Berstett, l'orgue Link dans le buffet Wetzel.Voici un instrument construit par la maison Link, de Giegen-an-der-Brenz, en 1912. Il est logé dans un buffet plus ancien, de Martin Wetzel. L'orgue Link a malheureusement été fortement altéré en 1950 et 1962, mais il a été confié à la maison Blumenroeder en 2011. Il y a donc un espoir qu'il soit un jour restauré dans son état d'origine.
Historique
Il y a d'abord eu un orgue du facteur semi-amateur Georg Friederich Merckel, construit en 1739. [IHOA]
En 1768, Johann Peter Toussaint fit des transformations, dont un déplacement du buffet. [IHOA]
Historique
En 1843, Martin Wetzel fournit un petit orgue neuf, à un seul manuel et une pédale limitée à 18 notes, dont il reste le buffet et quelques tuyaux. L'instrument était placé en tribune. [IHOA] [PMSWETZEL76]
Historique
L'orgue actuel, est l'opus 568 de la grande maison Gebrüder Link, et date de 1912. [ITOA]
La quête de la composition d'origine
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la composition d'origine de cet orgue semble ne jamais avoir été publiée. La demi-page que consacre Pie Meyer-Siat à cet instrument dans son ouvrage sur les orgues Link d'Alsace est révélatrice : outre la composition et le titre, l'article fait 5 lignes, dont 4 consacrées... aux instruments précédents ! De cet orgue somptueux, on apprend tout juste que : "Link stellte einen seitlich angelehten pneumatischen Spieltish". Et la composition donnée correspond... à celle de 1962 ! (Ce n'est d'ailleurs pas précisé.) Il n'y a aucun effort pour indiquer ce qui est d'origine et ce qui ne l'est pas. En fait, il n'y a aucun effort du tout. Il en résulte que la valeur ajoutée de cette demi-page est... nulle. Cela en dit long sur les partis-pris et les préjugés qui sévissaient à l'époque de la rédaction de cet article, dont le seul but semble être d' "effacer" la période 1871-1918. Meyer-Siat, à l'évidence, abhorre ces instruments. Et il fait passer son parti-pris en priorité. Mais quand on a pas envie d'écrire sur un sujet, il suffit de ne pas le faire... [PMSLINK]
Tout aussi symptomatique est le traitement réservé à cet instrument dans l'inventaire historique : "1843 : orgue Martin Wetzel [...] pneumatisé par Link en 1912, II/15." "Pneumatisé" : peut-on imaginer plus péjoratif, réducteur ? Et plus trompeur, aussi : il s'agit bien d'un orgue neuf, et à part le buffet et quelques tuyaux totalement ré-harmonisés, il n'y a plus rien de Wetzel dans l'orgue actuel. Pourquoi mentir aux gens ? Evidemment que cet orgue est "pneumatique" : c'est un orgue d'outre-Rhin de 1912, donc pas un Clicquot ! Et si "pneumatique" veut dire "marche avec le vent", eh bien absolument tous les orgues sont pneumatiques... Cette diabolisation de la transmission pneumatique, motivée par la promotion de l'orgue classique parisien (parfois appelé "néo-baroque" pour ne pas éveiller de ressentiments anti-centralisateurs...) et de dispendieuses opérations de "mécanisations" (qu'on a eu l'audace d'appeler "restaurations") a causé une des plus grandes catastrophes patrimoniales de l'histoire de l'Alsace. [IHOA]
Le prospectus - en Français - de la maison Link en 1891.Pour retrouver la composition d'origine, il faut donc partir du relevé de la tuyauterie effectué par l'inventaire technique de 1986, puis s'aider de la logique du style post-romantique pratiqué par la maison Link, et donc de leurs instruments survivants. Le problème est que beaucoup d'entre eux ont été profondément défigurés et mutilés lors de la période "néo-baroque". [ITOA]
- La "Flûte conique 4'" du grand-orgue est un Gemshorn transformé. Probablement celui du récit. Le jeu qu'il remplace était presque à coup sûr une Gambe, car sinon le grand-orgue aurait été dépourvu de jeu gambé, ce qui est inconcevable. Et comme le "Prestant" actuel du récit est constitué de tuyaux d'une Gambe mutilée, il y en avait bien une dans l'instrument. A coup presque sûr, c'était la Gambe du grand-orgue.
