Oberhergheim, l'orgue Claude-Ignace Callinet, le 06/10/2005.C'est un instrument passionnant que l'on trouve à Oberhergheim. Construit par Claude-Ignace Callinet en 1853, ce trois-claviers nous est parvenu presque intact. Il a une importance historique et artistique fondamentale. C'est le dernier orgue Callinet a avoir été doté d'un positif de dos, et sûrement le premier a recevoir des claviers blancs. C'est surtout un témoignage de la volonté - si longtemps refoulée - de Claude-Ignace de s'échapper de la torpeur de l'orgue dit "de transition" imposée par son frère aîné Joseph.
Historique
En 1739, un premier orgue fut placé à Oberhergheim par Jodoc Von Esch. On connaît le nom de son organiste en 1790 : François Umbricht, et en 1825 : Jean-Joseph Heinrich. [IHOA] [HOIE]
L'instrument a été réparé en 1762 par Louis Dubois. [HOIE]
Et en 1785 par Martin Bergäntzel. [HOIE]
Historique
La nouvelle église a été achevée en 1847. Elle fut d'abord dotée d'un petit orgue prêté par Joseph Callinet, mais c'est Claude-Ignace Callinet qui livra finalement l'orgue actuel, en 1853. [IHOA] [ITOA] [PMSCALL] [HOIE]
Car le projet pour Oberhergheim a été la "pomme de discorde" entre les deux frères Callinet jadis associés : Joseph (l'aîné) et Claude-Ignace (le cadet). Ce dernier était plus imaginatif, plus sensible aux évolutions esthétiques, et voulait enfin se libérer du joug hyper conservateur de son frère. En 1847, à l'achèvement de l'église d'Oberhergheim, Joseph était presque sûr d'avoir le marché. Mais en mars 1851, Claude-Ignace, probablement plus "introduit" dans la vie sociale (il a été conseiller municipal de Rouffach) décida de proposer lui aussi un orgue. Il passa probablement un accord verbal avec le maire. Il en résulta une concurrence farouche entre les deux frères, Joseph proposant un rabais considérable (3000 Frs), et de renoncer au loyer de l'orgue provisoire. Claude-Ignace aligna ses prix. L'affaire traîna. Un an plus tard, Oberhergheim fit affaire avec Claude-Ignace. Il avait promis un instrument "surpassant immensément" l'orgue de Ste-Croix-en-Plaine (localité distante de 5 km, dotée d'un orgue des frères Callinet de 1840, et qu'il fallait bien sûr "concurrencer").
Cet orgue - sûrement réalisé à perte - inspira fortement la suite de la production de Claude-Ignace Callinet : la "lignée d'Oberhergheim" comprendra les orgues d'Artzenheim (1853, aujourd'hui disparu), Réguisheim (1854), Bollwiller (1857), Vieux-Ferrette (1861), Ruelisheim (1867) et Widensolen (1872), son dernier opus.
L'instrument fut reçu le 15/06/1853 par Martin Vogt. [PMSCALL]
La fin des positifs de dos
Placer un plan sonore à fleur de tribune est une tradition issue de l'époque classique. La configuration acoustique, caractérisée par la proximité de "petits jeux" avec le public, peut être considérée comme un avantage ou un inconvénient : s'il s'agit d' "opposer" deux plans sonores pour les faire dialoguer, le positif de dos est pertinent. Mais si on veut faire en sorte que les plans sonores se complètent et s'associent harmonieusement pour donner une grande dynamique sonore à l'ensemble, le positif de dos ne donne pas satisfaction, surtout dans des acoustiques courtes. Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, à part pour les facteurs dont ils facilitaient le travail, les positifs de dos ne présentaient plus beaucoup d'avantages pour compenser leurs gros inconvénients : isolement de l'organiste, peu ou pas de visibilité, impossibilité pour les organistes / chefs de chœur d'être vus correctement de leur chorale, acoustique très défavorable, sentiment d'être coincé entre deux buffets... Il faut ajouter à ça les problèmes de circulation dans le cas des tribunes où on ne peut passer d'un côté à l'autre que par l'avant.
La maison Stiehr de Seltz, tout aussi conservatrice que Joseph Callinet, s'obstina encore plus longtemps à construire des positifs de dos, puisque Théodore et Auguste Stiehr en ont encore construit un en 1878 à Uhlwiller.
