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Les orgues de la région de Schirmeck
Wildersbach, église protestante
L'orgue Link de Wildersbach.
Toutes les photos de la page sont d'Alexis Platz, vers 2006.L'orgue Link de Wildersbach.
Toutes les photos de la page sont d'Alexis Platz, vers 2006.

Il s'agit de l'ancien orgue du collège St-Guillaume de Strasbourg, construit en 1902 par la maison Gebrüder Link. Il a été déménagé en 1976 à Wildersbach, où il n'y avait pas d'orgue jusque là. Personne ne semblant être conscient de la valeur d'un pareil instrument, il est aujourd'hui à l'abandon, et même menacé de suppression pure et simple. Ce qui serait une catastrophe patrimoniale. Retour sur une histoire peu commune.

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Historique

C'est en octobre 1976 que fut installé cet orgue, venant de Strasbourg, Stift (collège St-Guillaume), construit par la maison Gebrüder Link en 1902. Il s'agit de son opus 368. Le déménagement a été assuré par la maison Muhleisen. [IHOA] [ITOA] [PMSAVS84STIFT]

Il n'y a pas vraiment de preuve d'archive : c'est le numéro d'opus 368 - que l'on trouve en plusieurs endroits à l'intérieur - qui permet d'identifier cet orgue comme étant celui du Stift. [ITOA]

Un orgue d'étude

L'instrument n'avait que 7 jeux à l'origine, et il était conçu pour l'enseignement. Il fut visité en 1972 par Pie Meyer-Siat dans la salle du 1er étage du Séminaire St-Guillaume, qui en releva la composition, apparaissant avec des noms de jeux en français. (L'auteur négligeait par principe les accouplements et tirasses et n'en nota que le nombre (6) ; ils ont été ajoutés) : [PMSAVS84STIFT]

Composition, 1972
Grand-orgue expressif, 56 n. (C-g''')
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
Pédale expressive, 30 n. (C-f')
I/P
[PMSAVS84STIFT]

Il y avait bien évidemment une boîte expressive unique, englobant toute la tuyauterie. Les jalousies étaient sur le côté. Le Nasard n'était évidemment pas d'origine : c'était a priori le Salicional, découpé à la pince coupante pour sonner en 2'2/3. [PMSAVS84STIFT]

Dans son ouvrage sur les orgues Link d'Alsace, Pie Meyer-Siat donne à nouveau la composition, après quelques commentaires dédaigneux. Il y figure une Flûte 8' au récit. Mais il s'agit probablement d'une erreur, vu qu'elle est au grand-orgue. Le fait qu'il n'y avait pas de tuyaux de façade est confirmé. [PMSLINK]

Mais quel orgue d'étude !

Ce qu'il y a de surprenant, à la lecture des sources disponibles consacrées à cet instrument, c'est que personne n'en a souligné la valeur et l'intérêt. Il y a quand même ici une des grandioses Flûtes 8' de Link, un des jeux d'orgue les plus beaux qui soient. Vu son pedigree, cet instrument mérite quand même quelques commentaires, en commençant par une comparaison avec ses semblables. La maison Link a livré d'autres orgues de 7 jeux en Alsace, car elle était très douée pour réaliser ces petits bijoux :

- Un premier en 1896, à Hochfelden. Il y fut littéralement massacré en 1973 au cours de la "période noire" de la facture d'orgues. Mais on en connaît la composition : [P8, G8, B8, O4], [F8, S8], [S16], [II/I, II/I 4', I/P, II/P, II/P 4'].

- Un autre en 1898 à Gottesheim. Deux jeux y ont été modifiés, mais il était aussi disposé en 4+2+1 jeux, et là aussi on connaît sa composition d'origine : [P8, G8, B8, O4], [S8, Rohrflöte 4'], [S16], [II/I 16', II/I, II/I 4', I/P, II/P].

- Le bel orgue d'Ottwiller (1900) n'avait aussi que 7 jeux à l'origine : [P8, G8, B8, O4], [F8, S8], [S16], [II/I, II/I 4', I/P, II/P]. Sa structure était donc très voisine de celle de Hochfelden.

- La petite merveille de Struth (1900), superbement conservée. 7 jeux, mais une chape supplémentaire prévue du récit : [P8, G8, B8, O4], [F8, S8, _], [S16], [I/I 4', II/I, I/P, II/P].

