L'orgue de Carspach est particulièrement intéressant. D'abord par sa composition, directement inspirée par la Réforme alsacienne de l'Orgue, puis son magnifique buffet néo-baroque. Il confirme que les années 1930 ont été une des époques les plus fécondes en matière de facture d'orgues. Et, à Carspach, un autre instrument sonore a eu une histoire épique : une cloche de l'église, oeuvre de Nicolas Kettelat (1561), fut d'abord enterrée pour échapper à la guerre de Trente ans. En 1662, elle servit de gage à Ferrette, mais fut rachetée par la paroisse de Carspach en 1687, après la construction d'une église neuve. On ne sait pas bien comment elle survécut à la Révolution (évidemment en vivant d'autres aventures). Déménagée à nouveau dans l'église neuve de 1833, elle échappa au grand incendie de Carspach de 1838. Réquisitionnée en 1917 (comme la plupart des cloches et des tuyaux de façade des orgues), elle fut amenée à Francfort, et finalement épargnée ! La cloche ne revint chez elle qu'en 1919. Enfin, il faut se souvenir qu'à Carspach avait été construit le premier orgue d'un curieux facteur autodidacte et inventif dont il ne reste aujourd'hui plus que deux orgues : le Sieur Hérisé, d'Aspach-le-Bas.
Historique
Du premier orgue de Carspach, on ne sait pas grand chose, si ce n'est qu'il datait d'avant 1773. [IHOA]
Il fut réparé (ou même remplacé) par Joseph Rabiny en 1804. [IHOA]
Vu le prix conséquent auquel il a été repris plus tard par Hérisé (presque le prix d'un buffet neuf), c'était sûrement un assez grand instrument. [PMSRHW]
En 1835, François Ignace Hérisé reprit cet instrument pour placer à Carspach son premier orgue neuf. [IHOA] [PMSRHW]
Pie Meyer-Siat émet l'hypothèse que cet instrument est celui qui fut posé à Leimbach. Il fut totalement détruit le 15/12/1917. [IHOA] [PMSRHW]
Historique
C'est à donc au fameux François Ignace Hérisé, d'Aspach-le-Bas, que fut confiée la construction d'un orgue neuf en 1838. [IHOA] [PMSRHW]
Ce le premier travail d'envergure de ce facteur, qui était autodidacte. Fils de cultivateur, mais particulièrement motivé à ses débuts, il proposa un projet extrêmement ambitieux, débordant d'imagination et d'innovations. Ce qui est sûr, c'est que l'orgue Hérisé de Carspach - au moins pour le novice - "en jetait". Dans une lettre au maire de Masevaux (29/09/1838), voici comment Joseph Callinet commente l'instrument : "[...] Monsieur, vous verrez sans doute aussi l'orgue de Karsbach où il y a 72 boutons de registres y compris les jeux coupés; il n'y a donc réellement que 32 jeux; il est bon de ne pas se laisser éblouir par cette quantité de boutons, attendu qu'au lieu d'un bouton par jeu tel que cela est partout sauf à Karsbach où il y en a deux par jeu. Il en est de même des jeux aux claviers à droite et à gauche; chaque trois clavier n'ont pas leur jeux spéciaux il n'y a des jeux réellement que pour trois claviers; ce n'est donc qu'un double mécanisme. Quand l'on est donc pas prévenu de cela, on croit que l'orgue a 72 jeux et par conséquent 36 jeux par trois claviers, tandis que non."
Outre le fait de nous apprendre que Joseph Callinet était assurément meilleur facteur d'orgues que vulgarisateur, cet extrait prouve que la création de Hérisé était d'une grande complexité mécanique. Il existe encore deux orgues de Hérisé : celui de Kruth (1841) et celui d'Ungersheim (1844), tous deux reconstruits par Rémy Mahler.
