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Les Jeux de l'Orgue
L'architecture
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Les facteurs en Alsace

Orgues d'Alsace

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Les différentes esthétiques de l'Orgue
 
Les différentes périodes de l'évolution de l'Orgue correspondent à autant d'esthétique. En France, et surtout en Alsace, pour ce qui nous concerne ici, on schématisera par :  Bien sûr, il y en a d'autres (l'Orgue flamand, espagnol, le "ripieno" italien, pour ne citer qu'eux). Mais ce sont essentiellement celles que l'on retrouve dans les orgues présentées ici. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

On retrouvera ces claviers, correspondant à des plans sonores, au chapitre "architecture".

 L'Orgue Classique
 
L'orgue Classique est un instrument de taille généralement mesurée, à traction mécanique (la seule qui ait été inventée au 17è-18è siècle), dont la composition est bâtie sur une Synthèse Sonore rigoureuse :  Les jeux de l'orgue d'esthétique classique sont répartis sur plusieurs claviers correspondant à plusieurs "plans sonores" : 
  • S'il n'a qu'un seul clavier, on parle alors d'orgue "positif"
  • Les petits instruments ont un clavier et une pédale indépendante.
  • Les instruments les plus courants ont deux claviers et une pédale indépendante.

  • Dans ce cas, les jeux correspondant à l'un des claviers sont logés dans un petit buffet placé en bord de tribune, appelé Positif de Dos. Les jeux correspondant au clavier fort, appelé Grand-Orgue, sont logés dans le grand buffet. 
  • S'il y a une troisième clavier, on le nomme généralement Écho. Il lui manque généralement l'octave (ou les deux octaves) la plus basse.
L'Orgue classique français, (qu'André Silbermann apprendra à connaître durant son stage de deux ans chez Thierry), est en fait une évolution de l'Orgue flamand du 16 ème siècle - surtout par sa structure Grand-Orgue / Positif de dos / Écho.
Silbermann a complété cet instrument en empruntant à l'Orgue allemand sa pédale "indépendante" (i.e. dont les jeux sont placés hors du grand buffet, à l'arrière) et fondée sur 16'. On appelle souvent ces pédales "à la Silbermann". L'Orgue alsacien est typiquement un orgue d'esthétique classique française, complété par une pédale indépendante sur 16'. Les anches sont toutefois moins nombreuses (et les clavier "de Bombarde" inconnu). On avait alors un instrument :
  • capable d'accompagner le chant de l'assemblée (l'Orgue français avait pour mission de jouer en soliste)
  • capable d'exécuter des pièces polyphoniques :
    • une voix pouvant être confiée à la pédale,
    • et le Grand Plein-Jeu permettant une bonne "lisibilité" des différentes voix.
La console des instruments d'esthétique Classique est contre le grand buffet, et fermée par deux volets. On l'appelle Console en Fenêtre. Sa justification est que c'est l'endroit idéal pour construire une mécanique "suspendue", c'est-à-dire liant directement les touches aux soupapes. 

Dans ce cas, l'étagement des claviers se fait ainsi : 

  • Instrument moyen :

  • Le clavier de Grand-Orgue a pour jeu grave un 8' ouvert (on dit "est en 8' ouvert) (Montre 8', Principal 8'...), 
    la Pédale en 16' bouché (Soubasse), 
    et le Positif en 8' bouché (Bourdon 8'). 
  • Grand instrument :

  • Le Grand-Orgue est en 16' bouché (Bourdon 16'), 
    la Pédale en 16' ouvert (Principal 16' ou Flûte 16'), 
    et le Positif en 8' ouvert (Montre 8', Principal 8'). 
    Il y a souvent un troisième clavier (Écho). 
  • Très grand instrument :

  • Le Grand-Orgue est en 16' ouvert (Montre 16', Principal 16'), 
    la Pédale est un 16' ouvert ou 32' bouché, 
    et le Positif en 8' ouvert. 
    Il y a un troisième clavier. 
  • Petit instrument :

  • Le Grand-Orgue est sur 8' bouché, 
    la Pédale est en 16' bouché, 
    et il n'y a généralement pas de Positif.
Ces instruments sont bien sûr adaptés à la littérature "classique" : Bach, Buxtehude.
 