- Celui de Mitschdorf est contemporain de l'orgue de Wilbersbach (1902). C'est un "mini-Link" qui n'a - fait extrêmement rare - qu'un seul manuel. Bien évidemment, ceci n'aurait pas convenu pour le Stift, qui voulait se doter d'un orgue pour l'enseignement. A Mitschdorf, on a une disposition 5+2 : [P8, B8, S8, O4, F4], [S16, F8].

- Celui de Buswiller (1908), impitoyablement éliminé en 1999 pour faire du "pseudo-Moeller", avait aussi 7 jeux. Mais on en ignore la composition.

La disposition en 3+3+1 n'était donc pas courante. Sûrement parce qu'elle fait renoncer à la Gambe 8' du grand-orgue, sacrifice très difficile. Et une fois fait, ce sacrifice rend le Salicional du récit absolument indispensable. Sinon, l'orgue serait sans Gambe. Le récit de l'orgue du Stift était donc : Salicional 8', Bourdon 8' (ce qui est cohérent car il n'y a pas de Gedackt au grand-orgue), et un Gemshorn comme 4'.

La tradition romantique allemande

Ainsi, l'orgue respecte scrupuleusement un "principe" de l'orgue romantique germanique : chaque jeu du récit constitue l' "alter-ego" (souvent moins fort et coloré différemment) d'un jeu du grand-orgue : Principal 8' / Salicional 8', Flûte 8' / Bourdon 8', Octave 4' / Gemshorn 4'.

Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.

Des orgues alsaciens

La maison Link, on le sait, était très francophile. Ces orgues ne sont pas des instruments "allemands" utilisés par quelque lutte d'influence culturelle. Au contraire, ce sont des "Spätromantik" adaptés à l'Alsace. Car les Alsaciens les appréciaient beaucoup : voir Barembach. Ce sont donc clairement des orgues "d'export", spécifiques. La maison Eberhard Friedrich Walcker fit exactement la même chose.

Voilà le fond du problème : à la fin du 20ème siècle, une véritable entreprise de désinformation tenta de faire passer ces orgues "allemands", installés entre 1870 et 1914, pour les instruments de quelque impérialisme culturel. Alors que c'était tout le contraire. Mais avec la germanophobie des années 1950-1970, il était "de bon ton" de mépriser les orgues Link. Il faut voir comment les "experts" de l'époque parlaient de ces instruments...

Une évaluation fortement biaisée

Il suffit de parcourir les quelques lignes consacrées à cet instrument dans l'article de Pie Meyer-Siat consacré aux travaux alsaciens de la maison Link pour se rendre compte de l'énorme problème : un dédain hautain, un mépris affiché pour ces orgues soit-disant "allemands". Suite à cela, la désinformation continua, nourrie évidemment par de juteuses perspectives d'opérations de transformations ou carrément de remplacements par de "vrais orgues français". On déclara - sans preuve - que ces orgues étaient difficilement réparables, et comme beaucoup d'organistes avaient un répertoire très appauvri (lire : 17ème et 18ème seulement), ces instruments ne suscitaient plus guère d'intérêt.

Re-découverte d'un trésor

Les clichés, les ragots et les on-dits ont la vie dure. Mais il nous reste nos oreilles. On peut aller à Scharrachbergheim-Irmstett (où on reste bouchée bée, et où on "re-découvre" l'orgue si on ne connaît pas). On peut aller à Struth voir un orgue qui s'approche très près de ce que pourrait être celui de Wildersbach s'il était en état. On peut aller à Geudertheim ; c'est peut-être par là qu'il faut commencer : l'orgue Link a été relevé en 2018 par Quentin Blumenroeder. Et c'est magnifique !

Les années noires

Une modification, sûrement réalisée dans les années 1950, a été fort préjudiciable : la traction a été électrifiée. C'est peu étonnant, vu l'ampleur de l'opération de désinformation portant sur les transmissions pneumatiques, et la perte de compétence des facteurs dans le domaine. Les conséquences ont été très graves, en particulier sur la console. Celle-ci, d'ailleurs, n'a plus vraiment l'air d'une console Link. [ITOA]

L'arrivée à Willersbach

Maintenant que l'on connaît mieux le potentiel et la valeur des orgues Link, on peut reprendre notre historique, on quittant "Le Quai" pour Wildersbach. Un jeu fut ajouté lors du déménagement, mais paradoxalement un des moins adaptés à l'esthétique de cet orgue : une Doublette 2', de récupération... Nul doute qu'avec un jeu aussi criard au récit, la "lisibilité" de l'instrument en a beaucoup souffert. Cela confirme, une fois de plus, qu'il y avait à l'époque une réelle mé-connaissance du style post-romantique. Et il manquait déjà le Salicional, "découpé" pour en faire un "Nasard"... [IHOA]