- La Mixture, bien que remplacée en 1950, a conservé sa porcelaine d'origine à la console. C'était donc une Cornet-Mixtur 2'2/3. La composition du grand-orgue est donc connue sans grande incertitude.
- A la pédale, l'absurde 4' (qui n'a rien à faire dans cette esthétique) est en fait un Violoncelle 8' découpé... La pédale était donc composée d'une Soubasse 16', d'un Bourdon 8' emprunté au récit (donc expressif), et d'un Violoncelle 8'.
- Le récit a été plus gravement touché. On a déjà vu que le "Prestant 4'" était la Gambe 8' du grand-orgue. A sa place, il y avait probablement soit un Geigenprincipal 8', soit un Salicional 8'.
- La très "classique-parisienne" Tierce 1'3/5 était une Aeoline ! Comment peut-on remplacer un jeu aussi magique par une vulgaire Tierce, bien sûr totalement étrangère à l'esthétique de cet instrument ? Surtout que sa présence saugrenue ne le rend toujours pas idéal pour Couperin...
La présence d'une Aeoline précise d'ailleurs "la variante esthétique" adoptée par la maison Link pour Berstett : c'était un orgue "d'export", adapté à l'Alsace. Cette Aeoline était donc destinée à "adosser" une Voix céleste supprimée. L'autre Gambe du récit était en conséquence plus probablement un Geigenprincipal qu'un Salicional, car ce dernier aurait fait un peu doublon avec l'Aeoline.
Notons que cette Tierce est placée sur un sommier transversal, qui paraît donc ajouté. Mais ce petit sommier est peut-être d'origine : le couple Voix céleste / Aeoline, étant spécifique, donc non standard dans la production de la maison Link. (Que l'on sait par ailleurs très francophile.) Peut-être que la Voix céleste a été prévue en cours de réalisation. Surtout que l'orgue est noté à 15 jeux à l'origine (en fait 14 + 1 emprunt) : il y avait donc a priori bien 6 chapes au grand-orgue dès 1912.
- Cette hypothèse est confirmée par l'étendue de la chape actuellement occupée par la Quinte 2'2/3 : c-g''' (sans octave grave). C'était donc une chape de Voix céleste. Cette "Quinte" est d'ailleurs aussi constituée à partir de tuyaux Link, coniques, dont il faudrait trouver l'origine.
- Il reste donc 2 chapes : celle qui a été vidée pour y placer une une Doublette en 1950, et le jeu sacrifié en 1962 pour être remplacé par cette effrayante Cymbale, qui, pour sûr, est une véritable insulte au style d'origine de l'orgue. Il ne fait guère de doute que l'un de ces deux jeux était la grande Flûte ouverte 8', emblématique de la maison Link, et qui est généralement la "star" de leurs compositions. Ce jeu est soit au grand-orgue, soit au récit. Dans les orgues "tardifs" il est au récit, comme à Bust. Cette Flûte 8' était peut-être appelée "Traversflöte 8" (comme il y en avait une à l'origine à Gundershoffen).
- La dernière chape du récit était forcément un 4'. Donc à priori le Gemshorn que l'on retrouve aujourd'hui - mutilé en "Flûte conique 4'" - au grand-orgue.
