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Les orgues de la région d'Erstein
Obenheim, église protestante
1999 degr > Dégâts
Obenheim, l'orgue des frères Link.
Toutes les photos de la page sont de Jonathan Brun, 26/10/2023.Obenheim, l'orgue des frères Link.
Toutes les photos de la page sont de Jonathan Brun, 26/10/2023.

Il s'agit du deuxième orgue posé en Alsace par la maison Gebrüder Link, de Giengen-an-der-Brenz. Contemporain de son édifice, et faisant "un tout" avec lui, il est un précieux témoin culturel et musical des dernières années du 19ème siècle. Une époque à la fois très riche, et toujours injustement méconnue. Malgré une regrettable modification commise en 1951 - à l'évidence le fruit de l'ignorance - il garde un potentiel remarquable. Il illustre la démarche artistique qui motiva et accompagna l'arrivée des Link en Alsace. Une restauration en son état de 1897 devrait aujourd'hui être une des priorités de l'orgue alsacien.

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Historique

L'église protestante d'Obenheim a été inaugurée le 20/11/1897, en même temps que son orgue, construit par la maison Gebrüder Link. Il s'agit de leur opus 276, qui présente la particularité d'être (visuellement) séparé en deux corps. L'avancée de la tour, située derrière l'orgue est munie d'une grande baie en arc (aujourd'hui occultée), que cette disposition permettait de dégager. [IHOA] [PMSLINK]

Avec 14 jeux (7+5+2) sur deux claviers et pédale, c'est un instrument de taille moyenne, dont les possibilités de registration et la dynamique sonore sont magnifiées par la transmission pneumatique et les accouplements, en particulier celui à l'octave. L'esthétique sonore est résolument "Spätromantik" (post-romantique d'Allemagne du sud, en parfaite harmonie avec le buffet, et tout l'édifice qui leur est contemporain). L'instrument donna totale satisfaction, comme le confirme le conseil presbytéral du 17/11/1899 : "Neue Orgel ist ein Meisterwerk" ("Le nouvel orgue est un chef d'œuvre"), qui note aussi qu'un contrat d'entretien a été passé avec la maison Link. [PMSLINK]

La composition d'origine n'a semble-t-il jamais été publiée. (Ce fait est d'ailleurs significatif.) A coup sûr, il y avait une Gambe au grand-orgue (sur la chape actuellement occupée par un 2'), la Flûte ouverte était en 8', et il y avait une Voix céleste au récit. (On le sait car certains tuyaux de ces jeux sont toujours dans l'instrument, mélangés au reste.) Le grand-orgue était fort probablement muni d'une Mixture 2'2/3 à 3 rangs, fort différente de la Fourniture actuelle, et son Bourdon devait être en 16' (il a donc, lui-aussi, été "décalé"). Pour le récit (doté de 5 ou 6 jeux à l'origine), 4 jeux sont sûrs : Bourdon 8', Salicional 8', Voix céleste 8' et Gemshorn 4'. Les autres pouvaient être une Flûte traverse 4' (s'il y avait 6 jeux) et un Geigenprincipal 8', comme à Durrenentzen.

L'orgue d'Obenheim raconte une histoire et explique notre passé : il contribue à répondre a des questions simples mais fondamentales, comme "Pourquoi, à la fin du 19ème siècle, tant de communautés alsaciennes ont-elles décidé d'acquérir un orgue d'Outre-Rhin ?". La réponse candide "Parce que l'Alsace était allemande" est bien sûr un peu juste. L'hypothèse de pressions politiques n'est plus du tout crédible (et resterait de toutes façons à étayer). L'impact des "droits de douane" a été exagéré, et, de toutes façons, ne s'appliquaient pas face aux maisons alsaciennes "historiques" encore actives à l'époque. Les premiers éléments de réponse peuvent se trouver à Husseren-Wesserling, en 1857, alors que l'Alsace étaient encore tout à fait française. D'autres, encore plus édifiants, viennent de Barembach (1902), qui choisit la maison Link pour remplacer un orgue Stiehr qui n'avait pas 20 ans, ce qui prouve factuellement qu'il ne donnait pas satisfaction. Le renouveau culturel et musical observé à l'articulation des deux siècles est fort probablement dû à un accroissement considérable de la compétence des organistes, sous l'influence des écoles normales dotées d'enseignants de très haut niveau.

