Ce joli petit instrument, aujourd'hui à l'abandon et injouable (en raison de l'achat d'une chose "numérique"), est l'opus 118 de Martin et Joseph Rinckenbach. C'est l'un des plus petits orgues construits par la célèbre maison d'Ammerschwihr. Il a été posé à Kiffis en 1912.
Historique
On ne sait pas grand chose du premier orgue de Kiffis. Il fut en tous cas installé après 1840, car l'inventaire des orgues réalisé cette année là n'en trouva pas. [Barth]
Par contre, l'instrument était présent en 1885, puisqu'il fut réparé par Joseph Antoine Berger. On disait à l'époque qu'il était déjà centenaire : il aurait donc été posé d'occasion, et datait probablement de l'ancien régime. [IHOA] [Barth]
Cet orgue a disparu avant 1912, puisqu'on se servait d'un harmonium avant l'installation de l'orgue Rinckenbach. [IHOA]
Historique
Le devis de Martin et Joseph Rinckenbach pour Kiffis date du 28/04/1912. Le numéro d'opus (118) et la date qui lui est attribuée (1910) dans la liste Rinckenbach laissent à penser que l'instrument avait été construit à l'avance, et placé par la suite à Kiffis. [ITOA] [Barth]
L'instrument a beaucoup de caractéristiques communes avec de celui de la localité voisine d'Oberlarg (1913), et surtout de celui de Wackenbach (1912). Ces deux instruments montrent comment eut été complété l'orgue de Kiffis si plus de moyens avait été disponibles : à Oberlarg, il y a un Octavin, et à Wackenbach, une Unda-Maris (jeu ondulant). Mais en 1912, pour une commune de la taille de Kiffis, cet orgue Rinckenbach avait déjà dû représenter un effort considérable !
La maison Rinckenbach connaissait alors une période particulièrement dynamique, comme en témoignent les instruments contemporains qui ont au moins bénéficié d'un nettoyage récent. Illustrant une résistance aux influences néo-classiques, ce sont les dignes héritiers des chefs d'œuvres de l'âge romantique (Werentzhouse n'est pas loin, et a dû contribuer à élever le goût musical dans la région). Même s'il est de taille réduite, l'instrument de Kiffis est assurément de la trempe de celui d'Ettendorf. Les transmissions pneumatiques produites dans les années 1910 par la maison Rinckenbach sont d'une grande qualité (et fonctionnent à merveille une fois réglées par un spécialiste), et les couleurs sonores atteignent des sommets de distinction. Pour se rendre compte de ce que pourrait être l'orgue de Kiffis, il faut aller à Wackenbach (où l'instrument a été entretenu en 1993), ou Maennolsheim.
On ne peut s'empêcher de penser que l'orgue Rinckenbach était exactement ce qu'il fallait pour le petit sanctuaire de Kiffis, tant il est adapté à l'esthétique, au goût et à l'histoire locale. Aucune prétention, pas d'effet tonitruants, mais l'inimitable timbre des "8 pieds" de Martin Rinckenbach, probablement harmonisés par son fils, qui était, rappelons-le un génie de cet art. Malheureusement, la suite de son histoire est plus triste.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités allemandes en 1917. [ITOA] [IHOA]
En 2020, cette façade n'a toujours pas été remplacée... Et pourtant, la réquisition avait été indemnisée : l'argent a donc été dépensé pour autre chose. A la place des tuyaux, on plaça de simples rideaux, et le buffet fut peint d'une couleur rouge-brun, sombre et luisante : le pauvre orgue de Kiffis a bien triste allure depuis... Et, bien sûr, la poussière s'accumulant dans les tuyaux, le rendu sonore devint bien terne, et on oublia la qualité intrinsèque de cet instrument d'exception.
Aujourd'hui (2020), cet orgue est totalement à l'abandon, et injouable (tous les systèmes d'alimentation en vent ayant été déposés). La faute en incombe, comme souvent, à l'achat d'un machin électronique. Et pourtant, entretenir et dépoussiérer le petit orgue Rinckenbach n'aurait pas coûté très cher... Et le résultat eut été à coup sûr idéalement en harmonie avec l'édifice. Une autre raison de l'abandon est aussi, probablement, cette inexpugnable idée préconçue concernant la qualité et la fiabilité des transmissions pneumatiques. Pourtant, réglées par quelqu'un qui s'y connaît, elles sont prodigieuses d'efficacité, et bien plus faciles à entretenir, dans certaines conditions, qu'une mécanique compliquée. Il faut vraiment souhaiter que l'intérêt de cet instrument soit enfin re-découvert. Il serait infiniment plus adapté, ici, que toutes les prétentieuses et éphémères machines électroniques du monde. Si l'on tarde trop, le petit orgue Rinckenbach sera bientôt irrémédiablement dégradé.
Le buffet
Le buffet, en sapin, est constitué de 3 plates-faces. Le modèle est conçu pour recevoir un couronnement (comme à Wackenbach), mais, ici, il n'y avait pas la place en hauteur. Par contre, le haut des plates-faces est orné de claires-voies sculptées très élaborées. Depuis 1917, la façade est toujours manquante ! La couleur et la peinture "façon laque" ne sont pas du tout adaptées à l'esthétique de l'instrument. Pour restaurer la façade (muette) il faudrait retrouver le dessin de la ligne des bouches. Wackenbach propose une ligne en "V" prononcé pour la plate-face centrale, et horizontale pour les autres.
Caractéristiques instrumentales
L'accouplement du clavier "en octaves aiguës" (I/I 4'), permet d'éclaircir le jeu de cet orgue dont la composition s'arrête au 4 pieds. On peut donc avoir un 2 pieds, et la solution est d'autant plus intéressante que l'étendue importante du clavier (56 notes) rend la chose pleinement efficace jusqu'au quatrième Sol.
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle incliné basculant. Porte-partitions amovible. Appel des jeux par dominos, les mêmes que l'on retrouvera durant l'époque néo-classique de Joseph Rinckenbach (Scherwiller). Le domino du Salicional perdu la partie inférieure du placage. La porcelaine de la Soubasse est d'un bleu très pâle.
Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales cuillers à accrocher, repérées par des porcelaines. De gauche a droite : "Pedal koppel I." (I/P) et "Super octav koppel I." (I/I 4').
Plaque d'adresse placée à l'horizontale au-dessus du clavier, en lettres de laiton incrustées dans le bois :
Pneumatique tubulaire, notes et jeux.
A membranes, d'origine.
Soufflerie avec réservoir à plis et tables parallèles, placé en hauteur, au-dessus de la porte.
Quel dommage que ce petit bijou soit muet ! Pourtant, il est le digne représentant d'un style d'orgues spécifiquement alsacien, jusqu'ici trop peu connu, mais qui s'avère avoir une importance patrimoniale considérable.
Il n'y a que 5 jeux : cela ne peut coûter si cher que celà de les nettoyer et de relever l'instrument, qui est complet à part la façade. Il est en totale adéquation avec l'édifice, ces bouquets de jeux de 8 pieds étant idéaux pour les acoustiques courtes.
On ne peut qu'espérer que l'orgue de Kiffis bénéficie rapidement d'un relevage, qui permettra de mettre en valeur ses qualités.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Guillaume Ueberschlag.
Photos du 30/08/2020.
Photos du 22/05/2010.
Localisation :