Les calamiteuses transformations de 1950 et 1962
Comme beaucoup d'autres, ce bel orgue ne traversa pas intact la "période noire" de la facture d'orgues alsacienne. "Sur le papier", ce fut d'ailleurs calamiteux, mais les jeux "remplacés" ont été surtout modifiés (recoupés, décalés, déplacés, etc...). En 1950, Alfred Kern, pour le compte de la maison Muhleisen "remplaça" au moins 5 jeux. [ITOA]
Le plus extravagant a été l'introduction de deux jeux "Silbermann" dans cet orgue : la Fourniture du grand-orgue et le 2' du récit. La Fourniture venait de Strasbourg, Ste-Aurélie, et elle a ré-intégré cet instrument en 2015.
La transformation de 1962 est allée un cran plus loin dans l'absurde : menée par Alfred Kern, elle a consisté à supprimer un jeu du récit pour le remplacer par le jeu sûrement le plus incompatible avec l'esthétique d'origine : une Cymbale 3 rangs ! (En 1/2'...) Il s'agit évidemment d'une totale aberration. [ITOA]
Le bilan additionné de ces deux transformations a été calamiteux, puisqu'à la place d'un beau récit post-romantique, on se trouve avec une espèce de positif, constitué d'un Cornet décomposé de 5 rangs ("Jeu de Tierce"), surmonté par cette effarante Cymbale. Alors que le tout repose sur un malheureux Bourdon 8' : il n'y a même pas de 8' ouvert ! Cet orgue, privé de ses jeux les plus importants (la Flûte ouverte 8' et la Gambe 8') n'est plus que l'ombre d'un Link. Mais il en conserve le potentiel.
Un peu d'espoir est à nouveau permis pour cet orgue, doté d'un potentiel considérable : en 2011 il a été relevé par Quentin Blumenroeder. [SiteBlumenroeder]
La (trop) fameuse Mixture de l'orgue de Sainte-Aurélie de Strasbourg a été rachetée par sa paroisse d'origine. (Au moins on en entendra plus parler à Berstett.) La transmission a été entièrement révisée, tous les soufflets ronds sous les pistons ont été changés. Aucune modification n'a été apportée à l'harmonie ni au tempérament égal. [SiteBlumenroeder]
Cette opération était conçue un relevage, et pas une restauration dans l'état de 1912. Et pourtant, cet instrument le mériterait amplement.
Caractéristiques instrumentales
Console latérale accolée sur le côté droit, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos, placés en ligne au-dessus du second clavier. Ils sont munis de porcelaines rondes blanches, et le reste est teinté en fonction du plan sonore : vert pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Claviers blancs.
Commande des accouplements et tirasses par dominos. Commande du tutti par pistons, situés au centre sous le premier clavier. L'annulateur est un piston rose, sans porcelaine. (Même disposition qu'à Bust.)
Il n'y a qu'une commande à pied : la pédale basculante de l'expression du récit, tout à droite. Comme souvent sur les orgues Link, la plaque d'adresse est constituée de plusieurs éléments. Il y a deux plaques rectangulaires noires à lettres dorées, en haut et de part et d'autre des dominos.
Pneumatique, note et jeux.
Sommiers à cônes, d'origine.
Il n'y a finalement qu'une part limitée de la tuyauterie de Link qui manque, car les changements de jeux effectués lors des désastreuses opérations de 1950 et 1962 ont surtout consisté à "bricoler" les tuyaux existants : ceux-ci pourraient être restaurés. Bien sûr, encore faut-il en avoir les moyens : découper, c'est facile, restaurer, c'est nettement plus cher. En fait, il ne semble vraiment manquer que la Mixture-tierce, la Gambe du récit, et surtout la Flûte 8', qui constitue la perte la plus cruelle pour ce bel instrument.
Webographie :
Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
P. MEYER-SIAT "Les Wetzel, facteurs d'orgues", AEA 1976
BERSTETT, Kt. Truchtersheim. - Evang. Pfrki. O. von Merkel ca. 1750. MATHIAS 53 u. 260, nach Aufzeichn. von J. A. Silbermann. Siehe WÖRSCHING, Riepp 49.
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