L'orgue fut très apprécié : le 16/10/1898, après un an d'usage, le président du consistoire W. Schade et l'organiste J. Kest adressèrent les félicitations suivantes à la maison Link :

"Orgel in der protestantischen Kirche zu Obenheim (Elsass). Opus 276."
"Die im Sommer 1897 von ihnen in der evang. Kirche hieselbst erstellte neue Orgel hat sich, trotz des ungünstigen Verhältnisse, die währen der Aufstellung obwalteten, sehr gut gehalten, was nur dem erstklassigen Material, das Sie dafür verwendet, und der gediegenen Arbeit zuzuschreiben ist. - Die Vertragsposten sind durchweg glänzend ausgeführt. Was dir Feinheit und Charakteristik der einzelnen Register anbelangt, so dürfte das Werk unter den in weiter Umgegend sich vorfindenden Orgeln vergeblich seinen Gleichen suchen? Dazu ist das Spiel der einzelnen wie combinierten Register ein derartig präzises und ruhiges, wie dies nur bei einem Meisterwerke möglich sein kann. Noch jeder Spieler unserer Orgel hat nur eine Stimme des Lobes, kurz: das Werk lobt den Meister."
"Wir sind stolz darauf, ein so ausgezeichnetes, der Kirche zur Zierde gereichendes Werk zu mässigem Preise zu besitzen und können den Gebrüdern Link nur aufrichtigen Dank, uns so ausgezeichnet bedient zu haben, spenden."
"Obenheim, den 16. Oktober 1898"
"Der Pfarrer: W. Schade, Consistorial - Präsident."
"J. Kest, Hauptlehrer und Organist."
[LinkGutachten]

En 1951, l'orgue a malheureusement été gravement altéré. Les travaux ont été effectués par Ernest Muhleisen et ont consisté à "baroquiser" ce malheureux instrument en l'affublant de cinq jeux complètement étrangers à son esthétique, mais aussi à mélanger une bonne partie de la tuyauterie restante, probablement pour en modifier les tailles. Opération qui se solda par la perte de 4 jeux romantiques d'origine au moins. Mais aussi celle de sa nature profonde : il n'y a pas d'anches (c'est normal, et d'origine), car ce sont les Gambes en 8 pieds qui sont chargées de produire les harmoniques. La version de 1951 est extrêmement "principalisante", et donc totalement déséquilibrée. Une chape semble avoir été ajoutée, à l'avant et hors de la boîte expressive du récit, passant ce plan sonore à 6 jeux, mais, si ajout il y eut, comme tous les tirants sont d'origine, c'est qu'il y avait un tirant de libre ou destiné à une fonction supprimée. Il n'est bien sûr pas exclu que le récit ait été doté de 6 jeux dès l'origine. Notons qu'en 1965, l'orgue avait exactement la composition actuelle. [ITOA] [PMSLINK]

L'ampleur de cette altération est consternante. Par sa portée (5 jeux perdus et au moins 2 altérés), mais surtout parce qu'elle a ciblé les éléments les plus précieux et significatifs de l'instrument. D'après l'inventaire technique des orgues d'Alsace (1986), "la tuyauterie est très hétéroclite, des jeux Muhleisen contenant des tuyaux Link et des principaux de Link contenant des tuyaux recoupés de la Gambe ou de la Voix Céleste". [ITOA]

Rappelons que ce ne sont pas les facteurs qui sont à blâmer pour ces errements. Et on sait qu'Obenheim ne fait pas exception : ces déprédations d'orgues romantiques ont été commises en de très nombreux endroits au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. Il était "de bon ton" d'oblitérer le passé culturel alsacien d'origine allemande, pour le remplacer par du "classique parisien" (ou plutôt, de l'image que s'en faisaient les "experts" de de l'époque).

Les porcelaines montrent bien les stigmates de la mutilation de 1951.
On distingue nettement les magnifiques porcelaines de Link, avec leur calligraphie toute en volutes,
et les laides pastilles jaunes de 1951 des jeux "baroco-parisiens".
Avec leur police "sans-serif", on pourrait les croire choisies exprès pour jurer au maximum.
Comment peut-on faire ça à un aussi bel orgue ?Les porcelaines montrent bien les stigmates de la mutilation de 1951.
On distingue nettement les magnifiques porcelaines de Link, avec leur calligraphie toute en volutes,
et les laides pastilles jaunes de 1951 des jeux "baroco-parisiens".
Avec leur police "sans-serif", on pourrait les croire choisies exprès pour jurer au maximum.
Comment peut-on faire ça à un aussi bel orgue ?

Notons que c'est toutefois moins grave que ce qui s'est passé à Hochfelden, où là, c'est le supplice de la "mécanisation" qu'a subi le premier orgue Link posé en Alsace. Reste que, avec les jeux manquants et cet effarant mélange de tuyaux, l'état actuel de l'instrument d'Obenheim, n'a plus grand chose à voir avec son esthétique d'origine. Il ne permet plus d'aborder son répertoire de prédilection.

