L'édifice date de 1877. L'ancienne église "mixte" (qui a abrité un orgue dans les années 1840) fut alors consacrée au culte protestant, puis démolie en 1881 pour être remplacée par l'actuelle chapelle protestante. Dans l'église catholique se trouve l'opus 17 de Martin Rinckenbach, qui est contemporain de son chef d'œuvre de Thann.
Historique
En 1888, Martin Rinckenbach construisit pour Wolfgantzen son 17ème orgue. [LR1907] [IHOA]
C'était une période d'intense activité pour la maison d'Ammerschwihr : en 1887 avait été achevé le grand instrument de Mulhouse, St-Joseph (III/P 37j à l'origine) et en 1888, l'orgue de Wolfgantzen a dû partager les ateliers avec celui de Thann (III/P 42j). Et le suivant, toujours en 1888, est une autre "figure" de l'orgue alsacien, puisque c'est celui de Geispolsheim (III/P 34j).
L'instrument fut reçu le 26/12/1888 (le lendemain de Noël) par Henri Wiltberger et Hamm (tous deux de Colmar). [IHOA]
Il s'agit peut-être de Leonhard Albert Hamm, le père d'Adolphe Hamm (1882-1938) (donc un peu jeune, à l'époque, pour expertiser un orgue), qui fut élève d'Ernst Münch et de Karl Straube avant de devenir en 1906 organiste à la cathédrale de Bâle.
L'orgue est tantôt noté à 12 registres (liste Wiltberger, où il a 2 claviers), ou 13 (Barth), mais a bien été construit avec 14 jeux, sur un seul manuel et pédale. La liste de Lapresté de 1938 est juste (14 jeux), mais comme le "dépliant Lapresté" donne aussi 12 jeux, il est fort probable que 2 furent ajoutés après la rédaction d'un premier devis.
Une fois de plus, on constate qu'un jeu manuel de 16' est indispensable à ce type d'instrument romantique : le Bourdon 16' est présent même lorsqu'il n'y a qu'un clavier. La composition est centrée sur le "carré d'or" romantique de jeux de fonds (un Principal, une Gambe, un Bourdon et une Flûte), auquel vient s'ajouter un Salicional, qui fait "jeu de récit au grand-orgue". En effet, le clavier unique est un peu comme un petit grand-orgue et un petit récit qui auraient été fusionnés. Ce "récit intégré" apporte aussi le Hautbois et la Flûte harmonique 2' (qui sera pus tard appelée Octavin, et qui appartient à la registration romantiques "anches"). La "star" de cette composition est la grande Flûte "majeure" (toute en bois et ouverte ; elle peut aussi s'appeler "Flûte de concert").
Une spécificité intéressante de cet orgue est la Flûte harmonique 4', dont le tirant dit "Quintfloete 2'2/3". On pensait jusque-là que cette Flûte 4' était venue remplacer dans les années 60 une Quinte présente à l'origine. Mais l'analyse de la tuyauterie révèle que cette (très jolie) Flûte harmonique 4' est probablement d'origine. Ce n'est pas le produit du décalage d'une Quinte (les Quintfloete 2'2/3 de Rinckenbach ne sont pas harmoniques). D'autre part, la facture de la tuyauterie montre que ce jeu est probablement de Rinckenbach, et elle est contemporaine du reste de la tuyauterie. Il y a donc deux possibilités :
- soit la Quintfloete 2'2/3 a réellement été posée, puis remplacée par la suite par une Flûte harmonique 4', d'époque, issue d'un autre orgue (ce qui est peu probable),
- soit la Quintfloete 2'2/3 n'a jamais été posée, et on lui a préféré une Flûte harmonique 4' en cours de construction. Mais on a oublié de remplacer la porcelaine à la console.
Dans les années 50-60, le remplacement d'une Mutation par un jeu harmonique n'était vraiment pas "dans l'air du temps". (On aurait même plutôt fait le contraire...) Et harmoniser un "jeu de rencontre" pour l'intégrer aussi bien dans cet orgue aurait été une tâche fort difficile. Cela n'aurait pu être fait par un harmoniste hors pair prêt à consentir de gros efforts. L'hypothèse la plus probable est donc que la Flûte harmonique 4' est d'origine.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 03/04/1917. La façade a par la suite été remplacée de bien belle façon (par des tuyaux en zinc, très bien harmonisés, ce qui n'est pas à la portée de tout le monde). En 1934, il est confirmé que l'orgue avait bien 14 jeux. [IHOA] [Visite]
En février 1945, l'église fut victime de pas moins de 22 obus. L'édifice n'étant plus "hors d'eau", l'orgue a été démonté et mis à l'abri, en partie chez des particuliers. [IHOA] [Visite]
En mars 1951, Schwenkedel vint faire un état des lieux, et trouva la composition actuelle, mais avec une Trompette de pédale ("Trombonne", avec deux "n", selon l'habitude de Rinckenbach), et pas de 4' de pédale. Il est sûr que ce changement de jeu a été effectué entre 1951 et 1967 (date d'un relevé de Pie Meyer-Siat). [IHOA]
C'est en 1951 que la maison Haerpfer-Ermann fit des réparations, et c'est aussi sûrement à cette occasion que la Trompette de pédale, pourtant indispensable dans ce type de composition, a été remplacée par un inutile 4' de pédale. [IHOA] [ITOA]
La maison Haerpfer-Ermann est citée par le périodique "Le Nouveau Rhin français" (04/12/1951, 31/10/1955). Le curé de Wolfgantzen, interrogé par Pie Meyer-Siat en 1967, pensait que les travaux ont été effectués par Schwenkedel. [IHOA]
Il y eut encore une réparation en 1986. [IHOA]
Le buffet
Le buffet, néo-gothique, est constitué de trois tourelles plates séparées par deux petites plates-faces. Les tourelles sont munies de gâbles, et les couronnements ornés de pinacles et de crochets. Conformément aux habitudes de Martin Rinckenbach, la ligne des bouches forme un V dans les tourelles, alors qu'elle est horizontale pour les plates-faces.
