à l'église, c'est facile, rythmique, amusant... mais évidemment un peu lassant, à la longue, comme tout ce qui est facile, rythmique, amusant...
Depuis, l'église St-Nicolas, qui ne correspond plus à aucune paroisse, n'est plus utilisée qu'occasionnellement.

     Les pièces du grand Buffet, probablement de Louis Geib (1814), ainsi que bon nombre de tuyaux en bois, sont conservés sur la tribune (dont l'accès est d'ailleurs interdit). Le Buffet de Positif fut perdu en 1850 ou en 1906.

La Console Dalstein-Haerpfer, précieux témoin des réflexions et recommandations de Schweitzer, fut perdue en 1961.

La tuyauterie métallique, pourtant Classée et recelant les plus anciens tuyaux Silbermann du monde, trouva (logiquement, quoi qu'on en dise...) refuge dans d'autres instruments.

     La vieille silhouette de St-Nicolas, avec son clocher très typé, est pourtant familière aux strasbourgeois. Mais il est vrai que dans le monde d'aujourd'hui, n'ont de valeur que les choses qui servent.
Si l'on ne retrouve pas une destination à l'édifice et à son orgue, tout espoir de reconstituer un jour cet instrument de musique chargé de magie ressemble fort à une cause perdue.

Comme toutes les histoires tristes, celle-ci peut quand même nous donner à réfléchir. En particulier à ce qui se passera si le public ne se met pas à réagir contre les médias "institutionnels" tout-puissants, qui lui expliquent à longueur de journée ce qui est "bien" et "digne d'intérêt", et ne laissent de place ni à l'alternatif, ni au difficile. Le Patrimoine n'intéresse pas beaucoup les acteurs économiques et financiers qui ont volé les clés de notre monde ; malheureusement, il suffit de l'oublier, une seule fois, pour qu'il soit perdu à jamais.

Il reste à espérer que les tuyaux dispersés qui gisent dans la poussière conduisent les moins endormis d'entre nous à prendre la parole pour refuser un monde synthétique et facile, "imitant à la perfection" un monde idéal, mais destiné uniquement à la satisfaction de besoins artificiellement créés afin d'écouler des sur-productions.
Quelque part, le désoeuvrement de ces pièces façonnées avec passion par des ouvriers oubliés ressemble à celui des innombrables victimes du chômage structurel généré par notre société sans âme et sans souffle. On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a peut-être une solution commune...

Pour finir, et pour ceux qui aiment l'Histoire, la Musique, l'Humain, les merveilles techniques (donc les orgues !) et qui ne le connaîtraient pas encore, nous ne pouvons que recommander chaudement un auteur tel que Bernard Stiegler.

Sources :

  • J.H. LOBSTEIN, "Geschichte der Musik im Elsass", Strasbourg, 1840
  • Archives Silbermann

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Dernière mise à jour : 22/12/2011 20:10:56

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