...et des consoles en fenêtre
Et le positif de dos se conçoit presque toujours avec une console en fenêtre. A Oberhergheim, bien que la console soit en fenêtre, la mécanique n'est pas plus légère que celles de bon nombre de consoles indépendantes (surtout avec l'accouplement I/II). Cela explique que, dans les années qui suivirent, la disposition en fenêtre fut peu à peu abandonnée. De toutes façons, qui a vraiment envie de jouer de l'orgue avec la tête enfermée dans une armoire ? Claude-Ignace Callinet se mit (avec courage) aux consoles indépendantes (Moosch, 1863, Ruelisheim, 1867), mais n'était sûrement pas très à l'aise avec les défis techniques liés aux mécaniques évoluées (Habsheim, 1859). Il adopta à nouveau la console en fenêtre en 1872 à Widensolen.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 24/04/1917. [PMSCALL] [HOIE]
C'est la plupart du temps à des facteurs qu'on a demandé de déposer les tuyaux réquisitionnés. Ici, Edmond-Alexandre Roethinger, lorsqu'il dut descendre la façade, laissa une inscription sur le flanc intérieur d'une porte de la clôture, du côté droit, qui se traduit par : "E.A. Roethinger, maître facteur d'orgues à Schiltigheim a retiré le 24 avril 1917 les tuyaux d'orgue spécifiés". La signature est accompagnée d'une de ses jolies petites étiquettes : [Visite]
L'étiquette d'intervention de la maison Roethinger en 1917,En juillet 1928, Georges Schwenkedel remplaça la façade et le pédalier, recula le grand buffet de 70cm, et plaça un ventilateur électrique. [IHOA] [ITOA] [PMSCALL] [HOIE]
Dans ses archives, Georges Schwenkedel a placé un plan de façade, ainsi que les tailles du Chalumeau, qui, apparemment, lui a beaucoup plu. [SchwenkedelNB]
La composition relevée à ce moment comprend bien un Salicional 8' au grand-orgue. (En 1986, celui-ci avait disparu.) [SchwenkedelDO]
Un article du journal "Der Elsässer", daté du 25/08 et paru le 27, indique que l'orgue avait été endommagé durant la guerre (s'agissait-il simplement de la façade ?), et que Georges Schwenkedel a dû réparer ces dégâts. L'orgue, de 40 registres et 3 manuels est attribué à "Gallinet" de Rouffach. L'étendue du déplacement du buffet est très exagérée (2 mètres !), et il est précisé que l'instrument a été doté d'une soufflerie électrique et d'une nouvelle façade. Cette dernière est décrite comme très belle ("Kunstvoll"). (Malheureusement, elle a été supprimée en 1993, au seul prétexte qu'elle était en zinc, et qu'il "faut absolument de l'étain".) [NAlsacien]
L'article indique aussi que la réception a été assurée par Emile Berger (Mulhouse, Ste-Marie-Auxiliatrice), que l'orgue est un des plus grands de l'Alsace centrale, et qu'il sera inauguré le 04/09. (Cette inauguration a finalement été reportée.) [NAlsacien]
Le journal "Gebweiler Kreisblatt" précise que l'inauguration a finalement eu lieu le dimanche 23/09/1928, avec la participation la chorale et la "Vereinsmusik". Il dit aussi que les travaux ont été effectués par Schwenkedel, que l'orgue dispose de 3 claviers et 40 registres, et que c'est l'un des plus significatifs de Haute-Alsace. [GebweilerKreisblatt]
Un article des "Colmarer neueste Nachrichten" relate également l'inauguration, en notant la participation de Mme Faath-Herbert, une cantatrice de Bâle. [ColmarNN]
Il y eut encore des réparations en 1954 et 1958. [ITOA]
En 1993, Gaston Kern effectua un relevage, et remit le grand buffet à sa place originelle. Il remplaça (à nouveau) la façade. [IHOA]
L'inauguration a eu lieu l'après-midi du 10/10/1993, avec René Kientzi (présentation de l'instrument) et Hubert Heller (Colmar). [Caecilia]
En 2005, Jean-Christian Guerrier effectua des travaux à la mécanique (correction de défauts aux abrégés) au cours d'un relevage réellement exemplaire. [Visite]
Le buffet
Pour ce buffet, Claude-Ignace adopta un dessin qui lui servira de modèle par la suite. Il voulait clairement se démarquer du "look" Ste-Croix-en-Plaine. L'idée est d'élargir la plate-face centrale, qui porte 7 gros tuyaux de Montre. Cette grande tourelle, de 6m40 de haut, masque le récit. Le positif reste classique, et remarquablement proportionné et décoré. C'est probablement le dernier positif de dos construit par les Callinet.