Comme beaucoup d'autres, instrument a été endommagé par la tempête de 1999. [RDott]

En 2001, l'orgue a été réparé par Richard Dott. [RDott]

Le buffet

Le buffet, en chêne, fait presque 6 mètre de large. De style néo-roman, il est constitué de deux corps reliés par une frise centrale surmontée d'une grande croix. Chaque corps présente une tourelle et deux plates-faces latérales. Trois pilastres en constituent les couronnements, avec des créneaux aux plates-faces et des crochets au tympan surmontant la tourelle.

Cette disposition a probablement été adoptée pour dégager la baie ronde du fond, mais celle-ci est aujourd'hui occultée.

Caractéristiques instrumentales

Console:
La magnifique console Link de 1897.
Intacte et entièrement d'origine, à part 4 horribles porcelaines.La magnifique console Link de 1897.
Intacte et entièrement d'origine, à part 4 horribles porcelaines.

Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers, munis d'un point blanc central. Ils sont repérés par de très belles porcelaines placées sur un grand chanfrein. Elles sont rondes à liséré doré, et font apparaître le nom des jeux en lettres gothiques, dont les capitales sont enluminées. Les porcelaines du grand-orgue sont blanches, celles du récit ont un fond jaune pastel, et celles de la pédale un fond rose pastel. Selon une habitude de la maison Link, le nom des jeux est préfixé par le plan sonore (e.g. "II.M. Gemshorn 4'"). Claviers blancs. Joues moulurées.

Commande des combinaisons fixes par 5 pistons munis d'une pastille frontale blanche, situés en haut et au centre de la console, au-dessus du second clavier. Ils sont repérés par des porcelaines à périmètre doré. A leur droite, l'annulateur "Auslösung". Evidemment, suite à la modification de composition, ces combinaisons ont perdu toute cohérence et ne servent plus à rien.

Comme souvent chez les Link, la plaque d'adresse est en plusieurs éléments. Les deux principales sont noires à lettres métalliques. Elles sont placés au-dessus du second clavier, à gauche et à droite des pistons de combinaison, et disent respectivement :

GEBRÜDER LINK
ORGELBAUMEISTER

Et :

GIENGEN A.D. BRENZ.
WÜRBEMBERG

Comme à la console de l'orgue de l'église protestante du Hohwald - qui a une disposition très voisine -, il y a aussi une plaque donnant l'année de construction. C'est une porcelaine rectangulaire blanche, placée entre les claviers, face aux e', et disant :

Opus 276.
Les plaques d'adresse Link à Obenheim.Les plaques d'adresse Link à Obenheim.
Transmission:

Pneumatique tubulaire.

Sommiers:

Sommiers à cônes. (Kegelladen)

L'espace derrière la façade n'est pas cloisonné. La boîte expressive est à gauche, et le grand orgue (chromatique) est à sa droite, les aigus étant à gauche, dans l'espace central entre les deux corps de façade. Il y a un jeu devant la boîte expressive.

Tuyauterie:
La tuyauterie du grand-orgue.La tuyauterie du grand-orgue.

C'est un instrument potentiellement exceptionnel, malheureusement handicapé par les modifications de 1951. Quand on a entendu les merveilleuses Flûtes 8' de Link, savoir que celle-ci a été décalée en 4' est un vrai crève-cœur. Tout comme l'absence de Voix céleste au récit : ce jeu plutôt "romantique français" était l'hommage de la très francophile maison Link à cette facture. Le remplacement de la Gambe du grand-orgue par une criarde Doublette est aussi extrêmement préjudiciable.

Sites La maison Gebrüder Link

Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.

On retrouvera sur la page qui leur est dédiée les opus alsaciens de la maison Gebrüder Link de Giengen-an-der-Brenz.

Malgré la durée relativement courte de son activité à l'ouest du Rhin (1897 et 1916) elle a eu une importance fondamentale dans l'évolution de l'orgue alsacien, et la définition de son style spécifique. On lui doit plusieurs des instruments les plus attachants de la région.

De cette aventure artistique unique, on retient le côté très "francophile" de la maison de Giengen. (Les faits sont bien éloignés des clichés et des amalgames mûris dans la seconde moitié du 2àème siècle.) Comme pour la maison Eberhard Friedrich Walcker, les orgues "d'export" (on peut utiliser le mot, même si l'Alsace était alors un marché "intérieur") sont très spécifiques. Chacun a donné lieu à une réflexion, un mûrissement, intégrant les traditions et les usages locaux. Les orgues Link d'Alsace sont avant tout des orgues alsaciens. La restauration de ceux qui ont été transformés en dépit de tout bon sens devait être une priorité. Il faudrait qu'elles soient aidées et facilitées. Sinon, à quoi sert au juste la "gestion" du patrimoine ?

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670338003P01
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