Le dessin est directement inspiré de celui des buffets de Koetzingue (1885, réalisé par la maison Klem) et Rothau (1886). Il a ici été décliné de façon un peu différente, avec des tourelles latérales sans sub-division. On retrouvera ce dessin plus tard à Romanswiller (1902), mais avec des proportions différentes (plus élancé).
Il y a un plafond, mais seulement derrière la tourelle centrale. Le reste de la tuyauterie n'est pas couvert, et les panneaux arrière du buffet ont disparu (certainement depuis le remontage après la guerre).
Caractéristiques instrumentales
Console frontale encastrée, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde, placés sur le montant vertical, de part et d'autre du clavier, sur 3 niveaux (celui du bas correspondant aux jeux de pédale). Il n'y a plus qu'une porcelaine de jeux de pédale ("Floete 8"), mais le nom du jeu apparaît en bleu, conformément à une habitude de Martin Rinckenbach (Heiteren, Geispolsheim, Mussig).
Clavier blanc, joues moulurées. Pas de tirasse. Pas de plaque d'adresse.
Pédalier d'origine, tout comme le banc, dont les flancs figurent une lyre.
Transmission mécanique, note et tirage de jeux, comme tous les orgues Rinckenbach d'avant 1899.
à gravures, en chêne, d'origine. Tampons de laye fermés par des verrous rectangulaires verticaux, en fer, munis de deux vis. Des anneaux servent de poignées.
Sommier manuel diatonique, en "M" (basses aux extrémités). Apparemment, le sommier du manuel a été reculé de 10 à 15 cm : bien que le buffet ne soit pas fermé, on constate que le jeu d'anche est en dehors de l'aplomb d'une cloison arrière. La passerelle d'accord a dû recevoir une échancrure, profonde d'une dizaine de centimètres, pour laisser passer la laye. La charpente de 1951 est identifiable par un bois plus clair. C'est donc fort probablement dès le remontage que cette charpente a été remontée un peu en retrait. La distance entre le sommier et la console étant fixe (la changer nécessiterait de revoir totalement la mécanique), l'opération a également ramené la console d'une quinzaine de centimètres vers l'orgue. L'espace ainsi gagné entre le banc et la rambarde de la tribune a probablement motivé de déplacement. De nombreux points concernant cette modification restent toutefois à éclaircir, car c'est peut-être l'arrière du buffet qui a été rogné.
Sommier de pédale diatonique, en "M", placé à l'arrière de l'orgue.
Il y a de nombreuses marques au crayon, sur les chapes ou les faux-sommiers, et qui ont probablement été faites au démontage de l'orgue en vue de sa préservation pendant la guerre.
La tuyauterie est de très belle qualité. Le seul jeu non homogène est le Principal 4' de pédale. La façade actuelle, qui remplace celle qui a été réquisitionnée en 1917 a été réalisée de façon cohérente avec le reste de l'instrument. A l'exception de ces deux éléments, toute la tuyauterie est en étain ou en étoffe, poinçonnée, avec de belles soudures régulières. Les bourdons sont à calottes mobiles, et les tuyaux ouverts généralement dotés d'encoches d'accord ou d'entailles de timbre. Sur la Gambe et le Salicional, ces entailles prennent la forme de trous de serrure, caractéristiques de la facture de Martin Rinckenbach (mais également pratiquées en alsace par les facteurs influencés par la maison Weigle).
La Flûte majeure, toute en bois, a des parois très épaisses. Sa chape est dotée de faux-sommiers, et les tuyaux disposent donc de pieds assez longs.
Le Violoncelle de pédale a les basses en spotted (les aigus sont en étain, avec freins Gavioli). La présence de spotted dans un orgue de 1888 est surprenante, mais à l'air d'origine, tant la facture de ces tuyaux est conforme aux standards de Martin Rinckenbach. Cela doit être une des premières utilisations par Rinckenbach de cet alliage d'étain et de plomb, en proportions à peu près égales (typiquement 55% de plomb). Il est plein de qualités (rigide, résistant aux oxydations), mais ne se trouve couramment dans les orgues que dans la première moitié du 20ème siècle.
Cet instrument, directement issu de l'âge d'or de l'orgue alsacien, tient ses promesses, même pour le visiteur habitué aux hauts standards de qualité définis par Martin Rinckenbach. L'opus 17 de la maison d'Ammerschwihr a pourtant connu une histoire mouvementée, en particulier au cours du second conflit mondial. Cela laissait craindre des altérations liées au démontage/remontage ou à son stockage, voir à une exposition aux intempéries, souvent accompagnées de ré-harmonisations effectuées par les facteurs chargés de réparer. Mais, en 1945, les habitants de Wolfgantzen se sont mobilisés pour sauver leur orgue. Par la suite, et à 1 jeu près, l'instrument a été protégé des velléités de transformations courantes dans les années 1960-80, qui ont coûté leur authenticité à tant d'orgues romantiques.
Sans être un grand instrument symphonique taillé pour les récitals, cet orgue est particulièrement attachant, et mériterait d'être mieux connu. Par exemple, la disposition de la tribune et le côté "ouvert" en font un instrument idéal pour présenter l'orgue dans le cadre de sorties scolaires ou de manifestations de promotion du patrimoine.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Gaston Denier.
Photos du 10/06/2018, relevé technique.
"Wolfganzen 12" (sans "t").
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