Une des têtes d'ange dont Claude-Ignace aimait tant décorer ses instruments.
Les deux anges des tourelles intermédiairesCaractéristiques instrumentales
| C | c | fis | c' | fis' | c'' | fis'' |
| 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 2'2/3 | 2'2/3 | 4' | 4' |
| 1' | 1'1/3 | 2' | 2' | 2'2/3 | 2'2/3 | 4' |
| 2/3' | 1'1/3 | 1'1/3 | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 2'2/3 |
| 2/3' | 1' | 1'1/3 | 1'1/3 | 1'1/3 | 2'2/3 | 2'2/3 |
| 1/2' | 1' | 1' | 1'1/3 | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
Console en fenêtre frontale. Tirants de jeux de section carrée à pommeaux tournés, placés en deux fois trois colonnes (en haut) et deux fois deux colonnes (en bas) de part et d'autre des claviers. Les pommeaux du récit sont plus foncés. Claviers blancs, à frontons droits.
L'ancien pédalier est conservé dans le soubassement.
Les tirants de jeux (les étiquettes ne sont évidemment pas d'origine).Il s'agit probablement du premier orgue Callinet a être muni de claviers blancs. La pédale avait 24 notes à l'origine (C-h) : le dernier Do (c') ne fonctionnait qu'en tirasse.
Disposition des tirants à la console :
Mécanique, d'origine partout sauf pour le positif (reconstituée). La tirasse par tirant et laye supplémentaire est une solution peu courante. Le tirant ne commande pas une rangée de balanciers, mais bel et bien la soupape d'une laye spécifique. Il y a donc un abrégé rien que pour la tirasse, qui est en quelque sorte une double-commande pour les basses du grand-orgue.
Sommiers à gravures, d'origine.
Voici la laye du grand-orgue ouverte. La photo est prise face à l'orgue,
La signature de 1853.Voici une signature, de 1853, tracée à la plume et à l'envers (i.e. tête en bas) sur la planche bordant le côté droit de l'estrade de la console. Il y a eu une hésitation : "183..." puis le "3" a été changé en "5" d'un coup de plume. On croit aussi lire un "1837", dont le 7 aurait pu être effacé. La planche était-elle destinée à un autre instrument ?
Une vue de la tuyauterie du grand-orgue.
Une vue de la tuyauterie de la pédale.
Une vue de la tuyauterie du positif.
Autre vue de la tuyauterie du positif de dos.
Une vue de la tuyauterie du récit.
A gauche, un tuyau de la Flûte 4' de pédale.Cet instrument exceptionnel, débordant de possibilités et d'un intérêt historique immense mériterait d'être mieux connu. Les fonds sont de toute beauté, en particulier les Principaux "sur le vent". Il faudrait peut-être encore, pour en faire un instrument quasi-parfait, rendre leurs trompettes aux anges de couronnement...
Webographie :
Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Simone Schelcher.
Remerciements à Jean-Christian Guerrier.
Photos du 30/06/2018 et relevé technique.
Photos à la tribune, du 28/08/2012.
Photo du 20/06/2004, composition et relevé des reprises de la Fourniture, du 04/01/2015/
OBERHERGHEIM, Kt. Ensisheim. - Waltrin Sohn, 1749. MATHIAS 60. - Liste von 1840 : « O. en très mauvais état ». - Neue Ki. 1844. Neue O. von Claude Ign. Callinet 1852, Expert. 1853. Preis: 13.000 Fr., Garantie: 10 Jahre. O. mit 37 Reg., 3 Clav., Ped. MEYER-SIAT 303-314. - Für 1934 : O. mit 40 Reg., 2 Clav., Ped. MATHIAS 60. - In MEYER-SIAT, Taf. 29 Abb. der O.
75. Oberhergheim {S B I}, Waltrin fils 1749, Callinet, Rouffach, 40 Jeux, 2 Clav., Péd., sommier à coulisses, traction à vergettes, soufflerie électr.
im68001989 ; avec une photo en noir et blanc de l'inventaire de G. Ebner montrant le buffet. On y voit l'ange de la tourelle centrale du positif avec sa flûte traversière, et les deux anges des tourelles intermédiaires du grand buffet avec leurs trompettes.
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