 
 
 
 L'Orgue Romantique
ou/et/et_pas Symphonique
 
C'est l'Orgue du 19 ème siècle. Marqué par Cavaillé-Coll en France et Walcker en Allemagne. On ne sait pas trop bien ce que "Romantique" veut dire. Disons que, par rapport à l'esthétique Classique, l'esthétique correspondant à l'époque "Romantique" se distingue par : 
  • l'apparition de jeux de détail (solistes) : Clarinette, Flûte Traversière
  • la présence de jeux "harmoniques", développés par Cavaillé-Coll (Flûte Harmonique, Trompettes Harmoniques)
  • l'abandon des Mutations et Mixtures aiguës (Tierce, Cymbale)...
  • ...au profit d'une création d'harmoniques grâce aux jeux "Gambés" (Gambes, Salicional, Voix céleste)
  • la multiplication des jeux de 8'
  • la présence d'un (ou plusieurs) clavier "expressif", c'est-à-dire enfermé dans une boîte munie de volets que l'on peut manoeuvrer à l'aide d'une pédale, permettant donc de rendre le son plus ou moins fort.
  • la présence d'un clavier nommé "Récit", généralement expressif, et logé dans (ou en arrière du) grand buffet, et donc:
  • l'abandon du Positif de Dos.
L'orgue "symphonique", tantôt assimilé, tantôt opposé à l'esthétique romantique, se caractérise par :
  • un choix et une disposition des jeux propres à imiter un orchestre
  • des accessoires permettant des exécutions "de concert" (registrations programmables)
  • un nombre élevé de jeux
La Console portant les claviers est généralement indépendante et complétée de nombreux accessoires souvent jugés indispensables à l'époque : 
  • appels de registrations pré définies (p, pp, f, ff, tutti) ou "libres" (préparées à volonté)
  • appel et retrait des anches
  • commandes d'accouplement des claviers et du pédalier souvent doublées (pouvant être actionnées soit au pied par un "champignon" soit à la main)
  • pédale d'expression pour les claviers expressifs
  • parfois un "crescendo", c'est-à-dire une pédale appelant (ou retirant) les jeux un à un, dans un ordre déterminé
  • sans oublier, souvent, de nombreux boutons, voyants et cadrans (voltage, position du crescendo...) destinés essentiellement à donner un look "Jules-Vernesque" à l'ensemble.
Il y a d'autres particularités, plus techniques : 
  • l'accord des jeux ouverts se fait par entailles (le tuyau n'est pas "coupé au ton" comme dans un orgue d'esthétique classique)
  • l'accord des bourdons se fait en faisant coulisser la calotte (bouchon ou partie comportant la cheminée). On parle de Calottes Mobiles.
  • les tuyaux sont généralement plus longs que nécessaire pour la hauteur du son. Une entaille, dit "Entaille de Timbre" est alors pratiquée pour déterminer celle-ci. Le son est bien entendu différent. On a dit beaucoup de mal, depuis les années 60, au sujet des Entailles de Timbre. On est revenu sur cette opinion.
  • les instruments Romantiques étant souvent plus grands, la traction mécanique liant la touche aux soupapes a été abandonnée, car trop dure (surtout quand les clavier sont accouplés). Cette dureté a été renforcée par le fait qu'à l'époque (19 è siècle), on voulait des consoles "indépendantes", donc des mécaniques plus compliquées à base d'équerres ou de doubles balanciers...

  • En plus, un effet de mode, tout-à-fait injustifié et aux conséquences calamiteuses a fait abandonner la traction mécanique même pour les petits instruments, au profit d'une traction pneumatique, électro-pneumatique ou électrique.
La fin de cette époque correspondant aussi à l'arrivée d'instruments "industriels", dont de nombreux éléments sont fabriqués en grande quantité par des sous-traitants spécialisés.

En Allemagne, l'Orgue Romantique se distingue par des jeux assez forts (voir carrément tonitruants), des pressions élevées. 

Ces instruments sont adaptés aux Symphonies et aux pièces de César Franck, Louis Vierne, Schumann.
 