Du point de vue des jeux, Hérisé était vraiment imaginatif et estimait avoir "quelque chose à apporter". Voici la composition du devis de 1834 :
Espérons que le DVD de formation faisait partie de la dotation, car on imagine mal comment se servir de cette fabuleuse machine. En particulier, on peut se demander à quel répertoire s'adressent ces manuels de 56 notes avec un pédalier de 18 seulement. Probablement que l'instrument n'était conçu que pour l'improvisation - celle qui a présidé à sa conception. Il faut toutefois noter que, quoiqu'écrit par un "autodidacte" sans réelle expérience de la facture d'orgue, ce devis est loin d'être "n'importe quoi". Hérisé avait "bossé son sujet" : il présente un projet avec une certaine logique interne, et parait savoir exactement là où il veut aller. Les seuls indices de son inexpérience sont des dispositions "logiques" sur le papier, qui ne sont pas réalisables en pratique, ou juste inutiles à l'usage. Symptomatique est ce jeu appelé "1/4 de Nazard" : il s'agit fort probablement de l'expression "Quarte de Nasard", entendue et mal comprise. Ce n'est en fait pas une Quarte de Nasard (quarte du 2'2/3, troisième harmonique du 8', donc en 2', que l'on retrouve dans les Cornets) car Hérisé précise "ou petite quinte". On peut deviner l'erreur qu'il a commise : partant d'un Nasard (2'2/3, soit 8/3), il divise par 4 (2/3'), pour trouver effectivement une (très) petite quinte, à l'octave du Larigot (1'1/3), que l'on appelle parfois "petite quinte". Pourquoi pas... sauf que sans reprise, les tuyaux correspondant ont été tout simplement impossibles à construire dans l'aigu. Et ce "jeu" inventé par Hérisé était tout simplement un rang de Fourniture.
Hérisé proposait des claviers aux naturelles blanches (en 1834 !). Les pommeaux des tirants devaient être en ébène, avec un grain de perle au milieu. Le pédalier devait pourvoir être touché "forte ou piano sans changer de jeu". Les jeux "exotiques" étaient des anches ("Basse d'harmonie", "Cor", "Tonique", l'incompréhensible "Trompette à clefs" et le truculent "Psaltérion"). Plus curieux : le "Violoncelle" et son Dessus ("Angélique"), ainsi que la Viole et son Dessus ("Violon") étaient aussi des jeux à anches (alors que le monde de l'orgue s'accorde pour en faire des Gambes). L'Arigot (ce jeu a été reconstitué à Ungersheim) est par contre une Gambe (à attaque rapide : là aussi, Hérisé était en avance) et pas une Mutation (rien à voir avec un Larigot). Il y avait 4 ans de garantie, ce qui n'est pas la clause la moins incroyable du devis.
Car bien sûr, de la table à dessin à l'établi, il y a du chemin... Comprenant qu'il courait à la catastrophe, Hérisé rédigea un devis supplémentaire. Il consistait principalement à construire les différents jeux... dans les bons matériaux (mélange, étain). Par exemple, le devis initial prévoyait (en dépit de tout bon sens) de construire la Fourniture en mélange. Dans le devis supplémentaire, elle figure en étain, mais avec une plus-value ! Le devis supplémentaire propose aussi une plus-value pour un soufflet supplémentaire (la soufflerie avait été sous-dimensionnée, ce qui n'était pas la faute du client) et une autre pour faire "double la moitié du méchanisme des registres" (coupures en basse+dessus, ce qui était déjà prévu au devis original).
L'orgue fut réceptionné en juin 1838 par un Joseph Britschgi (Altkirch) probablement muet de stupeur. Il fut vraiment très tolérant avec le facteur, qu'il dut prendre en pitié ("le Sr Hérisé est loin de retirer profit de son entreprise, achevée dans l'intérêt de sa réputation..."). Britschgi ne savait sûrement pas très bien s'il avait affaire à une catastrophe ou un chef d'oeuvre. Aussi, Hérisé, au lieu de se prendre un procès, s'en tira avec de simples promesses, évidemment jamais tenues. Après la réception, Hérisé, après avoir essayé de se faire payer quelque "réparations extraordinaires" abandonna son instrument (il devait être impossible à entretenir) qui était qualifié de "discord" dès 1841. En 1859, il était "très souvent hors d'usage, et le sera bientôt totalement".
L'instrument fut reconstruit (avec des techniques plus éprouvées) dès 1859 par Valentin Rinkenbach. [IHOA] [PMSRHW]
Dans sa délibération du 08/09/1859, le Conseil municipal veut effectivement quelque chose de "plus simple et plus solide", puis abandonne brusquement la "langue de bois" "il est important surtout pour la commune de Carspach qui a déjà eu le malheur d'être trompée, de s'adresser à un homme entendu dans la facture". D'où Rinkenbach. Le travail fut reçu en particulier par François Antoine Ginck (Heimersdorf) qui faisait autorité en la matière.