Un petit orgue post-symphonique est un petit orchestre. Il a besoin de cordes, dont le rôle est tenu par les Gambes et les Salicionaux. Les enlever à un tel instrument revient à en faire un mauvais orgue à tuyaux. Il n'a plus aucun intérêt, même avec sa divine Flûte 8', qui s'étiole car elle se sent seule.

L'orgue a été entretenu en 1991 par Bruno Dillenseger. [IHOA]

Mais l'incongrue Doublette resta en place. Il n'y a toujours pas de Salicional.

Menace d'une suppression pure et simple

Ensuite, et ça n'étonnera personne, l'orgue Link a été abandonné. Il est évident qu'on ignorait totalement le trésor qu'il représentait, et les "commentateurs", affublés de 30-40 ans de retard, n'allaient pas changer la donne. Mais il y a encore plus grave. Dans "« Le Fil de la Bruche » p.5, dans "Le Nouveau messager", janvier-février 2014, se trouve un article désespérant. On peut lire, incrédule : "Réparation, rénovation ou remplacement ? La rénovation est à écarter car trop onéreuse pour des résultats incertains : le Conseil presbytéral a pris la décision du remplacement !" Mais comment peut-on décider, à l'initiation d'un projet, que la solution la plus simple sera "trop onéreuse" ? Comme on dit : "Qui veut noyer son chien l'accuse d'avoir la rage". Il n'y a plus qu'à espérer que l'argent manque pour ces projets consuméristes ! Il faut arrêter avec le "jetable". Quand on a une Bugatti, et qu'on prétend que c'est "juste une vieille bagnole pas réparable", on ne fait pas de quête pour acquérir un petit coupé clinquant ! Certes, la console a souffert, tout comme l'incomparable transmission pneumatique de Giegen-an-der-Brenz (qui comptent parmi les plus précises et fiables qui soient). Mais les irremplaçables et précieux sommiers à cônes sont toujours là. Supprimer cela serait dramatique pour notre patrimoine.

Sursis ?

Le 11/10/2016, un article des Dernières Nouvelles d'Alsace titre crânement : "Wildersbach - Vie paroissiale - L'orgue numérique inauguré". Car on inaugure les produits électroniques venus d'Asie, maintenant. C'est oublier que ces inaugurations étaient avant tout destinées à honorer les contributeurs à un projet d'envergure... Il y a là une certaine déchéance : on se félicite juste de consommer, de "claquer du pognon". Cela démontre aussi que personne n'avait idée de ce que l'orgue cache. Ni même des coûts d'entretien liés aux différentes solutions. Le tout semble baigner dans une mare d'a-priori. Mais au moins, l'irréparable ne semble pas avoir été commis...

Il faut vraiment mettre un terme à la destruction des orgues Link d'Alsace ! Il faut vraiment mettre un terme aux logiques consuméristes. Et, une fois de plus, il faut être très vigilant avec ses dons et legs.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2006
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
Link, d'origine
Link, d'origine
Link, d'origine
Récit, 56 n. (C-g''')
Link, d'origine
Flûte conique Link, d'origine
Recoupé, mais il s'agit d'un jeu de Link !
Tuyauterie diverse ; placé sur un sommier ajouté
Pédale, 30 n. (C-f')
Link, d'origine
I/P
[APlatz] [ITOA]
Console:
La console, malheureusement électrifiée et fortement transformée.
En fait, à part les dominos, ça n'a pas trop l'air d'être une console Link.La console, malheureusement électrifiée et fortement transformée.
En fait, à part les dominos, ça n'a pas trop l'air d'être une console Link.
Transmission:

Malheureusement électrifiée, donc électro-pneumatique.

Sommiers:

Sommiers à cônes, chromatiques, donc de Link et d'une immense valeur.

Tuyauterie:

Bien que deux jeux aient été modifiés, cet instrument comporte 7 jeux de Link ! (En particulier la Flûte 8'.) Cette tuyauterie est un vrai trésor. Cet instrument pourrait re-devenir un des Link les plus authentiques d'Alsace.

Références Sources et bibliographie :

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