 
 
 
 L'Orgue Néo-Classique
 
Cela correspond à la première moitié du 20 ème siècle. En réaction à certains instruments Romantiques pas forcément de la meilleure facture (mais à coup sûrs dignes d'une époque industrielle), et à cause du retour à la mode de la littérature baroque (et surtout des oeuvres de Bach), on a voulu construire des instruments : 
  • réparant les excès du Romantisme (retour des Cornets, Tierces, Cymbales, du Positif de Dos)
  • tout de même capables d'exécuter la littérature symphonique du 19 ème siècle.
Pour cela, il a fallu construire des instruments plutôt importants (en nombre de jeux), excluant l'utilisation de la traction mécanique. 
Pour cela, de nombreux "experts" de l'époque ont cru bon de s'attaquer à des instruments d'esthétique Classique, et de les "modifier" en profondeur (c'est-à-dire de les pneumatiser, de changer les pressions et l'accord, les réharmoniser et les compléter par toutes sortes de jeux "solistes" étrangers à leur esthétique d'origine). 

Aucun orgue n'est "universel" et capable de "tout jouer" au mieux. A force de vouloir adopter tous les styles, on a produit des instruments sans style du tout. 

Il est bien sûr illusoire de penser qu'un buffet prévu pour 30 jeux puisse en contenir 60 avec en plus toutes sortes d'accessoires, et des systèmes de traction extrêmement volumineux. Cavaillé-Coll disait "qu'on doit pouvoir faire le tour de tous les tuyaux", exprimant par là la nécessité qu'à l'orgue de "respirer". 

C'est ainsi qu'on a vu le "Silbermann" de St Thomas à Strasbourg atteindre 60 jeux et être complètement réharmonisé, et même haussé d'un bon demi-ton (en recoupant le haut des tuyaux, évidemment...) 

Voir : l'Affrontement célèbre entre RUPP et GESSNER.

 
 
 
 L'Orgue Néo-Baroque et contemporain
 
Lorsqu'en 1948, il a fallu reconstruire l'orgue de St Pierre-le-jeune à Strasbourg, Ernest MUHLEISEN et Alfred KERN, qui travaillaient ensemble à cette époque se trouvaient en face d'une orgue de Jean-André SILBERMANN, 1780 / Jean-Conrad SAUER 1820, qui avait été dénaturé au cours des ans (WETZEL, ROETHINGER). 

Cet instrument avait été placé (en 1900) sur un jubé du du 15 ème siècle. Bien sûr, l'instrument (dans ses buffets d'origine, 1780 / 1820) avait été "pneumatisé" et "Romantisé". 

Pour Ernest MUHLEISEN et Alfred KERN, rapprocher l'esthétique sonore de l'orgue à son prestigieux environnement (édifice remontant au 13 ème siècle, cloître roman...) était certainement la seule décision valable. Toujours est-il que de 1948 à 1950 il reconstruisent le premier grand instrument mécanique en Alsace à l'époque, en appliquant les principes de l'Orgue Classique, surtout dans la composition. 

Harmonisé par Alfred KERN, cet instrument marqua une petite révolution qui se transmit vite à toute la France, relayée par le célèbre organiste Michel CHAPUIS et bien sûr de multiples autres facteurs. 

Ernest MUHLEISEN avait déjà construit un instrument mécanique (son premier, en fait sa pièce de maîtrise) à Pfulgriesheim (1943), à une époque où la traction mécanique devait relever de solution totalement désuète. Plus tard, ce facteur a eu l'occasion de racheter le fonds WETZEL, riche de nombreux jeux du 18 ème siècle. Ceci ne fut peut-être pas non plus étranger à sa décision à St Pierre-le-jeune. 

Alfred KERN, une fois mis à son compte, construisit en traction mécanique son premier orgue (Notre-Dame des Mineurs, 1957). Celui-ci n'est pas une chef-d'oeuvre, mais Alfred KERN sera l'auteur de la résurrection du Silbermann de St Thomas à Strasbourg (1979), et des superbes orgues de St Séverin à Paris (1963) et de la Cathédrale de Strasbourg (1979). 

Ce "Néo-baroque" un peu difficile à définir n'est pas un retour total à l'Orgue de Silbermann. Il se rapproche souvent de l'esthétique Nordique. Mais les grands principes (synthèse sonore, traction mécanique, positif de dos...) sont là. 

Enfin, les instruments de Curt SCHWENKEDEL, à coup sûr un esprit inventif et enthousiaste,  sont souvent un mélange de "Néo-Baroque" et de style Italien et Espagnol.