Par une clause assez étonnante, Rinkenbach était autorisé à garder ce "qui ne sera plus employé pour le nouveau jeu" : de nombreux éléments mécaniques devaient être en double !
En 1892, Joseph Antoine Berger remplaça la soufflerie et le buffet du positif. [PMSRHW] [Barth]
Evacué vers 1916, le village eut beaucoup à souffrir de la guerre. L'église était pratiquement détruite (toiture, murs), et l'orgue bien sûr irrécupérable au retour des habitants. [IHOA] [PMSRHW] [CCAltkirch]
Historique
En 1930, Joseph Rinckenbach posa à Carspach un des remarquables instruments néo-classiques dont il avait le secret, dans un buffet construit par la maison Rudmann et Guthmann, avec des sculptures d'Alfred Klem. Et muni d'un positif de dos. [IHOA] [ITOA] [PMSRHW] [Barth]
Issus de l'"Orgelbewegung" mais surtout digne héritier des idées d'Emile Rupp et d'Albert Schweitzer, cet instrument était un "3-claviers" (III/P) sur deux manuels : les jeux du positif de dos se jouaient sur le second clavier comme ceux du récit.
Un positif de dos en 1930, ce n'était pas si courant, et Rinckenbach n'était assurément pas coutumier du fait. Prolongement "logique" de la pensée néo-classique, cherchant à retrouver certaines caractéristiques de l'orgue de 18ème (sans abandonner le legs de Cavaillé-Coll ou de Walcker) le positif de dos est toutefois pratiquement impossible à réussir dans un orgue néo-classique (c'est à dire capable de garder ses couleurs romantiques). Sauf en de très rares cas (des instruments très grands pouvant supporter un positif de dos "en 8 pieds"). En effet, un positif de dos "en 4 pieds", plein de petits jeux très "présents", situé à fleur de tribune, donc près de l'auditoire, ne peut pas se "fondre" avec le reste. En y prenant garde, on obtient vite une "tartine miel au raifort" : joués avec ceux du récit, les Mutations du positif gâtent irrémédiablement les couleurs de ce dernier. C'est donc plutôt, et dans le meilleur des cas, un orgue composite qui est réalisé, permettant d'élargir le répertoire, mais où tout ne peut pas être joué en même temps. Il y a fort à parier que ce n'était pas du tout l'idéal d'un harmoniste d'exception comme l'était Joseph Rinckenbach.
En 1943, Georges Schwenkedel fit un nettoyage. [ITOA]
En 1979, Christian Guerrier, à l'occasion d'un relevage, modifia la console pour y loger un troisième clavier. [ITOA]
Très logiquement, le clavier commandant le positif de dos est le premier (celui du bas), pour éviter toute confusion avec un positif romantique (qui serait celui du milieu). Il n'y a d'ailleurs pas d'accouplement III/I.
En 1997, la maison Christian Guerrier fit un relevage. [IHOA]
Le buffet
Le buffet néo-baroque, est l'oeuvre Camille Rudmann et Justin Guthmann, avec des sculptures d'Alfred Klem. [Palissy]
Le grand corps présente un motif à 4 tourelles, que l'on pourrait dire inspiré des Callinet. La partie centrale, en arc suivant la même silhouette qu'Oberhergheim, est munie d'un écusson figurant Sainte Cécile jouant de l'orgue. Les claires-voies des tourelles sont constituées de draperies à pompons. La parenté avec les buffets Callinet est encore accentuée par l'angelot placé sous le positif. En position centrale sur le couronnement, figure une lyre. Les deux corps de buffet sont couronnés de pots à guirlandes et flanqués de jouées richement sculptées en motifs végétaux et floraux. Les culots des tourelles latérales sont très spécifiques : ils figurent des anges - très féminins, n'en déplaise aux théoriciens - qui portent les tourelles de leurs bras écartés.
Caractéristiques instrumentales
indépendante, dos à la nef.
électro-pneumatique.
à membranes.
Webographie :
Sources et bibliographie :
Le buffet ne doit être attribué entièrement à Klem.
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Localisation :